Chap 10
Cela faisait une semaine qu'ils étaient endormis. La jeune fille était revenue à la surface, plongée dans un sommeil léger et réparateurs, de même que son dragon, qui avait perdu son enveloppe protectrice et ronflait paisiblement dans l'un des boyaux de la caverne. Chaque jour, il épongeait leurs fronts, rafraîchissants leurs corps d'eau fraîche et alors que la tempête du Molden faisait rage à l'extérieur, il lisait ses livres de cours, pour s'occuper en attendant la fin de la Tempête. Alors qu'il parcourait la liste des verbes en -nar, au passé de la langue Jojiuy, un bruissement de couvertures le sort de sa lecture et en levant ses yeux, ils rencontrèrent ceux du jeune garçon, froids et inexpressifs.
- Puis-je avoir de l'eau ? demanda-t-il d'une voix cassée.
Le choc se lit dans les yeux du maître des lieux. Il se leva, perturbé et remplissant une tasse en terre cuite d'eau, il se lance :
- Tu sais parler la langue des Tisseurs ?
Il lui tend la tasse et s'assoit à ses côtés, observant chaque détail de son visage juvénile. Sasha prit une grande gorgée d'eau et répondit :
- À vrai dire, je parle toujours la même langue quelle que soit la personne qui se trouve en face, je crois que l'explication la plus logique serait que mes mots se traduisent d'eux-mêmes.
- Seuls les plus grands mages savent utiliser cette pratique, je n'ai jamais entendu parler d'un enfant capable de telles prouesses, dit-il ébahi, comment t-appelles-tu ?
- Je m'appelle Sasha. Où sommes-nous ?
Sasha détailla des yeux la grande pièce et lança un coup d'œil au corps de Mewnie à côté de lui, paisiblement endormi.
Le garçon aux pupilles fendues se leva et sourit avant de se diriger vers ses placards.
- Tu dois avoir terriblement faim, il faut que tu reprennes des forces d'abord.
Il remplit un bol de diverses plantes que Sasha n'arrivait pas à identifier de loin et le rempli d'eau fumante.
Il lui porta sur un plateau avec une cuillère et une théière d'eau, en bois et en terre cuite.
Sasha observait le contenu de son plat, dubitatif : des fleurs blanches et rouges flottaient dans l'eau blanchie d'une mixture épaisse et gluante.
- Ne t'inquiète pas, c'est comestible. Ce sont des plantes de chez nous. Tu trouves à Nindia.
Le garçon trempa sa cuillère et la fourra dans sa bouche. Le goût était sucré, légèrement poivré et n'était pas trop désagréable. L'eau avait un goût de pierre calcaire qu'on trouvait sur Carthag et se souvenir le ramena rapidement à l'image de la vieille Ara, dans les moindres détails, lui recommandant de trouver son ami Jeremiah et de lui montrer le livre qu'il avait avec lui.
- Mon sac.... ?
- Oh, euh, oui, il est là, dit-il en allant le chercher, pendu sur une chaise. Je me suis permis de le fouiller quand je vous ai trouvés, pour voir si j'aurais un moyen de connaître mes deux rescapés, mais je n'ai rien trouvé de concluant. Durant votre semaine de convalescence, j'ai eu le temps de rapiécer vos vêtements et de recoudre les trous qu'il y avait sur ta besace, je ne sais pas s'il contient tout ce que tu avais.
Sasha attrapa le vieux sac en cuir, recousu partiellement, d'un fil épais blanc, et regarda son contenu. Il y avait toujours la pièce d'or, le livre, la boussole qui cette fois-ci indiquait le nord, le petit couteau en argent et la fiole de cuivre, vidée depuis qu'il l'avait utilisée pour soigner Arkayn avec Martha, l'écaille d'Yveo et la Gorth, la pierre qui s'illumine. Il ne manquait que le sifflet en verre.
- Où est le Dragon ? se questionna-t-il à voix haute, conscient que Mewnie s'en inquiéterait et se mettrait dans tous ses états.
- Ne t'inquiète pas, lui sourit-il, il est en sécurité, il sera bientôt guéri tout comme ton amie.
Sasha se tourna vers elle et lui demanda :
- Qui es-tu ? Pourquoi nous avoir aidés ?
Sasha observa le garçon face à lui. Il devait avoir vingt-trois hivers, à moitié dénudé, son torse était couvert de petites cicatrices blanches. Il avait une petite étoile métallique qui traversait son oreille et ses cheveux lui tombaient dans les yeux, d'un blanc grisé. Le plus étrange chez lui restait ses yeux jaunes aux pupilles fendues. Il n'avait pas vu de dessin représentant son espèce dans le livre.
