- acoustic -

Je me réveillai dans une chambre d'hôpital. 

À choisir, j'aurais préféré le psychiatrique. 

Les alentours s'éclaircissaient durement; les néons au plafond brûlaient mes rétines. Peu à peu, je découvrais le tas de machines reliées à moi, le bruit incessant de leur fonctionnement. 
Mes vertiges revinrent rapidement; ma tête était lourde, et j'eus l'impression de devoir soutenir mon front en me redressant tant la migraine pulsait. Mes antidépresseurs baissaient déjà ma tension, mais ma vue, brouillée à chaque mouvement trop brusque, acheva de me faire comprendre qu'elle n'était plus à un niveau tolérable. 

Ma mère patientait sur une chaise près de la porte fermée, les mains nerveuses sur le sac à main qu'elle tenait sur ses genoux. Marron, en cuir; encore un différent de la dernière fois. Ses traits étaient tirés par l'inquiétude. Lorsqu'elle réalisa que j'étais réveillé, elle se leva précipitamment pour m'approcher. 

« Jungkook ? Comment tu te sens ? »

Je mentis. 

« Ça va. »

Je massai mes tempes du mieux que je le pouvais dans l'espoir de pouvoir ouvrir les yeux sans les perdre aussitôt ouverts. Ma mère eut un élan qui la poussa à s'asseoir sur le bord de mon lit, mais se ravisa et, à la place, dressa sa chaise plus près. 

« Leur lumière m'arrache les globes, putain. Ils aveuglent les gens qui meurent comme ça, aussi ? Pestai-je, je préfère encore crever dans le noir la gueule ouverte. 

Jungkook... 

— C'est grave ? »

Elle prit un air angoissé, parla avec un ton angoissé, même ses gestes étaient plus hésitants. 

« Ton corps n'a pas supporté la fatigue. Ce qui est grave, c'est que tu ne prennes pas soin de toi.

— Quand est-ce que je pourrais sortir ?

— S'il te plaît. 

— Jungkook...

— Est-ce que je vais mourir ? 

— Oh, pitié, » elle acheva avec désespoir; converser avec moi semblait la fatiguer et la briser au plus haut point. 

Je soupirai.
L'angoisse (la mienne, et la sienne) me serrait la gorge.

« Pitié, pas de monologue.

— Je me suis inquiétée pour toi, avoua-t-elle, la voix suppliante.

— Pas besoin, je vais bien. »

Notre relation se détériorait depuis des années. Je n'avais plus l'énergie ni l'envie de m'investir dans quoi que ce soit.  À côté de ça, malgré le caractère inquiétant de mon évanouissement, il s'expliquait par le chaos de la veille et, de toute façon, les moments de fatigue n'étaient pas rares chez moi : environ tous les trois mois, un épisode plus ou moins similaire tombait. Il n'y avait pas de quoi s'alarmer. 

« On m'a expliqué ce que tu as fait hier. »

Je ravalai mon impulsivité, et gardai pour moi mes rhétoriques d'adolescent belliqueux. Voyant que je ne parlerais pas, elle ajouta, résolue :

« Ton infirmière est dehors. Moonbyul, c'est ça ?

— Ouais. 

— Je te laisse avec elle. »

Les sangles de son sac à main tintèrent alors qu'elle se levait, le remettait sur son épaule par des gestes maladroits en sortant. La seconde d'après, Moonbyul entrait, les bras fermement croisés contre elle. Sans que je ne force l'air suppliant, me voir lui arracha un sourire malgré elle. 

« Comment tu te sens ? Avança-t-elle en s'asseyant sur le bord du lit.

— Fatigué.

— C'est qui, ce gars ? Walker Texas Ranger ? Le mec de Man Versus Wild ? »

Nous nous mîmes à rire. 

« C'est tout comme. »

Après un court instant de tombées de regards, de lèvres pincées et de sourires attristés, elle aborda le sujet. 

« Pour hier...

— Je suis vraiment désolé.

