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« Tu viens ? »






« J'arrive. »



Je rangeai mon téléphone avant d'être pris de remords, et le rejoignis. Jimin, devant moi, se faufilait entre deux branches d'arbres alors que nous nous étions aventurés dans une énième petite forêt. 

Désolé, Moonbyul.

Il disparut. J'écartai les feuilles en travers de mon chemin et me retrouvai face à un petit bâtiment plat, recouvert de tags sur les trois quarts de ses surfaces d'un écru vieilli, sali par les intempéries. On entendait les amplis hurler le cri des guitares électriques à des kilomètres à la ronde; Moonbyul m'avait tant distrait que je n'y avais pas prêté attention plus tôt. Mon compagnon de fugue marchait vers l'entrée, là où quelques personnes se déchiraient au cannabis, collaient aux stéréotypes de leurs cheveux colorés, profondément noirs ou rasés par-dessus le cuir de leurs vestes et vidaient un tas de cannettes de bières au pied de leurs paires de Dr. Martens. 

Ça lui ressemblait.

Il s'était arrêté à hauteur de trois hommes assis sur un escalier en pierre, près de ce qui me semblait être une entrée. Un grand sourire se dessina sur les lèvres de l'un d'eux à la vue de Jimin tandis que je le suivais, peu sûr de moi. 

« Comment va notre rockstar préférée ? »  Lança-t-il, la main amicalement serrée dans la sienne. 

Jimin rit, et son interlocuteur se pencha, comme s'il cherchait quelqu'un qui n'était pas là. Son crâne était rasé de près, ne laissait qu'une fine épaisseur de cheveux et faisait ressortir les tatouages grimpant le long de sa nuque. Il était bien plus vieux que ceux qui squattaient là-bas, la trentaine bien dépassée; quelques traits de son visage se faisaient plus creusés, et, à son allure, je ressentis l'urgence de le traiter avec un certain respect. 

« T'es pas avec Yoongi ?

— Pas aujourd'hui. »

Lorsqu'il me remarqua, Jimin n'eut d'autre choix que me présenter. 

« Jeon Jungkook, le meilleur cancéreux d'Incheon. »

Chaleureusement, il me tendit la même main. 

« Si tu commences à le suivre partout, t'es foutu, me prévint-il.

— J'ai cru comprendre, » rétorquai-je en forçant un rire, gêné d'être seul ; Jimin saluait déjà quelqu'un d'autre un peu plus loin. 

« On y va ? » Proposa-t-il en revenant vers nous, et je sautai sur l'occasion de m'esquiver. L'homme nous salua d'une main lasse, à peine levée, un geste qui transcrivit exactement la manière dont il nous dit; 

« Amusez-vous bien. »

Jimin lui répondit d'un signe et m'incita à le suivre. 

« Yoongi, ton ex ? »
Osai-je, persuadé que mon ton ne traduisait que peu d'intérêt pour la question tandis que nous entrions dans le bâtiment en piteux état. 

Il se tourna face à moi, les lèvres joliment relevées par un sourire moqueur. 

« Mon meilleur pote. »

Je n'ai sûrement pas réussi à lui cacher le mien, grandissant. 

Il attrapa doucement mes mains dans les siennes et m'entraîna dans une pièce, à reculons, pour ne pas rompre le regard qu'on échangeait. La musique s'amplifiait autour, les basses faisaient trembler la foule. 

« On danse ? »

Dans une petite salle se défoulait une cinquantaine de personnes, dansant et chantant à tue-tête "All Star" de Smash Mouth que reprenait un groupe amateur sûrement le groupe de rock bancal d'un lycée du coin— sur une scène improvisée. Je constatai, surpris, que le son était plutôt bon, les amplis bien réglées, branchées à je-ne-sais-quelle source d'électricité mais je ne m'aventurai pas à poser la question; la musique battait dans ma cage thoracique, la voix du chanteur frappait l'atmosphère avec entrain et commençait à secouer le mien. 

Je reportai mon attention sur Jimin.

Un bon nombre de personnes, à notre âge, auraient ressenti une certaine honte à danser en public. Il exceptait à la règle : tout chez lui, son énergie, son attitude, les jolis de traits de son visage, participaient à l'esthétique particulière qu'il renvoyait; celle qui l'éloignait du ridicule quoi qu'il fasse, qui poussait à l'admiration. 

