Chap 2
(média à n'allumer qu'à la troisième partie du chapitre pour être dans le bon thème ^^)
Le Molden avait pris fin deux jours auparavant. Chacun reprenait sa routine, soulagé. Depuis ce fameux soir, où Sasha s'était rendu compte de son ignorance, il passait son temps le nez dans le livre poussiéreux de la vieille Ara. Elle n'avait pas voulu lui en dire plus, elle lui avait simplement donné le livre et lui avait demandé d'y faire très attention. Il renfermait, selon elle, des secrets trop dangereux pour qu'il tombe entre de mauvaises mains. Mais il n'avait vu que des descriptions, plus fascinantes les unes que les autres, sur les Mondes et leurs habitants. Il avait appris plus de choses en quelques nuits qu'en une année scolaire. Effleurant les gravures en relief de chaque créature, les dorures sur les coins des pages, ou bien la couverture matelassée, usée par le temps. Les livres rangés dans un ordre alphabétique, il avait découvert El'fes, Fées, Sorcières, Banshees, Gobelins, Ogres, Cyclopes, Syrèn, Naïades, et tant d'autres espèces aux noms imprononçables. Sasha aurait dû être émerveillé devant tant de choses aussi belles et troublantes, mais son indifférence coutumière restait la même. Il ne voulait qu'une seule chose : tout savoir.
Il était en cours, à présent, et s'ennuyait mortellement. Assis sur sa chaise en bois vermoulu, il fixait l'unique fenêtre du bâtiment qui ne laissait presque rien voir sous son épaisse couche de crasse. Sa classe, constituée de seulement dix enfants, était si exiguë qu'il ne fallait que quatre pas pour que Madame Brian atteigne le fond de celle-ci. Son ouïe était fine, le moindre souffle, le moindre coup de crayon, parvenait à ses oreilles. Combien de fois, le tas de muscles qu'elle était avait brandit sa règle, parce qu'un élève respirait trop fort ? Ces corrections, il ne pouvait plus les compter. Tous, subissaient des corrections à longueur de journée. Elle était une fervente partisane des punitions par la douleur pour faire "grandir". Mais elle s'acharnait plus particulièrement sur lui, étant donné qu'il connaissait tous les livres de cours sur le bout des doigts. Sasha n'écoutait jamais en cours, toujours perdu dans ses pensées, et pour une raison qu'il ignorait, ça l'énervait profondément. Il n'y avait qu'une fille dans leur classe, du nom de Cassidie, qui recevait le même traitement de faveur que lui. Leur professeur, aimait souvent dire, qu'elle ne devrait pas être là, mais chez elle, à s'occuper de la cuisine et de sa famille. Sasha ne pense pas que les autres enfants ont remarqué la pointe de jalousie qui pointait dans sa voix, lorsqu'elle clamait ce genre de choses, mais il se posait ce genre de questions : Comment cette femme, à l'allure militaire qui semblait savoir tant de choses, s'était retrouvée à faire cours à des enfants incultes ? À la fin d'un cours, il ne s'était pas gêné pour poser la question. Madame Brian avait frémi de colère et l'avait battu plus violemment qu'elle ne l'avait jamais fait, lui brisant deux côtes et parsemant son corps de bleus et d'égratignures. Comme toujours, il ne flanchait pas. Il sentait la douleur, oui, mais cela ne l'affectait pas. Elle lui avait rabâché en boucle que cette fille ne méritait pas la chance qu'elle avait et qu'elle, n'avait jamais eue. Le jeune garçon s'en était tenu à cette explication. La vie de cette femme ne l'intéressait pas vraiment. Certains élèves avaient tenté d'être ami avec lui, mais cela l'ennuyait profondément, presque plus que l'école. Il préférait en sortant des cours aller chez l'Érudit qui possédait une bibliothèque d'ouvrages en tout genre sur le fonctionnement du monde et apprendre.
À de nombreuses reprises, Sasha s'était demandé comment, était-il possible qu'il n'oublie jamais rien, que chaque information, même les plus inutiles, comme un prénom ou le repas de la veille, reste gravée dans son esprit. Il avait retourné le problème dans tous les sens, mais n'avait finalement trouvé aucune explication.
- Sasha ! COMBIEN DE FOIS T'AI-JE DIS D'ÉCOUTER LE COURS ? hurla Madame Brian.
- Je sais déjà tout ça, lâcha-t-il, las, en tournant la tête vers elle.
Son visage était rouge de colère, ses doigts tremblaient et ses phalanges blanchissaient à vue d'œil sur la craie qu'elle tenait. Elle lança le petit bout de craie qu'elle tenait vers lui, cognant sa tête et s'avança à pas lourd, agrippant le col de sa chemise et le soulevant de sa chaise. Ses pieds ne touchaient plus le sol. Les élèves retenaient leurs souffles, comme à chaque représaille, mais le visage du jeune garçon restait parfaitement neutre, aggravant la colère de Madame Brian.