Soudain, une petite belette blanche grimpa sur lui et monta sur ses genoux à côtés de son plateau et ses yeux entièrement noirs le détaillèrent avec précision.
- Tu devrais finir de manger, Sasha, ton corps a subi une violente épreuve même si je ne suis pas encore sûr de quoi il s'agit. Je m'appelle Léo, enchanté de te rencontrer, et voici Miya, mon amie. C'est une Quoarta.
Sasha resta silencieux, et continua de manger attendant que Léo lui raconte ce qu'ils leur étaient arrivés.
- J'étais sorti avec Miya dehors pour me balader avant la tempête lorsque le ciel s'est déchiré dans un grand vacarme. Je ne pensais pas, dans un premier temps, que c'était un portail, mais simplement une Brèche, les premiers rayons du soleil étaient levés depuis quelque temps déjà. Mais c'est lorsque j'ai vu une masse sombre s'écraser sur le sol que j'ai compris. Vous aviez atterri loin de nous et nous avons couru un certain temps avant de vous trouver. En arrivant je n'ai vu que le Dragon dans un premier temps, mais Miya dans son pelage de félin, avait senti à travers la neige, votre présence. Le temps que nous arrivions, la neige virulente avait recouvert vos corps. J'ai piégé le Dragon dans mon esprit pour l'emmener avec moi et nous vous avons portés jusque chez moi. Ton amie a été sacrément secouée, plongée dans un coma profond, j'ai été obligé de la soigner avec des pratiques....discutables, pour la faire revenir dans le présent. Elle risque de garder quelques séquelles...mais je l'ai sortie d'affaire, elle ne devrait plus tarder à se réveiller, dit-il gêné en fronçant les sourcils. Tu n'es pas obligé de me raconter ton histoire Sasha, je ne sais pas qui vous êtes et j'ai pris des risques en vous emmenant chez moi sans savoir qui vous êtes, mais cela reste ton droit. Après tout, tu ne me connais pas non plus.
- De quelle espèce es-tu ? demanda neutre, Sasha en terminant son bol.
- Je suis un mage. Je viens d'Arte, le Monde des Rêves. Je suis venu à Nindia pour étudier au Temple Memnos.
Sasha s'arrêta dans son geste, la tasse en suspension dans sa main et s'assura de ses mots :
- Tu as dit, le Temple Memnos ?
Léo se leva et partit faire chauffer du thé, en posant une théière sur une grande pierre, et s'expliqua :
- Ce lieu est une concentration de savoir, il détient une des plus grandes bibliothèques des dimensions. Il se trouve au sommet d'une montagne non loin d'ici, à quelques kilomètres d'un village. Il est maintenu par des Fahren, des sortes d'oracles pour être plus simple, ils sont vénérés et craints partout dans les Monde. Ils enseignent aux plus jeunes, en quête d'apprentissage, avec beaucoup d'application. Une transmission de savoir orale et écrite, qui se fait sous la protection de l'eau.
- De l'eau ?
- Oui, la déesse élémentale Idore garantit la sécurité des lieux, l'eau du temple conserve les écrits dans un état parfait malgré les siècles qui s'écoulent.
- N'y a-t-il pas une seule divinité ?
Léo lui jeta un regard surpris.
- Tu ne connais pas nos mondes Sasha ?
- Je n'ai pas encore assez de connaissances sur le sujet pour le prétendre.
Il s'attela de lui expliquer, curieux de cet étrange personnage qui se tenait dans son lit :
- Eh bien, oui, il y a une seule divinité, Arganga, elle est la définition même de la vie, c'est la lumière, une magie qui coule en chaque être vivant quelle que soit son espèce. Mais Arganga n'est pas une personne, mais une entité rassemblant plusieurs êtres. On les dénombre en sept Dieux indistincts. Selon la culture ou l'endroit, les gens sont plus à même d'aimer un Dieux ou un autre. On peut voir ça comme un paganisme modéré. Les Oracles vénèrent en secrets Idore, mais se montre impartiale et juste face aux décisions d'Arganga, neutres dans leurs décisions.
- Peux-tu m'emmener au Temple Memnos le plus rapidement possible ?
Léo s'arrêta dans la confection de son thé et observa le petit garçon, perturbé.
- Tu...Tu ne veux pas attendre que ton amie se réveille... ?
Sasha réfléchit quelques instants, pesant le pour et le contre. Il devait aller au Temple pour rencontrer Jeremiah selon les recommandations de la vieille Ara. Mewnie n'intégrait pas le périple de base, mais elle s'est révélée utile face aux dangers des Profondeurs de Warden. Il n'était pas sûr d'être capable d'affronter des dangers qu'il ne connaissaient pas, mais bien que Léo avait une certaine carrure, il semblait profondément pacifique, ce qui ne l'aiderait pas en situation périlleuse, son aide ne serait pas de trop. Il se décida à attendre quelques jours pour voir si elle se réveille, ou bien partir vers le Temple avant son réveil.