Je détestais danser, mais je ne pus rien lui refuser. 

Son sourire s'agrandissait alors que je rejoignais son entrain. Il connaissait les paroles sur le bout des doigts, chantait, les vivait entièrement, avec une grandiloquence qui m'amusait. 

Le groupe enchaîna avec une version rock et un peu plus désordonnée de "Video Killed The Radio Star", un classique que la foule reconnut aux premières cordes sèchement grattées. Et si la plupart ne connaissait les paroles précises que du refrain, Jimin fit partie de ceux qui récitèrent les couplets en cœur, d'une intensité humaine que je trouvai puissante, vraie. Il m'en oublia presque, pris et secoué par l'euphorie de la communauté, et il me sembla qu'hurler les mots ainsi le déchainait, et lui faisait profondément du bien. 

Il me sourit en croisant mes yeux à nouveau, et je me décidai à l'imiter au couplet d'après, et aux musiques qui suivirent. 

Nous sommes sortis une dizaine de minutes après, en plein fou rire.

« T'aurais dû te voir, c'était magique ! »
Il riait tellement qu'il se pliait en deux, une main contre ses abdominaux à l'épreuve. 

Occupé à rétorquer, je ne me vis pas pousser l'épaule de quelqu'un qui arrivait en sens inverse. 

« Regarde où tu marches, bouffon, » cracha la voix bousculée.

Je me retournai, prêt à m'excuser, et me retrouvai nez à nez avec un mec baraqué, légèrement plus grand que moi, les traits durs et la tignasse sombre tirée à l'arrière dans un chignon trop serré. Son expression changea lorsqu'il prit le temps de m'observer. Il puait l'alcool à gerber. 

« On se connaît ? Ta gueule me dit un truc.

— C'est un des attardés de l'asile, en ville, se souvint l'un de ses amis, que je n'avais jamais vu de ma vie. 

— On t'a enlevé ta camisole ? » 

Ses accompagnateurs se mirent à rire. Je levai les yeux au ciel, dépassé par l'immaturité à laquelle j'étais en train de faire face.

Je sentis Jimin s'énerver à côté de moi, mais je rétorquai avant lui;

« J'ai étranglé l'infirmière avec, ducon. Tu veux une démonstration ? »

Il s'énerva.

« On frappe pas les schizo', mec, » ajouta l'autre, posant une main sur son épaule pour le retenir de me défigurer. Jimin, aussitôt, me tira en arrière ; il me fallut plus d'une seconde pour réaliser que son poing avait manqué de fracasser ma mâchoire. L'alcool, en plus, semblait lui donner quelques difficultés à appréhender les distances. 

Un rire nerveux m'échappa sous le choc, ce qu'il prirent tous comme de la moquerie. 

« Jungkook, »  insista discrètement Jimin. 

Je lui éclatai mon poing dans la gueule. 

Il y eut un blanc, où je vis son visage passer de surpris à enragé, et je dois avouer qu'à ce moment précis j'ai regretté, mais Jimin a attrapé mon poignet une nouvelle fois, puis on s'est enfuis en courant.
On a entendu le beuglement du mec bourré,
on ne s'est pas retournés.
On a juste continué à courir en riant.

« C'est toi qui commence à me surprendre ! »
a-t-il dit.

On a fini par sortir de la forêt en nous rapprochant du chemin de fer, et on s'est arrêtés face à un immense bâtiment abandonné.
Il était entouré de barrière en fer, toutes d'au moins deux mètres, et Jimin, qui avait lâché ma main, se dirigeait vers une brèche dans l'une d'entre elles.
Je le suivis. Il souriait comme un gamin de quatre ans.

« Jamais tu t'arrêtes ?

— Mon énergie est inépuisable, répondit-il.

— Tu viens souvent ici ?
Dis-je alors qu'on se dirigeait vers une fenêtre brisée.

— Non, je l'ai trouvé hier, j'attendais que tu sois là pour entrer.

— Pour pas être seul si les flics débarquent ? »

Il a ri.

« Parce que j'en avais envie, abruti. »

En arrivant devant la fenêtre, nous nous regardâmes.

« Après vous, » dit-il en me présentant gracieusement la fenêtre de sa main.

Je pouffai et escaladai le rebord pour atterrir à l'intérieur. Les semelles de mes chaussures faisaient craquer des morceaux de verre sur le sol sale. 