Le rouge avait atteint la racine de ses cheveux blonds, rassemblés dans un chignon strict, et ses yeux brillaient de fureur. Elle le gifla violemment, faisant partir sa tête dans l'autre sens. Il soupira intérieurement. Premier round.
***
Il boitait légèrement, se tenant la hanche gauche. Elle ne l'avait pas ratée, pensa-t-il en tenant comme il le pouvait son sac de cours. Il traversa la ville jusqu'au Mur Nord, non loin de la Brocanterie. À l'instant même où il s'apprêtait à ouvrir la porte, elle s'ouvrit elle-même. Grand Mère Ara lui faisait face, une besace en cuir à la main.
- Va te laver et soigner tes blessures. Enfile des vêtements confortables et rejoins-moi à l'orée de la forêt à la Porte Ouest.
Elle le laissa en plan et se dirigea vers le centre de la ville, sans un regard pour lui. Rempli d'interrogations, il déposa ses livres, et partit remplir la grande cuve d'eau chaude. Il plongea son maigre corps dans les vapeurs et frotta sa peau vigoureusement avec du savon. Il sortit de l'eau et observa les bleus sur son corps, détaché, appuyant sur chacun d'eux, des jambes à la tête, où se trouvait un violacé en haut de l'œil droit. Il appliqua un peu du baume de la vieille sur ses blessures, enfila une nouvelle chemise blanche un pantalon brun avec des bretelles et une vieille veste en cuir. Il secoua rapidement ses cheveux châtains pour les sécher et fila au point de rendez-vous. Il vit la vieille mercenaire au loin, appuyée sur un arbre et accéléra la cadence.
- Tu en as mis du temps. Allez, ne prenons pas plus de retard, dit-elle en lui tendant la besace. Prends-là, et suis-moi.
Il ne posa pas de questions et resta silencieux, s'enfonçant dans la forêt. L'aveugle se repérait en tâtonnant les entailles dans les troncs d'arbres, qu'elles avait dû faire, précédemment, avançant doucement dans la pénombre qui commençait à tomber. Rapidement, Sasha ne vit plus le village derrière eux, et commença à douter des intentions de la grand-mère. S'apprêtant à lui poser la question, il fut interrompu par un rugissement qui effraya une nuée d'oiseaux se trouvant dans les arbres. Il s'arrêta et lança un regard confus à la vieille Ara.
- Nous y sommes presque, dépêchons nous, le pressa-t-elle. Encore un peu de patience.
Les rugissements se firent de plus en plus proches, à mesure que leurs pas se rapprochaient de l'origine du vacarme, le soleil se couchait. Brusquement, la grand-mère s'arrêta face à une caverne couverte d'un rideau de lierre et d'herbes. Elle plongea sa main et disparut. Sasha eut quelques secondes d'hésitations, avant de le soulever à son tour, et de s'enfoncer dans l'obscurité. Se tenant à la paroi pour se guider, il suivit l'écho des pas de la vieille et marcha dans un silence étouffant. Ils marchèrent durant un certain temps et Sasha finit par entrevoir une lueur au bout du chemin. S'étant habitué au noir, il lui fallut quelques secondes pour réaliser qu'ils étaient dehors, dans une petite clairière bordée d'un ruisseau. Le soleil s'éteignait derrière de grands rochers et les arbres laissaient les derniers rayons de la journée caresser l'herbe.
- Ne fais pas un bruit, Sasha. Quoi qu'il se passe, ne bouge pas.
