Chapitre 28 : "Ils arrivent"

   Une sonnerie stridente me réveilla le lendemain matin. Je sursautai dans mon lit et ouvris brusquement les yeux. Il me fallut un moment pour comprendre que je n'étais pas dans ma chambre, mais toujours dans les dortoirs du centre de recherches.

   Avec Eliott, nous étions rentrés rapidement après avoir constaté que nous ne pourrions pas aller plus loin sans un badge. La mission d'aujourd'hui était donc d'en récupérer un - en toute discrétion, bien sûr.

   Je n'étais pas la personne la mieux qualifiée pour prendre subtilement un objet qui ne m'appartenait pas, étant donné que je n'avais aucune expérience dans le domaine, cependant j'étais animé par une curiosité maladive. J'étais persuadé d'avoir entendu un enfant derrière cette porte, un petit garçon qui n'avait pas sa place dans un centre de recherches.

   Cet endroit cachait bien plus que je ne le pensais. J'avais peur de ce que j'allais découvrir dans ces pièces aux sous-sols. Des expériences sur des gamins ? Des salles remplis de seringues, de scalpels et autres instruments de tortures ? Que se passait-il vraiment ici ?

   Kléa n'avait apparemment rien trouvé de très intéressant au niveau -1. Seulement beaucoup de matériel soigneusement rangé dans des remises prévues à cet effet.

   Après un rapide petit-déjeuner en compagnie des autres stagiaires, on dut se remettre en groupe comme la veille. Je m'apprêtai à rejoindre mon responsable, quand Eliott me retint par le bras.

   Je me tournai vers lui.

— Qu'est-ce qu'il y a ?

   Il désigna le cousin de Charlotte d'un signe de tête.

— On doit récupérer son badge, murmura-t-il.

   J'y jetai un rapide coup d'œil. On pouvait lire son prénom sur la carte qui pendait à la poche de sa blouse : Emile.

— Pourquoi le sien ? Tous les scientifiques présents ont des badges.

   Eliott me regarda comme si j'étais stupide.

— Oui, mais tous n'ont pas quatre étoiles dessus.

   Je fronçai les sourcils, l'incitant à poursuivre.

— Il y avait aussi quatre étoiles à côté de la porte hier soir. Je ne suis pas un génie, mais je pense qu'il faut un badge à quatre étoiles pour ouvrir une porte à quatre étoiles.

— C'est des niveaux d'autorisation... compris-je.

   C'était logique, en effet. Cependant, je n'étais déjà pas très motivé pour voler un badge, mais celui d'Emile, c'était tout simplement impossible.

   Premièrement, parce-qu'il ne devait jamais l'enlever, sauf quand il était chez lui.

   Deuxièment, parce-qu'il avait probablement déjà tué un - ou plusieurs – élémentaires, et que j'étais moi-même un élémentaire. Je pouvais même voir le panneau « danger » qui clignotait au-dessus de sa tête.

   Troisièmement... parce-que c'était impossible, bordel !

   Je n'avais pas le temps de lui faire part de mes réflexions, mon groupe était déjà en train de s'éloigner.

— On verra ça plus tard, lançai-je avant de partir à mon tour.

   La matinée passa beaucoup trop lentement à mon goût. Je n'avais jamais vraiment aimé la biologie, alors écouter des scientifiques nous parler de ce qu'ils faisaient ici pendant des heures ne m'avaient pas enchanté. Déjà que je manquais de sommeil, leur voix assommantes ne m'aidaient pas à tenir le coup. Nettoyer les tubes à essais, la deuxième activité de la journée, avait été largement plus distrayant que de prêter attention à leur discours.

— Tu sais que Victor a demandé à faire son stage ici lui aussi ? chuchota une voix.

   J'inclinai la tête en direction de mes voisins de gauche. Trois jeunes hommes en train de discuter, tout en lavant aléatoirement de la verrerie.

— L'élémentaire ? Sérieusement ? s'exclama le deuxième. Il a été refusé, j'espère !

— Oui, le directeur du centre de recherches n'a pas accepté.

— Encore heureux ! intervint le dernier adolescent.

   Je serrai les dents à m'en briser la mâchoire.

   Ne dis rien. Ne dis rien. Ne dis rien.

— Si sa demande n'a pas abouti, c'est uniquement parce-que notre quota de stagiaires était déjà atteint. Le fait qu'il soit un élémentaire ne change rien.

