VII- Etincelle

« Silco, c'est n'importe quoi ! » cria Vander, la colère enflant dans sa poitrine. « Tu sais bien que les enfants n'ont rien fait. Ils auraient pu être blessés, voire pire. »

L'homme face à lui, d'une apparence assurée, répondit d'un léger ricanement à l'autre dont la voix crépitait, à peine contenue. Ses épaules se haussèrent montrant son désintérêt.

« Je croyais qu'on avait mis tout ça de côté. » reprit un ton plus bas le géant.

- Tu as ouvert les hostilités, Vander. » cracha-t-il, le nom irritant ses lèvres comme un acide. Il avait le calme d'une panthère s'apprêtant à bondir, fixant sa proie sans relâche.

Vander serra les poings, refusant de céder au regard perçant. « Si c'est moi le problème... alors réglons ça une bonne fois pour toutes. Mais laisse les enfants de Félicia tranquilles. »

Le calme de Silco disparut à la mention du nom, à la courte satisfaction de Vander. Il se leva brusquement, son visage rougi de rage, ses yeux brûlants de haine. L'animal en lui surgit, rugissant dans son esprit. « Comment ose-tu prononcer son nom ?! L'utiliser comme un argument ! Comment ose-tu quand tu sais très bien que tout est de ta faute ?! »

Vander encaissa ces paroles comme un coup de massue. Il avait dérapé.

Un silence glacé s'étira entre les deux hommes, brisé par le léger froissement du cuir de la chaise sur laquelle Silco s'était réajusté. Chaque mouvement semblait calculé, méthodique. Vander, les poings serrés, pouvait entendre son souffle lourd, battant dans ses oreilles, trop bruyant, presque frénétique contre l'immobilité glaciale de la pièce.

Le bureau, unique barrière entre eux, semblait devenir un mur épais, distillant une distance qui se creusait avec chaque seconde. Se comprendre devenait impossible, chacun sourd aux arguments de l'autre. Vander sentait la sueur perler à son front, mais il refusait de détourner le regard.

Le cliquetis métallique du pistolet que Silco tenait entre ses doigts était le seul autre bruit, sec et précis, un son qui semblait amplifier chaque seconde qui s'écoulait. C'était un son menaçant, comme l'écho d'une promesse de violence.

D'un ton mesuré, il conclut la discussion : « Mes pierres doivent être dans cette pièce d'ici demain, même heure. » Vander le fixa, prit de court. « Quelles pierres ? » demanda-t-il d'une voix rauque, encore ébranlé par leur altercation.

- Et bien, commença Silco, deux de tes gosses ont été aperçus à côté de mon fourgon de livraison juste avant le vol d'une cargaison importante. Quelques semaines plus tôt, un autre est entré par effraction dans ce même bureau et a lu des documents classifiés. » Il marqua un temps d'arrêt, laissant ses paroles infuser dans l'esprit du géant. Celui-ci ne comprenait pas pourquoi ils s'en seraient pris à ce magnat. Le poisson était trop gros pour eux.

Silco reprit : « Ça veut dire, logiquement, que vous cherchez à saboter mes projets pour je ne sais quelle raison. Et je veux que ça cesse tout de suite. Tu n'as aucune idée de ce qui est en jeu. »

La tension devint électrique dans la pièce close. Ils étaient seuls. Vander avait ses poings crispés, Silco tenait son pistolet dans sa main.

« Le message est clair. Vous avez vingt-quatre heures. Sinon, tu peux leur dire adieu. »

Il se tourna alors sur son siège, présentant un dos de cuir noir. La discussion était close. En reculant vers la sortie, Vander se sentait trembler de rage. Il ne lui restait pas beaucoup d'options pour sauver les enfants de cette folie. Une pointe de tristesse dans la voix, le dos tourné au magnat, il dit « Tu fais une grosse erreur, Silco. » et claqua la porte derrière lui.

*****

84 600 secondes. 

Vingt-trois heures et trente minutes. 

Voilà le temps qu'il leur restait pour mettre la main sur ces fichus cailloux perdus.

Et chaque seconde qui passait était perdue.

Brook secoua la tête, chassant les pensées qui, depuis des jours, tournaient en boucle dans son esprit. Zali. Son départ imminant lui pesait. Elle n'arrivait plus à se concentrer sur rien d'autre. Mais cette mission... trouver ces cristaux, ça, c'était concret. Ça avait un sens. Un but. Et plus important encore, ça la sortirait de ses réflexions. Elle en avait besoin.

