Chap 5

Sasha se releva avec difficulté, engourdi par la douleur. Enfoncé dan la boue, il réussit à s'en extirper en s'appuyant sur une branches morte, près de lui. Il toussa, crachant la vase qu'il avait avalé par mégarde, et cru s'en arracher les poumons. Il releva la tête, apercevant une très faible lueur provenant des Hauteurs et les derniers événements lui revinrent d'un coup. Sylphe. Derk'ans. Attaque. Choc. Chute. Il se trouvait En-Bas. Là où personne ne revenait jamais. Dans les Profondeurs, où les Orc'ans flirtaient avec l'obscurité. Leur Dragon avait été blessé. Tâtonnant dans le noir, il avançait prudemment, un pas à la fois, sentant ses pieds s'enfoncer jusqu'à mi-mollet dans la boue. La maigre lumière éclairait quelques éléments autour de lui, des bouts de racines, faisant huit fois sa taille, des reflets dans la vase, et en tournant la tête, il aperçut sa besace pendue à une racine décharnée, la lanière arrachée, à deux doigts de tomber dans le vide. Ne voyant aucun signe de la part de ses compagnons, il se mit en marche vers celle-ci, et tenta de grimper, s'accrochant tant bien que mal, à ce qu'il ne voyait pas. Le fragment de lumière qui lui parvenait, éclairait par miracle l'attache en fer qui permettait de fermer sa sacoche, lui indiquant où elle se trouvait. Accrochant ses mains et pieds dans l'écorce pourrie, il sentit ce qui s'apparentait le plus à de grosses fourmis, se faufiler entre ses doigts. Presque complètement aveugle, il parvint tout de même en tendant les bras à l'attraper. La serrant fortement contre lui, il se rendit compte de ce qui le dérangeait depuis qu'il s'était réveillé. Le silence. Il n'y avait absolument aucun bruit. Pas de battement d'ailes, de feuilles bruissantes, ou même de pas. Seule une brise légère sifflait à ses oreilles, contrastant avec l'atmosphère pesante. Dire que l'air alentour était lourd était un euphémisme, il parvenait à peine à respirer, regrettant déjà l'air humide des Hauteurs. Il redescendit de la racine et s'accrocha à son seul point d'appui, perturbé par ce noir étouffant et le manque de vie de cet endroit.

- Mewnie ? cria-t-il la voix rouillée.

Un imperceptible grognement retentit à une dizaine de mètres de lui, il s'y précipita, traînant ses pieds dans la boue et tomba dans la vase en accrochant son pied dans une irrégularité du sol.

- Tu peux pas faire gaffe sérieux ? maugréa la jeune femme d'une voix étouffée.

Il s'extirpa de la boue et rampa vers elle, en s'aidant de ses coudes, là où la boue paraissait plus sèche. Il tâtonna son armure, jusqu'à trouver son visage, libéré de son casque.

- Mais c'est pas possible, tu le fais exprès ? Fous pas tes mains sales en plein sur mon visage crétin !

Le jeune garçon retira brusquement ses doigts et demanda d'une voix toujours aussi neutre :

- Il est où ton dragon ?

Au mouvement de son corps, il devina qu'elle s'était relevée et s'apprêtait à le laisser en plan.

- Elle n'est pas très loin, et, par Arganga, elle est toujours en vie. Dépêche toi, il faut qu'on la retrouve, sinon tu peux dire adieu à ta visite de bienvenue. Nous sommes morts d'avance.

Emboitant ses pas, dans les siens, il s'accrocha d'une main à son armure pour ne pas la perdre dans le noir et le regard perdu, posa la question qui le chiffonnait :

- Comment peux-tu le savoir ?

Elle ne répondit pas, et avança dans la vase, de plus en plus épaisse, changeant de direction à l'instinct, prenant parfois à droite ou à gauche. Se laissant guider par la jeune femme, il la suivit sans objection, Sashant qu'il ne vallait mieux pas l'énerver s'il voulait s'en sortir vivant. Ils marchèrent durant un temps indéfini, incapable de le mesurer, et Sasha qui se demandait de plus en plus si la jeune femme savait réellement ce qu'elle faisait, fut surpris lorsqu'elle s'arrêta brusquement, le souffle saccadé. Elle se détacha brutalement de lui, paniquée, cherchant désespérément un indice, ou quoi que ce soit qui puisse l'aider.

- Arkaayn ! Montre-toi ! Arkaayn...