   Je me retournai en même temps que les adolescents vers le cousin de Charlotte. Un frisson me parcourut l'échine quand je me rendis compte qu'il était à moins d'un mètre de moi.

   Le premier garçon à avoir parlé lâcha un rire amusé.

— Vous me dîtes que sa nature n'a aucunement influencé votre décision ? Personne ne veut avoir d'élémentaires en stage, ça ne sert à rien de mentir.

   Emile planta son regard froid dans le sien. Même si ce n'était pas moi qu'il fixait, je me sentais mal à l'aise.

— A moins que vous ne soyez de leur côté... supposa le jeune homme.

— Je ne suis pas de leur côté. Mais je n'ai rien contre eux du moment qu'ils n'utilisent pas leurs pouvoirs.

   Du moment qu'ils n'utilisent pas ce qui fait d'eux des élémentaires, traduisis-je intérieurement. La logique de cette phrase m'échappait.

   Je me retins de lever les yeux au ciel, et retournai à ma tâche en tentant de les ignorer.

   A l'heure de la pause, je sortis du bâtiment pour prendre un peu l'air. Comment étais-je censé rester deux semaines ici alors qu'au bout d'une journée et demie je n'en pouvais déjà plus ?

   La colère me comprimait l'estomac, il fallait absolument que je me calme. La discussion des trois adolescents avaient ravivé en moi des mauvais souvenirs du lycée.

   En rejoignant l'Association, je pensais que je n'aurais plus à cacher mon identité.

   Je rigolais devant ma naïveté.

   Je ne reverrai jamais le monde dans lequel je vivais quand j'étais petit. Les humains ne feraient pas marche arrière, nous non plus. Je devrais rester dans l'ombre jusqu'à ce qu'une guerre éclate.

   Ce n'était évidemment pas ce que je souhaitais, cependant je ne voyais pas d'autres issues à ce conflit.

   Le gouvernement ne pouvait pas juste enlever toutes les lois. Il ne voulait pas le faire, et de toute façon il ne le pouvait pas. C'était trop tard désormais, les humains n'accepteraient jamais de traiter les élémentaires comme leurs égaux, et les élémentaires ne pardonneraient jamais aux humains pour tout ce qu'ils leurs avaient fait.

   Même moi je n'étais pas sûr de pouvoir passer l'éponge. Ils avaient fait souffrir ma famille, pas uniquement en faisant exécuter mon père, mais également avec tout le reste.

   C'était surprenant de constater à quel point mon opinion envers eux se transformait au cours du temps. Malgré mes efforts pour ne pas les détester, malgré Eliott et malgré les souvenirs de mes amis d'enfance, je ne pouvais empêcher ma haine de grandir. Chaque jour, ils la nourrissaient. Chaque jour, je sentais qu'elle prenait un peu plus de place dans mon être. Je ne pouvais pas la réprimer. Elle n'était d'ailleurs pas le seul sentiment qui grandissait en moi.

   La haine et l'amour. Deux émotions contraires, et pourtant si proches. Toutes deux incontrôlables. Aussi puissantes l'une que l'autre.

   Deux émotions qui se contrebalancent pour maintenir un équilibre presque parfait.

   Plus je me rapprochais des élémentaires, plus je haïssais les humains.

   Sans vraiment savoir pourquoi, je composai le numéro de Charlotte sur mon portable et portai l'appareil à mon oreille. J'avais l'intuition qu'elle comprendrait ce que je ressentais et à cet instant, tout ce que je souhaitais c'était discuter avec quelqu'un qui était de mon côté.

   Elle décrocha au bout de la troisième sonnerie.

— Hey, c'est Samuel ! lançai-je.

— Samuel ? Pourquoi tu m'appelles ? Il y a un problème ? s'inquiéta-t-elle.

— Non, rien de grave... Enfin à part le fait que ton cousin fait partie des scientifiques et que je dois lui voler son badge pour ouvrir une porte qui mène à... Je sais pas vraiment en fait, c'est compliqué...

— Emile ? Il est là ?

   Je pouvais jurer l'avoir entendu grincer des dents.

— Il ne m'a pas reconnu. De toute façon il ne fait pas vraiment attention à moi, la plupart du temps il nous laisse seuls ou avec d'autres scientifiques.