— Je le suis aussi. Pour ce que j'ai dit et... Et tout ça, enfin, tu vois. 

— Je le méritais.

— Ouais, c'est vrai. »

L'aveu dissipa assez la mélancolie pour qu'elle rebondisse; 

« T'as encore rejeté ta pauvre mère ?

— Ah, pitié, me parle pas de ça.

— Elle s'inquiète, Jungkook. 

— Elle s'inquiète, elle s'inquiète; ça rend pas tout ce qu'elle fait louable ou compréhensible. 

— J'ai pas dit ça.

— Elle m'a enfermé dans un hôpital psychiatrique

Justement, abruti. On met les gens là-bas pour les protéger d'eux-mêmes. 

— Qu'on me protège de la mort, ce sera déjà plus productif. »

Elle soupira face à ma mauvaise foi. 

« C'est l'hôpital qui se fout de la charité.

— Bien joué, lançai-je, la félicitant du jeu de mots. 

— Je te déteste. » 

J'eus le dernier mot. Ça ne me conforta qu'un instant; mon attention revint aux fils pendant de mon bras gauche, dont le poids tiraillait affreusement le cathéter mal planté au creux de mon coude. 

« Tu sais quand je pourrais sortir ?

— Un médecin va bientôt venir t'ausculter, il te le dira lui-même.

— Fais-moi sortir de là, » mes émotions parlèrent, et ma voix se brisa, achevant de me faire me sentir comme un enfant. 

« Je sais. »

Je reposai mon front contre ma paume à nouveau, mais cachai mes yeux cette fois, dans l'espoir d'oublier un instant où je me trouvais. Je devinai mon cœur tiraillé par l'angoisse, les sens excessivement en alerte pour ce dont il s'agissait réellement. 

« Hé, Jungkook, »

Je sentis ses mains prendre la mienne, l'écarter de mon visage. 

« Regarde moi. »

Je me trouvai tiraillé par autre chose, du coup; la honte qu'on me voit dans cet état. 

« Je ne vais pas te laisser ici. Ok ? »
Son regard cherchait le mien pour l'appuyer. 

« Promis. Même si je dois te faire t'évader pendant la nuit. »

J'acquiesçai. 
Sa main ne lâcha pas la mienne durant un long moment quand, soudain, je pensai à mon téléphone.
Enfin, surtout à Jimin.

Je fouillai mes poches :
vides.

À la recherche d'une potentielle table de chevet sur les côtés, je m'agitai, mais rien dessus non plus, à part le sien. En la regardant, je vis qu'elle me le tendait avec lassitude de voir que l'anxiété me prenait à ce point pour une chose matérielle. 

« T'es la meilleure. 

— C'est ça qu'il te faut pour que tu t'en rendes compte ?! »



Toutes les inquiétudes ne m'inspiraient pas que de l'ennui, finalement. 

Je souris, devinant que les trois quarts de l'hôpital devaient déjà être au courant, et je lui répondis que j'allais bien, en ne manquant pas de l'insulter au passage. 

C'est en voyant que mon téléphone était chargé à trente-six pourcents que je me rendis compte que c'était anormal. À défaut de me souvenir de mon évanouissement, je me rappelai qu'il n'en avait qu'une quinzaine lorsque je l'avais lâchement éteint avant le concert, la veille.  

« J'ai eu le temps de le charger en arrivant ce matin. Après j'en avais besoin. Trente pourcents, c'est mieux que rien. »

Le sien était branché sur ma table de chevet, à ma prise murale d'hôpital, le fil entremêlé avec les autres. 

« Merci. »

Puis elle se souvint de quelque chose.

« Oh, c'est vrai, Akane était là, hier.

— Akane ? 

— Elle t'a attendu toute la journée.

— Mais...

