Mewnie avait les yeux écarquillés. Tout autour d'elle, les gens lévitaient dans les airs, certains mêmes marchaient et couraient sur le plafond couvert d'eau. Les élèves avaient tous un sourire béat sur les lèvres, alors même que Nadia tenait encore les mains de Mewnie. La Psyché se mit à chanter dans ce qu'elle ne comprenait être un chant en Seca, la langue des rêves. Sa voix inondait la pièce et se répercutait sur les murs, accordée aux instruments qui jouaient à présent seuls. Mewnie éclata de rire en se voyant danser dans les airs avec la voix envoûtante de la Psyché dont les yeux étaient entièrement blancs, sans pupilles sous la force de sa magie.

- Tu déformes les réalités...murmura Mewnie émerveillée.

Nadia sourit en continuant son chant, pour acquiescer et en lui faisant un clin d'œil elle s'éloigna brusquement d'elle projetant l'Elfe sur le plafond, les pieds dans l'eau. Elle voyait à présent la pièce différemment, la statue à l'envers, un autre angle de vue. Elle enleva précipitamment ses chaussures pour avoir les pieds nus dans l'eau et tourna sur elle-même se perdant dans la musique. Les Kitsunes se joignirent au décor et enflammèrent d'une aura blanche leurs nombreuses queues apparus à l'appel de la magie de Hora, les deux mages d'eau qui étaient présents levèrent les mains, leurs veines brillantes au travers de leur peau, ils firent dériver l'eau du bassin et pour créer une fleur de filaments tournant dans les airs entre les danseurs. Mewnie qui admirait le spectacle, ne sentit pas Carsten s'approcher d'elle, et lorsqu'il posa sa main sur son bras, elle sursauta. Il lui fit un grand sourire, qui sembla plus doux que moqueur aux yeux de la Dorosse et tendit sa main vers elle, en une forme de révérence :

- M'accorderiez-vous cette danse, Dorosse ?

Mewnie ne put s'empêcher de pouffer avant de l'attraper et de l'approcher d'elle.

Il fut surpris dans un premier temps par cet élan de sa part, mais reprit rapidement son sang-froid et ensemble ils firent quelques pas sur la rose des magies à la pointe de la statue.

Mewnie ne cessait de sourire, le cœur gonflé de joie et d'émerveillement. Elle surprit le Sune la regarder différemment et se perdit quelques secondes dans ses yeux clairs.

- Tu veux te joindre à leurs magies avec moi ?

La question de Carsten sortit Mewnie de sa torpeur et en réfléchissant, elle se demanda s' il avait été possible qu'un jour l'El'fe ait pu utiliser leur magie en symbiose sans que la voix de la guerre ne les guide.

Elle scruta les yeux interrogateurs du Sune et sourit finalement avant de fermer les yeux, se laissant transporter par la magie d'Hora.

Une immense silhouette s'échappa alors de son dos, d'une couleur argentée irisée de roses, un long Dragon en forme de serpent s'enroula brutalement autour d'elle.

Carsten était frappé de stupeur face à cette création qui semblait plus vraie que nature et lorsque le Dragon le frôla pour se joindre à la foule et parcourir la salle avec les autres esprits de courage des Dorosse, il ne put s'empêcher d'être impressionné. Lorsque la fille aux cheveux de nuit ouvrit les yeux, Carsten avait déjà recouvert sa peau de symboles de lumière, illuminant les alentours comme un soleil.

Mewnie n'avait jamais vu un Sune employer sa magie, mais en voyant ainsi le garçon qui dansait gentiment avec elle quelques instants plus tôt, elle fut obligée de reconnaître leur puissance indéniable, et d'imaginer la force certaine qu'ils devaient avoir lors d'un combat véritable. Les vents se levèrent autour d'eux, soulevant les cheveux de la jeune fille. L'El'fe joignit ses mains entre elles créant une rafale qui se répercuta sur Mewnie avec force. Elle fut cependant maintenue par Carsten qui avait tendu sa main juste avant qu'elle ne soit emportée en arrière. Il lui fit un grand sourire et la rapprocha de lui, mais son sourire tomba lorsqu'elle posa une question du bout des lèvres :

- Comment peux-tu avoir une telle puissance, avec tes cheveux coupés ?

