Après cette soirée riche en émotions, nous avons essayé de continuer nos vacances comme si de rien était. Mais désormais, je ne sors plus en dehors de la villa et de notre plage privée. J’ai peur de me retrouver à nouveau dans une situation similaire. J’ai eu plus peur que je n’ose l’avouer à ma soeur.

    Alors que je suis allongée sur une chaise longue, plongée dans un bon roman, Naemi vient s’asseoir à côté de  moi.

    — Alyssa, je m’ennuie ici, se plaint-elle , rien que la plage et des romans ça devient lassant…

    Je referme sèchement mon livre.

    — Tu es venue me déranger pour te plaindre ? m’agacé-je

    Je suis à cran en ce moment. Elle secoue la tête.

    — Alors quoi ?

    — J’ai pensé qu’il serait bon qu’on sorte un peu pour profiter de nos vacances, dit-elle d’une toute petite voix.

    En voyant ma tête irritée, elle ajoute :

    — Mais pas une sortie comme la dernière fois ! J’ai retenu la leçon. J’ai pensé à une excursion en bateau. Juste toi, moi, un équipage de confiance, et l’océan. Cette fois-ci aucun risque. L’air marin nous fera du bien.

    Je réfléchis à sa proposition. Ça ne peut être qu’une bonne idée. Nous ne courons aucun risque seules en mer, après tout. Mais nous n'étions pas censées prendre de risques la dernière fois non plus. Je ne peux rien refuser à Naemi, un jour elle aura ma peau.

    — C’est d’accord.

***

   Quand nous arrivons au port, l’équipage est déjà prêt à partir. Il ne manque plus que nous. Il est composé de deux jeunes filles brunes qui semblent être soeurs et d’un homme dans la cinquantaine.

    — Bienvenue à bord du Erika ! Je m’appelle Antoine et voici mes deux filles, Anita et Maria. Je serais votre capitaine et mes filles seront là si vous avez une quelconque question.

Le Erika est un magnifique catamaran bleu. Des filets sont tendus entre les deux coques et des matelas ont été installés pour nous offrir plus de confort. Les voiles sont hissées et le bateau prêt à prendre le large. Je pense que nous allons passer une bonne journée.

Ma soeur est assise à côté des deux jeunes filles et en profite pour en apprendre plus sur elles. Naemi a toujours eu le contact facile, c’est la personne la plus douée que je connaisse pour engager une conversation.

    — Pourquoi Erika ? demande Naemi à la plus vieille des soeurs.

    — C’était le prénom de notre mère, répond Anita.

    — C’était ?

    — Elle est décédée il y a dix ans, à cause de l'épidémie qui a ravagé tout le royaume.

— Oh, je suis désolée, s’excuse ma soeur , je suis tellement maladroite !

— Ce n’est rien, la rassure Maria , c’est du passé.

Je m’approche de leur petit groupe et décide de moi aussi discuter avec elles.

— Cette épidémie a aussi frappé Arcana, notre royaume. Ce fut un désastre. Notre père a beaucoup peiné à rétablir l’ordre et la santé dans le pays. Heureusement que vos médecins ont trouvé un remède.

    — J’ai entendu dire que votre père est un Roi juste et bon qui se soucie de son peuple.

    — Il l’est, répond ma soeur.

    — Mais regardez ! remarque Anita , nous sommes arrivées !

    Les deux matelots vont jeter l’ancre tandis qu’Antoine vient vers nous pour nous présenter les lieux.

    — Voici le cap Taillarat, dit-il en pointant une énorme avancée rocheuse , Et voici la crique où nous aurons le plaisir de nous baigner cet après-midi.

    Je suis impressionnée par la clarté de l’eau. On peut voir des poissons de toutes les couleurs nager dans une mer transparente et dépourvue de saleté, et ce même depuis le bateau.  C’est magnifique.

    — Le dernier à l’eau est un homard mal cuisiné  ! crie Naemi avant de plonger la tête la première.

    Tout le monde sur le bateau éclate de rire.

    — Je crois que c’est mon tour, dis-je en m’approchant du bord, le rire aux lèvres.

    Soudain, je sens une main me pousser et je tombe dans l’eau. J’ai à peine le temps de fermer les yeux que le sel me pique. Je remonte à la surface.

    — Qui a osé bousculer une future Reine ?