— Quand on est rentrés, avant que tu t'en ailles, elle pensait te voir avant de s'en aller.
Elle s'inquiète beaucoup pour toi, la mamie appelle depuis sept-heures pour avoir de tes nouvelles. »

La culpabilité m'étreignit la poitrine à imaginer l'enfant m'attendre joyeusement pendant que je partais avec Jimin, mais on ne me laissa pas seul avec mes émois bien longtemps; Monsieur Han frappait à la porte l'instant d'après, un calepin entre les mains. Ses salutations furent trop cordiales alors que Moonbyul s'extirpait de la pièce, et je dus abandonner mon téléphone. De toute façon, je n'avais pas de message de Jimin. 

Monsieur Han n'avait rien à voir avec Monsieur Hwang, mon psychiatre. Physiquement, en tous cas (les deux m'ennuyaient tout autant). Monsieur Han était beaucoup plus jeune, dans la trentaine, à peine fatigué par le métier lorsqu'il m'auscultait sous tous les angles. Je le soupçonnai de se droguer aux cafés. 

Son passage me parut interminable. Arrivé au bout du calvaire, il me donna la permission de retourner à l'hôpital psychiatrique. Je n'avais rien de plus que ce qu'a un cancéreux de mon genre; de la fièvre, une "faible augmentation de la proportion de globules blancs anormaux dans le sang et dans la moelle osseuse, attends-toi à une nouvelle prise de sang". Je le remerciai, pour je-ne-sais-quoi, et le libérai pour discuter avec ma mère. 

Je sautai sur mon téléphone aussitôt, les doigts en suspend sur la conversation avec Jimin.  

Salut ? Trop banal.

Hello ? Pire.

Holà guapa ?

J'en finis affligé de mon incapacité à sociabiliser.







« Salut, »

Sa voix m'arracha un sourire débile. 

« Hey. »

Il souffla la fumée de sa cigarette avant de poursuivre. 

« Comment tu vas ?

— Ça va. 

— Vraiment ?

— Pourquoi ?

— Je l'entends à ta voix. »

J'en restai bouche-bée un instant. Lui non plus n'avait pas l'air aussi vivace que d'habitude.

« Tu m'as fait traverser l'Atlantique hier, tu te souviens ? On s'en remet pas en une nuit. »

Ma répartie le fit rire légèrement, puis il enchaîna; 

« Je voulais te demander un truc.

— Vas-y. 

 — C'est un peu con...

— Con ? »

J'entendis la fumée se faire inspirer. 

« J'ai envie de te voir. 

 C'est pas une demande, ça. 

 — Excellent, calembour. 

 — Merci. »

Les souvenirs de la veille revenaient peu à peu. En y réfléchissant, nous ne nous étions jamais rejoints nulle part, nous n'avions jamais rien prévu jusque-là, puisqu'il aimait apparaître n'importe où, n'importe quand. 

« Mec, ça sonne ! » Retentit une voix lointaine dans le combiné. 

Il rétorqua qu'il arrivait, la voix durcie par l'agacement. 

« Du coup, t'as... Je sais pas, t'as le droit aux visites, aujourd'hui ?
Ajouta-t-il, et il nous sembla étrange à tous les deux de réaliser qu'il me visiterait comme on visite un malade à son chevet. 

Tu viendrais même si c'était pas le cas, non ?

— Tu vois, t'apprends vite. 

— À tout à l'heure, » rétorquai-je, souriant et prenant soin d'ignorer sa remarque pour ne pas lui donner trop de mérite avant de raccrocher. 

Moonbyul entra au même moment. 

« T'attends quoi pour partir d'ici en courant ? 

— Rien, dis-je, béat.  

C'est pour moi ce sourire ?

— Évidemment. »


La fin de la matinée passa bien plus rapidement, et retrouver l'hôpital me fit un bien considérable. Même les regards noirs des personnes âgées me ravitaillaient; celui de notre vieille hystérique me gonfla le cœur de joie. 

« J'ai cru que t'étais déjà mort. Je me sentais si seul, t'imagines pas, » me confia Taehyung que je rejoignais, éternellement assis devant les portes du réfectoire en tête de file, fier de son stratagème anti-vieux. 