Elle se laissa tomber à genoux, passant ses mains tremblantes sur son visage, en proie au désespoir. Sasha, qui sentait que la jeune femme perdait son sang-froid, s'approcha d'elle et, restant debout, tenta de la réconforter :

- Quel que soit le moyen que tu es utilisé jusque-là pour établir un lien avec ton Dragon, si tu ne le reçois plus, c'est qu'il se passe quelque chose. Seulement, nous n'arriverons à rien dans ce noir, il faut qu'on trouve un moyen de s'éclairer.

La Dragonnière prit une grande inspiration et lui demanda d'une voix plus ferme, reprenant le contrôle :

- Qu'as-tu dans ton sac ?

Sasha tapota de ses doigts sa besace et fouilla dedans pour savoir ce qui n'avait pas disparu durant la chute, se rappelant de ce qu'il avait trouvé lorsqu'il cherchait Yveo.

- J'ai perdu la sacoche de boeuf séché et l'écaille d'Yveo. Ainsi que le bonnet tricoté par Grand-mère Ara, mais tout le reste est là. Certains objets me sont inconnus, alors je vais te les décrire : il y a une boussole, qui n'indique pas le nord, la flèche est bloquée sur l'ouest. Il y a une fiole en cuivre vide, un couteau avec une lame en argent, une pièce d'or, mon livre, un sifflet en verre et une pierre violette, taillée en silex.

- Attends, tu as dit une pierre violette ?

- Oui, pourquoi ?

- Passes.

Il la tendit vers la jeune femme qui s'en empara brutalement, la frottant entre ses doigts. Une mince lueur rougeâtre s'échappa de celle-ci, sous les yeux consternés du Voyageur.

- C'est une Gorth. Une pierre de lave provenant d'Otokapi. Si tu la frottes, au contact de l'eau, elle s'illumine jusqu'à ce qu'elle redevienne complètement sèche.

Elle plongea ses mains dans la boue et en ressortit la pierre illuminée entre ses doigts. Un sourire apparut sur ses lèvres et elle se retourna, se guidant à travers le marécage, ils se mirent en marche. Autour d'eux, il n'y avait que des racines formants des arches de toutes sortes, de la brume et de la boue qui reflétait la lumière par endroits, là où il y avait plus d'eau croupie que de terre. Leurs chaussures déjà complètement trempées, avaient maintenant du mal à se décoller du sol. À chaque pas, ils avaient l'impression de se faire engloutir dans la terre. Le froid environnant devenait glacial avec le vent et les pieds mouillés. La Dragonnière grelottait, bien qu'elle soit couverte d'une armure. Sasha, qui s'ennuyait profondément, se mit en tête d'entamer une conversation avec elle :

- Comment sais-tu que la pierre vient d'Otokapi ? Quelle dimension est-ce ?

Son silence resta le même, ne prenant pas la peine de répondre, mais elle se décida finalement à répondre, lorsqu'ils passèrent sous une racine, bien plus petite que les autres, alors qu'ils durent se baisser.

- Je ne suis pas née ici. Je viens d'Otokapi. Le Monde du Soleil Couchant. Je vais te raconter mon histoire, puisque vu comment c'est parti, on n'est pas prêts de revoir la lumière du jour, glissa-t-elle en se tournant légèrement vers lui. Je suis née dans un petit village de miniers, le seul à proximité des Orgues, ces cavernes uniques, dont les parois sont couvertes de ces pierres, qu'on appelle Gorth. Notre village était prospère, connu dans le royaume entier. J'avais un père et une mère aimants, mon petit frère bien qu'il soit un peu chahuteur et n'arrête pas de me faire des crasses, était un amour, continua-t-elle le sourire aux lèvres, seulement, lors de mon huitième hiver, une Brèche s'est ouverte dans un lac où je jouais avec mon frère. On patinait sur la glace, riant aux éclats, mais la magie dévorante du portail à détruit l'entièreté du lac, nous emportant avec elle.

Une larme coula sur la joue de la jeune fille, qu'elle essuya brusquement, continuant son récit d'une voix neutre :

- Je me suis retrouvée à Nindia, le Monde du Soleil Levant. J'étais assommée par le choc, mais je sentais le froid de la neige qui m'engloutissait. Un homme est apparu, me forçant à me relever et m'a portée sur son dos jusqu'à chez lui. J'étais à moitié inconsciente mais je me souviens qu'il me parlait de sa solitude, du froid et de son ancien foyer perdu. J'ai eu une grosse fièvre et pendant plus de trois semaines, il m'a veillée. Un jour, où je me sentais mieux, il est parti faire quelques courses. Je me suis levée et j'ai compris que je me trouvais dans un petit chalet. J'ai compris à ce moment-là que mon frère aussi avait dû être emporté, et que peut-être...

Elle prit une grande inspiration et termina son histoire.

