- his lips -
« T'es bien souriant.
— Ah, vraiment ? » Répondis-je à Moonbyul, l'air joyeux grandissant davantage à sa remarque. Nous marchions vers l'hôpital pour rentrer, et j'entourai ses épaules d'un bras affectueux, conscient que mon humeur lui arrachait quelques sourires attendris.
« Et toi, ton après-midi ? »
Réalisant soudain qu'elle en montrait trop, elle soupira du poids de mon bras, feignit l'ennui de me retrouver.
« Pas grand-chose de palpitant. J'ai dû faire la toilette de monsieur Chan juste après avoir mangé. Ça aurait pu être mieux.
— C'est pour ça que j'envisagerais jamais d'être infirmier. »
Nous entrions dans le hall et ralentissions le pas, prêts à nous séparer au prochain croisement.
« T'as rencontré une fille ? Pour être aussi heureux, te connaissant, à part avoir croisé Stephen King sur le trottoir... Mais c'est peu probable. Il est quoi, français, c'est ça ? »
J'ôtai mon bras de sa nuque sur ces mots et m'éloignai, à reculons sans la lâcher des yeux, soucieux de cultiver le mystère qui m'amusait bêtement.
« Il est américain, Moonbyul, et j'ai rencontré Jimin. »
Rétorquai-je avant de partir vers les couloirs.
___
Le lendemain, c'était la routine habituelle. Réveil à neuf heures, petit-déjeuner sans saveur et dose d'antidépresseur. C'était la seule saleté de médicament qu'ils avaient réussi à me faire prendre. Parce qu'apparemment, le cancer rendait dépressif, et que j'avais au moins la décence de ne pas envisager de me laisser mourir avant l'heure.
Il devait être dans les dix heures et j'étais assis sur un banc, au soleil. L'avantage avec cet hôpital c'est qu'il avait un jardin, histoire de ne pas rendre complètement dingues ceux qui l'étaient déjà pratiquement.
Je lisais. Un classique de Stephen King, du vu et revu, mais je lisais. Le temps était agréable, on respirait mieux et au travers des livres que j'aimais, je me perdais ailleurs, j'oubliais qui j'étais et où je me trouvais l'espace d'une journée. Quelques centaines de pages et j'étais quelqu'un d'autre. Du coup, je détestais qu'on m'interrompe pendant ma lecture. Pourtant, je laissais une personne le faire.
« Kookie ! Kookie ! »
Akane.
Une enfant qui avait su garder son innocence et sa clarté, malgré qu'elle soit déjà bouffée par la chimio, par les médicaments, et par le cancer. Chaque jour, elle passait les portes de l'hôpital, visitait sa mère internée. L'autre truc avec le cancer, c'est qu'il a des chances d'être héréditaire. Son premier enfant n'a jamais eu sept ans.
J'avais rencontré Akane quelques mois auparavant; je me perdais dans les couloirs, enragé d'être enfermé ici depuis deux semaines à peine lorsqu'elle s'extirpa soudain d'une chambre, fuyant à toutes jambes.
À l'intérieur, une infirmière s'échinait à maintenir une femme en pleine crise. Mon aide fut la bienvenue pour rattraper l'enfant, et je la trouvai dans le jardin, les pieds dans l'herbe tandis qu'elle essuyait désespérément ses joues trempées. Prudent, je me suis assis à ses côtés, j'ai tenté de lui parler; elle m'ignorait, royalement. C'est en lui parlant de ma maladie que je lui ai arraché quelques mots, parce qu'elle avait déjà ce cancer, elle aussi.
J'avais deviné qu'elle en subissait un; ses cheveux manquaient ici et là, la peau n'avait aucun éclat.
C'était ça.
Akane et moi, on mourrait de la même chose.
Elle a fini par m'accorder sa confiance, et n'a plus jamais passé un seul jour sans me rendre visite, accompagnée de la vieille dame qui prenait soin d'elle depuis que sa mère ne le pouvait plus.
Elle s'assit à mes côtés, les jambes maigres se balançant joyeusement.
« Qu'est-ce que tu lis ? »
Je fermai mon livre, pris soin de noter la dernière page lue pour lui accorder toute mon attention et pinçai ses joues blanches, tourné nonchalamment sur le banc pour lui faire face.
« Rien d'important. Qu'est-ce que tu fais là, chipie ?
— Je t'ai vu. Alors je suis
venue te voir. »
Je m'apprêtais à lui répondre, quand elle me devança.
« Pourquoi tu as encore des cheveux, toi ?»
Je restai sans voix.
Elle, n'en avait plus aucun, depuis.
« Akane, enfin ! Je t'ai déjà dit de rester près de moi.
— Pardon. Je voulais voir Kookie. »
La vieille dame arrivait essoufflée par l'inquiétude, me souriait.
