Chapitre 38 : Inattendus
- J'ai l'impression qu'il y a quelque chose qui cloche ici, et je n'ai pas envie d'attendre que ça nous tombe dessus pour comprendre ce que c'est.
- Attends... Quoi ?
Alyssa s'était déjà remise en marche mais je m'empressais de la rattraper.
- Comment ça, quelque chose, qui cloche ? Comment le sais-tu ? demandai-je, voulant comprendre.
- Regarde les Nains. Ils sont renfermés, ils cachent leurs objets de valeur et ils échangent des murmures dans les ruelles.
- Mais... Est-ce que ce n'est pas juste... Normal, dans un endroit comme celui-ci ?
- Non. La pauvreté seule ne conduit pas à ce stade de méfiance et de peur quand elle est habituelle. D'habitude, les gens sont solidaires, au moins entre familles. Je n'ai vu personne s'étreindre, se reconnaitre ou se partager une boisson depuis qu'on est arrivé, c'est mauvais signe. Il se passe quelque chose.
- Eh bien, c'est plutôt rassurant, dis-je avec un frisson. Alors, on va où ?
- Au siège de l'Assemblée. De toute façon, c'est là que nous devons nous rendre pour notre mission.
- À ton avis, que se passe-t-il ?
- Je ne sais pas. C'est bien ce qui m'inquiète.
Je vis soudain une trainée verte passer dans mon champ de vision, avant de voir Sistyle se poser sur l'épaule d'Alyssa. Pour être honnête, j'avais presque oublié qu'elle voyageait avec nous, vu tout ce qu'il s'était passé entre temps. La fée chuchota quelques mots à l'oreille de la jeune femme, qui acquiesça d'un air étonné.
- Tu as raison, c'est une bonne idée.
Vylon avait l'air de savoir de quoi elle parlait puisqu'il posa la main sur son bras en disant :
- Laisse moi faire.
Alyssa fronça les sourcils, mais ne dit rien. L'ambiance avait tout à coup changée dans notre groupe, et ce qui était une gentille découverte de la cité s'était transformée en une marche inquiétée. L'elfe se tourna vers une Naine qui tenait un étal de fruits et lui demanda :
- Bonjour. Nous avons comme l'impression qu'il s'est passé quelque chose que nous devrions savoir ici... Vous pourriez me renseigner ?
- Vous voulez des fruits ? demanda-t-elle durement.
- Euh... non, un renseignement plutôt.
- Y a rien qui est gratuit ici. Et puis vous êtes d'ailleurs, vous devriez pas être à Bortomir. C'est pas un endroit pour les étrangers.
- Mais pourquoi ?
- Partez au lieu de poser des questions.
Vylon se trouva démuni face à ce refus, et s'apprêta à balbutier quelque chose. Ce fut à ce moment-là qu'Alyssa, qui avait levé les yeux au ciel et secoué la tête, prit le relais.
- Écoute, je crois que mon ami est trop gentil pour cette cité. Ce n'est pas mon cas. Alors dépêche-toi de me dire ce que je veux entendre avant que je ne perde patience.
- Comme j'ai dit, y a rien qui est gratuit ici.
- Un trisse après le renseignement.
- La succession s'est pas faite comme prévue. Le prochain Arktos qui devait diriger s'est fait usurpé. Les Tornis ont pris le contrôle. À moins que ce soit les Ritfer. On n'est pas sûrs. En tout cas, ces emmerdeurs d'Arktos ont dégagé, moi j'en demande pas plus.
La Naine avait craché par terre au nom d'Arktos, comme si son mépris ne pouvait pas être contenu plus longtemps.
- Maintenant payez moi.
Alyssa lui tendit une pièce et se détourna immédiatement. Elle recommença à marcher à longs pas en secouant la tête. En l'observant, je la vis serrer les mâchoires. Ça ne sentait pas bon du tout, toute cette histoire. Mais alors pas bon du tout.