    Antoine, me fixe et lève la main, désolé. J’éclate d’un rire franc.

    — Venez ici que je me venge ! Vous allez connaître le courroux d’Alyssa d’Arcana !

Ni une ni deux, le capitaine abandonne le navire et vient me rejoindre dans l’eau. Je l’éclabousse mais comme je n’ai aucune force, je crains que ce ne soit pas très efficace. Nous rions et j’ai l’impression d’être de retour en enfance, quand je faisais des batailles d’eau avec mes nourrices. Bientôt, tout le monde nous a rejoint dans la bataille et s’en donne à coeur joie pour asperger son voisin.

    Bien que nous nous soyons longuement amusés, nos estomacs commencent à crier famine. Quand il entend le mien gargouiller, Antoine sort de l’eau et se met aux fourneaux. Très vite, une douce odeur de poisson et de légumes grillés se répand dans tout la crique. Quand c’est prêt, nous nous installons tous ensemble pour partager ce repas.

C’est drôle, aujourd’hui, je n’ai plus l’impression d’être Princesse. Antoine, Anita et Maria nous traitent, Naemi et moi, comme des égales. Si en temps normal cela m’aurait agacé qu’on ne suive pas le protocole, je suis forcée d’avouer que cet équipage me fait l’effet d’une bouffée d’air frais. C’est peut-être dû à leur statut de marin… Passer tout son temps seul en mer, ça amène forcément à traiter les autres en amis, puisqu’on ne voit pas beaucoup de monde.

En tant que Princesse, en revanche, jamais je ne pourrai me permettre de transgresser le protocole. Aujourd'hui est la seule exception. Si quelqu’un me voyait, à manger avec des couverts en plastiques dans des assiettes en carton, assise sur des rochers, trempée après une bataille d’eau épique, il se demanderait sûrement ce qu’il m’est passé par la tête.

Après que nous ayons fini notre plat, Anita nous amène le dessert. Une tarte aux pêches ! J’ai toujours adoré les pêches, alors la perspective de manger une tarte à mon fruit préféré me remplit de joie.

Mais à peine ais-je pris une part entre les doigts que j’entends un moteur au loin. Moi qui pensait que nous étions seuls. Sûrement un plaisancier qui cherche une plage agréable pour roucouler avec sa femme.

Cependant, le bruit du moteur se rapproche de nous et nous nous retrouvons rapidement face à un petit bateau occupé par un petit homme à moustache, en uniforme des gardes d’Arcana. C’est étrange, nous sommes à Laguira, bien loin de mon royaume. Que peut-il bien venir faire ici ?

Que ce soit un Arcanien parti prendre des vacances dans le royaume voisin, je veux bien le concevoir, mais il est tout de même étrange qu’il porte encore l’uniforme même à la mer.

Quand il accoste sur notre petite plage et se dirige vers nous, je confirme finalement qu’il n’est pas en vacances. Il est venu pour nous.

Je fais signe à Naemi et aux autres de m’attendre et m’avance vers lui.

    — Que puis-je faire pour vous ?

    Il esquisse une révérence avant de me répondre sur un ton formel.

    — Votre Altesse, Sa Majesté le Roi Magnus vous demande, vous et la Princesse Naemi au palais, et ce le plus rapidement possible.

    — Au palais, vous voulez dire… À Arcana ? balbutié-je.

    — Précisément.

    — Et avez vous un document qui le prouve ?

    Il me tend une enveloppe portant le sceau du palais. Je l’ouvre. Elle est signée par mon père, c’est donc un document authentique. Cet homme dit la vérité.

    — Et bien je vais informer Naemi de ce changement de programme. Je suppose que vous avez reçu l’ordre de nous escorter ?

    Il répond par l’affirmative.

    — Alors dans ce cas nous vous suivrons.

    Je me dirige vers les autres et leur explique la situation.

    — Si Père nous demande, c’est que c’est urgent.

    Le temps de dire au revoir à notre équipage du jour, ma soeur et moi sommes embarquées sur le petit bateau à moteur. D’après le garde, nos affaires sont déjà sur la route vers le palais, quelqu’un s’en est occupé. Nous n’avons visiblement pas une minute à perdre.

    J’espère qu’il n’est rien arrivé de grave.

***

Alors finalement, Alyssa est pas si coincée que ça ! À votre avis, pourquoi le Roi demande à voir ses filles ?
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