Le Sune se crispa automatiquement et son visage s'assombrit. Il serra les dents quelques instants, laissant Mewnie l'observer, perdue et lâcha finalement d'une voix défaite :

- C'est une question légitime, j'imagine, soupira-t-il. J'habitais avant au royaume de Zaranelez, le royaume des Sunes. Et bien que tu saches comme moi que la guerre entre les Nyxes et les Sunes est terminée, nous formons toujours des combattants pour maintenir la sécurité de notre pays. Notre niveau de puissance, comme tu le sais, dépends en grande partie de la longueur de nos cheveux, mais aussi de notre naissance. J'avais de grandes capacités enfant, je pouvais créer les prémices d'une tornade habilement, très rapidement, on a vu en moi l'avenir d'un combattant, seulement...

Il hésita un instant, cherchant ses mots et reprit d'une voix plus ferme :

- Je ne voulais pas de ce destin. Me battre à toujours été un passe-temps plus qu'autre chose, je n'ai pas l'âme d'un guerrier. Lors de la cérémonie de recrutement, je me suis enfui, je devais avoir qu'une vingtaine d'hivers. J'ai décidé ce jour-là que personne ne déciderait plus pour moi et je me suis amputé ma plus grande fierté.

Il ferma les yeux et Mewnie comprit où il voulait en venir.

- À l'aide d'une lame El'fique, la seule capable de couper mes cheveux, j'ai perdu mon honneur et une grande partie de mes capacités. Je suis parti du royaume sachant qu'on me verrait comme un paria et j'ai trouvé refuge ici, au Temple. À ce sujet.. Je voulais te dire que...

- Je suis désolé Carsten, je ne peux même pas imaginer ce que cela doit être, murmura Mewnie désemparée.

Carsten fut pris d'un élan d'émotion et sans réfléchir posa furtivement ses lèvres sur celle de la Dorosse.

La jeune El'fe n'eut pas le temps de cligner les yeux que le charme se rompit en entendant les mots du Sune en face d'elle.

- Je ne peux pas t'aimer, Mewnie.

La Dorosse se sentit brutalement happée, par un mélange d'émotions fortes, enivrée par la musique, l'extase, l'alcool, la joie et les sentiments qui avaient fleuri dans sa poitrine, la chute manqua de l'empêcher de respirer.

- Quoi ? dit-elle d'une voix inaudible.

L'Elfe blond l'observa sans répondre, les lèvres scellées par l'appréhension et lorsqu'il se décida finalement à répondre, Mewnie avala abruptement, la gorge sèche :

- Tu as dû entendre parler de la cérémonie de demain..

- Oui, mais je n'en sais pas plus..murmura-t-elle.

- Eh bien, demain... On va faire passer des étudiants au titre de Sages..

Mewnie qui ne voulait pas comprendre ce qui se présager lança en fronçant les sourcils :

- Je ne comprends pas...

- Hassane et moi allons participer à la cérémonie, en tant que Représentants...mais aussi en tant que nouveaux Sages.

Mewnie se crispa brusquement en comprenant où voulait en venir le Sune.

- Tu sais que les règles stipulent que nous devons nous consacrer entièrement à aider les autres et à conserver les archives. Nous pouvons avoir des liaisons, mais....c'est compliqué. Et je ne sais pas si...je...

Mewnie prise d'un excès de fureur, le cœur se serrant face à la frustration et l'injustice dit d'une voix forte, tremblante légèrement :

- Mais pourquoi ? Je veux dire, tu ressens ces choses comme moi...tu ne m'aurais pas embrassé sinon... on aurait pu découvrir ensemble ce nouveau sentiment, on aurait pu... Pourquoi ne veux-tu pas y croire ? Ou simplement essayer ?

Sa voix se fissura sur les derniers mots et le visage de Carsten s'assombrit.