- J'ai cherché dans toutes les pièces de la maison, mais la seule chose que j'ai trouvé, c'est un petit dragon, attaché par des chaînes à un piquet. Dans mon village, on connaissait tous le mythe des Dragons, on y vouait un certain culte. C'était une créature majestueuse, qu'il fallait respecter autant que n'importe quelle créature, ou magie. J'étais encore une enfant, mais je savais ce que je faisais. Je me suis approchée, et le Dragon qui avait senti mon odeur, s'est braqué, apeuré. J'ai pris des gros cailloux qui traînaient çà et là dans le sous-sol et en y mettant toutes mes forces, j'ai brisé les chaînes, pour le laisser s'enfuir. Seulement, au moment même où il a compris qu'il était libre, il s'est volatilisé. J'en suis resté bouche bée quelques instants, et lorsque j'ai compris ce que j'avais fait, c'est à dire bafouer la générosité de mon hôte, sans qui je ne serai plus en vie, j'ai pris la fuite. Je suis sortie et j'ai couru aussi vite que j'ai pu dans la neige, m'enfonçant jusqu'aux genoux. Comprenant que je ne savais pas où aller, alors que le froid prenait de plus en plus d'ampleur, je me suis allongée dans la neige, pleurant la famille que je venais de perdre. La suite est très floue dans mon esprit, j'ai entendu des rugissements, puis j'ai compris qu'on me portait et j'ai senti l'air s'alourdir puis reprendre sa légèreté, j'étais si engourdie que je n'arrivais même pas à ouvrir les yeux. Je me suis réveillée chez Henrik, qui m'a expliquée que j'étais une Voyageuse, et que le dragon que j'avais sauvé était un Hek, qui m'avait amenée jusqu'ici. J'ai grandi dans ce Camp, mais je ne m'y suis jamais senti à ma place. Il m'est arrivé à deux reprises de prendre un Portail, pour survoler Nindia, le temps de quelques secondes, cherchant en vain un moyen de repartir à Otokapi.

Elle s'arrêta de parler, brandissant sa torche face à elle pour observer une grenouille aux huit yeux qui venait de plonger dans l'eau vaseuse.

- Arkaayn ne m'a jamais quittée, clama-t-elle, ancrant ses yeux dans ceux du jeune garçon.

C'est alors qu'il remarqua les oreilles pointues dépassant de quelques centimètres le crâne de la jeune Dragonnière, fendant ses épais cheveux couleur nuit, tombant en chute jusqu'à sa poitrine. Il ne les avait pas vues, caché par son casque jusqu'à présent, mais maintenant que la lumière éclairait son visage, il les voyait sans peine.

Elle se retourna, et continua de marcher, prenant de l'avance sur lui qui scrutait chacun de ses pas, cherchant à savoir si elle aussi était une Syrèn. Pourtant, contrairement à Martha, il ne voyait pas cette étrange aura qui entourait la jeune rousse, il se risqua à poser la question :

- Quelle créature es-tu ?

- El'fe Dorosse. Je viens du Nord.

- Il y a différentes espèces d'El'fe ?

- Oui, elles sont différenciées par la magie qu'on manie.

Elle se retourna à moitié vers lui, lui lançant un regard interrogatif :

- Et toi, comment t'appelles-tu ?

- La vieille Ara m'a donné le nom de Sasha.

- Et c'est quoi ton histoire ?

- Je n'en n'ai pas. Je ne sais pas qui je suis, ni d'où je viens. Je suis en quête de mon identité.

Elle le fixa un moment, cherchant à déceler le mystère de ce petit être qui paraissait en savoir bien plus qu'il ne le faudrait pour son âge, mais s'arrêta brusquement en sentant une pression sur sa poitrine, régulière.

- Chut ! Écoutes.

Ils ne bougèrent plus, sommant le silence. La jeune femme écarquilla les yeux et se mit à courir frénétiquement. Sasha, qui ne comprenait pas ce brusque changement, se décida à la suivre. Contournant un immense tronc, ils aperçurent une lueur bleutée au loin, bruissant dans le silence. Ils s'y précipitèrent, comprenant tous deux ce que cela signifiait et arrivèrent à un immense lac vaseux où des dizaines de chutes d'eau produisaient une vapeur blanchâtre, brillante dans le noir. Mewnie éteignit la torche et s'approcha des sources magiques du Koak'a. Le contraste entre l'eau pure et la vase était saisissant, comme si c'était l'arbre lui-même, qui regorgeant de magie, purifiait tout ce qu'il touchait. Ils s'avancèrent prudemment, et trempèrent leurs mains dans l'eau, cicatrisant toutes les petites coupures sur leurs doigts. Mewnie, prise d'un fou rire, enleva précipitamment son armure, laissant entrevoir son corps mince, habillé seulement d'un short vert et d'un t-shirt blanc, qui ne cachait désormais plus rien. Le jeune garçon qui n'était pas pudique, fut bien plus attiré par les tatouages ornant son dos et le collier étrange qu'elle portait, que par ses attraits féminins lorsqu'elle plongea dans le lac. L'eau était si transparente, que le corps de la jeune femme se voyait depuis la surface. Elle riait joyeusement, profitant de la magie protectrice du Koak'a. Sasha, qui préférait ne pas se mouiller, s'arrosa simplement le visage et les bras, nettoyant la boue séchée sur son corps. Comme Mewnie, il sentait l'attraction de cet endroit et la puissante source d'énergie qui s'en échappait, revigorant toutes créature alentours, mais il fut surpris de ne pas ressentir la même sensation qu'avec la pluie du Molden. Cette magie était apaisante certes, mais elle lui semblait bien fade en comparaison, de celle qui par de simples gouttes lui avait donné une bouffée d'adrénaline incroyable.