« Bonjour Jungkook.
— Bonjour, Madame Kim. »
Elle me gratifia d'un sourire et paru presque désolée d'emmener Akane qui ne voulait plus me quitter. Comme elle, je la saluai bêtement d'une main agitée jusqu'à ce qu'elles soient trop loin dans le bâtiment pour les apercevoir.
La page suivante de mon livre m'appelait, et je voulus m'y remettre, mais mon téléphone se manifesta dans ma poche de jogging.
Il me fallut un certain temps de réflexion avant de lever la tête et de le trouver un peu plus loin, sur un autre banc, les jambes joliment croisées. J'eus du mal à y croire.
Le cœur légèrement secoué par l'audace dont je venais de faire preuve, j'abandonnai mon livre à nouveau et tentai d'avoir l'air détendu. En devinant qu'il s'approchait, je ne levai pas les yeux, anxieux, et profitai d'avoir gardé la même position que plus tôt pour poser un coude sur le haut du banc.
Il vint prendre la place de Akane, l'air très amusé par la situation.
« Hey,» lança-t-il.
Ses lèvres étaient finement étirées en un sourire qu'on ne s'empêchait pas de regarder.
« Hey, » répétai-je, ne sachant que peu quoi dire ou comment agir. Ses yeux sombres semblaient chercher les miens sans arrêts.
« Qu'est-ce que tu lis ?
— Ça t'intéresse ? Pouffai-je.
— Pourquoi pas ? A-t-il rétorqué, faussement étonné.
— T'as pas l'air de quelqu'un qui aime lire.
— Ok, t'as pas tort. »
J'esquissai un rire.
« J'ai au moins le mérite d'essayer, il ajouta, s'avouant vaincu.
— Bravo.
— Stephen King, c'est ça ? Ça fait très hétéro. »
Un vrai rire m'échappa, cette fois, teinté de surprise.
« Hétéro ?
— Y'a pas un seul perso' homo là-dedans, si ?
— Tu rigoles ? Dayna Jurgens est bi. Et féministe. Et y'en a d'autres. »
Voyant que mon emportement le divertissait, je compris qu'il le faisait exprès.
« Et toi ? Il lança.
— Moi ? »
Il haussa les épaules et replia les jambes contre lui, en tailleur sur le banc, pour complètement me faire face. Jouant avec les bagues à ses doigts en même temps, il semblait réfléchir à ce qu'il s'apprêtait à dire et cherchait réponse sur mes traits, dans mes réactions.
Je ne montrais rien. Ça n'a pas dû l'aider.
Les os de ses mains se tendaient sous la peau claire au fil de ses mouvements, certains anneaux étaient un poil trop larges pour la phalange qu'ils habitaient.
« On peut s'embrasser si tu veux. »
Je ne le connaissais pas. Ce que je savais de lui se résumait à sa couleur de cheveux, son nom, son numéro de téléphone. Même son âge m'était inconnu jusque-là. La désinvolture avec laquelle il venait de proposer l'activité me laissait abasourdi.
« T'es sérieux ? »
Ses épaules se haussèrent encore. Comme si cette possibilité ne se résumait qu'à un essai, quelque chose d'amusant, un moment intéressant de la journée. Un pourquoi pas. Un demain, ce sera sûrement quelqu'un d'autre, c'est toi qui vois.
Non. C'est ce qui m'était venu d'abord; ma vie amoureuse est inexistante depuis des mois et se porte très bien comme ça.
Son manque de sérieux, justement, était intriguant, et tout ce qui m'était intriguant m'était attirant. Dans le sens où à l'époque, il ne me manquait que ça. Rien ne me retenait d'être quelqu'un d'autre au moins une fois, d'essayer, de regretter. On me surprotégeait. Ma mère comme les médecins développaient des efforts effrénés pour m'éloigner de la maladie, et depuis les anti-dépresseurs, c'est de moi-même qu'on me préservait.
« Convaincs-moi, » tentai-je pour regagner de l'assurance, mais l'appréhension me fit presque trembler. Lui, en comparaison, paraissait le plus serein du monde ; son regard ne me fuyait pas, il s'en amusa même :
« T'es pas déjà convaincu ?
— Bah... »
La phrase resta avortée; il leva les yeux au ciel, souriant, sa main s'avança avant même que je ne rétorque quoi que ce soit, vers moi, effleura mon cou pour m'attirer simplement. J'arrêtai de respirer. La peau lisse et douce de ses lèvres rencontra la mienne, et ce fut bref. J'eus à peine le temps de réaliser la chaleur du contact, son souffle contre moi. Il m'embrassa, s'éloigna, rit, et ce fut tout.
« C'est tout ?
— C'est tout.
— Et tu fais ça souvent ? »
Je n'essayais même plus de cacher ma stupéfaction.