Nous étions en plein milieu d'un long couloir jonché de fenêtres semblables, les lieux étant encore naturellement éclairés par le soleil qui se couchait à peine. Les murs étaient tagués avec des écritures disgracieuses, l'encre bavait, les couleurs étaient criardes. Je me retournai en entendant le verre à nouveau broyé par les semelles de Jimin, cette fois, et lui proposai mon bras, comme on le proposerait à une dame de haut rang, pour faire écho au personnage qu'il avait joué en entrant. 

Son rire résonna bêtement alors qu'il l'acceptait et l'entourait des siens pour qu'on se mette à visiter. Trois contacts et déjà mon cœur s'affolait, c'était délirant. 

Plus loin, d'autres fenêtres étaient réduites en éclats, certains murs complètement détruits par le temps, par la végétation et par les gens. 

« Tu crois que c'est quoi ? Lançai-je.

— Un hôpital. T'as vu la taille des couloirs ? 

— Pourquoi pas un sanatorium ?

T'es glauque. »

Autrement dit, un établissement médical spécialisé dans les différentes formes de la tuberculose. En gros, glauque car possédant un lourd passé, sûrement hanté (pour les superstitieux), et simplement mal fréquenté la nuit (pour les réalistes). 

« En tous cas, je l'aime bien. Il est comme moi, ajouta-t-il.

— T'essaies d'être dramatique ? T'es quoi, délabré ? »

Il rit, frappa mon bras. 

« Abandonné, un peu. »

Moi aussi, j'aurais été curieux d'en savoir plus sur ce mot à ce moment là, mais je n'ai rien dit. Peur d'être indiscret, ou d'en savoir trop. La tachycardie, c'était déjà bien assez; pas besoin, en plus, de commencer à trop m'attacher. 
Soudainement, il s'arrêta, me lâcha et se mit derrière moi. 

« Tu fais qu— »

Son poids pesant d'un coup sur mon dos a interrompu ma question. Il s'accrocha maladroitement à mon cou et j'attrapai ses jambes du mieux que je le pus tandis qu'il se moquait de moi. 

« Tu pèses une tonne ! »

Il était léger comme une plume.

« Allez, avance ! »

Je continuai de marcher alors, jusqu'à ce que le couloir ne débouche sur l'accueil du bâtiment. Condamnées, les fenêtres ne donnaient plus autant de lumière. Là, il descendit et se dirigea vers deux grandes portes battantes, sombres. 

" HELL "
y était gravé.

Je n'eus pas le temps de le rejoindre qu'il les ouvrait déjà dans un grincement désagréable, traînant des restes de gravier au dessous. Ce fut une grande découverte; il en resta ébahi un instant, puis me communiqua son entrain avant d'y pénétrer joyeusement. Ses petits gloussements de satisfaction étaient presque ridicules, mais j'étais déjà trop amoureux pour me moquer. Pas d'hôpital, ni de sanatorium, mais un théâtre. Il y avait la scène, aux trois quarts recouverte de typiques rideaux rouges à l'aspect si épais qu'il me sembla qu'on s'étoufferait dessous, incapables de s'en extirper. Il y avait les sièges en hauteur qui lui faisaient face, tous en arc de cercle; les plus hauts l'étaient tellement qu'ils nous donnaient le vertige rien qu'à lever la tête pour les observer dans la pénombre de la salle. 

Jimin avait déjà disparu tandis que j'y mettais à peine le pied. D'un coup, je vis les rideaux s'ouvrir lentement, et Jimin apparaître de derrière eux, en plein effort surhumain pour tirer la corde qui les reliait. 

Je m'assis sur la première rangée, pressé d'assister à un spectacle grandiose et, je dois l'avouer, le corps un peu fatigué de tout ce qu'il venait de traverser. 

Il s'inclina sous mes applaudissements et mes acclamations. 

« Mais, doucement ! Quelle lumière brille à cette fenêtre ?
C'est là l'Orient, et Juliette en est le soleil. »

J'explosai de rire, surpris d'entendre qu'il connaissait les répliques de Roméo et Juliette avec autant de précision. 

« Toi, Park Jimin, t'as lu du Shakespeare ? 