« Je m'en occupe. » affirma tout à coup Brook, résolue.

Quelques cailloux. Ce ne doit pas être si compliqué, pensa-t-elle. La simple idée de se détourner de ses pensées de Zali lui paraissait un soulagement.

Vander la regarda, surpris. Son nez se fronçait de mécontentement. « Absolument pas. » Sa voix se fit plus dure, intraitable, coupa court toute protestation. « On ne sait pas si c'est un piège ou non, alors vous allez tous rester dans la salle de jeu. Faite profil bas, que personne ne vous reconnaisse sur le chemin. »

Assis autour de lui, les enfants échangèrent des regards inquiets. Mylo était le premier à détourner les yeux, triturant une mèche de cheveux, une expression de doute plaquée sur son visage. Claggor, d'habitude si imperturbable, avait lui aussi le regard perdu dans le vide. Brook les observa un instant, reconnaissant cette tension muette qu'ils partageaient tous. Ils acquiescèrent, saluant Vander lorsqu'il sortit. « N'oublie pas ta peluche, Powder. » ajouta-t-il avant de fermer la porte dans un bruit sec.

La jeune fille aux cheveux roses se tourna alors vivement vers la brune. « Tu sais quelque chose ? » 

- Rien de précis. J'ai juste compris que Silco avait perdu des cailloux violets, et qu'il voulait qu'on les trouve d'ici demain. » répondit-elle, préparant ses maigres affaires. « Si Vander est effrayé à ce point, c'est sûrement dangereux...

- Mais Vi, il ne peut pas fermer le bar ! Encore moins aller chercher ces fichues pierres. » s'exclama Mylo, ses doigts triturant une mèche de cheveux qui retombait sur sa nuque.

-Bien sûr que si, il peut fermer le Last Drop », répliqua Claggor, comme d'habitude imperturbable. « Ce qui m'inquiète plus, c'est justement s'il s'en occupe alors que c'est si risqué, d'après ce qu'il nous raconte. »

Brook sentit soudain une main frêle se glisser dans la sienne, la douceur de la peau de Powder contrastant avec la dureté de sa propre paume. Une odeur d'huile de moteur et de papier jauni envahit ses narines. A ce moment, elle ne savait laquelle des deux devait rassurer ce contact.

La plus jeune dit d'une voix basse : « S'il y va alors que c'est dangereux, est-ce qu'il reviendra, Vi ? » La question de Powder la fit frissonner, une angoisse sourde montait en elle.

Alors que Vi s'approchait, l'odeur surchargée et aigre des bouillons de Jericho envahit l'air, se mêlant aux autres senteurs de la pièce. Sa chaleur, presque étouffante, effaça momentanément celle, plus douce, de Powder. « Ne t'inquiète pas, Powpow. Papa est fort ! » dit Vi en la saisissant dans ses bras et en la faisant tournoyer. Powder éclata de rire, suspendue dans l'air avant de revenir doucement sur le sol. « Si quelqu'un essaie de l'attaquer, il le réduira en miettes. »

Mais sa voix affirmée ne parvenait pas à convaincre la jeune fille, qui décelait dans ses yeux un doute grandissant.

Elle ne pouvait pas rester sans rien faire.

Discrètement, alors que chacun retournait à ses pensées, Brook vida sa sacoche, n'emportant que le nécessaire : de quoi payer, se battre et manger. Elle avait menti à Violet. D'autres informations lui étaient parvenues la veille, mais elle n'avait alors pas fait le lien avec les cristaux exigés. On racontait qu'une cargaison précieuse avait été volée dans la semaine, et que des enfants suspects avaient été aperçus non loin.

Si Silco pensait que ces enfants étaient eux, ils étaient cuits. 

Elle était la seule en mesure de régler le problème sans se faire repérer. Vander était bien trop reconnaissable, et elle ne voulait pas mettre les autres en danger. 

De l'autre côté de la pièce, Violet observait Brook subtilement défaire son sac. Elle connaissait ce regard déterminé. La jeune fille préparait quelque chose. Alors, sans en dire un mot aux autres, elle décida de la surveiller.

Dans quoi est-ce qu'elle va se fourrer encore ?

*****

Droite, droite, deuxième à gauche. Yep, c'est là. Un lampadaire cassé et une petite maison noire.

Brook avait réussi à s'éclipser de la salle de jeu sans être remarquée, ou du moins ce fut ce qu'elle croyait, et arrivait enfin sur les lieus du vol. La lumière fractionnée du lampadaire éclairait faiblement l'impasse, qui aboutissait sur une habitation en pierre sombre, bâtie de travers. On aurait dit qu'elle hésitait entre sa courte hauteur et le pavé irrégulier, entre tenir debout au prix de son épuisement ou bien enfin se relâcher et s'effondrer.

