Chapitre 30 : Course

- Ton père ? Tu veux dire Christophe ? répéta Kléa.

L'enfant releva la tête quand elle prononça ce nom que je supposais être le sien.

Il tenait sa couette entre ses mains, comme pour se protéger. J'aperçus des pansements sur ses avant-bras, démontrant qu'il avait subi plusieurs perfusions.

Ses yeux étaient cerclés de mauve et témoignaient d'une appréhension à notre égard qui semblait presque aller jusqu'à de la terreur.

La pièce dans laquelle il se tenait mesurait au maximum dix mètres carré. Elle contenait uniquement un lit en métal sur lequel reposait un matelas gris. Au plafond, des néons projetaient une faible lueur blanche.

- Comment c'est possible ? m'interrogea Eliott. Je croyais que ton père était mort...

- Je ne sais pas, je... je le croyais aussi... C'est...

Je passai mes mains sur ma figure et glissai mes doigts dans mes cheveux. Je me forçai à respirer calmement.

- Mon père était un élémentaire du Temps... Peut-être qu'ils ont... Je sais pas, peut-être qu'ils ont provoqué son rajeunissement, ou qu'ils ont inversé sa croissance...

- C'est possible ça ?

- Je ne sais pas ! Je ne sais pas, arrêtez de me regarder comme ça, je n'ai pas la réponse !

Mes yeux se posèrent à nouveau sur le petit garçon. Peut-être n'était-ce pas mon père, peut-être m'étais-je trompé.

Il possédait une cicatrice sur sa mâchoire, située au même endroit que celle que mon père possédait : à droite en dessous de sa lèvre inférieure.

Un souvenir d'une rencontre avec un chien, me racontait-il souvent.

Une tâche de naissance marron très clair s'épanouissait sur le bas de sa gorge, un autre indice qui ne faisait que confirmer mon hypothèse.

Je n'arrivais même pas à déterminer si j'étais heureux à l'idée de l'avoir retrouvé. Devrais-je me réjouir à l'idée que mon père ait subi des expériences pendant des années, alors que nous le croyions tous morts ? Avait-il attendu notre venue ? Avait-il espéré qu'on vienne le sortir d'ici ?

Je détournai la tête, ne parvenant pas à supporter le regard effrayé et perdu de l'enfant. Le voir ainsi dépassait mes forces, c'était trop dur et les souvenirs qu'il ravivait en moi étaient trop douloureux.

Le hululement de la chouette... Les cris éraillés du hibou... Les sifflements rauques de l'effraie...

Des fragments de ma mémoire me parvinrent.

- Nous ... pouvons rien vous ... le moment...Si .... refusez d'obtempérez, nous ... obligé d'avoir ... la force.

Ses voix, elles venaient encore une fois me torturer. Je n'en pouvais plus d'entendre ces paroles en boucle.

- Papa !

...

- Samuel, rentre à l'intérieur.

...

- Qu'est ce qui se passe ? Pourquoi ils t'emmènent ?

...

- Pousse-toi gamin. On a perdu assez de temps.

Je secouai la tête pour tenter de dissiper ses souvenirs, mais rien à faire. Ils me collaient à la peau. Eliott me jeta un coup d'œil inquisiteur, je fuyai son regard et tentai de reprendre contenance en ne laissant rien paraître.

- Tout va bien se passer. Ces messieurs veulent juste me poser quelques questions, après je rentrerais à la maison.

...

- Lâche-moi ! PAPA!

Kléa s'agenouilla devant le petit garçon et tendit une main dans sa direction. Il recula d'un pas, une expression peu rassurée peinte sur le visage.

- On ne te veut aucun mal, le rassura Kléa. On est là pour te sortir d'ici.

Une lueur traversa son regard un court instant.

- Pour de vrai ?

- Kléa, l'appelai-je.

Elle tourna la tête dans ma direction.

- Qu'est-ce que tu comptes faire ? l'interrogeai-je.

- Le ramener à la base. Il racontera ce qu'il sait à Kaede.

Elle planta à nouveau son regard dans celui du garçon que je n'arrivais pas à considérer comme mon père.

Il ne se rappelait pas de moi, son esprit était celui d'un gosse. Quand il tourna la tête, je remarquai le tatouage imprimé sur le côté gauche de sa nuque.

- Qu'est-ce qu'ils t'ont fait... murmurai-je, plus pour moi que pour lui.

L'enfant fixa la main tendue de Kléa. Il sembla hésiter un moment, mais finit par la saisir maladroitement.

Alors que la jeune élémentaire se redressait, les lumières au plafond s'éteignirent brusquement, avant d'être remplacée par une lueur verdâtre clignotante. Une alarme se déclencha, nous faisant tous sursauter.

Mon cœur rata un battement - voire même cinq.

Pendant une demi-seconde, on resta tous figés. Puis, Kléa prit les devant en sortant de la pièce, sans lâcher le garçon. On lui emboita le pas.

Dans le couloir, ce même éclairage instable et désagréable pour les yeux augmentait ma panique. Je tournai vivement la tête pour regarder des deux côtés. Impossible de repartir de là où on était arrivé, des gens arrivaient de ce là-bas à toute vitesse.

