Avant que l'émission ne commence, je me met à la recherche de l'organisateur pour lui annoncer ma décision. Ce n'est pas Mathéo Leger, il n'est qu'un membre important du jury. L'organisateur s'appelle Charles Augustus Watson et c'est un vieux musicien sage qui fait partie intégrante du patrimoine culturel du Royaume tellement il est célèbre et admiré. Mais le problème est que je ne sais pas où le trouver.
Je cherche la loge des jurés, mais on m'informe qu'il n'y est pas, et qu'il possède une loge personnelle. Forcément. Et personne n'a jugé bon de me dire où elle est située. Alors je cherche, mais le bâtiment est grand et je n'ai aucun sens de l'orientation. Même les Princesses ont leur défauts, et voici le mien.
Après de longues recherches, j'abandonne. Si je continue, je vais rater le début du spectacle et je n'aurais pas le temps de me retirer du concours. Je frappe donc à nouveau à la porte des jurés et une femme bien connue qui ne m'a jamais paru sympathique m'ouvre.
— C'est pour quoi ?
Elle n'est pas enchantée d'être dérangée et ne semble pas se formaliser du fait que je lui soit supérieure dans la hiérarchie.
— J'aimerais parler à monsieur Leger s'il vous plaît, demandé-je.
Puisque je n'ai pas trouvé monsieur Watson, je vais m'adresser un membre du jury que je connais le mieux et qui est le plus susceptible d'accéder à ma demande. Il se présente à la porte et je lui expose mon problème, sans mentionner que la raison de ma décision est que lui et ses collègues sont accusés de favoritisme.
— Vous ne pouvez pas quitter le concours comme ça ! Vous voulez ruiner notre réputation ? Avoir une Princesse dans les participants est censé faire exploser nos audiences. Vous voulez faire couler l'entreprise ? Vous êtes notre principal atout, grâce à vous, notre publicité se fait toute seule. La soirée a été annoncée complète quelques minutes après la mise en vente des billets. Vous n'avez pas le droit de quitter la compétition.
— Si, j'ai parfaitement le droit. Et d'ailleurs c'est ce que je vais faire.
— Vous n'avez pas envie de redonner l'envie aux jeunes d'écouter de la musique autre que leurs chansons abrutissantes ne parlant que de sexe et de drogue ? En participant vous pourriez aider à changer ça.
J'avoue que c'est quelque chose que j'aimerais améliorer, mais je dois lui tenir tête, pour la justice, pour les autres participants.
— Je veux me retirer du concours.
— Réfléchissez un peu, me menace-t-il , que penseront les journaux à ragots quand j'irai leur expliquer que leur future souveraine a laissé couler une entreprise de renom et a mis volontairement dans l'embarras les musiciens les plus appréciés d'Arcana ? Il vous feront passer pour ce que vous êtes : une riche égoïste, snob qui ne voit pas plus loin que son nombril et que les soirées mondaines. Quelle mauvaise réputation vous aurez après ça...
— Vous allez vous mettre la justice à dos en me menaçant.
— Mais utilisez votre tête bon sang ! Il suffit de leur graisser les pattes et je serai libre. Vous n'y pouvez rien, vous n'avez encore aucun pouvoir.
Il n'a pas tort. Je suis prise au piège. Mon père ne me défendra pas, il a d'autres problèmes. Mais je ne vais pas me laisser faire pour autant. Il faut que je trouve un compromis.
— Je vais participer.
— Je vois que vous avez retrouvé la raison.
— Mais pas en temps que candidate. Je vais participer en tant qu'invitée, pour le coup de pub auquel vous tenez tant. Considérez moi comme le clou du spectacle. Je me retire de la compétition sans me retirer de la soirée, est-ce que cela vous convient ?
— Vous êtes bien narcissique à vous prendre pour le clou du spectacle. Mais j'accepte.
— C'est ce que vous m'avez expliqué monsieur, sans moi, l'entreprise coule. Sur ces bonnes paroles, je vous laisse, j'ai une nouvelle à annoncer aux autres musiciens.
Je tourne les talons et le laisse seul. Quel homme arrogant ! Il a osé me menacer, je n'en reviens pas. S'il continue sur cette lancée, il y aura des représailles un jour, mais pour le moment, laissons-le se prendre pour le centre du monde.