A travers les vitres opaques de saleté, elle apercevait ce qu'il restait des fournitures : un lit d'appoint au cadre rouillé, une haute armoire qui maintenait le plafond en place, une table de chevet au pied manquant où gisait une bougie consommée. La cire froide formait une coulée immobile le long du meuble.

A mesure que ses yeux s'habituaient à l'obscurité, des tags apparaissaient, formant une fresque de toutes les couleurs. Des insultes côtoyaient des messages d'amour, et des sigles de gang s'entremêlaient, comme un reflet de toutes ces voix à la recherche d'un espace hors du temps où figer leur existence.

Personne.

Brook poussa doucement la porte qui menaçait de se décrocher de ses gonds, et se dirigea vers le lit. Le calme de la maison laissait plus de place au bruit de ses réflexions. C'était insupportable.

Elle tendit la main, son cœur battant plus vite à mesure qu'elle s'enfonçait dans la poussière des vieux tissus. Le matelas grinça sous la pression. Puis, enfin, la sensation familière d'un métal froid effleura ses doigts : la corde, le poignard, et le pistolet étaient là, exactement comme elle les avait laissés

Mais au moment où elle se redressa, rangeant ses outils, une ombre passa rapidement devant la fenêtre. 

Avec précaution, elle se dirigea vers l'entrée. Le cliquetis du cran d'arrêt résonna une fraction de seconde dans l'habitation vide, suivi du chuchotement discret de pas devant la porte. L'arme tendue devant elle, elle sortit brusquement et colla le canon contre le front de l'intrus, qui la regardait avec des yeux ronds.

« Vi ?! Mais qu'est-ce que tu fous ici ?

- Je te retourne la question. » rétorqua son amie, les bras croisés. Ses yeux louchaient sur l'arme, collée à son front. « Tu vas me viser longtemps avec ton truc ? »

Embarrassée, Brook baissa son arme, rétablissant la sécurité. En se mordant la lèvre, elle pensa qu'elle n'avait peut-être pas été aussi discrète qu'elle le pensait au départ...

Violet la scruta, son regard descendant jusqu'à ses pieds avant de remonter et de croiser le sien. Un sourire en coin illumina ses yeux lorsqu'elle se retourna, ses talons frappant le sol au rythme de ses battements de cœur. « Aller, bouge-toi. On n'a pas beaucoup de temps je te rappelle ! » lui dit-elle, moqueuse.

Après avoir minutieusement inspecté la place, Brook commença à s'ennuyer. Elles avaient quadrillé l'endroit complet, et, à part un vieux gant qui trainait dans une flaque d'eau croupie, l'espace était désert. « C'est peine perdue, Violet. 'Y a rien. » dit-elle en shootant dans le vêtement abandonné. Soudain, une lueur violette accrocha son regard. 

Elle s'accroupit précipitamment, et observa le gant de plus près. Mis à part une trace de morsure au niveau du pouce, c'était un gant banal de Zaun, noir, sale et moche. En revanche, à l'endroit où il se trouvait auparavant, elle vit un éclat de cristal. Mauve. Exactement ce qu'elles cherchaient. 

Elle le prit avec précaution : cela ne ressemblait à aucune matière qu'elle avait déjà vue, il était trop brillant, trop raffiné.

Peut-être que sa piste n'était pas si fausse que ça, tout compte fait.

Avec une attention renouvelée, elle observa le sol autour d'elle. Son amie s'approcha, pointant du doigt les flaques. « Dis, tu trouves pas qu'elles ont une couleur bizarre, pour de l'eau stagnante ? Un peu trop jaune.

- Mais oui ! Ce ne sont pas des flaques, puisque le sol est plat. On dirait... des empreintes de pas mouillés... Elle s'interrompit, englobant la scène du regard. Si la cargaison était là, expliqua-t-elle en désignant l'entrée de l'impasse, et que ce gant est là... »

- Le voleur vient des égouts. » affirma Violet, pointant du doigt une grille mal fixée. Elle la souleva d'une main, passant un regard à l'intérieur. « C'est étroit, mais quelqu'un de fin peu passer. »

Brook s'imagina les évènements : quelqu'un sortait de la bouche d'égout, se dirigeait rapidement vers les cristaux, laissant sous ses pas des traces humides qui s'amoindrissaient petit à petit. La personne volait la marchandise, et repartait dans l'autre sens, poursuivie par quelqu'un d'autre qu'elle mord, le forçant à laisser tomber son gant au sol.

