Chap 19

Elle s'était levée tôt ce matin, pensant qu'elle serait tranquille, mais en se levant, Mewnie constata le petit billet qui avait été glissé sous sa porte avec désespoir :

Je te prie, Dorosse, de venir faire ces corvées que tu me dois d'hier soir, si mes souvenirs sont bons, et de me rejoindre au plus vite.

Représentant Galerie n°3

Avec un souffle d'exaspération, prise d'une bouffée de colère, elle déchira le papier en deux et partit dans la penderie de Nora prendre une veste qu'elle mit par-dessus sa chemise de nuit, Sashant que personne n'était dans les couloirs à l'aube. Les pieds nus sur le sol rocailleux des boyaux creusés dans la montagne, elle tenait dans une main les bottes en cuir trop grandes que lui avait données Léo et les braies qu'elle portait depuis quelques jours déjà avec la chemise étroite de Nora, qui lui enserrait la poitrine. Elle se précipita en sautillant dans les escaliers de bois et de pierre avant d'arriver à la salle commune des bains. Quelques élèves voguaient déjà à leurs occupations, parmi les corvées matinales, comme la mise en place du premier repas de la journée ou encore l'éclairage des Galeries, dont la cinq qui n'avait pas encore été faite. En arrivant face aux bains, Mewnie trouva Sasha qui attendait devant l'entrée de la caverne sans bouger, une serviette à la main. À l'entente des pas de Mewnie elle s'était retournée vers elle, surprise, Mewnie lui demande :

- Que fais-tu ici ?

- On m'a dit de prendre un bain parce que je ne sentais pas la rose pour une fille, répondit platement Sasha.

La jeune El'fe fronça les sourcils et répliqua d'une voix grave :

- Qui a pu te dire une chose pareille ? Une fille n'a pas à se faire plus pomponnée qu'un homme, c'est bien une chose que mon peuple a su comprendre, grimaça-t-elle en se souvenant vaguement d'elle enfant courant avec un bâton de bois, se battant avec des garçons et d'autres filles de son âge, transpirant de sueur sous le Soleil d'Otokapi, les pieds dans le sable et le corps couvert de cendres grises et d'ocre.

- C'est une Sune qui t'a fait la réflexion ? Ou bien les garçons de ta chambre ? D'ailleurs, tu ne préfères pas dormir avec nous ? Hassane avait dit qu'il s'en occuperait rapid...

- Attends Mewnie, coupa Sasha en levant la main hantée d'un regard de glace, premièrement, c'est un Sorcier aux cheveux de reflets bleus, qui m'a montré comment il fallait procéder pour éclairer les couloirs lors de ma corvée ce matin. Ensuite, ça ne me dérange pas d'être avec Léo et Hassane, la seule chose qu'il faut c'est un endroit où mon corps peut se reposer, quel qu'il soit et puis, toutes ces phrases connectées de mots, sont-elles l'expression du souci pour autrui...? Pour moi ?

Mewnie resta coite un instant puis finit par sourire en répondant :

- Oui Sasha, qu'on apprécie quelqu'un, on se soucie sur son état, si tout va bien pour lui, alors on est content.

Sasha et Mewnie se regardèrent yeux dans les yeux, iris sombre contre iris translucide, le contraste entre leurs cheveux et leur regards détournant l'attention par sa singularité.

- Tout va bien pour toi, Mewnie ? demanda Sasha sans même ciller après un instant de réflexion.

Le sourire de la Dorosse s'élargit plus encore avant qu'elle ne pose une main sur l'épaule de Sasha et l'entraîne dans les bains, sans dire un mot.

Elles se dévêtirent, et entrèrent dans la partie des bains consacrée au froid. La petite salle était constituée d'un grand bassin d'eau froide, aux éclats bleutés et translucides, d'où se déversaient des petites chutes d'eau froides. La pièce était humide de chaleur, et des volutes de vapeur chaudes couvraient le bassin contrastant avec la froideur de l'eau. Les Bains étaient séparées en trois parties, les bains froids, les bains chauds couverts de lave que Mewnie avait pris la veille et les pics de stalactites qui gouttaient d'eau comme des douches semblables à celles à côté de l'abri de Léo dans une montagne voisine. Elles s'étaient glissées dans l'eau, les bains déserts à cette heure-ci leur étaient consacrés. Les épaules de Mewnie avaient frémi au contact de l'eau, alors même que Sasha se mouvait aisément dans l'eau sans ressentir le froid. Les cheveux d'un bleu sombres de Mewnie formèrent une auréole autour de sa tête, elle qui flottait en regardant les parois de la caverne au-dessus d'elle, couverte de la même eau qui maintenait le Temple.