- Quel intérêt de rester enfermé ici avec tous ces livres poussiéreux, rester dans le passé plutôt que de vivre réellement ? Rien ne te retient ici ! On pourrait partir ensemble et vivre ce qui naît entre nous..

Carsten fronça les sourcils et d'une voix empreinte d'accents de colère, il la coupa :

- Et tu voudrais que je choisisse entre toi et la vocation que je me suis trouvé ? J'ai choisi Mewnie. Mon choix a toujours été sans appel. Cela fait très longtemps, ça a été mon seul rêve et objectif pendant des lunes ! Je me suis accroché à cet espoir, de vivre en paix avec moi-même et les autres. Le Temple m'a sauvé ! Idore m'a sauvée. Que serais-je devenue sans cet endroit ? Je dois tout à celle qui m'a aidée ! J'ai trouvé ma voie, celle que j'ai choisie.

Haletant, il prit une grande inspiration et redevint sérieux, refroidissant le cœur de Mewnie, et troublant les assauts de son cœur dans sa poitrine :

- Oui j'ai des sentiments naissants pour toi... J'adore te voir combattre et utiliser ta magie, me battre avec toi et t'énerver un peu. J'adore te regarder et voir toutes les expressions possibles qui peuvent traverser ton visage, mais malgré ça...je sais ce que je veux. Je sais que je dois être ici, parmi les livres et les Sages, ma place se trouve là. Tu dois trouver la tienne, et même si je n'aime pas ce que je dis... Elle n'est pas à mes côtés.

Le cœur de Mewnie rata un battement et sentant les larmes contre son grès. Elle prit une grande inspiration retrouvant une expression glaciale qui heurta le Sune, elle lança d'une voix grave :

- Alors c'est ainsi que les choses se passeront. Tu as fait ton choix, Sune. Adieu, Carsten.

Le visage du garçon se décomposa et il tendit une main désespérée vers celle de la jeune fille qui se retira vivement :

- Attends ! Les choses peuvent se passer autrement, on peut... enfin..

Le regard noir de la Dorosse le cloua sur place et la vérité tomba sur lui brutalement, il ne la reverrait plus. Pourtant, il restait fidèle à ses choix et ne regrettait pas.

Le cœur serré par la déception, Mewnie fit revenir son Dragon, le laissant traverser brutalement le corps du Sune pour revenir sur son dos, le faisant grimacer sous la force et la douleur. Et lorsqu'elle s'assit sur lui pour qu'il l'emmène au sol, le Sune lâcha d'une voix sourde, en un souffle :

- Adieu, Mewnie aux yeux de nuit.

***

Sasha avait fuit la fête depuis un moment déjà. Elle n'avait pas pu rester plus d'une heure, dès lors que le groupe s'était séparé, elle avait fui vers le Temple où elle était montée, sachant tous les Sages à la fête et les Oracles reclus dans leurs chambres. Elle avait atterri inconsciemment dans la salle d'entrée du Temple qui surplombait l'extérieur. Ainsi, la Tempête qui faisait rage au-dehors l'appelait sans cesse. Elle n'avait pu résister à l'attraction, son corps était attiré magnétiquement par la magie qui rugissait dans la pluie de lumière. Le décor était sublime. Les gouttes s'écrasaient sur les piliers du Temple se mêlant aux eaux des chutes. La nuit était découpée de lumière. Sasha s'était avancée d'un pas rapide vers la pluie et avait tendu la main sans la moindre douleur, sans peur, puisqu'elle ne pouvait en ressentir. Ses doigts se couvrirent de gouttes luminescentes, rapidement aspirées par sa peau et ainsi, au bord du temple, appuyée sur un pilier, la tête levée vers le ciel, elle laissa la pluie la recouvrir entièrement et nourrir sa peau vorace de magie. Ses veines brillaient autant que la pluie, comme si le sang avait été remplacé par la pluie d'or. Elle entendit brusquement un bruit au loin, dans la neige, ses sens accrue par le regain d'énergie que la magie du Molden lui apportait et elle aperçut une silhouette dans la neige. Un petit garçon semblable à celui qu'elle avait été, la fixait lui aussi. Ses cheveux et sa peau étaient blancs et tout comme elle, il ne craignait pas la pluie du Molden. Ils se fixèrent sans rien dire. Lorsque une petite brèche lumineuse découpa l'air à côté du garçon, l'emportant avec elle.

