Chapitre 11
La soirée continue son cours et des gens viennent nous féliciter tour à tour, Miranda, moi et les autres musiciens. Finalement je ne suis pas la seule à recevoir les lauriers, les gens apprécient suffisamment la musique pour reconnaître le talent des autres.
Sur une estrade au fond de la salle de réception, le président du concours tape doucement sur son micro pour attirer l’attention de la foule.
— Mesdames, mesdemoiselles, messieurs, voici enfin le moment que vous attendez tous. L’annonce des gagnants et la remise des prix ! Nous avons choisi de faire cela dans une ambiance de fête plutôt que sur scène pour avoir une atmosphère plus intime. Je sais, je sais, presque tout le public est là et tout est retranscrit en direct dans tout le pays, mais que voulez vous ! J’ai tendance à l'oublier !
Malgré son vieil âge, Charles Augustus a un charisme et un enthousiasme impressionnant. Il paraît sympathique à quiconque le rencontre. Dommage que tous les membres du jury ne soient pas aussi agréables que lui.
— Les jurés ont délibéré et on décidé d’attribuer le troisième prix à Pauline Leloucheur, pour son interprétation de la Valse de Lisa. Malheureusement, certaines notes n’ont pas été à la hauteur, mais cette pianiste reste une belle découverte musicale ! Bravo mademoiselle Leloucheur !
La demoiselle en question monte sur l’estrade pour récupérer son prix, tout sourire. Elle est fière d’avoir été jusque là. Sa carrière va normalement décoller. Gagner un prix dans un concours si prestigieux ouvre beaucoup de portes.
— En deuxième position, monsieur Guilhem Molland. Votre technique était parfaite, votre interprétation était profonde, mais nous n’avons pas frissoné. Néanmoins, vous avez bluffé le jury qui a donc décidé de vous offrir le deuxième prix.
Guilhem est déçu et vient recevoir sa coupe en grimaçant. Il est l’un des hommes qui a le plus critiqué ma présence. Il devrait être satisfait au lieu d’être mécontent. Je prie pour que Miranda gagne. Sa prestation était exceptionnelle. Et c’est une jeune fille qui le mérite. D’après ce qu’elle ma raconté, elle a travaillé très dur pour arriver là .
— Et enfin, le grand gagnant ou la grande gagnante, celui ou celle que vous attendez tous… Mesdames et messieurs, le lauréat de cette édition du concours est une lauréate, et c’est Caitlin Morreau !
Mon amie n’a pas gagné. Elle est sûrement déçue, mais cela ne se voit pas. Elle fait preuve d’un grand fair-play et applaudit la gagnante avec beaucoup d’enthousiasme.
L’ambiance retombe à nouveau un peu et les salutations recommencent. Je suis sollicitée à de nombreuses reprises, comme d’habitude, et plus que les autres candidats, plus que les lauréats, comme d’habitude. L’attention se focalise sur moi et j’éclipse tous les autre. Ce n’est pas normal. Mais c’est une chose qui ne changera pas. Des journalistes viennent m'interviewer et je réponds à quelques questions.
— Votre Altesse, avez-vous un avis sur les gagnants ?
— Oui, je trouve que leur prestation était incroyable. Bien sûr, j’aurais aimé que tous les participants gagnent, parce qu’ils le méritent tous.
— Aviez-vous un candidat préféré ?
— Non, comme je l’ai dit, ils ont tous travaillé dur pour arriver à un tel niveau, alors ils ont tous du mérite.
— Comment se fait-il que vous n’ayez pas concouru ?
— Je voulais que chacun ait une chance et qu’aucun traitement de faveur ne soit possible.
— Avez-vous sympathisé avec les candidats ?
— J’ai parlé à tous, et ils sont tous très agréables.
— Avez-vous rencontré un homme ? Après tout, vous êtes la célibataire la plus prisée d’Arcana ! N’importe qui rêverait de devenir Prince Consort !
— Je ne recherche pas encore l’amour, mon devoir et ma famille passent avant tout.