Après ces négociations, je vais directement annoncer la nouvelle aux autres musiciens. Après tout, elle devrait faire des heureux. Quand j'arrive, ils sont toujours aussi mécontents de me voir, mais leur expression change rapidement quand je leur explique la situation.
— Vous voulez dire que vous avez renoncé à participer ?
— Pas à participer, juste à concourir. Et oui, je pense que c'est plus juste ainsi.
Un jeune homme hausse les épaules.
— Finalement les nobles ne sont peut-être pas tout corrompus.
Je suis consciente qu'ils ne savent pas de quoi ils parlent, qu'ils se basent sur des rumeurs pour expliquer certaines injustices. Mais ils ne savent pas à quel point ils se trompent. Mis à part mon père qui est parfois injuste, je suis pleinement d'accord, et je trouve ça particulièrement dommage de savoir que cet homme a les pleins pouvoirs dans le Royaume. Il laisse parfois passer trop d'injustices et je ne peux encore rien faire pour les changer. Un jour je pourrai, et j'attends ce jour avec impatience.
Une vieille femme se poste pas loin de moi.
— Vous avez fait le bon choix. J'ai toujours su que vous feriez une bonne souveraine. Vous savez faire des compromis. J'ai hâte que vous montiez sur le trône.
***
Pendant le spectacle, les candidats qui ne sont pas encore passés peuvent regarder les prestations des autres sur un écran. Je les regarde défiler un par un. Ils ont tous au moins un petit défaut, mais ils ont un bon niveau. J'aurais sûrement pu gagner à la loyale si j'avais participé, même si ils sont doués.
Puis enfin, c'est mon tour. J'empoigne mon violon dans ma main gauche, mon archet dans ma main droite, respire un bon coup et entre sur scène. Je m'avance vers le pupitre où sont déjà posées mes partitions, même si je n'en ai pas besoin, et entame la première note. Une longue note de quatre temps, un Ré, un parfait vibrato, puis le morceau commence, rapide, les notes défilent comme dans une course effrénée. Je ne fais aucune erreur, pas à ma connaissance. Les doubles croches et les sixtelets s'enchaînent et sonnent juste.
Quand je lève l'archet pour la dernière fois après la note finale, le public se lève et m'acclame. J'ai réussi. Quand je rentre dans la loge, tout les autres participants applaudissent.
— Quelle prestation !
Je les remercie. Ça fait chaud au coeur de savoir que ces visages haineux se sont transformés en regards fiers.
Il y a une réception après le spectacle. Le jury, les candidats et le public y sont conviés. C'est là qu'ils vont faire la remise des prix, et elle sera diffusée à la télévision. Avant de monter sur scène, j'ai sympathisé avec une fille de mon âge, Miranda. Nous avons longuement discuté, et c'est une fille totalement normale, une musicienne qui étudie pour devenir avocate. Je crois que c'est ma première amie normale. J'espère qu'on restera en contact. Elle est gentille, c'est une clarinettiste. Je lui ai demandé de me tutoyer, après tout c'est exceptionnel pour moi d'avoir autant d'affinités avec une personne en si peu de temps. C'est exceptionnel pour moi d'avoir des affinités tout court. Sur le moment ça l'a étonnée, mais elle a fini par accepter.
— Tu es prête à faire la fête ? demande-t-elle.
— Absolument !
Une femme nous interrompt.
— Votre Altesse, votre prestation était absolument parfaite. Vous avez parfaitement choisi votre morceau, il était difficile mais vous avez montré de quoi vous étiez capable.
Je me sens gênée pour Miranda. Il ne faut pas que j'éclipse les autres, alors que je ne participe même plus au concours.
— Merci madame. Laissez moi vous présenter Miranda Danner. Elle a joué de la clarinette.
— Oh oui, je vois ! Elle a très bien joué aussi.
La femme met fin à la conversation et s'en va.
— Tu dois recevoir tellement de compliments ! m'envie Miranda
— J'en reçois tellement qu'il est difficile de distinguer les véritables des hypocrites, dis-je en haussant les épaules.
***
J'espère que ce chapitre vous a plu ! N'hésitez pas à voter si c'est le cas ou à me laisser un petit commentaire (c'est cool les commentaires :3)
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