Il hocha la tête silencieusement alors que la vieille s'avançait à l'aide de sa canne jusqu'au centre de la clairière. Elle siffla trois coups successifs et une masse noire apparue en face d'elle accrochée à un arbre. Sasha manqua de tomber à la renverse, elle venait d'apparaître de nulle part, à l'instant, une créature faisant plus de trois fois sa taille d'un noir d'ébène descendant gracieusement de l'arbre sur lequel elle était perchée. Il se retint de crier à la vieille folle de s'enfuir et ne fit aucun bruit, tétanisé. La chose, enroulée sur le tronc glissa rapidement jusqu'au sol et s'avança jusqu'à la grand-mère. Sasha arrivait à distinguer deux grandes ailes membraneuses qui se détachaient du corps de serpent que possédait la terrifiante masse de chair et d'écailles noires. La vieille Ara leva brusquement sa main vers ce qui devait être la tête. Elle la monta doucement vers le ciel, le regard de la créature tapie sur le sol, suivant ses mouvements. Elle siffla, sortant sa longue langue, et se releva, dépliant ses immenses ailes. L'aveugle paraissait minuscule face à cette créature fantastique, les ailes devaient avoir une envergure de quatre chevaux de profil. Surpris, Sasha recula d'un pas et fit craquer une brindille. Le regard de la créature bascula brusquement sur lui et elle poussa un tel rugissement que le garçon dut mettre ses bras face à lui pour ne pas tomber en arrière. La vieille mercenaire siffla une fois et tapa le sol de sa canne. La bête s'arrêta et un nuage de vapeur s'échappa de ses narines. Elle s'enroula sur elle-même jusqu'à ne plus faire que la taille de la vieille femme, ses yeux scrutant les moindres faits et gestes de sa maîtresse. De sa main libre, elle fit signe à Sasha d'approcher doucement. Sasha essaya de faire le moins de bruit possible et s'avança jusqu'à la grand-mère. Arrivée à sa hauteur, elle lui prit sa main et la tendit devant lui en avançant vers la créature. Il se laissa faire, hypnotisé par les yeux verts aux pupilles fendues de la bête. La vieille lâcha sa main à quelques centimètres du museau, en l'incitant à y poser sa main. Sasha déposa délicatement ses doigts et caressa les écailles de l'étrange animal. Ses pupilles se dilatèrent légèrement et ses narines se gonflèrent laissa un filet de vapeur s'échapper. La créature, dont il ne connaissait pas le nom, s'écarta et s'enroula encore plus sur lui, prenant la taille d'un lézard, toute petite, et vint grimper sur l'épaule de la grand-mère. Elle prit la sacoche des mains de Sasha et en sortit des bâtonnets de bœuf séché, qu'elle donna à son compagnon.
- C'est une Amphiptère, commença l'Aveugle, une espèce de dragon qui n'a pas de pattes et qui ressemble à un serpent ailé. Ils sont très sensibles aux bruits et ont du mal à faire confiance aux inconnus. Elle a vingt-six hivers, ce qui est très jeune chez les dragons. C'est pour cela qu'elle est si petite.
Sasha ne voulait même pas penser à la taille que devait faire les dragons adultes, cela dépassait l'entendement.
- Elle s'appelle Yveo, c'est une Hek qui voyage de Cartagh à Warden.
- Une Hek ?
- Oui, un Dragon-Brèche en Irindi. La plupart d'entre eux peuvent passer de leur dimension d'origine à une autre parmi les douze connues, selon la dimension à laquelle ils appartiennent, ils possèdent une particularité.
- Quelle est celle pour les Hek qui viennent ici ?
- Cartagh est le Monde des Humains ; comme la plupart d'entre nous ne connaissent pas l'existence des autres Mondes, les dragons doivent passer inaperçus. Ils possèdent des écailles capables de changer de couleur pour pouvoir se camoufler dans la nature, cela explique pourquoi tu n'as pas vu Yveo quand tu es arrivé. Si ce village a été construit ici, c'est pour une bonne raison. Nous nous trouvons sur un point stratégique de notre ligne dimensionnelle. Beaucoup de Dragons arrivent ici, et un grand nombre d'entre nous a besoin de passer par Warden pour voyager dans les autres Mondes. On l'appelle aussi le Monde des Ambres.
- Je crois que je suis obligé de vous croire maintenant, après ça... Ce serait absurde de réfuter que la magie existe réellement.
- Ce n'est pas pour cela que je t'ai fait venir. Tu vas partir pour Warden, Sasha, Yveo va t'y emmener.
Le jeune garçon écarquilla les yeux de surprise cherchant une trace d'humour chez la vieille femme, mais comme toujours, elle était très sérieuse.
- Il ne sert à rien de rester ici, tu ne trouveras rien d'intéressant dans ce Monde. Il est temps que tu saches ce que tu es réellement, d'où tu viens, qui tu es, n'as-tu donc pas envie de savoir ?
- Mais...
- Ne me dis pas qu'il serait plus instructif de rester sur ces maudites chaises en classe ici, alors que tu connais déjà les cours humains des trois prochaines années, plutôt que de voyager à travers les dimensions et trouver des réponses aux milliers de questions que tu te poses.
- Et vous dans cette histoire ? Qu'est-ce que...
- À ton avis comment est-ce que je faisais sans toi ? Je sais me débrouiller toute seule, merci ! Et puis, il est hors de question que tu t'enfuies comme ça, je compte bien récupérer mon dû, y a intérêt à ce que tu reviennes pour m'aider, hein ? J'en ai assez de te voir te morfondre, tu verras quand tu reviendras, tu ne voudras qu'une seule chose : une vie paisible.
Sasha fixait cette drôle de dame d'un air étrange, il était tenté de lui donner bien d'autres raisons de rester, mais quelque chose au fond de lui, le poussait à partir.