Elle se redressa rapidement et regarda fixement le dos maigre de Sasha. Sa peau laiteuse à peine moins blanche que ses longs cheveux translucides étaient inhabituels. Jamais elle n'avait vu de créature avec ce genre de caractéristiques.

- Sasha, approche-toi.

Celle-ci se retourna et vient rejoindre l'Elfe qui se pencha pour attraper un peigne en os parmi les affaires qu'elle avait empruntées à Nora.

- Raconte-moi, comment vous avez éclairé les Galeries ce matin.

L'El'fe entreprit de peigner les doux cheveux de la jeune fille, les savonnant et les rinçant délicatement avant de les brosser machinalement.

- Je me suis levée alors qu'il n'était que circa cinq heures, puisque c'était indiqué sur la pancarte lorsque j'avais inscrit mon nom sur l'une des pancartes.

- Circa ?

- Oui, ça veut dire "environ" en Pirus.

Mewnie resta silencieuse, pour l'enjoindre à continuer et se mit en tête de lui tresser des nattes parmi ses cheveux laissés à l'air libre, dont deux qui lui ceindrait la tête pour se rejoindre derrière, parmi les autres, dégageant le front de Sasha.

- Je suis descendue dans la Galerie trois là où un petit groupe s'affairait autour d'un sac de pierres. Le Sorcier dont je t'ai parlé, celui au cheveux bruns enduit de reflets bleus, guidait le petit groupe pour ceux qui ne connaissait pas la procédure, dont je faisais partie, il nous a mis à l'écart et s'est pris à nous expliquer qu'il fallait frotter les boules de verres d'eau sur chaque torche avec les pierres disposées dans le sac.

- Sais-tu pourquoi Nora n'a pas encore de reflets colorés dans ses cheveux Sasha ?

- J'ai émis quelques hypothèses, mais je pense que c'est un choix individuel non ?

Mewnie émit un petit rire en attrapant la pierre éponge et un autre bout de savon au sel de fleurs d'une couleur violine et entreprit à laver le dos de Sasha en répondant :

- Ce n'est pas le cas non. L'intensité de la couleur que prennent leurs cheveux dépend du niveau de maîtrise de leur magie. Les Sorciers font partie des rares espèces où ce détail est significatif, c'est pour cela que dans leur culture, être faible n'est pas une possibilité. Nora est une novice, mais je pense qu'elle ne tardera pas à recevoir ses premières couleurs.

- J'ai demandé au Sorcier pourquoi ils n'utilisaient pas de Gorth, la pierre qui provient des Orgues d'Otokapi, là où tu habitais plus jeune comme tu me l'as expliqué.

- Je t'ai dit ça moi ? demanda d'une voix faible et confuse la jeune El'fe.

- Il m'a dit qu'il n'y en n'avaient pas à profusion dans les environs d'un rire que je pense moqueur, continua-t-elle sans faire attention à Mewnie, "Nous utilisons des Peros, des pierres locales qui produisent un feu continu dès lors qu'on les frotte, à mesure qu'on ne souffle pas "les mots qui l'endorment".

Mewnie sentait toujours ce chatouillement désagréable à chaque fois qu'elle pensait à des souvenirs datant d'avant sa venue à Warden et ce, depuis son arrivée à Nindia. Ayant repris le fil de la discussion elle lui expliqua :

