Chapitre 12: Le test
« Quel jeu divinement cruel,
Qu'est la bataille perpétuelle,
De l'Esprit contre le Cœur. »
Dès que je sortis de la chambre, les exclamations fusèrent, me faisant presque sursauter. Une trentaine d'élémentaires étaient rassemblés en cercle, tous avaient le regard braqué sur moi. Je ravalai ma salive et commençai à m'avancer doucement. Les gens s'écartèrent pour me laisser passer et refermèrent le cercle juste derrière moi. Je levai la tête et aperçus un homme assis sur une chaise, face à moi.
Ses mains étaient attachées aux accoudoirs et ses pieds étaient liés par une corde. Les marques rouges sur ses poignets ne laissaient aucun doute sur le fait qu'il s'était débattu. Il portait un uniforme de police, mais le sac en toile sur sa tête m'empêchait de savoir de qui il s'agissait. Malgré le bruit que faisait la foule, je perçus très clairement l'accélération de sa respiration. En réalité, je n'entendais plus que ça, ainsi que ses battements de cœur. C'était comme si tout le reste était masqué.
Baboum. Baboum. Baboum.
— Tiens.
Je me retournai et fis face à la femme qui dirigeait l'Association. Kaede, comme l'avait appelé Yoann. En notant le pistolet qu'elle tenait dans une main, mon cœur rata un battement. Je savais parfaitement ce qu'elle attendait de moi, mais je ne pus m'empêcher de lui jeter un regard interrogateur.
— Si tu veux intégrer l'équipe d'exécution, tu dois me prouver que tu es capable de tuer. Tu n'auras pas le droit à d'autre chance, c'est maintenant ou jamais.
Je jetai un bref coup d'œil au prisonnier et reportai mon attention sur elle. Elle me tendit l'arme, j'hésitai un instant à la saisir. Les cris des autres élémentaires étaient de plus en plus forts, augmentant mon stress déjà bien présent. Finalement, je levai le bras et m'emparai du pistolet. Je me plaçai devant le condamné, le souffle court, tandis que Kaede se glissa derrière lui. Elle attrapa le sac en toile et le retira de sa tête. Je le reconnus immédiatement.
C'était le frère d'Eliott.
Ses cheveux noirs étaient trempés et collaient à son visage. Des grosses gouttes de sueur perlaient sur son front. Il croisa mon regard, je lus la terreur dans le sien. Il avait peur, rien d'étonnement. Il baissa les yeux et fixa l'arme que je tenais, sa peau devint livide.
Je ne savais pas encore si j'allais trouver le courage de tirer. J'avais envie de venger mon père, mais pas de cette façon ! Ceci n'avait rien à voir avec la justice, c'était une exécution, une mise à mort. Cet humain l'avait-il vraiment mérité ?
Je parcouru la foule des yeux, tous m'incitaient à tirer. Ils commencèrent à répéter mon nom, de plus en plus fort. J'arrêtai mon regard sur Charlotte. Elle me fixait, les bras croisés et le visage impassible. Elle ne m'encourageait pas à tuer cet homme, mais ne tentait pas de m'en dissuader non plus. On aurait dit qu'elle n'en avait tout simplement rien à faire, comme si ça n'avait pas d'importance. A côté d'elle, Yoann semblait être pour la mort du policier.
Je trouvais ça stupide, descendre un homme attaché ne prouvait rien du tout ! En plus, rien ne montrait qu'il était coupable de quoi que ce soit. Si je tuais un innocent, est-ce que je pourrais toujours me considérer différent de ceux qui avaient exécuté mon père ?
— Dépêche-toi, Samuel, me pressa Kaede. On n'a pas toute la journée.
Je resserrai ma prise sur l'arme à feu. Je fermai les yeux et pris une grande inspiration. D'un autre côté, le tuer me permettrait de prouver ma valeur aux autres et peut-être pourrais-je avoir ensuite accès à des informations concernant la mort de mon père. L'Association pouvait forcément accéder à ces données, même si ceux-ci étaient confidentiels. La mort d'un innocent, en échange de ma vengeance - ou du moins d'une grande avancée dans ma vengeance. Est-ce que ça valait le coup ?
Je rouvris les yeux et vis une nouvelle fois l'air affolé du frère d'Eliott. Je tentai tant bien que mal de mettre mes émotions de côté. Je lui avais promis ! Je lui avais juré sur ma vie !
Je levai lentement mon arme, le bras tremblant, et le pointai en direction du cœur.
— Samuel, ne fais pas ça... me supplia le jeune homme en planta son regard dans le mien.
Mon doigt était posé sur la gâchette, j'avais peur de tirer sans le vouloir, à cause de mes tremblements. Mais d'un autre côté, j'aurai aussi aimé que ça arrive, parce-que je n'avais pas la force d'appuyer tout seul.