Kléa fit volte-face et passa une nouvelle fois le badge dans la fente, déverrouillant une autre porte. Nous nous précipitâmes dans l'embrasure. Le couloir n'allait pas tout droit et ne cesser de nous ralentir en nous faisant prendre des virages.

Je tentai de faire abstraction de l'alarme stridente qui m'empêcher de me concentrer pour connaître la position de nos poursuivants, mais n'y parvins pas. Le volume était trop élevé pour que je réussisse à l'oublier.

Une issue de secours se dressa devant nous. Eliott se jeta dessus et poussa la barre en métal afin de l'ouvrir, cependant elle resta close.

- Putain ! jura Kléa.

On ne perdit pas une seconde de plus à essayer de la forcer et nous remîmes à courir à en perdre haleine. On monta une volée de marches, trébuchant et se relevant aussitôt. Mes poumons et ma gorge brûlaient, non préparés à ce sprint soudain.

Arrivé en haut, je m'apprêtai à regagner de la vitesse quand une douleur affreuse m'assaillit. Un hurlement strident parvint à mes oreilles. Un son à une fréquence hautement élevée me déchirant les tympans.

Je plaquai mes mains sur mes oreilles et tombai à genoux en poussant un gémissement.

C'était insupportable, je n'avais jamais rien entendu de tel de toute ma vie. J'avais l'impression que mon crâne allait exploser. Mon don ne faisait que l'amplifier, il résonnait dans tout mon corps, provoquant des tremblements dans tous mes membres.

Eliott se retourna et me jeta un regard terrifié. Je vis ses lèvres prononcer mon nom, mais ne l'entendit pas. Kléa s'arrêta à son tour, ses yeux se posèrent derrière moi.

Nos traqueurs arrivaient, je le savais. Et elle aussi.

Elle saisit Eliott par le bras et l'entraina avec elle. Ils disparurent au tournant du couloir.

La seconde qui suivit, je sentis un poids s'affaisser sur mon corps et me projeter face contre terre, me coupant la respiration au passage.

Je tentai de me relever, mais ce fut en vain. Une quinte de toux me secoua. Mes yeux me piquèrent quand j'aspirai une bouffée d'oxygène qui m'arracha la trachée.

Le son diminua peu à peu d'intensité, allégeant ma peine.

Quelqu'un s'accroupit face à moi. Je relevai les yeux pour détailler le visage du cousin de Charlotte. Il tenait un petit appareil dans ces mains en métal que je savais être la source de ce bruit infernal.

Il me regarda un long moment, le visage totalement fermé. Je n'y lisais aucune surprise, ni aucune trace de satisfaction pour m'avoir attrapé.

Mon cœur battait à tout rompre. Qu'allait-il faire de moi maintenant ?

Mon regard glissa à l'endroit où Eliott, Kléa et mon père avait disparu. Je ressentis un pincement au cœur en prenant conscience qu'ils m'avaient abandonné. Mais après tout, qui aurait réagi différemment ? Même s'ils l'avaient voulu, ils n'auraient pas pu m'aider. Ils se seraient fait attraper en même temps que moi.

Il n'avait pas fallu longtemps à Kléa pour comprendre cela. Elle avait pris la bonne décision. Ou du moins, elle avait pris la décision que l'Association attendait d'elle.

Mes yeux revinrent se planter dans le regard vert d'Emile, tant similaire à celui de Charlotte.

Si je me concentrai uniquement sur celui-ci, je pouvais presque imaginer la jeune élémentaire avec la même expression insensible. Pour deux personnes qui se détestaient, ils semblaient avoir beaucoup de points communs.

Mon bourreau ne prononça pas le moindre mot. Il se contenta de secouer la tête en soupirant. Il fit un signe à un de ses acolytes dans mon dos. Une douleur me traversa la nuque. Je ne vis pas d'où elle venait, sûrement d'une aiguille.

Je poussai un faible gémissement, tentant de me débattre, mais mes muscles ne répondirent pas à me demande. Le calmant faisait déjà effet.

Ma vue se brouilla, je clignai des paupières, luttant contre le besoin soudain de sommeil.

Reste éveillé. Reste éveillé. Reste éveillé.

Ma tête bascula sur le côté. Un voile noir recouvrit le paysage. Pendant quelques secondes encore, je perçus le son de l'alarme qui hurlait encore, mais elle finit par disparaître, elle aussi.

Tout était calme, désormais.

Merci d'avoir lu !

Chapitre plus court que d'habitude mais riche en émotions, donc ça compense non ? Juste pour commencer à vous préparer au choc, le chapitre 31 contient une révélation assez... inattendue je pense. Vous allez avoir quelques infos, mais pas toutes donc c'est normal si vous ne comprenez pas tout ou si vous vous demandez "comment c'est possible ?". Si ça peut vous rassurez, Samuel est totalement dépassé lui aussi.

Sur ce, à la prochaine !

Ps : Ah oui, désolé pour cette fin sadique, et aussi les deux prochaines x)

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