Chapitre 26

- Les jeunots, on a deux solutions.

Les deux en question relevèrent la tête. Voilà deux jours qu'ils marchaient. Les repas qu'ils avaient eus avaient été constitués de petits rongeurs, ou de plantes. Rien de très remplissant. Elmo sentait qu'il n'allait pas tenir longtemps ainsi.

- Oui ? fit poliment Aliona.

Le jeune homme voyait qu'il lui en coûtait de rester calme avec le Dresseur. Une tention palpable régnait constamment entre ces deux personnages aux caractères si fougueux.

- On grimpe dans les rochers,  dangereux, escarpés mais plus rapide. Ou on prend le même chemin que toi.

Aliona eut une grimace apeurée.

- Je... Je ne sais pas...

- T'as autant de chances d'en croiser dans les deux cas.  Sauf que la forêt, tu peux la courir. Les falaises... Ça risque d'être compliqué.

Elmo avait décidé d'abandonner d'essayer de savoir de quoi ils parlaient. C'était peine perdue avec ces têtes de mules. Étonnamment, ils étaient très semblables.

- Forêt alors.

Le vieillard hocha la tête. 

- T'as pas à avoir peur. Vont rien de faire si tu es avec moi. J'ai ça dans le sang.

Elle parut être quelque peu rassurée mais n'en parut pas plus sûre.

Ils grignotèrent quelques baies et se remirent en route. Aliona, comme à chaque fois qu'ils marchaient, saisit la main du jeune homme. Le coeur d'Elmo rata un battement.
Paume contre paume,  c'est ainsi qu'ils transmettaient leur jeune amour.
On voyait que le jeune noiraude était effrayée par cette forêt.

Tout se passait normalement, jusqu'à présent. Le jeune garçon était sûr que cela était trop beau pour être vrai. Lui, Aliona, libres ! Cela devait être un rêve !  Un songe, inventé par ses hallucinations, qui allait bientôt disparaître,  se dissiper entre ses doigts impuissants. Mais non. Aliona était bien là.

La faim le torturait mais il la faisait taire. Il n'avait pas à se plaindre. Sa tête lui tournait mais il persévérait. Il n'allait pas s'effondrer ainsi !

Alors que leur marché progressait rapidement, un craquement énorme retentit, faisant fuir les rares oiseaux de leur perchoir. Aliona poussa un hurlement.

- Chut ! Tu vas nous faire repérer. Il est tout près !

- Qu'est-ce qui est tout près ?  murmura Elmo, terrorisé.

L'ancien Dresseur n'eut guère besoin de lui répondre.  Entre les arbres se mouvait une forme sombre,  inquiétante. Elle ne prêtait pas attention aux arbres, les malheureux qui se dressaient sur son passage étaient déracinés. Le jeune garçon put apercevoir une longue queue en écaille,  dont la pointe se terminait par un triangle.

Tous restaient immobiles, priant pour que cette affreuse bête ne vienne pas vers eux. Aliona semblait réprimer des sanglots de peur. Lui, il lui serrait fort la main pour la réconforter.

Un rugissement ébranla la forêt. L'animal s'approchait. Dans l'ombre des conifères,  Elmo ne pouvait deviner que son énormité et ses griffes étincelantes.
Sous un rayon de lumière,  il distingua deux ailes pliées. Sous un autre,  des crocs affûtés qui pointaient hors d'une énorme gueule menaçante. Deux iris coupés d'une pupille allongée brillaient dans le noir de leur couleur jaune. L'animal fit un dernier pas et jaillit des arbres devant le petit groupe. Aliona était si pâle qu'on aurait dit un spectre. Le vieillard finit par esquisser un mouvement. Il avança sa main vers le géant animal.

- Viens ici. Oh oui, mon beau.

Mais ce dernier ne sembla même pas le voir, malgré la voix suave et douce de l'homme. Il guettait les deux amoureux. Elmo cessa de respirer. La couleur verte émeraude  de la bête contrastait avec son apparence carnassière.

- Un dragon... souffla Elmo.