— Te fous pas de moi, il sortit de son personnage un court instant pour rétorquer, Yoongi a une option théâtre au lycée, je dois le faire réviser tous les week-ends. Mais, qu'entends-je ? Que vois-je ? Quelle lumière brille à cette fenêtre ? C'est là l'Orient, et Juliette en est le soleil. » Répéta-t-il en appuyant ses mots d'un ton et de gestes incitateurs. Je compris qu'il attendait que je réplique puisque j'avais, contrairement à lui, la tête de quelqu'un qui avait bien lu Shakespeare. 

« Oh, Roméo, Roméo ! Pourquoi es-tu Roméo ? 

— Ah ! Je le savais ! » S'exclama-t-il en constatant que je connaissais. Il prit un air dramatique, posa le dos de sa main contre son front et fit mine de s'effondrer. 

« Pourquoi 'faut toujours que je craque pour des intellos ? Sérieux, ô Juliette, Juliette ! Sauve-moi de ce fléau ! »

Je ne me souvenais pas m'être autant amusé avec quelqu'un un jour; Jimin me faisait rire tout le temps. Je me sentais vivant. 

« Tu crois qu'il y a des loges ?  Demandai-je une fois notre récital fini. 

— Sûrement. »

Il se retourna pour jeter un coup d'œil derrière la scène, puis me regarda à nouveau, l'air de cacher quelque chose. 

« Tu peux venir ?

Pourquoi ?

— Pour rien. »

Je me levai. 

« T'as peur ? »

« Moi, peur ?  Il a pris un air faussement offusqué tandis que j'arrivai jusqu'à lui, jamais. »

Il m'a traîné dans la pénombre d'un autre long chemin derrière la scène, à pas lents. Le silence oppressait nos respirations, et il frôla l'infarctus lorsque mon pied a accidentellement tiré dans une cannette au sol. Il s'était rapproché sur le coup, par peur, puis pour me frapper, 

« T'es con ! »

mais il resta là, tout près, profitant de notre proximité. 

Le couloir déboucha sur des escaliers, et lorsqu'eux débouchèrent sur des loges éclairées par la lumière au dehors, ce fut un soulagement. Mis à part les fantômes, j'étais terrifié qu'on fasse une mauvaise rencontre, surtout avec des personnes alcoolisées et un pseudo concert de rock non loin. 

Des sièges tournants fixaient trois miroirs, miraculeusement en bon état et entourés de nombreuses ampoules éteintes. Certaines d'entre elles étaient brisées, mais apparemment, personne n'avait été tenté de briser son propre reflet. Là, Jimin se pencha vers l'un d'eux, sortant ce qui ressemblait à un marqueur noir, de je-ne-sais quelle poche, et sembla écrire. 

« Qu'est ce que tu fais ? » 

Je le rejoignis, et il s'arrêta. 

JI

Comprenant qu'il s'apprêtait à inscrire son prénom, je le pris le crayon des mains à l'idée qui me traversa l'esprit. 

JIKOOK

« Jikook ? »

Je le regardais. 

« J'aime bien, »
rétorqua-t-il simplement avant de me le reprendre pour conclure; 

JIKOOK WAS HERE


Je me sentis sourire bêtement malgré moi, 
mais soudain de vives voix retentirent dans le couloir.

« Merde, putain, » jura Jimin avant qu'on ne se mette à paniquer. 

Nous sautâmes sur la porte du fond; un autre escalier s'y trouvait. Les voix approchaient, menaçantes.

« Monte ! »

Après avoir monté les escaliers quatre à quatre, une énième porte déboucha sur le toit du théâtre. Une fois refermée derrière nous, je l'assommai d'inquiétudes. 

« T'as fermé la porte de la loge ? 

— Oui. 

— Sûr ? 

— Oui !

— Et celle des escaliers ? 

— On nous a sûrement pas entendus, respire. 

— Mais tu crois que y'avait déjà des gens depuis le début ? On nous a forcément entendus,

— Je sais pas, tais-toi et regarde ! »

Je fus aussitôt prêt à le contredire, mais je captai subitement l'environnement paisible qui nous entourait; de là, on se rendait compte de l'immensité des forêts de sapins aux alentours, les oiseaux qui battaient des ailes pour passer d'un arbre à un autre, la ville au loin, les poteaux électriques, et le silence, surtout. Le ciel orange, les bâtiments commençant à s'éclairer, l'urbanisation si lointaine qu'aucun vrombissement de voiture n'était audible. Il n'y avait personne, pas de brouhaha incessant. 

