Naemi est dans le bureau de notre père pendant que j’attends mon tour. D’après les voix que je peux entendre à travers la porte, mon père est furieux.

    Après que nous soyons rentrées à Arcana, nous n'avons pas eu une seule seconde de répit pour nous remettre du voyage. Nous avons toutes les deux été consignées dans nos chambres. Mes servantes m’ont préparé un bain parfumé et j’ai revêtu des vêtement plus dignes. À peine coiffée, un valet est venu me chercher pour m’escorter jusqu’au bureau du Roi. Revoilà mes responsabilités de Princesse.

    Cela fait plusieurs minutes que mon père passe un savon à Naemi. Que se passe-t-il à la fin ? En attendant qu’elle sorte, je joue avec ma tresse, nerveuse.

    Enfin, la porte s’ouvre et ma soeur sort du bureau.

    — Alors ? la questionné-je.

    — Va voir par toi-même.

    Elle me fait un signe de tête en direction du bureau. Elle semble dépitée, presque honteuse. Je la connais, cette expression est celle de quand elle regrette quelque chose. J’espère qu’elle va bien. Mais c’est maintenant à mon tour de me confronter à mon père. J’entre dans le bureau.

    — Père, vous m’avez fait demander.

    Il me fait signe de m’asseoir en face de lui. Ses cheveux grisonnants et son expression fermée n’ont pas changé.

    — Tiens toi plus droite Alyssa.

    J’obéis.

    — Je ne vais pas y aller par quatre chemins, je suis en colère. À cause de toi.

    Je ne comprends pas ce que j’ai fait de mal.

    —À cause de moi ?

    — Tu étais censée veiller sur ta soeur, pas l’encourager à se comporter comme une de ces adolescentes écervelées. Tu es l'aînée, et plus que ça, tu es la Princesse héritière. Un jour tu hériteras du trône, tu dois montrer le bon exemple.

    Je suis perdue, jamais je n’ai montré le mauvais exemple à ma soeur. Mon père me jette un magazine sur la table.

    — Tu peux m’expliquer ?

    Il fulmine. Et en voyant la photo qui fait le couverture, je suis horrifiée. Alors il s’agissait de ça. J’aurais pourtant cru qu’après quatre jours sans nouvelles, j’aurais pu considérer que l’affaire était classée. Mais je me suis visiblement trompée, et je vais devoir en assumer les conséquences.

    La photo de couverture ne laisse planer aucun doute quant au lieu où Naemi et moi nous trouvons. Des lumières multicolores éclairent nos visages. Ce cliché a été pris pendant notre soirée désastreuse.

    — Vous êtes sorties en boîte de nuit sans surveillance ? s’exclame mon père , Comme tu es irresponsable Alyssa ! Mais ce n’est pas tout, lis donc la légende.

    — “Les Princesses prennent du bon temps hors de leur Royaume pendant que le peuple crie famine”

    À ce moment précis de la soirée, nous étions loin de prendre du bon temps. Nous étions terrifiées. Mais sur la photo, nous sommes de profil et on ne distingue pas bien notre expression. Nous aurions très bien pu être en train de nous amuser.

    — Tout le monde crie au scandale Alyssa ! Suis-je vraiment censé corriger toutes tes erreurs alors que tu as dix-huit ans ?

    Je baisse la tête.

    — Non Père, mais…

    — Pas de “mais”. Lis un peu l’article.

    J’ouvre le magazine et découvre avec effroi une interview de l’homme qui nous a reconnues. Je reconnais sa photo. Il était Arcanien apparemment. Et visiblement, il a eu le droit à son heure de gloire. “Vous les auriez vues danser et boire de l’alcool, elles étaient complètement ivres. C’est une attitude indigne de leur rang. qu’avons nous fait pour mériter de telles ivrognes à la tête de notre royaume ? L’une d’entre elles m’a carrément fait des avances !”

    — C’est complètement faux ! m’indigné-je.

    — Je me fiche que ce soit faux ou pas, l’essentiel est que vous êtes sorties à une soirée sans escorte et sans permission.   

    — Nous ne sommes plus des enfants !   

