Prologue

Les repères de temps sont vagues. L'emplacement des lieux est flou.

Mais lui, eux, ont réellement existé. Un jour, une nuit, posés sur le fil du temps. Ces lieux existent, ces gens y ont vécu.

Et je pourrais vous jurer sur ma plume d'écrivaine, que cette jeune personne dont je vais vous conter l'histoire, celle qui ne pleurait jamais, aux yeux plus translucides que la lumière, a fait trembler les Mondes.

Sa curiosité avait fini par le mener au-delà du Visible, à travers le Molden...

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Il se fondait telle une ombre dans les ruelles, cherchant des réponses.

Les maisons étaient serrées les unes contre les autres, grisonnantes, attendant le retour des beaux jours, les arbres, aux branches décharnées, tentaient en vain de ne pas tomber en poussière.

Il rabattit la capuche de sa veste grise et continua à chercher, un je ne sais quoi qu'il n'arrivait pas à définir. Il trébucha à plusieurs reprises sur les pavés éclatés des sentiers, mais n'y fit guère attention, continuant sa route. Il se sentait minuscule face à l'immensité de la ville et ses maisons de pierre. Il ne connaissait pas cet endroit. Mais plus troublant encore, il ne savait pas qui il était. Il s'était réveillé, crevant la surface de l'eau où il se noyait et avait réussi à s'en sortir, indemne, en s'accrochant à une amarre flottant dans l'eau du petit port où il se trouvait. Il était parvenu à détacher la corde d'un bateau qui y était attaché et à l'aide de celle-ci, s'était ramené vers le bord. Complètement perdu, il s'était mis à marcher, sans pouvoir s'arrêter.

Traversant le port aux bateaux abandonnés, il sentait un orage arriver, d'une nature bien étrange, menaçante. L'air grésillait autour de lui, chargé d'électricité. Une alarme insupportable sonnait depuis un moment, résonnant dans la ville comme les trompettes de Jéricho, un chant triste et funèbre. La ville était déserte, pas une âme ne traînait dans les rues. Les rares volets incrustés dans les murs étaient tous fermés. Les vitrines des commerces, barricadées.

De plus en plus intrigué, le jeune garçon laissa ses pas le guider vers le centre de la ville, où un immense clocher servait de point de repère à la ville. Il comprit rapidement que l'alarme provenait de celui-ci. Cachant ses oreilles du bruit insupportable, il s'éloigna et s'engagea dans les rues sinueuses en contrebas.

Les pierres étaient effritées par les années, irrégulières, l'odeur de déjections et d'humidité était omniprésente. Le soleil pouvait à peine éclairer son chemin, tant les ruelles étaient étroites.

Un chaton blanc tacheté de noir apparu soudainement au tournant de l'une d'entre-elles. Il s'approcha doucement et du bout des doigts, caressa son doux pelage, amusé par la petite tache noire sur son nez. La petite bête, ravie d'avoir de l'attention, se mit à ronronner, quémandant plus de caresses.

La voix rocailleuse d'une femme derrière lui, l'arrêta brusquement :

- Que fais-tu là, idiot ?! N'entends-tu pas l'alarme ? Va-t'en ! Rentre chez toi tant qu'il en est encore temps !

Le jeune garçon observa l'inconnue aux yeux exorbités, ne comprenant pas l'urgence qu'elle mettait dans sa voix. Ses cheveux étaient rassemblés dans un chignon en bataille et ses vêtements étaient couverts de suie, lui donnant un air de démence.

Elle attrapa le chat et courut vers la porte qu'elle venait d'ouvrir, la refermant brutalement derrière elle.

Ne sachant quoi faire d'autre, il se mit à courir, prenant des directions au hasard.

Décontenancé, il trébucha et tomba brutalement sur le sol. La douleur du choc le fit grimacer, mais il se releva précipitamment et continua à courir en boitant légèrement. Il s'emmêla les pieds de nouveau et plongea sur le sol. Cette fois-ci, il resta étourdi quelques instants, et dut attendre que les taches noires disparaissent de ses yeux. Face à lui, se trouvait un bâtiment aux vitrines noircies, dont le nom était gravé sur une épaisse porte en bois à l'encre rouge calcinée : Brocanterie Hurtzek.

Il se redressa et toqua à la porte frénétiquement. N'obtenant aucune réponse, il tenta de pousser la porte. Il réussit sans trop d'effort, bien qu'elle paraissait avoir besoin d'une dizaine d'hommes pour la faire seulement frémir, et entra dans le hall sombre. Autour de lui, s'étalaient des étagères contenant des bibelots divers et variés, autant d'objets utiles que purement décoratifs, venant des quatre coins du monde, avec pour seul point commun, leurs innombrables vies.