Ainsi voilà ce qui se cachait dans ce territoire ! Voilà pourquoi ces deux rois se battaient !  Il était sûre qu'avoir des Dragons à son services pouvait être un avantage énorme.  Mais alors pourquoi l'ennemi ne les avait-il pas utilisé avant ? Il n'eut guère le temps de se poser ce genre de question.

- Surtout ne bougez pas. Il a du mal à voir les formes immobile, chuchota le Dresseur.

Le dragon fit un pas vers eux. Puis un deuxième. Il ouvrit la gueule. Se dirigea vers Aliona. Il était tout proche. Les deux jeunes gens respectèrent les ordres du vieillard.
Le souffle chaud et putride leur carressait le visage.
Les crocs étaient tout proches du minois d'Aliona. Elmo ne put le supporter. Il saisit son court poignard et l'abbatit dans un geste désespéré sur la carapace du dragon avec un cri de rage.

Mais la lame rebondit. Et alla s'écraser plus loin. L'animal poussa un hurlement de colère et se tourna vers Elmo. Il était furieux.  Il balançait sa queue et sa tête de droite à gauche.
Elmo recula lentement tandis qu'Aliona s'écroulait par terre. Le Dresseur était pétrifié.

Le jeune garçon heurta un arbre. L'animal venait vers lui. Dans un geste de dernier recours, il se projeta dans l'air,  prévoyant d'atterrir sur le dos du monstre. Mais un coup violent le frappa alors qu'il était à son point mort. Il vola s'écraser contre un tronc, et se laissa glisser. Il était sonné. Ses côtés lui faisaient si mal ! Il tenta de se relever mais n'y parvint pas.

L'énorme  bête s'avançait vers lui. Ses crocs s'approchaient.

Un hurlement retentit. Il mêlait tous les sentiments du monde. Peur, amour, tristesse, courage. Le coeur d'Elmo fut brisé par cette tempête.
C'était Aliona.

Dans la colère et la rage,  dans son chagrin, elle semblait à une déesse vengeresse. Les larmes strillaient son visage de porcelaine. Ses joues étaient rougies. Sa bouche s'ouvrait en un rictus de douleur. L'épée à la main, elle coura vers le dragon. Le cerveau embrumé du jeune homme ne distinguait plus ses mouvements. Elle assaillait la bête de coups, la heurtait. Elle évitait ses griffes effilées de l'animal,  ses dents comme des poignards. Elle courait autour comme le vent, fluide comme le torrent, enragée comme un feu de forêt et dure comme le roc. Elle tourbillonait comme une diablesse, la détermination de tuer ce dragon se peignait sur son visage.

Le monstre semblait se fatiguer. La victoire était presque touchée par Aliona.  Jusqu'à ce qu'un coup de griffes jaillit de nulle part. Il s'abbatit comme une épée sur la jeune fille. Elmo voulut crier ; il n'y arriva pas.
Mais le Dresseur rugit d'impuissance tandis que l'éclat argenté déchira le bras de la jeune guerrière. Le sang imbiba immédiatement sa manche. Elle se laissa tomber, vaincue, attendant son châtiment.

Mais le vieillard s'avança. Il pintade le dragon du doigt. L'animal se tourna, comme hypnotisé.

- Pars ! Dégage !  Ne reviens jamais ! SALE BÊTE !

Comme on obéirait à un maître,  le dragon obéit à l'homme. Elmo comprit alors pourquoi il se disait ancien Dresseur.
La bête immonde  se détourna, et répartit vite dans les tréfonds de la forêt.

Le Dresseur accourut vers Elmo, qui laissa souffler :

- Non, Aliona d'abord...

- Je commence à sauver celui qui a le plus de chances de survie.

Le jeune homme sentit son coeur se tordre.
Le vieil homme s'affera autour de lui. Il fit faire des mouvements à ses bras, à ses jambes.

- C'est bon je peux marcher, fit Elmo.