- Les Gorth sont des pierres qui sont essentiellement utilisées par les Sunes. Les Orgues sont une région du Monde du Soleil Couchant qui est tenu sous le joug des Sunes depuis plusieurs centaines de siècles. Mon peuple à pendant longtemps été réprimé par les El'fe du Jour, les Munes, les El'fes de Nuit ont toujours été profondément pacifiques et sauvages aussi nous n'avons jamais reçu leur appui pour nous dépêtrer de l'emprise de la noblesse Elfique. Mais aujourd'hui, le peuple des Dorosse vivant à Otokapi n'est plus qu'une minorité à vivre encore sous la coupe des Sunes. Une partie vivant aux alentours du Palais d'Asgar s'est dérobée à leurs commandements et est devenue anarchiste, cherchant par tous les moyens à supprimer leur emprise sur notre Terre, Les Orgues, qui sont leur principale source de ravitaillement de matériaux. Ils mènent des actions dans une résistance à l'armée Sune qui nous donnaient de l'espoir, ou du moins à mes parents, je crois...fit-elle en grimaçant de douleur sous les éclats lancinants de douleur dans sa tête. Mais nous avions besoin de manger, et le maigre salaire qu'ils donnaient aux miniers nous suffisaient à peine pour manger au jour, le jour.

- C'est de là que vient votre haine réciproque ? demanda d'une voix vide Sasha.

- Oui, hélas, les préjugés mènent la vie dure... Dis-moi, pour en revenir à ta corvée, quelle est cette histoire de "mots qui endorment" ? J'ai cru en entendre parler moi aussi, mais sans comprendre, pour autant...

- Et bien, je lui ai posé la même question, le Sorcier m'a dit que pour mes beaux yeux, il pouvait se permettre de me faire une démonstration, aussi il a allumé une torche en frottant la bille de verre à la Peros et les flammes se sont projetées, puis il nous a tous regardés et d'un coup a chuchoté d'une voix rauque et cisaillée, appuyant sur chaque consonne "Dormetria al mestrikimos naktalemi ", et les flammes se sont brusquement éteintes.

- Il a dit quoi ? reprit Mewnie en se savonnant à son tour tranquillement dans l'eau.

- Cela veut dire "Que les feux endormis retournent aux Enfers", il n'a pas voulu nous dire en quelle langue, c'était mais mon instinct m'a dicté que c'était de l'Osuru.

- Tu en es sûre ? fit la Dorosse les yeux ronds. C'est la langue noire non ?

- Oui, je parle toutes les langues j'ai l'impression, et ça m'est paru comme une évidence, je sais parler la langue nécromancienne. Je lui ai demandé un peu plus tard pourquoi il fallait prononcer une incantation en Osuru pour que les feux s'éteignent, il m'a répondu d'un ton sérieux que les Sorciers pouvaient utiliser un brin de chaque magie grâce à leur propre magie rouge, ancestrale, et que pour faire brûler les feux continuellement cela relevait des feux de Dominos, "Dormetria" en Osuru qui se dit "Enfer" en Sylena. Il place les noms en avant dans cette langue.

- Le Monde Souterrain, oui je vois bien. Les feux y brûlent sans cesse, notre peuple possède beaucoup de croyance sur ce monde peu connu. Il abrite les prisonniers de tous les Mondes, à Sestera au cœur de cette Dimension.

Sasha écoutait attentivement, se nourrissant des mots de Mewnie comblant le gouffre de sa mémoire et se sécha rapidement avant de remettre ses vêtements, alors que Mewnie traînait encore dans l'eau, les yeux dans le vague, elle lui demanda doucement :

- Dis-moi Sasha, sais-tu pourquoi tu ne te souviens de rien ? Quels sont les indices qui pourraient nous mener à comprendre de quelle espèce tu es ?

- Il y a maintenant trois hivers de cela, je me suis réveillée dans l'eau d'un canal bordant le port de pêche d'Oherdek, l'une des vingt-six villes du Monde des Humains, je suis revenu sur le bord et j'ai parcouru les rues avant de trouver une femme âgée, humaine, précisa la jeune fille, qui m'a pris sous son aile. Quelques jours avant que je n'arrive à Warden, elle m'a expliqué que je n'étais pas humain au vu de ma capacité à entrer en contact avec la pluie du Molden et les transformations de mon corps. Elle m'a enjoint à rencontrer le Sage Jeremiah. Je ne connais que ma capacité à parler toutes langues, ainsi que ma mémoire impressionnante qui me permet de me souvenir de tout ce que j'entends ou fait. Il y a également le combat avec l'Hydre, que j'ai rendu à l'état de poussière, comme tu as pu le voir. Je ne sais pas pourquoi je ne me souviens de rien, et je me demande souvent pourquoi je me souviens de toutes les langues que je peux employer, mais que je suis incapable de connaître les Dieux qui régissent et les Mondes dont j'ai certainement dû entendre parler. Oublier quelque chose me parait impossible.