- Attendons que Mewnie se réveille.
Léo remplit deux tasses de thé aux plantes vertes et murmura des mots inintelligibles pour Sasha.
Le petit garçon souleva les épaisses fourrures qui lui servait de couverture et se releva.
- Tu devrais te ménager, petit homme, tu viens tout juste de te réveiller, dit-il un sourire aux lèvres.
- Je suis en parfaite forme. Explique-moi comment marche ce monde s'il te plaît Léo. Je n'aime pas être ignorant.
Léo était amusé de voir son rescapé aussi entraîné à l'idée d'apprendre de nouvelles choses, mais son visage impassible, envahis d'aucune émotion, lui donnait une étrange impression. Le petit garçon s'accroupit au sol et observa les bulles orangées qui bougeaient dans le sol.
- C'est de la lave, répondis-je à sa question silencieuse, ici la lave et l'eau sont des opposés aussi la lave bouge pour s'échapper de l'eau, en provoquant de la lumière, rares sont les cavernes qui possèdent ce phénomène je suis chanceux de l'avoir trouvé il y a quelques années. Nous sommes dans les montagnes de l'Ouest, et ce genre de mélange est plus courant dans l'Est, nous sommes dans des montagnes de laves, domptées par les flots d'eau qui sont arrivés du Temple Memnos. Le mélange est saisissant.
- L'eau est translucide même si elle est blanchâtre à certains endroits.
- C'est la chaleur qui provoque ça, répondit Léo en s'accroupissant à côté de lui. Tu vois le rideau translucide là ?
Sasha releva la tête et tendit la main pour le toucher. La texture était gluante, comme dans son bol et ne collait ni ne mouillait sa main.
- Cela forme une protection à notre intimité.
Sasha sortit sa main et s'approcha des pierres plates longues et noires sur lesquelles fumait la théière en terre cuite. Il laissa ses yeux détailler les bocaux sur les étagères remplis de fleurs et de plantes.
- Vous ne mangez que des fleurs ?
- Non, bien évidemment, mais cela constitue notre alimentation principale à Nindia. Elles poussent à la surface de certaines cavernes, tu devrais voir, c'est magnifique, une diversité de goûts et de couleurs existe. Les villages se construisent autour de ces cavernes rares et précieuses. À Nindia, il neige constamment, rien ne pousse sur la glace. Avant de me poser une autre question, tu veux te laver ? Nous discuterons après.
Sasha savait qu'il fallait faire attention à son hygiène et son alimentation pour maintenir son corps en vie. Il accepta récupérant la serviette et la pierre noire et mousseuse que lui avait donné Léo et ensemble ils traversèrent le rideau. Il faisait plus froid et sombre à l'extérieur, mais malgré l'obscurité, Léo se dirigeait facilement, connaissant le chemin par cœur et l'emmena dans un des boyaux de la caverne. Le tunnel était sombre aux premiers abords, mais en avançant, il aperçut une lueur qui s'intensifia à mes ures qu'ils avançaient. Dans l'étroit tunnel, se trouvait au plafond une multitude de dents taillées dans la roche, faisaient couler de nombreuses gouttes d'eau.
- Je te laisse, voici de nouveaux vêtements. J'ai pris des vieux vêtements à moi que j'ai raccourci à ta taille. Il les posa sur le sol, là où la pierre était sèche et reparti dans le tunnel.
- Comment vais-je retrouver le chemin seul ?
- Je viendrais te chercher.
Il s'enfonça dans l'obscurité. Sasha leva la tête et laissa les gouttes envahir son visage et ses épaules, il se frotta avec la pierre mousseuse, qui donnait une odeur neutre a sa peau. Il se nettoya les cheveux rapidement et se rinça sous une fuite d'eau brûlante. Il s'essuya avec la serviette blanche et s'habilla une chemise de toile blanche, ornée au col en v de petites broderies géométriques raffinées, et une pantalon noir doublé de fourrure qui tenait juste assez chaud. Il prit la veste noire, au tissu doux et fibreux et secoua ses cheveux presque secs qu'il coiffa rapidement avec un peigne en bois.