« T'aurais eu les voix dans ta tête.

— J'y aurais pas pensé, à celle-là. » 

L'humour noir, parfois, rattrape une situation comme une vie toute entière. Entre nous, c'était devenu coutume avec un naturel ahurissant. Ça nous amusait, ça passait le temps. Ce jour-là, ce ne fut rien d'extraordinaire; poulet, pommes de terre. On ne s'en est pas plaint. J'avais le sentiment que rien n'entacherait ma soudaine gaieté. Cette allégresse pour la vie, comme si je ne maudissais pas la Terre entière trois heures plus tôt; c'était si rare chez moi et pourtant, je fus persuadé qu'il en avait toujours été ainsi. J'étais revenu à l'hôpital psy comme on venait à la vie. 

L'impression s'intensifia en allant chercher Jimin à l'entrée qui, tout à coup, n'osait plus aller et venir comme chez lui. La dame de l'accueil, se souvenant de lui, le salua d'un sourire sincère. 

« C'est que tu commences à vraiment être populaire. »

C'est lui qui préféra qu'on monte jusqu'à ma chambre, curieux de la découvrir, et parce que les passages affluaient dans les couloirs à cette heure de la journée. En lui ouvrant la porte, je le traitai à nouveau comme une dame noble et lui proposai d'entrer en lui présentant l'espace clos d'une main. 

« Mon palais. Ma demeure. »

Son regard en fit vite le tour. 

« J'adore. »

Je laissai la porte se fermer d'elle-même pendant qu'il ôtai sa paire de Dr Martens, et j'ajoutai;

« Tu sais ce qui manque ? 

— Quoi ? 

— Des guirlandes de lumières. »

Le clin d'œil à son aveu de la veille lui plut. Là, il se mit à découvrir le peu de meubles autour de lui tandis que je m'asseyais sur le bord de mon lit pour lui laisser champ libre, et parce que je ne savais pas quoi faire d'autre. Jamais une personne que j'avais embrassée n'était venue dans ce lieu de vie-là. 

Il n'y avait rien à détailler. Un lit, d'une personne, mon ordinateur dessus, le reflet de l'unique fenêtre se reflétant dessus... Une petite table, une chaise; à ce moment-là, je me demandai ce qui la différenciait de la chambre d'hôpital que j'avais tant détesté le matin même. J'avais eu le droit à une armoire, faite en bois sombre : elle abritait plus de livres que de vêtements. 
(Et j'en mettais à peine la moitié)

D'ailleurs, j'avais enfilé un jean. Mon psychiatre, s'il avait été là, aurait remercié le bon Dieu, souligné l'information trois fois sur son calepin, rajouté six points d'exclamation. 

« Je peux ? »
En sortant de mes pensées, je le vis poser une main sur l'armoire en question. Pris de pitié pour son ennui, j'acceptai. 

« Oh, »

Sous les vêtements suspendus, appuyée contre le fond, j'y rangeais une guitare, aussi. Souvent j'oubliais qu'elle reposait là, et ça m'arrangeait. Il y a des choses qu'on préfère ignorer. 

« Tu sais en jouer ? »

Il l'extirpa des vestes pendantes et j'eus l'impression de la redécouvrir dans sa banalité. Le bois clair et mat, la poussière, le sticker stupide de Goldorak sur la caisse, à moitié effacé par le temps.

« Pas vraiment. »

Il vint s'asseoir à mes côtés et me l'imposa dans les bras. 

« Ne mens pas. 

— Mais,

— S'il te plaît. J'adorerais. »

Je repensai à son manque de vivacité au téléphone, à quel point, lui, la veille, avait rendu ma vie moins ennuyante, et je cédai. L'entrain le secoua à nouveau, impatient, et je baissai les yeux sur l'instrument. J'avais déjà le sentiment de la tenir étrangement, que mon corps, à l'opposé du sien, se plaçait maladroitement, que mes bras tenait ça comme on tient un carton trop grand. 