- Il faudrait qu'une magie plus forte encore que celle que tu utilises ait pû te couper de tes capacités.

Mewnie souffla, épuisée par l'énigme que constituait la jeune Sasha, inapte à éprouver des émotions. Elle sortit de l'eau et se couvrit d'un drap pour essuyer son corps elle dit à voix haute, pensive :

- Est-ce que ça t'arrive de perdre espoir ? Je veux dire... Tu sembles persuadée que le Sage puisse te donner les réponses que tu demandes, mais si ce n'est pas le cas, où penses-tu aller ? Que penses-tu faire ? As-tu pensé à la possibilité que peut-être jamais tu ne retrouverais la mémoire, ou bien que tu ne saurais jamais quelle est ton espèce ? Tu arriverais à vivre avec ce sentiment de ne pas connaître qui tu es ? Il existe des créatures dont les magies finissent par dépérir, incapable de définir ce qu'elles sont. Notre magie est à l'essence de tout, mais la tienne est...indéfinissable. Elle ne ressemble à aucune.

Sasha eut un instant de réflexion intense qu'observa Mewnie surprise par les sourcils qui se fronçaient sur le visage de la jeune fille, première expression qui paraissait sur ce visage impassible, et l'importance qu'elle apportait aux propos de l'El'fe. Sasha n'avait en aucun cas pensé que Jeremiah n'aurait pas les réponses à ses questions, elle avait beau tout remettre en cause, les faits étaient tels que, en se remettant entre les mains de la vieille Ara elle n'avait juré que par ce que la mercenaire lui avait dit de l'Ailleurs sans jamais le remettre en question. Elle en arriva finalement à la conclusion qu'elle aviserait en temps voulu, elle rebondit alors :

- Si nous avions eu ton médaillon, avant que tu ne le donnes à la Fari quand nous étions dans les Profondeurs de Warden, nous aurions peut-être pu percer le mystère, nous trouverons une autre manière de comprendre.

- De quel médaillon tu parles ? demanda Mewnie en arrêtant ses gestes alors qu'elle attachait ses braies.

Une vive douleur pointa le bout de son nez et Mewnie qui avait encore les yeux bouffis de fatigue et les mains écorchées par les épreuves de la veille, n'avait que la fin de ses maux de gorge pour la consoler, même ses lèvres étaient gercées au point de saigner.

- Si tu ne t'en souviens pas, alors inutile de chercher à s'en rappeler, fit d'une voix morne Sasha en se souvenant de l'air désemparé de Léo quand Mewnie s'était réveillée.

Mewnie ne savait pas si Sasha lui cachait quelque chose ou bien si elle ne faisait que dire un simple constat. Toutefois, elle fut interpellée par le manque de cohérence entre ses propos sur la mémoire et son besoin irrépressible de la retrouver et le manque d'intérêt quant à ses propres souvenirs perdus. Mais elle se fit rapidement raison en constatant que Sasha ne savait pas ce qu'était l'empathie et l'écoute d'autrui. Lorsque l'on était dénuée d'émotions, l'égoïsme faisait rapidement surface et ses propres besoins primaient. Mewnie ne lui en voulait pas, comment le pouvoir ? Sasha était tout simplement ainsi.

Elle finit de se préparer et ensemble elles retrouvèrent le chemin vers leurs chambres respectives. C'est alors que Sasha brisa le silence :

- Hassane m'a fait te dire que le représentant de la Galerie trois voulait te voir aux corvées de nettoyage du matin et que tu serais dans l'obligation de le faire seule, en plus de tes corvées habituelles.

Mewnie fut sidérée par l'aplomb du Sune, et pestant intérieurement elle hocha la tête rapidement en direction de Sasha avant de regagner sa chambre ou la jeune rousse roupillait encore profondément. Elle s'allongea sur son lit attrapant la courte lame qui se trouvait sous son oreiller et caressait les gravures qui ceignait le manche pensive, sur ses origines et ce qui avait bien pu l'amener à se retrouver à Warden.

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