Mewnie s'allongea sur le dos, flottant dans la brume, pensive, pendant que Sasha nettoyait le contenu de sa besace. Lorsqu'il attrapa la fiole vide, il fut pris d'une idée :

- Mewnie ?

Elle se tourna légèrement vers lui, attendant sa question.

- On devrait prendre un peu de cette eau pour Arkaayn, afin de soigner ses blessures, la magie ne s'en échappera pas ?

- La magie n'est pas immatérielle tu sais, ce n'est pas parce qu'on ne la voit pas qu'elle est sans matière. C'est un fluide, aux diverses couleurs qui vit en chaque être, s'écoulant autour de nous, comme des encres de peintures. Certaines s'opposent, d'autres s'assemblent, il existe des couleurs aux effets de puissances, et d'autres au calme. En magie, tout est une question d'équilibre.

Sasha se souvint des mots de la Syrèn, et de ses questions restées sans réponse, ouvrant la fiole et la remplissant, il demanda :

- Pourquoi n'y a-t-il plus de Voyageurs à Warden ?

Elle soupira, se relevant et sortant de l'eau, et vint s'asseoir près de Sasha, sur la boue sèche, le corps couvert de gouttelettes bleues. Elle prit le pendentif de son collier dans ses mains, le laissant voir à la lumière, un œil de dragon aux couleurs ambrées sertit d'écailles en argent et répondit d'une voix morne :

- Ce collier est un cadeau que mon frère m'avait offert, peu de temps avant le drame. C'est une relique, qu'il avait échangée contre une centaine de Gorth, qu'il avait passé l'année à piocher dans la pierre, en secret. Il connaissait ma fascination pour les légendes, et avait entendu parler de ces rares bijoux qui permettaient de sentir la présence des Dragons et de la magie. Cela fait des années que je le possède, mais encore aujourd'hui, je ne connais pas encore toutes les interprétations possibles des pulsations qu'il produit.

Elle le lâcha et se releva, enfilant ses bottes lacées sur ses chevilles et sortit d'une de ses cuissardes, une dague dans son carquois, attachée à une ceinture qu'elle enfila sur une jambe.

- Warden est loin d'être un pays en paix. Les Voyageurs ne viennent plus ici à cause des Traqueurs. Ce sont des groupes de fanatiques qui cherchent à posséder des Hek pour une raison que j'ignore, seulement, tu comprends, les Voyageurs montent principalement des Hek pour traverser les dimensions et ne veulent pas prendre le risque de les perdre. Dans notre Camp, Arkaayn est le seul, dans un rayon de plus de trente kilomètres à être encore en vie, pour la simple raison que je suis constamment avec lui.

Sasha comprenait à présent l'empressement de la jeune fille, qui cherchait désespérément par tous les moyens à protéger le Hek des Traqueurs.

Ils reprirent leur marche, revigorés, aidés par la lumière des chutes qui éclairaient leur chemin, ils les contournèrent arrivant dans une zone rocheuse, où ils durent fournir plus d'effort encore, pour parvenir à grimper sur les rochers escarpés. Lorsqu'ils atteignirent les hauteurs des pics, le pendentif de Mewnie se mit à briller brutalement, pulsant sur sa poitrine d'une lueur orangée. Perturbée, elle gravit les derniers mètres et resta bouche bée face au spectacle qui s'offrait devant elle. Sasha, qui ne comprenait pas sa réaction, la rejoignit et s'aperçut de l'immense source de lumière qui provenait d'en haut.

Tout d'abord, il ne comprit pas ce qu'il voyait, mais à l'aide de la main de la jeune femme, il arriva en haut des rochers, sur une surface plane et observa pour la énième fois en une journée, un autre miracle de la magie.

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