Presque toutes ces réponses sont des réponses préconçues, des demi-mensonges. J’avais un réel avis sur les gagnants et des favoris, j’ai particulièrement sympathisé avec Miranda qui était donc ma préférée. Seule la réponse sur la raison pour laquelle je n’ai pas concouru et celle sur une éventuelle relation avec un homme étaient vraies. Je ne cherche pas l’amour. Je me considère comme mariée à mon travail. Bien sûr, il faudra que je trouve un mari et que j’engendre un héritier ou une héritière, mais pour le moment, Père ne me met pas la pression et l’amour ne m’intéresse pas.
Au moment où je vais me servir à boire, un critique musical vient m’aborder. Je suppose que ce sera encore une fois pour me combler de compliments hypocrites en essayant de s’attirer les faveurs de la couronne. Tout cela m'épuise. Il me fait une révérence.
— Votre Altesse, laissez moi me présenter en bonne et due forme. Je suis Miles Frisk, critique musical pour le journal Symphonies d’Arcana. J’ai beaucoup apprécié votre performance, votre technique était irréprochable.
Qu’est-ce que je disais…
— Cependant, poursuit-il alors que son regard se durcit , je ne suis pas d’accord avec mes confrères. Vous êtes loin d’êtres parfaite. Votre technique est peut-être bonne, mais votre interprétation est froide et sans profondeur. Vous êtes peut-être une travailleuse, mais sûrement pas une artiste. Je ne comprends pas ce qui peut vous attirer autant de compliments. Sûrement votre célébrité. Mais laissez moi exprimer un avis honnête. Votre interprétation n’a aucune âme. Vous n’êtes pas transportée quand vous jouez. Vous ne nous transportez encore moins. Peut-être devriez-vous vous cantonner à la politique, et surtout au beau monde. Cela vous réussirait sûrement mieux.
Finalement, ce n’est pas qu’un tissu de compliments hypocrites… Il a sûrement raison, mais ses mots sont durs à entendre. Ils font mal. La vérité peut faire mal. Mais la musique est mon échappatoire, comment peut-il insinuer que je ne suis pas faite pour ça ? Je travaille tellement dur pour arriver à la perfection. Il a réussi à m’ôter toute motivation et toute confiance en mon talent. Je crois qu’il faut que je m’isole une minute.
Je trouve Miranda dans la salle et vais lui dire au revoir. Je pense que je vais quitter la soirée, j’ai envie de retourner au palais. Mon moral a basculé et je suis de toute façon épuisée. Je lui annonce mon départ.
— J’espère te revoir Alyssa, me dit-elle en m’enlaçant , tu es une belle rencontre. Au delà de ton statut de Princesse bien sûr. Je t’apprécie réellement pour ce que tu es, je te le promet.
— Merci. Je te promets de t’inviter un jour au palais.
— Ce serait un honneur.
Je prends congé d’elle et part à la recherche d’une salle vide. Comme je n’en trouve pas, je vais chercher mes affaires et mon étui à violon et me réfugie dans la cour. Je m’adosse contre un mur. Maintenant que je suis seule, je peux me laisser aller à penser à tous ces évènements. Ce Miles Frisk m’a enlevé toute envie de jouer. Apparemment je suis plus froide qu’un glaçon. Qui aurait envie d’écouter jouer une personne si froide ? Moi qui espérait être parfaite. Je dois être parfaite. Une larme coule sur ma joue, bien malgré moi. Je ne devrais pas prendre la critique aussi mal. Je devrais avoir l’habitude, c’est le lot de la célébrité. Parfois j’aimerais être seulement une citoyenne anonyme. Je j’incarne le pays et je dois incarner la perfection. Mais j’en suis incapable. Je fais trop d’erreurs. À commencer par ne pas accepter la critique.
J’entends des pas sur le gravier et me retourne. Me voilà face à un parfait inconnu. Je ne distingue pas bien son visage dans le noir. Faut-il que je me défende ?
— Est-ce que tout va bien ? Voulez-vous que je vous raccompagne à l’intérieur ? Avez-vous besoin de compagnie ?
***
Alors selon vous qui est ce mystérieux personnage ?
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