« On n'a qu'une vie, non ? Peu importe.
— Ok. C'est quoi ta vie à toi ?
— Ma vie à moi ? »
Devoir aborder le sujet parut l'ennuyer : il posa un coude sur le dossier du banc et soutint son crâne, soupirant à la réflexion. Les sourires disparurent, son regard m'échappa.
« J'ai dix-sept ans, je suis en terminale au lycée Yokan et je déteste mes parents.
— Pourquoi ?
— Des toxicos. Sans intérêt. »
Sa main se faufila jusqu'à la poche de sa veste et en sortit son téléphone. En l'observant, je crus qu'il n'y jetterait qu'un œil, mais il prit le temps de répondre à un message, pianotant inlassablement sur l'écran.
Me faire embrasser puis me sentir si indésirable ensuite n'avait pas été au programme de la journée.
« Gay ? » Lançai-je au compte-gouttes, dans l'espoir de ranimer un peu de vivacité et parce que la question, depuis la veille, me démangeait.
« Je crois que... Je m'en fous un peu.
Si la personne m'attire, j'y vais. C'est tout. »
Il avait lâché son téléphone des yeux entre temps et son attention me revenait, lasse.
« Et toi ?
— Hier, j'étais hétéro. »
Ma réponse lui arracha un rire tandis qu'il troquait son téléphone pour un paquet de cigarettes de la même poche. Le briquet fit crépiter une étincelle, lui permit une première bouffée de tabac avant qu'il me la tende naturellement.
Je la pris, fumai à nouveau.
« Si ma mère savait, elle en mourrait.
— La mienne me dirait de fumer de l'herbe plutôt que du tabac. »
Ça me faisait un bien fou, de parler à quelqu'un d'autre que mon infirmière et les médecins.
« Tu dois t'ennuyer ici.
— Tellement, » répondis-je en lui redonnant la cigarette. À ces mots, j'enlevai mon bras du dossier pour y détendre ma nuque à la place et observer le ciel. Souvent, ça me donnait l'impression de m'évader, d'être partout ailleurs sauf là-bas.
« Un jour, je t'emmènerai avec moi, et on ira baiser dans une voiture garée face à la mer, déclara-t-il.
— C'est quoi ça encore ? Un fantasme ?
— L'un d'eux.
— OK, je retiens, mais je suis pas fan. »
Il sourit, fuma, et on resta là durant de longues minutes, appréciant l'odeur de clope et le calme douteux d'un hôpital psychiatrique que, d'ailleurs, je remerciais intérieurement de ne rien avoir produit de bizarre ou traumatisant le temps qu'il était là. L'espace de quelques instants, ce fut comme si sa simple présence rendait l'endroit un peu moins glauque.
Après, il a dû aller en cours, et est reparti aussi vite qu'il était arrivé. Mon éternelle chambre, à l'étage, ne m'avait pas manqué. Je me suis ennuyé jusqu'à ce que Moonbyul m'annonce l'heure du déjeuner. Autrement dit; la seule chose palpitante de mes journées.
"M'être ennuyé" est un euphémisme : j'essaye d'esquiver l'aveu des centaines de questions qui me sont venues en tête à son sujet.
Est-ce qu'il avait prévu de m'embrasser ?
Est-ce que l'idée lui était venue en me voyant ?
Est-ce qu'il regrettait ?
Est-ce qu'il me trouvait séduisant ?
Ensuite, je me suis dit qu'il y avait des chances pour qu'il soit en train de se poser les mêmes questions que moi.
Ou peut-être pas.
En l'embrassant, je m'étais peut être collé l'étiquette
PLAN CUL
en plein milieu du front.
Ou peut-être qu'il s'agissait exactement de son intention.
Bref, je n'en savais rien, et pour couronner le tout je n'étais pas sûr de regretter de l'avoir fait.
En descendant, je constatai que les grandes portes du réfectoire étaient encore fermées, mais la plupart des résidents qui ne mangeaient pas dans leur chambre attendaient déjà en file désordonnée. Je m'y rangeai, comme toujours, et sortis mon téléphone avec l'espoir de passer le temps.
L'écran déverrouillé dévoila la conversation avec Jimin plus tôt, que je n'avais pas quittée. J'ai tenté de la relancer;
Une fois envoyé, je le verrouillai à nouveau, pris par l'anxiété de ne jamais recevoir de réponse, ou pire. Je le rangeai alors, et à défaut de trouver autre chose; reportai mon attention sur le réfectoire qui, à mon plus grand malheur, n'avait toujours pas ouvert ses portes. La sensation omniprésente d'attendre, à longueur de journée, que quelque chose se passe, s'avérait d'autant plus destructrice l'estomac vide.
« On va encore attendre trois jours. »
Le gars derrière moi venait de parler.