- Est-ce qu'il y a quelqu'un ?

Sa voix résonna dans un silence mortel, lui arrachant un frisson.

Il traversa les étalages, posant les yeux un peu partout sur les objets qu'ils contenaient, qu'il trouvait de plus en plus étranges, et s'avança vers le comptoir. Il réitéra sa question, mais même le silence ne voulait plus lui répondre. Il passa derrière le comptoir, et repoussa l'épais rideau rouge qui cachait l'arrière-boutique.

Il tenta de se repérer à tâtons dans le noir, progressant sur le plancher qui grinçait au moindres de ses mouvements.

Un craquement non loin de lui le fit sursauter. Il se cogna le genou contre un meuble sous l'effet de la surprise. Il se mordit la lèvre, empêchant un bruit de les traverser pour ne pas se faire plus remarquer et s'arrêta de bouger, attendant éventuellement un autre bruit. Des pas firent craquer le sol, de plus en plus proches. Il n'était pas seul.

Brusquement, une bougie s'alluma, aveuglant le jeune garçon, qui s'était habitué au noir. Déstabilisé, il recula, et manqua de tomber à nouveau.

Devant lui se trouvait une vieille dame aux traits creusés par le temps et aux cheveux d'argent, tenant une chandelle dans une main et une cane de l'autre. Un vieux châle rose délavé couvrait ses épaules et sa robe grisâtre. Elle était à peine plus grande que lui.

- Tu verras mieux comme ça, dit-elle d'une voix éraillée par le temps, en posant la bougie sur un meuble. Fais-moi voir ta jambe, exigea-t-elle en se retournant.

Elle tendit sa canne rapidement et attrapa le pied du jeune garçon avec une vivacité invraisemblable. Il sautilla sur place, afin de maintenir son équilibre, perturbé.

Elle palpa de sa main, son genou, le visage dirigé vers la chandelle.

- Mmm. Rien de grave. Tant mieux, tu ne m'aurais pas servi à grand-chose s'il te manquait une patte !

- Mais qu'est-ce que....

Il n'eut pas le temps de finir sa phrase qu'elle le relâcha, le faisant tomber sur le sol.

- Bien. Dis-moi, comment t'appelles-tu ?

- Euh, je...je..

À ce moment, il comprit. Il avait beau bouger ses mains, les yeux de la vieille femme ne le suivaient pas. Elle était aveugle. Ses yeux gris étaient trop clairs pour être en vie.

- Voyons, arrête de gesticuler dans tous les sens ! Ce n'est pas parce que je ne peux pas te voir, que je ne t'entends pas ! Maintenant, veux-tu, réponds à ma question.

- Mais.. mais, vous êtes aveugle...

- Oui, pas sourde. Alors ?

Le visage du garçon devint impassible, il s'arrêta de gesticuler et répondit d'une voix neutre :

- Je n'ai pas de nom.

- Comment cela ? Tu es orphelin ?

- Non.

- Étrange... D'où viens-tu ?

- Je ne sais pas. Je me suis réveillé dans l'océan.

Elle le rejoignit en quelques coups de canne et de sa main parcheminée, traça délicatement les contours de son visage, la carrure de ses épaules, longeant ses bras jusqu'aux mains qu'elle ramena devant elle. De son doigt, elle suivit les lignes couvrant les paumes de ses mains.

- Et bien, la belle affaire ! Ni fille, ni garçon ! Tu as le visage d'une fillette et les épaules d'un jeune homme. Ta main gauche me montre que tu es une fille, mais ta main droite me prouve le contraire. Mais à quoi bon te définir ? Si vivre ainsi ne te dérange pas, cela ne sert à rien de tergiverser. Je vais te donner un nom, tiens, qui porte à confusion. Que dis-tu de Sasha ?

Perturbé, il répéta son nom d'une voix hésitante :

- Sa.. Sasha ?

- Oui, mon enfant, cela te convient-il ?

Il ressentit une grande reconnaissance envers cette inconnue, qui avait su mettre un mot sur ce qu'il était, le rendant réel et bien vivant.

- Oui. Oui, c'est bien.

- À la bonne heure ! Allez va me préparer du thé tiens, rends-toi utile. Si tu veux vivre dans cette maison, il va falloir le mériter ! Tu vas me raconter ta petite histoire devant un bon feu. Allez, allez ! C'est la première porte à droite !

Ne sachant pourquoi il se surprit à écouter les indications de la vieille femme et à les suivre à la lettre.

La grand-mère, qui ne savait pas encore quel poisson elle avait pêché, pressentait qu'il avait une certaine valeur et qu'elle pourrait en tirer quelque chose, pour la simple et bonne raison que même s'il ne savait pas qui il était, il n'avait pas eu peur du Molden.

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