    — Maintenant, poursuit-il , fini les bêtises.  À l’avenir, tu devras être irréprochable. Si j’entends la moindre rumeur à ton sujet, attends-toi à des remontrances digne de ce nom. D’ailleurs, j’ai besoin de toi pour distraire le peuple. J’ai déjà envoyé Naemi à un concours d’équitation. Si elle remporte le premier prix comme prévu, cela redorera notre image. Nous devons détourner l'attention des problèmes d'argent du peuple.

    — Et moi que dois-je faire ? demandé-je.   

    — Présente-toi aux galas, va faire des visites dans les écoles, montre que le peuple d’Arcana compte pour toi. Tu sais que nos relations avec Erenia sont extrêmement tendues. Le peuple a besoin de distractions pour oublier que nous n’avons désormais plus aucun accord marchand avec nos rivaux. Une armistice a peut-être été signée il y a des années, mais la tension est à son comble depuis. Le Roi d’Erenia ne souhaite que voir mon pays couler. Mais je ne le laisserai pas faire, et tu vas m’aider.

    J'acquiesce.

    — Bien sûr que je vais vous aider Père.    

    Il se radoucit.

    — J’espère que tu seras à la hauteur.

    Je sors du bureau et file droit vers la chambre de ma soeur. Je veux la voir avant son concours équestre, lui souhaiter bonne chance. Si elle part, je suppose qu’elle partira loin et pendant plusieurs jours.

    Je frappe trois petits coups à la porte de sa chambre. C’est un code que nous avons inventé quand nous étions petites, pour nous faire savoir que c’était nous et pas un valet ou notre père.

    Elle ne répond pas, je refrappe trois coups, un peu plus fort cette fois-ci.

    — Naemi ? C’est moi, Alyssa.

    La porte s’ouvre, mais ce n’est pas ma soeur. Sa servante me fait une révérence.

    — Votre Altesse, pardonnez-moi de ne pas avoir ouvert avant, j’étais en train de passer un coup de plumeau, je ne savais pas que c’était vous…

    — Peu importe, la coupé-je , savez vous où se trouve ma soeur ?

    — Elle est déjà partie.

    — Oh je vois, alors je vais de ce pas lui écrire une lettre.

    La servante me souhaite une bonne fin d’après-midi et s’incline à nouveau sur mon passage.

    Une fois dans ma chambre, je m’installe près de la fenêtre, à mon bureau et prend un stylo et du papier à lettre. Il faut que je souhaite bonne chance à Naemi. C’est une sorte de tradition. Avant un concours, une compétition ou un événement important, nous nous souhaitons toujours bonne chance, pour nous porter bonheur. Je lui souhaite aussi bonne route et finis par la rassurer au sujet de notre père : même si elle n’obtient pas la première place, ce ne sera pas grave. J’ajoute que je suis fière d’elle et signe, avant de confier l’enveloppe à un valet. Si tout se passe bien, Naemi recevra ma lettre avant de concourir. J'aurais aimé pouvoir lui dire toutes ces choses de vive voix. Ou lui remettre la lettre en mains propres. Mais je la reverrai dans quelques jours, je peux tenir jusque là.

    Moi, le rapatriement vers Arcana m’a exténuée. Je n'aurais pas pu retourner aux mondanités de la cour aussi vite que Naemi. Elle est infatigable. Je m’allonge sur mon lit et repense à Antoine et ses filles, ainsi qu’à la femme qui nous a sauvé la mise lors de notre soirée. J’espère que je les reverrai un jour. Notre sauveuse a sûrement pu couvrir son fils de cadeaux. Un sourire me fend les lèvres. Malgré ce que Père m’a dit, ces vacances n’étaient pas simplement un désastre. J’ai fait rencontré des gens bons, qui m’ont changé de tous ces magistrats que j’ai l’habitude de voir. Aucun d’eux n’avaient l’air bien riche, mais il étaient riches d’un grand coeur.

Voilà pour ce chapitre 4 ! J'espère qu'il vous à plu ! Si c'est le cas n'hésitez pas à voter et à commenter 😉