Jimin s'approcha du muret de protection (qui ne protégeait rien du tout), et l'enjamba pour monter dessus. J'attrapai sa main pendant vers moi rapidement, anxieux de voir l'autre main flottant au dessus du vide. Il se mit à le longer, posant maladroitement un pied devant l'autre comme sur un fil de verre, attentif aux couleurs chaudes de la fin de journée qui se reflétaient dans ses cheveux roses et les teintaient différemment. 

Ma main se resserrait sur la sienne lorsqu'il vacillait, je ne pus pas cacher mon angoisse même en le voulant; il le remarquait, attendri, et finit par revenir plus bas pour s'y asseoir simplement et m'avoir debout, entre ses jambes. Pas possible non plus de cacher ma surprise face à la proximité de nos deux corps : le sien détendu, le mien, crispé à souhait. 

« Alors, surpris ? »
Susurra-t-il, feignant la précaution d'un regard qui disait si je chuchote, les grands méchants des escaliers nous entendrons pas, gros bébé.

Il s'apprêtait à poser les mains près de ma nuque lorsque la porte d'où nous venions s'ouvrit brusquement. 

Le même abruti, accompagné de ses potes, tenait une main sur l'œil que je lui avais amoché, et nous pointait du doigt en hurlant, beuglant des mots incompréhensibles.

À l'autre bout du toit se trouvait une porte semblable. Je fis descendre Jimin du muret et l'entraînai jusqu'à elle, priant de toutes mes forces qu'elle ne soit pas verrouillée. 

Derrière, le groupe courait vers nous par grandes enjambées. 

« Ouvre ! » Cria Jimin, montrant enfin une once d'inquiétude. 

« Toi, ouvre ! » Hurlai-je à mon tour sur la porte qui bloquait. 

J'aurais dû le dire plus tôt; il donna un coup de pied dans son centre, si fort qu'elle céda entre mes mains et claqua violemment contre le mur derrière. Je n'eus pas l'occasion d'en être admiratif : nous dévalâmes les escaliers inverses, traversâmes un autre couloir interminable jusqu'à trouver une fenêtre assez brisée pour s'y faufiler, et lorsqu'enfin nous avons passé la brèche par laquelle nous étions entrés, nous avons continué à courir pendant plusieurs dizaines de mètres, à l'aveugle, mais le plus loin possible. 

Au bout d'un moment, je dus m'arrêter, rattrapé par ma santé bancale;
n'oublions pas que j'avais un cancer et que s'il était invisible aux yeux des autres, les symptômes me rattrapaient inévitablement.

Jimin arrêta de courir en même temps, semblant s'en rappeler. 

À bout de souffle, nos regards se sont croisés, et les nerfs lâchant enfin, nous nous sommes mis à rire, conscients du ridicule de la scène. 

C'est comme ça que la journée s'est terminée.
Le chemin a débouché sur le centre-ville au bout d'une heure de marche, puis sur l'hôpital psychiatrique, au cœur de la sixième rue. 
Il m'a accompagné jusqu'au pied des escaliers.
La nuit, à cette heure, était tombée, avait réveillé les lampadaires criards le long de la rue. 

Un soupir m'a échappé : les portes automatiques m'attendaient, closes, au sommet des escaliers. 

« C'est déjà fini ? »

Ses yeux revenaient à moi, eux aussi attirés par le bâtiment qu'on avait quitté plus tôt dans la journée. 

« On dirait bien. »
A-t-il répondu d'une voix plus douce.

La rue était calme. 
Ses doigts ont pris les miens, et il a un peu reculé jusqu'à s'adosser au lampadaire qui nous éclairait, m'attirant à lui.
Ses lèvres étaient jolies, rebondies, d'un rose plus profond que les miennes, et le souvenir de leur toucher me revenait de cette fois sur le banc. 

« C'est vraiment frustrant, ai-je dit, la voix perturbée par le silence intime qui s'était installé. 

De ? »

Mes yeux revenaient à ses lèvres lorsque je tentais de me concentrer ailleurs. 

En comprenant au bout de quelques secondes, il a légèrement ri, et j'ai fait de même, par mimétisme et parce que je ne m'étais retrouvé que peu de fois dans cette situation pour savoir quoi faire. 
Ses doigts se sont entrelacés aux miens, imposant leur chaleur entre chacune de mes phalanges. 