Vylon jeta un regard inquiet à Miléna qui plissa les yeux, confirmant mon pressentiment. Anticipant qu'Alyssa ne répondrait à mes questions que par monosyllabes, si j'avais de la chance, je me tournais vers Vylon, incapable de réprimer mon envie de savoir plus longtemps.
- Qu'est-ce que ça veut dire, tout ça ?
- Et qui sont les Arktos, les Rifter et les Tournis ? renchérit Théo.
- Les Ritfer et les Tornis. Ce sont trois des cinq grandes familles de Nains, répondit-il sombrement. Il y a aussi les Grist et les Oplar. Alyssa vous a parlé de la succession qui devait avoir lieu ?
Nous acquiesçâmes tous deux.
- Eh bien apparemment, ça ne s'est pas passé comme d'habitude. Les dirigeants sont des Arktos depuis vingt générations au moins. Mais cette fois-ci, les autres familles n'ont pas acceptées qu'ils continuent à garder le pouvoir... Si je devais faire une supposition, je dirais que leur autorité s'étiolait depuis un bout de temps déjà, et que la crise actuelle a été la goutte de trop.
- Mais je croyais que le dirigeant n'avait presque qu'une valeur symbolique ?
- C'est vrai. Ou du moins c'était vrai. Qui sait ce qui va se produire maintenant que tout a changé ? Les quatre autres familles vont se battre jusqu'au sang pour obtenir le droit de diriger les Nains. Et ça ne se fera pas dans le calme et la diplomatie. À mon avis, nous sommes au début de quelque chose qui pourrait se transformer en véritable guerre civile.
- Et dire qu'Alyssa pensait que ce serait simplement une petite dispute entre deux candidats...
- De toute évidence, elle avait tort, trancha Théo. Et arriver au milieu de ce bordel ne va pas te faciliter les choses, ma pauvre. Une étincelle suffira pour mettre le feu aux poudres.
Je soupirais, espérant que les choses soient moins compliquées qu'elles n'y paraissaient. Sans trop y croire.
Nous continuâmes notre déambulation à travers la cité, mais l'ambiance avait changé. Alors qu'un instant plus tôt nous découvrions la cité d'un oeil émerveillé, nous jetions à présent des regards soupçonneux et inquiets un peu partout. Alyssa finit par tourner à gauche pour nous extirper d'une ruelle, et il apparut. Ce bâtiment détonnant de grandeur et de faste dans cet étalage de pauvreté et de misère. Une large coupole dorée surplombait ce qu'on aurait presque pu appeler un palais, et devant nous s'étalait une longue colonnade qui me fit immédiatement penser à des temples antiques.
- Qu'est-ce que... souffla Théo à côté de moi.
La vision était en effet réellement saisissante, et renforcée par le contraste avec l'endroit dont nous venions de sortir. Et la richesse de l'édifice n'était pas la seule chose surprenante : il était entouré par une très large place, qui était vide. Totalement vide. Après la densité que nous avions expérimenté dans les ruelles, la sensation d'être passé dans un autre monde vint chatouiller mon esprit. À cela s'ajoutait le silence : le brouhaha des rues derrière nous s'entendait à peine, et c'était comme si tous les bruits étaient étouffés par la solennité du monument.
- Le siège de l'Assemblée, commenta sobrement Alyssa.
- Comment peut-il y avoir un tel décalage entre deux endroit séparés de quelques dizaines de mètres seulement ?! demanda Théo, abasourdi.
- On appelle ça l'injustice, mon garçon, répondit Maitre Corcy. Allez, il n'y a pas de temps à perdre. Nous devons rencontrer...
Il s'arrêta avant de préciser qui nous devions rencontrer, se rendant compte qu'il n'en savait rien.
- Bref, avançons.
Alyssa acquiesça et mena notre petit groupe vers d'immenses portes décorées dans le même style que le reste de l'édifice. Je réalisais que quatre gardes était posté devant. Ils étaient tellement immobiles qu'ils se fondaient pratiquement dans le décor et que je ne les avais pas remarqué avant.