- Que fais-tu là, Sasha ? demanda Mewnie en arrivant depuis la bibliothèque. Nous sommes dans le Temple, non ? N'est-ce pas interdit de venir ici ?

Elle s'arrêta, choquée de voir Sasha, les veines illuminées de lumière, son corps brillant comme un soleil la regarder sans se soucier de la tempête.

La jeune fille aux cheveux d'ivoire ne répondit rien et s'approcha de l'El'fe.

Celle-ci eut un mouvement de recul, ayant peur d'entrer en contact avec la pluie dans laquelle baignait Sasha.

La fille illuminée scruta les traits de la Dorosse, ne comprenant pas pourquoi ils étaient tirés dans une expression semblable à ce que le Sage Jeremiah appelait le désarroi et la tristesse.

Mewnie se détendit légèrement, son cœur battant fortement dans sa cage thoracique, elle dit d'une voix qui se voulut douce, mais qui sortit craquelée de ressentiments :

- Ne pas ressentir peut être une aubaine dans certaines situations, Sasha, crois moi. Ne me pose pas de questions s'il te plaît. Ce soir, tu me verras triste, mais demain ce ne sera déjà plus le cas, je te le promets.

Sasha resta muette un moment, fixant l'El'fe aux cheveux désordonnés et finit par répliquer quelque chose d'une voix que Mewnie ne reconnut pas :

- Ressentir, c'est être comme tous les êtres vivants. C'est quelque chose que je ne comprends pas. Je me sens vivre, être fait de chair et de sang, et pourtant, je ne ressens pas. Le Sage Jeremiah m'a dit un jour que ressentir était quelque chose de beau. Quand tu ressens ce que vous appelez la tristesse Mewnie, cela veut dire que tu es belle et que tu vis.

Mewnie sourit faiblement et se murant dans le silence, rejoignit Sasha pour observer le paysage en proie aux fureurs de la Tempête, maintenant une distance de sécurité avec la jeune fille.

En observant la foudre qui déchirait le ciel, elle ne put s'empêcher de penser à voix haute :

- J'aimerais être libre de tout, Sasha. Libre de ressentir sans souffrir. Libre de vivre. Mais pour y arriver, je dois endurer le poids des mots tristesse et frustration.

Sasha leva la main vers le ciel amenant la pluie vers elle et ses yeux disparurent laissant deux puits de lumière les envahir. Elle forma dans sa main une vive lumière qu'elle emprisonna entre ses mains fermées et se tourna vers Mewnie qui la regardait ébahie et légèrement apeurée. Les yeux de Sasha revinrent à leur état normal, tout comme son corps peu après et d'un geste elle indiqua à la Dorosse de tendre ses mains.

Celle-ci obtempéra bien que réticente, et lorsque Sasha déposa la petite boule de lumière entre ses doigts elle dit d'une voix froide :

- Je ne sais pas comment résoudre ton problème. Je ne sais pas ce qu'est la tristesse aussi, je ne peux pas la guérir. Mais je peux te permettre d'être libre. Libre de choisir ce que tu veux faire de cette vie.

- Qu..quoi ?

Mewnie regarda successivement la boule de lumière et Sasha. Sans comprendre ses instincts, elle apporta la boule auprès de ses lèvres et souffla sur elle.

La Dorosse observa, émerveillée la boule se diviser en centaines de particules et disparaître dans les airs.

Mewnie brisa le silence qui s'était installé entre elles et avec un sourire aux lèvres prononça d'une voix douce :

- Je ne sais pas de quelle espèce tu es Sasha. Mais désormais, nous connaissons une de tes facultés. Tu es une insuffleuse de vie.