Tout concordait parfaitement. Les deux filles échangèrent un regard entendu, soulagées. Elles esquissèrent un sourire, et sans y réfléchir à deux fois, repartirent en courant vers une autre entrée plus large, bien déterminées à coincer le voleur.

Violet souleva la grille, plus difficilement ce coup-ci, et s'écarta, une main dans le dos. « Après toi. » dit-elle d'une voix faussement distinguée. En riant, Brook exagéra une révérence théâtrale et disparut dans l'ouverture sombre.

La puanteur lui monta immédiatement à la tête : un parfum de moisissure tenace, âcre et toxique. Violet atterrit derrière elle, le bruit visqueux de ses bottes rompant brièvement l'égouttement régulier des eaux usées. 

« On commence à droite. » proposa Brook d'un air confiant. 

Une fois l'entrée du voleur retrouvée, les filles n'eurent aucun mal à le pister à travers le réseau souterrain. Ses traces étaient encore fraiches, un mélange d'empreintes de pas et de gouttes de sang. Mais sa piste s'interrompit soudainement. C'était comme si leur cible s'était évaporée. 

Un léger grattement, à peine perceptible, leur parvint. Le bruit semblait se jouer d'elles sur les parois, se réverbérant à l'infini dans cet espace confiné. Elles n'arrivaient pas à en deviner l'origine. « Qui est là ? » lança Violet, les poings ramenés devant les yeux, prête à cogner. 

Brook, plus attentive, leva les yeux. Pendant un instant fugace, elle croisa un regard gris clair. Un cri étranglé échappa au garçon suspendu aux canalisations, son corps frêle tremblant tandis qu'il cherchait désespérément à se fondre dans le métal froid. Une manche rapiécée pendait tristement, trahissant sa cachette.

Violet se tendit, prête à bondir, mais Brook posa doucement une main sur les siennes, la forçant à abaisser ses poings. Elle adoucit son ton en s'adressant à l'enfant. 

« Hey, toi... Comment tu t'appelles ? »

Violet la regarda d'un air surpris, mais le garçon n'émit aucune réponse. D'un mouvement leste, elle grimpa au mur et réussit à se placer à la hauteur du garçon. L'enfant se recroquevilla davantage, ses genoux serrés contre son torse, son visage sale dissimulé derrière une tignasse en désordre.

« J'ai rien, » articula-t-il d'une voix aigüe, son regard brûlant de défi et de peur.

Brook esquissa un sourire rassurant.

« On ne va pas te faire de mal, promis. Mais peut-être que tu pourrais nous aider. » Elle laissa sa phrase en suspens, guettant une réaction. Violet, toujours au sol, intervint. Elle était plus directe. « On cherche des pierres violettes. T'en aurais pas trouvé, par hasard ? »

Le garçon secoua frénétiquement la tête, ses mèches argentées se balançant sur ses yeux. « J'ai rien. Rien du tout. Laissez-moi tranquille ! » cria-t-il, l'écho de sa voix se répercutant dans les tunnels, se démultipliant à l'infini.

Brook fronça les sourcils à la vue du garçon maigre, de ses dents jaunies et de ses vêtements rapiécés. Aucun enfant ne devrait avoir à vivre ainsi, à grandir en pensant que chaque inconnu est une menace. Aucun.

Violet, pourtant, ne fléchit pas. Sa voix devint plus tranchante :
« Des cailloux violets. T'en as vu ou pas ? Réponds, et on partira. »

Elle savait que dans la Fissure, la peur était le seul langage que comprenaient ces enfants. Leur silence n'était pas de la défiance, mais une stratégie de survie. Chaque mot pouvait être fatal.

Le garçon hésita, son regard oscillant entre Brook et Violet. Les deux avaient le regard fixé sur lui. Il n'avait aucune chance de fuir. Il était pris au piège. 

« Suivez-moi. » dit-il alors. Il sentit la pression redescendre des épaules de ses assaillantes. 

Le garçon avançait à pas feutrés, ses mouvements hésitants trahissant une familiarité contrainte avec ces lieux. Les murs, suintants et couverts de moisissures phosphorescentes, projetaient des reflets déformant leurs visages. Parfois, le garçon s'arrêtait brusquement, levant une main pour leur signifier de ne pas faire un pas de plus. Il tendait l'oreille, comme un animal traqué, avant de reprendre sa marche dans ce labyrinthe. 

