Chapitre 5

Je suis plutôt fière de moi. Cette semaine je me suis montrée à de nombreux événements et mon emploi du temps a rarement été aussi rempli. Ma femme de chambre vient de m’amener une pile de magazines. En les feuilletant, je constate que l’opinion que le peuple a de moi est à nouveau positive. J’ai réussi à remonter dans leur estime et à limiter la casse. Père devrait être content de moi, j’ai rempli ma mission.

    Je reviens tout juste d’une visite dans une école maternelle. Les enfants étaient adorables. Leurs institutrices ne cessaient pas de leur rappeler d’être poli et de respecter le protocole, mais pour eux voir une Princesse en vrai était si merveilleux qu’ils en oubliaient d’écouter leurs maîtresses. La spontanéité des enfants me fera toujours fondre.

    Je feuillette les nombreux dessins qu’ils m’ont offerts. Ce n’est pas du grand art, mais à mes yeux c’est parfait. Une petite fille m’a dessiné un dragon protégeant une princesse. “C’est ton futur amoureux” m’a-t-elle dit.

    Mon futur amoureux… Vu le nombre d’hommes que j’ai l’occasion de rencontrer, cela m’étonnerait que je trouve l’amour de sitôt. Les seuls hommes que je côtoie ont l’âge d’être mon père. Et de toute façon, je n’ai pas le temps de trouver un amant et d’entretenir une relation. J’ai trop de responsabilités.

   

***

    Dans la soirée, je me rends à un gala de charité organisé par une riche citoyenne, Michelle Killia. Une vente aux enchères est organisée et les bénéfices iront à une association pour les orphelins. J’ai pour mission de serrer le plus de mains possibles. Et je dois aussi acheter un objet de mon choix. Je sens que ce soir je vais dépenser une somme pharaonique. Mon père veut montrer que nous sommes une puissance économique et que le peuple nous doit le respect. Mais à mon avis c’est une très mauvaise idée. Si j’étale notre fortune, le peuple nous accusera de garder l’argent du peuple pour nous au lieu d’aider les plus démunis. Surtout qu’avec la tension qui règne avec Erenia, les impôts ne cessent d’augmenter.

    Les enchères commencent. Des dizaines d’objets anciens et de tableaux de maître défilent et les prix s’envolent. Quant à moi, je reste pour le moment silencieuse. Je souhaite acquérir un objet qui ait du sens pour moi.

    Au moment où je commence à vraiment m’ennuyer, le commissaire priseur annonce un nouveau tableau. Je suis frappée par sa beauté. Il s’agit d’un homme de dos face à des nuages qui s’étendent à l’infini, mais qui semblent agités, comme un océan en colère. C’est magnifique. Cette toile représente le calme face à la tempête. Et c’est exactement ce que je dois toujours être. Je dois toujours mon sang-froid, même face aux pires catastrophes. Ce tableau, c’est moi.

    — Un tableau de César Richard Dafpidiv, annonce le crieur.

    Je commence à enchérir. Un homme propose un prix à son tour. Puis une femme. L’enchère se jouera entre nous trois. Mais je n’ai pas peur. La couronne a plus d’or que n’importe qui dans ce Royaume. Je remporterai ce tableau.

    — Adjugé vendu pour Son Altesse Alyssa ! déclare finalement le commissaire priseur.

    Le prix que j’ai annoncé est colossal. L’association pourra aider beaucoup d’enfants.

    Maintenant que l’enchère est terminée, la fête peut commencer. Madame Killia vient me saluer.

    — Votre Altesse, quel plaisir de vous compter parmi nous ! Votre présence est un réel honneur.

— Le plaisir est partagé, répondé-je

À peine ai-je fini qu’elle coupe court à la conversation pour aller saluer d’autres

donateurs. C'était rapide.

    Je passe la soirée à serrer des dizaines de mains et à saluer les personnes les plus influentes du pays. C’est fatiguant, on ne me laisse pas une seule seconde pour aller goûter à ces petits fours qui me font de l’oeil depuis que la soirée a commencé. Je complimente les femmes sur leur tenue et les hommes sur leur acquisition. La routine.

    Matheo Leger, un pianiste célèbre, vient me voir. J’ai toujours admiré son travail. C’est un musicien à la technique presque parfaite, il réussi à m'impressionner à chacune de ses représentations. Il se penche pour me faire un baisemain. Nous nous saluons

    — Avez-vous goûté à ces toasts ? Ils sont délicieux, me demande-t-il.

    — Malheureusement non. Je n’ai pas eu le temps.

    — Alors en voilà un pour vous.

    Et il m’offre un petit four au fromage de chèvre et au miel. C’est un délice. Je le remercie.

    — Votre Altesse, je dois vous informer de la raison de ma venue. J’ai accepté de me rendre à ce gala dans le seul but de vous voir.

    Il m’intrigue. Que peut-il bien vouloir de moi qui nécessite de me rencontrer en personne ? J'espère qu'il ne va pas me demander ma main. Ce ne serait pas la première fois que ça arrive.

    — Comme vous le savez sûrement, je fais partie des jurés du prestigieux concours de musique de l’opéra Ferdinand. Je suis venu vous prier de nous rejoindre et de faire vous aussi partie du jury.

    Cela fait longtemps que je n’ai pas joué du violon en public. En privé, le violon me permet de lâcher prise. C’est un instrument qui me correspond : il demande de la rigueur et de la précision. Mais je n’ai pas envie de faire simplement partie du jury. Je veux participer. Je propose ma candidature au pianiste.

    — Si vous me laissez participer, le public viendra des quatre coins du royaume pour me voir et vous gagnerez en audience.

    Il accepte. Je vais donc participer au prochain concours Ferdinand. J’ai vraiment hâte.

***

En rentrant au palais le soir, je suis exténuée. On ne dirait pas, mais ce genre de soirée est fatigante. Surtout quand tout le monde ne vous parle que pour se montrer avec vous, sous prétexte que cela fait prestigieux de parler avec un membre de la famille royale.

Une seule. Une seule conversation intéressante. Matheo Leger m'a certes invité pour le prestige, j'en suis consciente, mais il m'a surtout offert l’occasion de rejouer du violon. Je vais pouvoir briller pour une autre raison que la couronne. Je vais pouvoir briller pour mon talent. Et ça, ça n’a pas de prix.  

Je ressens tout à coup le besoin d’aller voir ma mère. Mais d’abord il faut que je passe par les jardins.

    J’arpente les allées extérieures du palais. Elles sont entretenues toute l’année par une équipe de jardiniers et cela se voit. Les haies sont parfaitement taillées et les parterres de fleurs parfaitement entretenus. Je me penche pour cueillir une azalée jaune. C’était la fleur préférée de ma mère. Un parterre entier a été créé en son honneur pour le dixième anniversaire de mariage de mes parents.

    Ma mère me manque. Cela fait tellement longtemps que je ne la vois plus. Cinq ans déjà. À l’époque ça a été vraiment dur, pour moi comme pour Naemi. Ma soeur avait douze ans, moi treize. Nous venions d’entrer dans l’adolescence, nous nous cherchions, la puberté commençait à faire effet et nous avions besoin de notre mère. Mais malheureusement elle ne peut plus être là pour nous, et elle ne l’était plus à ce moment là de nos vies. Naemi a pleuré pendant des jours quand le médecin nous a annoncé le diagnostic. Moi, j’étais sous le choc. Cette période était un cauchemar. Aujourd’hui, nous avons pansé nos blessures, mais le manque créé est toujours bien présent.

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