Lorsque j'osai gratter les cordes en appuyant un accord hasardeux, le son cacophonique qu'elles produisirent fronça mes sourcils davantage; les cordes n'étaient plus accordées depuis des lustres, et il se sentit aussi bête que moi de ne pas y avoir pensé. 

« Elle est là dedans depuis combien de temps ? 

— Dans cette armoire ?

— Dans n'importe quelle armoire ? 

— Des années, avouai-je en riant, laisse-moi deux minutes. »

Savoir à peu près l'accorder devant lui me redonna un peu de contenance; je m'y connaissais assez pour ne pas me ridiculiser. Il écouta chaque corde progressivement se rapprocher du bon ton avec attention, et s'y intéressa en silence, semblant ravaler ses questions pour ne pas me déranger. 

« Bon. 

— Je t'écoute,  dit-il en se mettant en tailleur, comme s'il ne m'écoutait pas depuis cinq minutes. 

— C'est stressant. »

Il rit légèrement. L'atmosphère devenait plus intime au fil des secondes. 

« Je t'intimide ?

— Non. »





« Bon, ok, carrément, craquai-je.

Comment je peux te mettre à l'aise ? »

Sa présence à elle seule dans ma chambre me déstabilisait au plus haut point, et je fus surpris de comprendre qu'il ne le voyait même pas. 

Il soupira face au manque de réponse, amusé, et ferma simplement les yeux. 

Je pris une profonde inspiration. "Photograph" de Ed Sheeran était la seule musique que j'étais capable de jouer en entier, mais je ne l'avais pas pratiquée depuis des années, et je n'avais pas assez confiance en ma mémoire pour être sûr de moi. 

Je tentai les premières notes, surpris de l'efficacité de la mémoire musculaire; mes doigts l'avaient tant exercée à répétition que je n'avais pas à y réfléchir, jusqu'à ce que l'un d'eux n'aille sur la mauvaise corde. Je m'arrêtai, et recommençai, n'osant plus lever les yeux vers lui. 

Il a peut-être ouvert les siens, ce jour-là, mais j'ai cessé de me sentir maladroit, ou d'en être honteux quand je l'étais vraiment. Sans la jouer jusqu'au bout, je m'arrêtai après le premier refrain, satisfait du peu de fois où une corde m'avait échappé ou avait trop grésillé. 

En le regardant enfin, je m'étais attendu à ce qu'il blague, qu'il tente bêtement de détendre l'atmosphère, ou au moins qu'il me dise quelque chose, mais il a baissé la tête, un fin sourire dessiné sur les lèvres. 

« Quoi ?

— Rien. J'aime beaucoup cette musique. »

Je l'observai jouer avec le bracelet en argent sur son poignet, l'air ailleurs un instant, mais il ajouta aussitôt, brisant le silence qui s'était lourdement installé. 

« Et puis c'est triste à mourir, t'aurais pas pu me jouer Bamboléo ? »

J'éclatai de rire. 

« C'est ça que t'appelles ne pas en jouer ? Il ajouta. 

— On est loin du prodige, faut être honnête, 

Tu veux que je te montre ce que c'est de ne pas savoir en faire ? »

L'euphorie du moment nous fit du bien à tous les deux; il sembla reprendre la gaieté que je lui connaissais, jusqu'à ce que ses yeux se posent sur mon poignet, et que son sourire ne s'affaisse doucement. Sa main prit la mienne, touchant du bout des doigts le bracelet d'hôpital que j'avais oublié d'enlever en rentrant. 

« Jungkook.

— C'est rien.

— Tu m'as dit que ça allait.

— C'est la vérité. »

Sa main ne lâchait pas mon poignet. L'inquiétude sur ses traits me tordait le ventre. 