- Les portes de l'Assemblée ne sont jamais fermées normalement, au cas où quelqu'un voudrait venir assister aux débats, souffla Vylon. Personne ne le fait jamais, mais c'est un principe. Et surtout, elles ne sont jamais gardées.
Sentant venir le début des problèmes sous la forme d'un Nain avec une barbe rousse et un casque doré, je pris une longue inspiration. Muni d'une lance en fer quelque peu rouillée, il nous adressa un regard tellement menaçant que je faillis faire demi-tour en m'excusant de l'avoir dérangé. Heureusement, il me restait quelques miettes de courage, que j'employais à me faire tenir debout. Ses trois acolytes l'entouraient, barrant très clairement le passage. Alyssa continua malgré tout à avancer, jusque'à ce qu'elle se retrouve beaucoup trop proche d'eux à mon goût.
- Ouvrez les portes, dit-elle simplement, mais d'un ton tellement implacable que je fus surprise de ne pas voir les Nains se précipiter pour lui obéir.
Apparemment, tout le monde n'était pas aussi lâche que moi, car ils bombèrent le torse et celui à la barbe rousse prit la parole :
- Personne ne passe.
- Ça tombe bien, je ne suis pas personne, répondit-elle du tac au tac. Laissez-nous passer, ou bien cela pourrait avoir des conséquences désastreuses.
- Tu crois que tu me fais peur, femmelette ?
- Moi, peut-être pas, quoique tu as tort puisque je pourrais te tuer de dix manières différentes avant que tu n'aies cligné des yeux, mais celui qui t'emploies pour garder cette porte, peut-être, quand il apprendra que tu a empêché les émissaires des Enchanteurs de passer pour conclure des accords commerciaux avec le nouveau gouvernement.
Touché. Le garde fronça les sourcils, remonta sa lance. Ce n'était apparemment pas un futé, et il était payé pour dissuader les gens d'approcher plus que pour réfléchir.
- Vous êtes des émissaires des Enchanteurs, alors ?
- Je ne sais pas, j'ai l'air de ressembler à un Nain ? demanda Alyssa.
Le garde grogna. Il n'avait pas vraiment l'air d'apprécier qu'on se moque de lui.
- Comment êtes-vous au courant pour le nouveau gouvernement ?
- Tu sais ce qu'on dit, les femmes ont un sixième sens pour ces choses-là, répondit la jeune femme avec clin d'oeil.
Il n'aimait définitivement pas qu'on se moque de lui, et il brandit sa lance avec un grondement menaçant.
- Wow, wow, wow, intervint Miléna. Tout doux, monsieur le garde. Mon amie a dit vrai. Nous sommes les ambassadeurs de la reine Saïla, et vous risquez gros en ne nous laissant pas passer. Vous pensez vraiment que les Nains peuvent se passer d'une bonne entente avec la première puissance d'Arcadia ? Parce qu'honnêtement, vu votre accueil chaleureux, nous allons finir par considérer que vous ne voulez plus commercer avec nous. Ce serait dommage de créer un incident diplomatique pour si peu, vous ne croyez pas ?
Le garde baissa un peu sa lance, de quelques centimètres. C'était déjà ça. Il se tourna vers ses compagnons en quête de leur avis, et dans un ensemble parfait, ils haussèrent tous trois les épaules. Le Nain grogna à nouveau -ça semblait être son mode de communication premier- puis se gratta la barbe.
- D'accord, on vous fait entrer, finit-il par capituler. Mais Gildur et moi, on vous accompagne. Histoire que vous ne fassiez pas de bêtises.
Il sembla trouver cette dernière phrase hilarante, et commença à rire tout seul sous nos regards dubitatifs. Le dénommé Gildur, après un coup d'oeil incertain, le rejoint avec un rire digne d'un âne croisé avec un coq. Je ne recommande pas. Une fois qu'ils se furent remis de leur hilarité, le chef s'adressa aux gardes restants :
- Vous deux, vous restez ici, et vous appliquez les ordres. Vous ne laissez rentrer personne, et si quoi ou qui que ce soit arrive, vous défendez les portes en attendant mon retour. Compris ?