Il n'en était pas sûr mais il savait qu'ainsi, Aliona aurait plus de chance.
Il boita jusqu'au corps de la jeune femme. Elle respirait mais laborieusement. Il la prit dans ses bras, surélevant sa tête.
Elmo se tourna vers l'ancien prisonnier.

- Vite ! Sauvez-la ! Je vous en supplie !  s'écria-t-il.

Les larmes dégoulinaient le long de ses joues amaigries.

- Je suis désolé. On ne peut rien faire.

- Il y a sûrement un moyen ! Ne la laissez pas mourir ! Je vous en supplie !

Les accents déchirés de sa voix firent remuer Aliona.

- Il n'y en a pas. Juste attendre et voir.

Le vieil homme reprit son souffle. Il semblait ébranler par cette tragédie.

- Les griffes de Dragons contiennent une substance... Une sorte de poison. Mortel si on est trop faible.

- Et si on est assez fort ? risqua le jeune homme.

- On en ressort jamais entièrement. On y laisse une partie. Une partie de notre humanité. Cette dernière est remplacée par une partie animal. Une partie du dragon.

Elmo éclata en sanglots.

- Mais que va-t-elle devenir ?

- Elle ne changera pas. Enfin, physiquement. Mentalement, ce sera une épreuve difficile. Si elle s'en sort. Mais elle aura des dons.

- Des dons ? fit le jeune noiraud en pleurs.

- D'où crois-tu que viennent les capacités des Dresseurs ? Nomba, le fameux héros, ami des Dragons,  ses pouvoirs ne sont pas tombés du ciel ! s'exclama son interlocuteur.

Alors le garçon comprit.

- Vous vous êtes fait griffer vous aussi.

- Bien deviné, jeunot ! ironisa le concerné. J'avais 12 ans.

- Et... qu'est-ce que vous avez ressenti ?

- La plus grande douleur du monde. Comme si de la lave en fusion coulait dans mes veines. Comme si de milliers de flèches empoisonnées me transpersaient. J'ai cru mourir. Mais ça n'a pas duré éternellement. Quand je me suis réveillé, des heures après,  j'entendais des milliers de bruits à la fois, je sentais des odeurs jusqu'encore jamais perçue. Mais surtout, je comprenais le language des animaux qui m'entouraient. Bien sûr, ma famille n'a pas été très discrète quant à mes... capacités. Très vite, la nouvelle s'est ébruitée. Le roi décida de me prendre sous son aile. Je finis Dragonnier. Mais suite à une opposition au roi - vois-tu, je ne voulais pas que mes protégés deviennent d'affreuses machines à tuer - on m'emprisonna. Voilà mon histoire gamin.

Elmo hocha de la tête.  Il n'était pas plus rassuré.

Ils restèrent en silence à attendre au-dessus du corps de la jeune fille pendant longtemps. Le temps semblait être ralenti.

Soudain,  Aliona bougea. Elle marmonna des mots sans sens et ensuite poussa un hurlement de douleur. Elle criait, criait de tous ses poumons,  s'arrachait la gorge. Le jeune garçon était penchée au-dessus d'elle. Tenait fermement sa main, il lui chuchotait des paroles de réconfort qu'elle n'entendait sûrement pas.

- C'est une bonne nouvelle. Elle n'est pas encore morte, dit sinistrement le Dresseur.

Ils restèrent ainsi des heures. Ils essayaient de calmer la pauvre martyre. Ses cris étaient affreux.  Elmo souffrait plus que si il n'avait été griffé. Voir son amour se tordre de douleur alors qu'il était impuissant était le pire sort qu'on puisse lui infliger. Au bout d'un très long moment, elle cessa. Son rythme respiratoire, qui s'était accéléré, était redescendu. Elle paraissait sereine.

Tout à coup, elle ouvrit les yeux. Elmo fut choqué par leur couleur : un jaune éclatant, fendu d'une pupille féline. Les beaux iris bleus avaient disparus. Les lèvres de la jeune femme s'ouvrirent. Un souffle s'échappa de sa gorge. Elmo put en percevoir les mots, avant qu'ils ne s'effacent dans le bruissement du vent.

- Protège-moi.

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