Enfin, il se tourna vers un renfoncement : une petite grotte creusée à même la pierre où dormaient paisiblement trois jeunes enfants. Tous avaient des cheveux aux reflets argentés, une peau de teinte verdâtre, et des corps très maigres, conséquence directe des vapeurs chimiques qui résidaient dans les égouts de la ville. Elle les reconnut comme étant les Rats. Des enfants abandonnés de Zaun qui préféraient fuir le chaos de la surface.

Brook eut un haut-le-cœur.

Entre deux gamins reposait un balluchon, que le petit attrapa. Il les regarda d'un œil inquiet. Sa main resta immobile à l'intérieur du sac, hésitante. Finalement, il en sortie un sachet de toile, et le tendit à Brook, regardant Violet de travers. 

Instinctivement, les deux filles surent de quoi il s'agissait. Et surtout pourquoi ce sac s'était retrouvé ici. Il était compliqué de se nourrir dans la ville si l'on n'avait pas de quoi payer. Leurs regards se croisèrent, puis Vi s'agenouilla devant le garçon. Celui-ci eut un mouvement de recul, mais la jeune fille lui attrapa la main. Douce, elle y glissa un autre sac qui tinta lorsque le garçon referma la main dessus.

Ses yeux la détaillèrent, inédits. Les gens les aidaient rarement. 

« Emmenez le sac loin. On n'en veut pas. C'est trop dangereux. » murmura-t-il pour éviter de réveiller la famille endormie.

Elles sentirent longtemps le regard fiévreux du garçon suivre leur marche vers la sortie. 


Dans le noir des égouts, Violet entendit Brook crier. Un grondement grouillant monta autour d'elles, et une marée sombre de rats couinant déferla sous leurs pieds. Le sang de la jeune fille se glaça. Ce n'était pas à cause de la réaction de Brook, mais de ce qu'elle devinait derrière. Quelque chose avait effrayé ces animaux, quelque chose qui venait droit sur elles.

Sans réfléchir, Violet attrapa la main de son amie. « Cours ! » hurla-t-elle, son alerte se répercutant sur les murs humides.

Les battements de son cœur accélérèrent, sous l'effet de leur course. La sortie n'était qu'à quelques mètres, et elle se précipita pour refermer la lourde grille rouillée derrière elles. Mais au moment où le métal claqua, un nuage de gaz verdâtre s'échappa des fissures, s'enroulant autour d'elles avant de remonter vers le ciel trouble.

Elles suffoquèrent, la vapeur toxique envahissant leurs poumons. Violet chancela, une main plaquée sur son visage. Dans l'étau de la douleur, une image perça son esprit : un garçon, fragile, si jeune. Trop jeune pour survivre dans cet enfer saturé de poison.

« Les Rats ! » s'exclama Brook, la voix étranglée, en écho aux pensées de Violet.

Le silence retomba, épais et cruel. Les deux filles restèrent figées, leurs corps secoués de tremblements. Tout s'était passé si vite, si brutalement... Les enfants réfugiés dans les tunnels s'étaient endormis pour toujours dans leur renfoncement de mur.

Brook finit par s'effondrer, ses genoux heurtant le sol avec un bruit sourd. Le sachet de pierres glissa de ses doigts engourdis, les cristaux s'éparpillant sur le pavé sale, scintillant faiblement sous le lampadaire vacillant. Elle regarda sans voir les cristaux rouler de plus en plus loin, hantée par ces yeux gris désormais fermés qui fixaient les siens, remplis de remords.

Une des pierres sombra dans une flaque jaune. Brook la regardait couler lentement. Elle n'avait rien pu faire pour les Rats. Rien contre le nuage mortel. Rien contre leur misère. 

Les derniers éclats de violet sombrèrent, laissant l'onde s'échouer sur le pavé.

Mais contrairement à ce qui aurait dû se passer, l'eau ne redevint pas calme. Un crépitement s'éleva de la flaque de liquide toxique, des bulles remontèrent à la surface, éclatant. Instinctivement, elle ramassa les pierres trainant au sol et s'écarta de la flaque. Sous ses yeux, le liquide changea de couleur, devenant petit à petit translucide. Elle put apercevoir la pierre au fond, coincée entre deux pavés. Un éclat vif s'en échappait. Puis, ébahie, elle vit l'eau se ternir de violet, devenant fluorescente. 

Un éclair de compréhension passa dans son esprit. 

Elle pouvait peut-être quelque chose contre le nuage mortel. Quelque chose pour les prochains qui en souffriront...


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