Ils acquiescèrent et levèrent leur lance d'un air féroce tandis que Gildur et le chef ouvraient enfin les lourdes portes qui nous mèneraient vers notre destin. (Un peu trop mélodramatique, non ? Bref.) Nous traversâmes un couloir aux proportions gigantesques, surtout compte tenu de la taille des Nains, mais assez sobrement décoré (pour une fois, je dois dire que ça faisait du bien). Ils nous menèrent vers une autre grande porte (je ne sais pas ce qu'ils ont avec les portes) en ricanant toujours. Plus on se rapprochait, et plus on commençait à entendre des échos discussion provenant de derrière les portes. Non, pas de discussion, en fait, de disputes. Des éclats de voix s'entrechoquaient comme des bouts de verre tranchants sans que je puisse comprendre ce qu'elles disaient. Gildur toqua trois fois contre le battant de bois, puis se recula respectueusement.
- Nous avions demandé à ne pas être dérangés, tonna une voix féminine.
Prenant cela comme une invitation, le garde ouvrit les portes sur une scène assez différente de ce que j'avais imaginé. Je m'étais brossé un tableau d'Assemblées révolutionnaires, où chacun criait et réclamait ce qui l'intéressait, tandis qu'on acclamait ou fustigeait les beaux parleurs. En fait, ils étaient cinq, réunis autour d'une table ronde rustique. Devant eux s'amassaient des tas de feuilles de notes, de cartes ou de textes divers, mélangés sans aucune considération. Celle qui avait parlé semblait présider, ou du moins c'était la seule qui s'était levée à notre arrivée, ce qui lui donnait un air d'importance.
Les quatre autres, deux femmes et deux hommes, ou plutôt deux Naines et deux Nains, nous regardaient avec différentes expressions. Soulagement pour l'un, comme si on le sortait d'une situation difficile, colère pour un autre, sûrement parce qu'on l'avait interrompu, curiosité pour une, et désintérêt complet pour la dernière. J'avais une bonne idée de la palette d'émotions que peut produire un visage Nain grâce à eux. Celle qui s'était levée nous regardait avec dureté et méfiance, comme si on allait lui lancer un poignard d'une seconde à l'autre.
- Ma Puissante, je suis absolument désolé d'avoir interrompu votre réunion, et je sais que je n'aurais pas du, commença le chef des gardes.
- Alors qu'ils repartent ! gronda le Nain qui avait l'air en colère.
- Mais ? demanda celle qui avait été appelée Puissante.
- Mais ceux-là ont demandé à vous voir d'urgence. Et je pense que ce qu'ils ont à dire pourrait vous intéresser.
- Allons bon ! Par la barbe de mes ancêtres, qui êtes-vous ?
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Bonjour, bonsoir, bon matin, bon appétit ! (Faut peut-être que je me calme un peu.)
Dites merci à @a_writer_dreamer parce que c'est grâce à elle que vous avez ce nouveau chapitre ! Elle m'a remotivé à bosser dessus pour que je le sorte ce weekend, et me voilà. Parfois, il faut juste prendre le temps.
J'espère que ça vous aura plu ! La situation chez les Nains se précise un peu, le bordel de l'Assemblée et du reste... J'espère que je ne vous aurai pas perdus avec les noms des familles. Ça sera encore pire au prochain chapitre, vous verrez ! :) En tout cas, n'hésitez pas à me laisser votre avis comme d'habitude <3
Honnêtement, j'ai beaucoup trop hâte des chapitres qui vont suivre. Je ne devrais pas vous le dire, mais tant pis. Je vous le dis quand même.
Du coup, je vous dis à bientôt (on croise les doigts pour que je continue à prendre les temps !)
Merci de continuer à me suivre dans cette aventure <3
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