Il attendit un moment que son hôte vienne le chercher, mais comme il ne faisait aucun signe de vie, il se décida à rentrer par ses propres moyens. Il se dirigeait dans l'obscurité de ses doigts en touchant les parois et pénétra dans un autre boyau. Rapidement, il comprit qu'il ne retrouverait pas le chemin jusqu'à Léo. Il s'avança dans un dernier tunnel et vit brusquement de la lumière au loin. Il marcha plus rapidement, certain que l'habitat de Léo se trouvait dans les environs. Seulement lorsqu'il s'approcha, ce n'est pas le foyer du garçon qu'il trouva, mais des crevasses à même la pierre qui donnaient sur le ciel. La pluie tombait à travers ces puits sur le sol des souterrains, laissant des flaques de lumière illuminer le tunnel. L'orage faisait rage au-dehors et le vent sifflait bruyamment. Sans réfléchir, il tendit la main vers la lumière et la laissa glisser sur ses doigts, parcouru d'une vibrante énergie. Il sentait le fluide parcourir ses veines, remplir un manque dans tout son corps, et inonder son être d'une vigueur nouvelle. Il sentait des picotements le parcourir, de plus en plus intense et il rentra d'un pas sous la pluie. Le visage vers le ciel, les gouttes arrivaient par dizaines, aspirées par sa peau, vorace de magie. Sa colonne vertébrale s'allongea, ses cheveux poussèrent à une vitesse fulgurante, ses jambes et ses bras plus, longs, plus fins, ses hanches s'agrandirent et sa taille s'affina, une petite poitrine pointa le bout de son nez sous la chemise. Rien de cela ne le préoccupait, il ne se nourrissait que de la pluie, étroit dans son pantalon maintenant trop petit, il resta ainsi, il ne sait combien de temps, mais il fut interrompu par une voix :
- Qui êtes-vous ? demanda la voix terrifiée.
- Tu n'es pas venu me chercher, alors je suis partie te retrouver, mais je me suis perdue, répondit-elle sans bouger d'un centimètre.
- Sa.... Sa... Sasha ? balbutia Léo. Mais comment est-ce possible.... Le Molden.... Tu es une fille... Je... Je...
- Je ne sais pas de quelle espèce, je suis. Je dois aller au Temple Memnos pour trouver Jeremiah un ami de la vieille Ara qui connaît toutes les espèces. Avant de vivre à Carthag avec la vieille Ara qui m'hébergeait, je ne connais pas mon passé. Je ne sais pas qui je suis, c'est pour cela que ta question de tout à l'heure était impertinente. Je ne connais pas moi-même la réponse.
- Je ne sais pas ce que tu es, Sasha, mais ce n'est pas normal....
- C'est ironique venant d'un homme dont l'espèce m'est inconnue. Ce que l'on ne sait pas est anormal, puisqu'il fait peur. Léo, as-tu peur de moi ?
Sasha l'observa, détaillant l'expression horrifiée de Léo. Et sans même qu'il ne réponde, il connaissait la réponse.
- Non, je suis juste...perturbé. Tu ne m'as montré en rien que tu pouvais être dangereux. Aussi, je laisse l'ombre d'un doute, montre-moi que tu ne l'est pas.
- Pourquoi devrais-je attiser ta confiance ?
- Pour ne pas mourir ici. Tu ne sais rien de ces mondes, il te faut des alliés.
- Pourquoi m'aiderais-tu ?
- Parce que je veux comprendre. Le savoir est le plus grand des atouts pour un mage, tisseurs de rêves. Ton amie s'est réveillée, je ne pouvais décemment pas la laisser seule sans comprendre où elle se trouve. Jamais je n'aurais cru qu'entre temps, tu serais devenu une fille.
- Je suis une fille, murmura Sasha.
- D'au moins dix-huit hivers, la jeune fille sait-elle que.... enfin voilà.
- Mewnie ne sait pas.
- Eh bien, j'espère que sa réaction ne sera pas trop brutale, elle a besoin de repères, elle vient juste de se réveiller d'un long voyage. Allons-y, je te coudrais d'autres vêtements.
- Sasha n'avait pas envie de partir, mais il savait qu'il n'avait pas le choix. Il avait besoin de Léo. Et de Mewnie à l'occasion.
Elle sortit du puits de lumière, les dernières gouttes de pluie roulèrent sur sa peau avant d'être entièrement absorbées. Il, était elle, à présent.
La peau de Sasha brillait dans l'obscurité, de lumière. Léo qui voyait la chemise de Sasha se défaire à mesure qu'il marchait, l'attrapa avant qu'elle ne tombe et la renoue dans son dos. Il lâcha un gémissement de douleur lorsqu'une goutte de pluie atteint sa main. IL la retira violemment et souffla sur la marque rouge. Sasha regarda la brûlure sans expression et continua d'avancer. Léo se posait bien des questions sur ses étrangers, mais une persistait parmi les autres, virulentes.
Quel genre d'être vivant ne pouvait n'avoir pas même l'ombre d'une émotion ?
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