- J'y ai mis tout ce dont tu auras besoin durant ton voyage, dit-elle en lui donnant le sac, prends Yveo avec toi, marche dans la forêt et lors des premiers rayons de l'aube demandes lui de t'emmener à Warden. Elle reviendra d'elle-même ici.
Elle posa une main sur son épaule et pencha son visage aux yeux vides vers celui du jeune garçon :
- Il faut que tu ailles à Nindia, au Temple Mnemos, dans les Montagnes Escarpées. Un vieil ami à moi s'y trouve. Demande Jeremiah de ma part, et donnes lui le livre. Il te guidera. S'il y a bien quelqu'un qui peut savoir qui tu es, c'est lui.
Le petit lézard se faufila sur l'épaule du jeune homme et s'installa. La grand-mère recula d'un pas et se retourna, claudiquant vers la caverne.
- Allez, file ! Reviens vite avec des histoires à raconter à mes vieux os !
Sasha la regarda partir jusqu'à ce qu'elle disparaisse dans le noir. La nuit était tombée depuis un moment, et seule la lune dispensait assez de lumière pour distinguer quelque chose. La petite bête émit un petit bruit plaintif, il se retourna et partit dans le sens inverse, s'enfonçant dans la forêt.
La vieille sentait que ce serait la dernière fois qu'elle le verrait, en marchant, elle sentait le poids de la solitude revenir peser sur son cœur et ses épaules. Inévitablement, elle s'était attachée à ce petit garçon qui ne souriait jamais. Elle avait beau ne pas le voir, elle savait qu'il était porteur d'un lourd secret. Il était temps qu'il écrive ses propres histoires. Elle sourit dans le noir, en guise d'adieu, son premier depuis des années.
***
Sasha était épuisé à force de marcher. Nombreuses sont les fois, où il s'était cogné à des arbres et fait griffer par des branches. En ce mois d'été, il était heureux d'avoir pensé à prendre une veste. La chaleur était retombée et le froid le saisissait. Il sentait le lézard grelotter sur son épaule, par soucis de conscience, il prit la petite bête dans ses mains et la glissa dans la poche intérieure de sa veste, bien au chaud, et décida de s'arrêter pour souffler un peu. Il s'appuya contre un vieux tronc et observa le ciel étoilé à travers les feuillages des conifères.
Qu'allait-il découvrir ? Qu'allait-il se produire ? Il ne pouvait pas dire qu'il avait peur, il ne savait pas ce que c'était, mais il se sentait perdu. Toutes ces certitudes avaient été bouleversées, il se sentait frustré de ne pas tout savoir. Qui était-il ?
Ses paupières lourdes tentaient en vain de se fermer et lorsqu'il aperçut les premiers rayons du soleil, il se redressa brusquement et ouvrit le pan de sa veste en regardant le dragon dormir profondément.
- Yveo, emmène moi à Warden.
Elle ouvrit brutalement les yeux et se mit à tourner sur elle-même sortant de la poche de Sasha et grandissant à vue d'œil. Rapidement, elle reprit sa taille normale et ouvrit ses ailes, les secouant légèrement. Elle grogna de mécontentement, laissant un filet de vapeur s'échapper de sa bouche et de ses narines, la langue frémissante, mais tourna son dos vers lui, de manière à ce qu'il puisse monter. Il s'agrippa à l'une des rangées d'épines qui couraient le long de son dos et monta sur la créature. Il se maintenu aux écailles de l'Amphiptère qui d'un grand battement d'ailes, se souleva dans les airs. Sa queue se mouvait dans l'air, se torsadant comme un gouvernail, elle dépassa en quelques secondes la cime des arbres. Des rafales de vents soufflaient dans les cheveux de Sasha. Il observa en contre-bas la forêt s'étendre à l'horizon. Il aperçut son village, au loin. Le ciel couvert de couleurs orangées parsemé de nuages roses aurait dû émouvoir le jeune garçon, mais il n'arrivait pas à s'émerveiller de la beauté du spectacle qui s'offrait devant ses yeux. Le dragon prit de plus en plus de vitesse, obligeant Sasha à s'accrocher plus fermement. Elle prit de la hauteur et pointa vers le soleil, poussant un rugissement. Des flammes violettes s'échappaient de sa gueule, face à eux, formant au loin un grand cercle de flammes couvert de symboles étranges. Le dragon donna un dernier battement d'ailes et enroula ses ailes sur lui-même, recouvrant Sasha, et vrilla comme une toupie pour entrer dans le cercle. Sasha sentit la pression autour de lui s'alourdir quelques instants avant de reprendre une légèreté nouvelle. Les ailes d'Yveo s'écartèrent et il ouvrit les yeux.
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