L'étiquette "PLAN CUL" s'estompait des possibilités que je m'étais évoquées plus tôt. On s'appréciait, on s'attirait, on sautait dans des trains ensemble, on s'embrassait trop pour ne pas se poser de questions et là, il s'inquiétait, tenait ma main, me regardait tristement. Qu'était-on, exactement ? Pourquoi lui poser la question semblait tant être une mauvaise idée ? Je me souvins que les questions directes l'ennuyaient, de son désintérêt total la dernière fois sur le banc... 

L'introspection me fut refusée tout à coup; de vives voix retentirent dans le couloir. 

« Calmez-vous

—  Ne me touchez pas ! »

La deuxième voix trancha l'air, nous fit sursauter tant elle avait secoué l'étage tout entier. 

C'était celle de Taehyung.
Nous nous regardâmes une seconde, et je laissai ma guitare sur le lit aussitôt. Dans le couloir, une infirmière tentait désespérément de lui faire entendre raison. Taehyung ne se calmait pas; il se braquait, il avait l'air terrifié. Elle lui parlait avec douceur et n'osait même pas le toucher. Je m'avançai. Il paniqua davantage, recula comme une proie qu'on traquait. 

« Hé, Taehyung, c'est moi. »

Je voulus attraper ses bras crispés, mais il les éloigna brusquement; ses yeux enragés observaient les miens, et plus les secondes passaient, plus je réalisais qu'il n'avait pas l'air d'être là. D'avoir le regard concentré sur plus loin en moi, comme s'il ne me reconnaissait pas. 

Soudain, il se souvint que l'infirmière était toujours là, sur ma droite; la vue de son visage lui semblait insupportable; il tenta de fuir, ferma fortement les yeux en les frottant de ses paumes, et on le laissa s'en aller. C'est à ce moment là que je remarquai le nombre de résidents cachés derrière leurs portes de chambre, entrouvertes pour assister au spectacle. 

La colère me nouait la gorge. L'infirmière me remerciait, m'expliquait;

« Je ne comprends pas ce qui lui arrive.
Encore ce matin il avait l'air d'aller bien. »

Je ne le savais pas non plus.
Petit à petit, les patients retournaient dans leurs chambres, l'infirmière, remuée, a repris son service tant bien que mal et je me rendais compte que mes mains tremblaient. 
Jimin m'observait depuis le chambranle de ma chambre, les bras croisés contre son torse.

Sans attendre que je revienne ou que le couloir ne se vide totalement, il s'avança vers moi, et me prit dans ses bras. Aussi affectueux que je pouvais être avec Moonbyul, la façon dont il entoura ma nuque et me blottit contre lui me troubla, si bien qu'il me fallut un instant pour répondre à son geste, un peu gauche; comme on enlace quelqu'un que l'on a pas touché depuis des années.  

Je n'ai pas pu faire autre chose que m'inquiéter pour Taehyung le reste de la journée. Jimin est parti peu de temps après, ma chambre m'a filé le cafard toute l'après-midi. Même Stephen King n'a pas réussi à m'en faire m'en évader. 

Taehyung n'était pas au réfectoire le soir. 
La solitude n'était pas un élément nouveau de mon quotidien; c'est pour ça que je m'étais persuadé que ça ne me gênait pas plus que ça qu'elle revienne tout à coup. Après tout, avant de rencontrer Taehyung, je mangeais seul, et je n'en étais jamais mort. 

L'obscurité de ma chambre m'a accueilli après le repas, et ma routine me tendait les bras; elle s'était enracinée pendant des mois, n'avait plus aucune raison de partir. Mais, chamboulée par Jimin récemment, elle devenait bien plus lourde en revenant, comme une chute; comme on tombe d'un immeuble de vingt étages.

Sous la lumière de ma lampe de chevet, j'arrachai finalement mon bracelet d'identification. Jimin avait laissé ma guitare reposer sur le mur du fond, à côté de ma poubelle de chambre et en allant le jeter, je fus forcé de me souvenir de la raison pour laquelle je ne la sortais jamais de mes placards. 

Elle me rappelait mon père. 








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