« Qu'est-ce que t'attends ? »



« J'en sais rien. »


Comme si c'était la première fois. Un instant, ce fut comme s'il tentait de lire en moi, de comprendre la manière dont je fonctionnais, puis il s'est lancé le premier. Son autre main est venue attraper mon haut pour m'attirer plus proche encore, son souffle a retenti avant qu'on ne cède aux lèvres de l'autre. 

Nos gestes, la façon dont nos lèvres se sont éloignées pour mieux de rencontrer une deuxième fois, ses doigts qui se détendaient contre moi participaient à gonfler la chaleur naissante au creux de mon thorax qui, soudain, prenait toute la place, remplissait le vide béant. 

« Je vais me faire tuer, » ai-je fini par dire, sachant pertinemment que j'aurais pu rester là des heures.

Il m'a laissé m'éloigner. 

« Aller, va, » m'ordonna-t-il, le sourire tendre et les gestes de la main qui me chassaient gentiment. 

La mienne sentait encore la chaleur de la sienne. Pendant que je montais les escaliers, il est parti dans le sens inverse, traversant la route vide en plein milieu. Je ne sais pas pourquoi j'ai regretté de ne pas lui avoir demandé de revenir me voir, comme s'il n'était pas certain qu'il le ferait. 

Les portes principales étaient encore ouvertes, puisque les employés qui ne travaillaient pas de nuit quittaient encore l'hôpital autour de ces heures là. L'accueil était vide, heureusement pour moi; j'en ai profité pour me faufiler jusqu'à l'étage, n'ayant pas appréhendé combien les escaliers seraient rudes à monter. 

J'étais épuisé. Ma vision se brouillait comme si je m'étais redressé trop brusquement, le bout de mes doigts fourmillait sur la barre que je tenais, les vertiges tapaient à l'arrière de mes yeux. 

Je n'avais pas ressenti tout ça depuis des mois.

Je devais trouver Moonbyul. 
Sachant qu'elle était de garde cette nuit-là, je n'ai pas été surpris de la croiser en arrivant au premier étage; elle sortait d'une chambre. 

« Noona... ? »
J'ai tenté, penaud. 

En reconnaissant ma voix, la manière dont elle s'est retournée n'a rien trahi; pas une once d'inquiétude, l'air froid. 

« J'ai du travail. »

Noona. »

Elle m'a ignoré, reprenant ce à quoi elle s'attelait avant que je n'arrive. 

« S'il te plaît, »

Elle a disparu dans une chambre vide, draps propres en mains. 
Je me suis accoudé contre le chambranle; quoi qu'au fil des secondes, je m'appuyais complètement pour rester droit et l'observer faire le lit, les gestes animés par la colère. 

« Arrête de m'ignorer. 

— Je te faisais confiance, Jungkook. »

Je n'ai rien répondu.
La culpabilité me mordait la gorge comme un chien. 

« Tu veux que je perde mon travail ? Qui va te couvrir si je ne le fais pas ? 

— Je suis désolé.

— Non, tu ne l'es pas. Tu ne penses qu'à toi tout le temps, tu n'es même pas capable de me respecter et de te contenter du maximum que je peux faire pour toi. »

En l'écoutant parler, mes symptômes se faisaient de plus en plus étouffants. 

« Je suis vraiment désolé. 

— Jungkook. On n'interne pas les gens en hôpital psychiatrique pour rien. Il serait temps que tu arrêtes de te prendre pour ce que tu n'es pas. Tu es là, et tu n'as pas le choix. J'en ai marre de manquer à mes devoirs constamment. Tu agis comme un enfant. »

Je tentai de rétorquer, mais elle reprit aussitôt, cinglante; 

« Non. Garde tes excuses pour aujourd'hui. Tu ne te rends même pas compte que les gens s'inquiètent pour toi pendant que tu te casses je ne sais où, avec je ne sais qui. 

— Noona. Je veux pas... C'est pas

— Écoute, on a tous nos problèmes. »

Je baissai les yeux. 

« J'en ai marre de faire des tiens les miens. Je n'ai plus rien à te dire. »


La dernière chose dont je me souvienne, c'est elle qui change drastiquement d'expression, l'horreur sur son visage, ses mains se ruant vers moi tout à coup et mon corps qui m'échappait. 

Bref, j'ai merdé.





























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