Un grand brun, adossé au mur, l'air aussi las que moi. En esquissant un rire pour montrer mon intérêt, je m'adossai au même :
« C'est ça. »
Ma réponse sembla le surprendre une seconde, comme s'il s'était attendu à n'en recevoir aucune.
« Tout ça pour nous resservir le même plat qu'y'a deux jours, » renchérit-il.
Je soupirai, m'avouant que c'était souvent le cas.
« Tout ça pour que les premiers arrivés soient les seuls à avoir un plat chaud, » ajoutai-je.
Il se pencha pour tenter d'apercevoir les premiers arrivés en question, au plus près des portes.
« Tu crois qu'ils mettent un réveil pour être piles à l'heure ? Demanda-t-il.
— Ou qu'ils arrivent une heure en avance.
— Ils mettent un réveil une heure en avance. Sérieux, j'crois que la vieille hystérique est là dès huit heures. »
Mon rire entraîna le sien.
Cette vieille femme était l'icône des premiers arrivés, qu'on jalousait. On l'appelait la vieille folle, la vieille hystérique; par tout un tas de surnoms puérils que nous trouvions ou entendions des autres.
Pour notre défense, elle l'était tout simplement.
Je me souviens de la fois où elle a tenté de me frapper avec sa canne lorsque je passais dans le couloir où elle résidait, persuadée que je l'espionnais.
« Moi c'est Taehyung, du coup, »
Me dit-il alors qu'il me tendait une main. Ses cheveux étaient un peu en bataille, ses yeux fatigués mais les traits de son visages restaient beaux, structurés.
Je la serrai de la mienne et répondis,
« Jungkook. »
Là, enfin, les portes du réfectoire s'ouvrirent, et la file se mut soudain, prise d'un élan énergétique. Taehyung et moi avancions côte à côte.
« Pourquoi t'es là ? »
Lui demandai-je, curieux.
« Schizophrène et toi ?
— Cancéreux. »
Il pouffa
« Qu'est ce que tu fous dans un hôpital psychiatrique ?
— Je refuse les traitements, et je suis dépressif, apparement.
— Quelle vie de merde. »
Entre temps, nous étions entrés et avions pris un plateau chacun, toujours embrigadés dans la queue désordonnée, traînante. Le réfectoire ressemblait à une cantine de lycée, en moins blindé.
« Putain, j'y crois pas. »
En voyant Taehyung regarder plus loin, je fis de même.
« Encore purée carottes.
— Attends, j'ai un truc, »
dis-je alors que nous arrivions face à une cuisinière qui remplissait brutalement nos plateaux.
« Excusez moi, Moonbyul est là ?
— Ah! Désolé mon grand, pas de sel aujourd'hui. »
La déception dut se lire sur mon visage, puisque Taehyung se mit à rire à mes côtés tandis qu'elle me servait une assiette pleine de carotte fades, coupées en rondelles.
Finalement, nous nous installâmes sur l'une des tables les plus isolées et les plus au calme, dans un petit coin où la plupart des vieux se regroupait. Face à mon plateau, je soupirai à nouveau.
« Je vais vraiment finir par tomber en dépression. Donnez-moi McDo.
— Ou un Kebab,
il ajouta.
— Quelque chose de gras, et du coca.
— Le rêve. »
Nous commencions à manger quand un mouvement près des portes attira notre attention.
Certaines personnes traînaient en bandes, toujours ensemble, et dérangeaient tout le monde. Ce groupe là posait problème depuis quelques semaines; en plus d'être arrogants, ils étaient toxicos, et les toxicos étaient mal vus. À mon arrivée, j'étais sidéré de voir de tels comportements sociaux émerger jusqu'à la discrimination, la rébellion, si bien qu'y assister comme ce midi là m'avait longtemps dissuadé de tenter de me lier d'amitié avec qui que ce soit. Manque de chance pour moi ; dans cet hôpital, les infos faisaient rapidement le tour de toutes les oreilles. Dès mon deuxième jour, les trois quarts des résidents savaient qu'un cancéreux venait d'arriver. La nouvelle les émoustillait; allait-il mourir là ? Était-il chauve comme un genou ?
Tenait-il encore au moins debout ?
Voilà.
Je ne m'étais pas vraiment fait d'amis.
« Ces gars sont pathétiques, »
dit Taehyung avant d'avaler une rondelle de carotte.
« On est d'accord. »
Je continuai à manger sans grand intérêt pour ma nourriture, et pris mon téléphone.
J'avais un message de Jimin.
Je souris, bêtement.
En posant mon téléphone sur la table, je pris le temps d'avaler une fourchette de carottes, mais la réponse arriva d'emblée.
J'aurais pu relire le message des tas de fois tant il me faisait ressentir quelque chose de nouveau.
♢
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