— Ne le sous-estime pas, Samuel. Il est bien plus dangereux que tu ne le penses. N'oublie pas que ses grands-parents étaient des élémentaires de l'Esprit.

   Oui, évidemment. Merci de me le rappeler, pensais-je.

   Charlotte était vraiment douée pour rassurer les gens. Je n'avais encore jamais rencontré quelqu'un de son niveau.

— A vrai dire, il n'est pas la personne qui me préoccupe le plus.

— Qui est-ce alors ? m'interrogea-t-elle d'un ton peu rassuré.

— Toi.

   Je l'imaginais parfaitement froncer les sourcils et afficher son air d'incompréhension.

— Kléa m'a raconté pour... Elle m'a dit que tu pensais connaître ta date de mort.

   Le silence s'installa. Au début, je me tus, attendant qu'elle prenne la parole, mais les minutes s'écoulèrent sans qu'elle ne prononce le moindre mot.

— Charlotte ?

— Ils seront bientôt là, tu sais ?

   Sa voix semblait lointaine. Bien trop pour que ce soit normal.

— Qui ça ? Qui sera bientôt là ?

— Les nôtres. Ils arrivent.

— De quoi tu parles ?

   Elle ne répondit pas.

— Charlotte ? l'appelai-je.

   Je ne comprenais rien à ce qu'elle racontait. C'étaient qui « les nôtres » ? Les élémentaires ? Que voulait-elle dire par « ils arrivent » ? Parlait-elle d'une révolution dont je n'étais pas au courant ? Ça ne m'aurait pas étonné, j'étais toujours le dernier au courant de ce genre de choses.

   C'était comme pour les contrôles de mathématiques, souvent je l'apprenais le matin, cinq minutes avant d'entrer en classe.

   Et après on s'étonnait de mes notes...

— C'est dommage, j'aurais bien aimé les rencontrer, conclut-elle.

   Alors que je m'apprêtai à répliquer, elle raccrocha brusquement. Je décollai l'appareil de mon oreille et le fixai avec incompréhension, comme s'il pouvait m'apporter des réponses.

   A deux reprises j'essayai de la recontacter, mais je tombai à chaque fois sur la messagerie.

   J'avais déjà vu plusieurs comportements étranges de la part de Charlotte, mais jamais elle ne m'avait laissé aussi hébété. Je passai mes mains dans mes cheveux et les agrippai, tirant presque dessus.

   Cette histoire devenait de plus en plus compliquée. Comment les autres arrivaient-ils à suivre ? J'étais totalement paumé, et je détestais cette sensation. Je ne savais pas où me placer, ni quoi faire. Devais-je suivre Kléa et continuer la mission ? Ou bien rentrer à la base et aller parler à Charlotte en face à face ?

   Ou pourquoi pas me barrer de ce pays de fous et aller vivre dans la forêt ?

   Cette idée m'arracha un sourire. Même si je savais que ce n'était qu'un rêve irréalisable, je ne pouvais m'empêcher de fantasmer dessus. La vie sauvage n'était sûrement pas simple, mais pouvait-elle être plus fatigante que celle en société ? Au moins, je serais avec ma famille, je n'obéirais à aucune loi, je pourrais utiliser mes pouvoirs comme bon me semble et j'arrêterai de craindre qu'on découvre qui j'étais...

   Je secouai la tête pour dissiper ces pensées absurdes. Je ne pouvais pas me permettre d'être distrait, je n'avais pas de temps pour cela.

   Entre les mystères du centre de recherches, le cousin de Charlotte, Eliott et son frère qui étaient toujours prisonniers de l'Association, ma sœur et ma mère que j'avais abandonnées, et maintenant l'attitude étrange de Charlotte, à quel moment avais-je le temps de rêver d'un monde meilleur ?

   Je jetai un dernier coup d'œil autour de moi, avant de rentrer dans le centre de recherches, sans me douter que c'était la dernière fois que je voyais le monde tel qu'il était.

   Après ce jour, tout allait changer.

Merci d'avoir lu !

Ce n'aime pas vraiment ce chapitre parce-que je trouve qu'il manque un peu d'action, mais ne vous inquiétez pas, elle reprend au prochain chapitre !

J'espère que vous profitez bien des derniers instants de calme car vous n'en reverrez sûrement pas avant longtemps x))

À bientôt pour la suite ! ;)

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