Mon père aurait su le faire, lui. Il était bien plus courageux. Moi, je n'étais qu'un lâche, incapable de tuer un pauvre humain pour tenir une promesse que j'avais faite des années auparavant. Ma parole valait-elle donc si peu ? Je n'éprouvais même pas de sympathie pour lui, alors qu'est ce qui me retenait de le descendre ?
— Samuel, répéta-t-il. Si tu fais ça, tu vas le regretter. Ce n'est pas une menace, ajouta-t-il d'un ton qui se voulait calme. Tu n'as jamais tué personne, ça se voit. Tu es encore innocent, mais si tu appuies sur cette gâchette, il n'y aura aucun retour possible.
— Tais-toi ! lui hurlai-je.
Il sursauta quand j'élevai la voix. Moi-même j'étais surpris par mon ton, ça ne me ressemblait tellement pas...
— J'ai déjà tué, Samuel. Et je te jure que c'est plus dur à supporter que ce que l'on pense. Et pourtant, cet homme était coupable, il méritait son sort, mais je m'en veux tout de même.
— Je t'ai dit de te taire ! répétai-je. Tais-toi, tais-toi...
Ça ressemblait presque une supplication. Il me rendait les choses encore plus dures qu'elles ne l'étaient déjà, il me faisait culpabiliser. Au fond, je savais que j'allais m'en vouloir toute ma vie, mais je ne voulais pas y penser. J'essayai d'ignorer les appels que ma conscience m'envoyait. Ça prenait trop de temps, il ne fallait pas que je réfléchisse ! Ce serait pire si je faisais durer l'attente, autant pour lui que pour moi. Je savais qu'il fallait que j'abrège, que je tire immédiatement, mais je n'y parvenais pas.
J'étais partagé, totalement scindé en deux.
Mon cœur me hurlait de ne pas descendre un innocent, et mon esprit m'ordonnait de le faire, pour ma réputation auprès des autres, pour ma vengeance, pour ma promesse envers mon père. Qui écouter ? Je n'avais jamais su quelle solution était la bonne. Ma mère disait que ça dépendait de la situation, que dirait-elle désormais ?
Les cris des autres élémentaires me mettaient hors-de-moi, j'avais l'impression de devenir complétement fou et d'entrer dans une démence horrible. Mes mains moites glissaient sur le manche de ce foutu pistolet, je tremblais de tous mes membres. J'étais perdu, le brouhaha autour de moi me faisait perdre la tête.
La foule se mit à taper des pieds, ce bruit me rappelait l'horrible son d'un compte-à-rebours.
Bam. Bam. Bam. Bam. Bam.
Si Kaede n'avait pas retiré le sac de toile, peut-être aurait-ce été plus facile, j'aurais pu me convaincre que l'homme en-dessous méritait de mourir. Mais là, les choses étaient différentes, le frère d'Eliott était innocent, je le savais. C'était quelqu'un de bien, du moins par rapport aux autres policiers que j'avais rencontré. Séparer la justice et la vengeance ? Ce n'était pas moi. Je ne m'en prenais pas à des gens innocents, je n'étais pas assoiffé de de vengeance ! Qu'est-ce qui me prenait ? Pourquoi avais-je demandé à entrer dans l'équipe exécutive ? C'était stupide ! Je ne pouvais pas faire ça, je ne pouvais pas renier tous mes principes. Qui serai-je après ?
Personne. Un homme sans principe n'est personne.
Si j'appuyais sur cette gâchette, peut-être que cela m'aiderait à tenir ma promesse faite envers mon père, mais je ne serais plus moi, après ça. Samuel serait mort.
Au bout de plusieurs longues minutes d'immobilité, j'abaissai finalement le bras.
— Tu es sûr de ton choix ? quémanda Kaede. Tu n'auras pas de deuxième opportunité.
Je ne relevai pas la tête vers elle. Je restai un instant silencieux, le regard fixé sur le sol.
— Oui. Je suis sûr.
J'avais presque dû m'arracher ces mots de la gorge. J'allais sûrement regretter ma décision, mais j'aurais eu encore plus de remords si j'avais tiré, c'était certain.
Kaede tourna la tête en direction de Charlotte. Cette dernière soupira et leva les yeux au ciel, elle décroisa ses bras et s'avança vers moi. Quand elle fut face à moi, elle tendit le bras. Je levai les yeux sur elle pour essayer de percer son masque. Sauf que celui-ci était parfait, ou du moins, s'il avait des défauts, je n'étais pas assez doué pour les remarquer.
Elle ne laissait transparaître aucune émotion, je ne savais pas si elle était déçue, ou bien soulagée. Ou peut-être n'était-ce pas un masque, peut-être n'accordait-elle aucune importance à mon choix. Je fixai un instant sa main, puis je lui remis l'arme à feu.
Elle saisit correctement l'arme, se tourna légèrement en direction du prisonnier, leva le bras et tira.
— NON !
Merci d'avoir lu !
Et désolé pour la fin complétement sadique, je plaide coupable x)
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