Chapitre 31 : Nouveau départ

J'avais gagné ce foutu concours, et ils me célébraient en tant que vainqueure. 

Dans mon lit à baldaquin, perdue dans le noir ou dans mes pensées, je ne dormais pas. J'étais pourtant assez fatiguée pour ne plus jamais me réveiller, mais mon esprit ne voulait pas s'arrêter de tourbillonner. Les images de la journée repassaient boucle dans ma tête, comme un album photo de souvenirs. Il y avait eu le concours, ma victoire. Ces deux petits mots compactaient en eux tellement d'émotions, de force et de faiblesse, de choix et de perte. J'avais beau adoré les mots, les images étaient parfois plus efficaces. Dans ma tête, des flashes apparaissaient s'effaçaient aussi vite. Les deux plantes entremêlées. La foule grouillante. La crispation du visage de Ciator. Les trois visages des juges, sourcils froncés, air inquiet ou moue ennuyée. Un palet jaune, à la limite du cercle. Une statue d'une jeune femme. Un dragon. Mes amis faisant de grands signes. Moi, victorieuse. J'étais bizarrement détachée de ces évènements, comme si ce n'était pas moi qui les avaient vécus, mais quelqu'un d'autre, dans une autre vie.

Était-ce moi qui avait tellement appréhendé ce concours, qui s'y était donné à coeur perdu, qui avait respiré au rythme des annonces du jury ? Moi qui avait osé dépasser les limites, qui avait perdu puis gagné, qui avait su être convaincante ? Je n'en avais pas l'impression.

Je me sentais étrangement... Vide. Alors que j'aurais du être heureuse, voire extatique (ce n'était pas rien, ce que j'avais accompli, tout de même) je ne ressentais rien. Juste cette extrême fatigue qui me pesait sur les épaules. Les yeux ouverts sur l'obscurité, je ressassais cette sensation pendant une minute, ou un siècle.

- Tu dors ?

La voix de Théo m'avait coupé dans mes réflexions. Je fus tentée de ne rien répondre, mais j'étais intimement convaincue que s'il avait posé la question, c'est qu'il connaissait la réponse.

- Apparemment pas, répondis-je. Je n'avais jamais fait d'insomnies avant.

Avant. Tout l'implicite de ce mot emplit l'espace obscur.

- Ça va ?

Je ne répondis pas immédiatement.

- Bordel, que cette question sonne creux. Je voulais plutôt dire, tu n'as pas encore complètement perdu la tête ? Avec... Tout ça ?

- Sincèrement, je ne sais pas. J'imagine que je suis contente d'avoir gagné.

- Tu... imagines ? releva-t-il.

- C'est tellement... égoïste, et ingrat, je sais, mais en fait, je ne suis pas sûre que ça me fasse tellement plaisir.

Aucune réponse de mon ami. Le silence s'étira. Presque plus parlant que des mots.

- Ça ne m'a pas fait plaisir de devoir humilier Ciator. Ça ne m'a pas fait plaisir de devoir dénoncer de la corruption pour pouvoir gagner. Ça ne m'a pas fait plaisir d'être obligée d'invoquer la justice pour avoir un espoir de victoire. Ça ne m'a pas fait plaisir de m'imposer au milieu de cette foule qui ne voulait pas de moi. Ça ne me fait pas plaisir de savoir qu'on me retiendra comme celle qui a écrasé les elfes grâce à ses talents. Ça ne m'a pas fait plaisir de devoir gagner un concours pour forcer la main à un roi qui refusait de sauver des vies. Ça ne m'a pas fait plaisir de devoir prouver ma force. Ça ne m'a pas fait plaisir d'avoir ressenti du soulagement et même du bonheur de ne pas être celle qui avait perdu. Celle qui serait rejetée et montrée du doigt.

Le silence me répondait, sans que je puisse déterminer s'il m'approuvait ou non.

- Est-ce que tu es en train de dire... Que tu te sens coupable d'avoir gagné ?

- Je ne sais pas. Peut-être bien. Pourquoi est-ce que quelqu'un a du perdre ? Ne pouvons nous donc pas tous ressortir gagnants ?

- Non, on ne peut pas. Je suis désolé, mais c'est la vérité.

- La vérité... répétais-je lentement. Qui fixe la vérité ?

- Écoute-moi bien, Lyra. Tu as fait ce qu'il fallait faire. Tu as sauvé des vies grâce à ce concours, et tu n'as tué personne. S'il faut trouver des fautifs dans cette histoire, ce sont les elfes. Les elfes qui n'ont pas voulu porter secours aux armées des Enchanteurs, qui ont tout essayé pour te faire perdre, pour t'écraser. Tu n'es pas coupable. Tu as fait ce qu'il fallait.

- Sont-ils vraiment coupables ? Ou reproduisent-ils simplement les erreurs de leurs parents avant eux ?

- Quelle différence ?

- Toute la différence. J'ai participé à ces erreurs là, j'ai gagné leur foutu concours, j'ai montré que j'étais la plus forte. Je suis aussi coupable qu'eux.

- Mais pas du tout ! s'agaça mon ami. Tu n'es pas la méchante dans cette histoire !

- Tout dépend de qui la raconte. Si personne ne fait rien, tout ça continuera indéfiniment. Peut-être que j'aurais du faire quelque chose. Trouver une autre solution.

- Lyra, tu ne peux pas te battre sur tous les fronts ! Tu ne peux pas changer tous les mondes !

- Qui pourra, alors ?

Seul le silence répondit à ma question.

***

Le lendemain matin, je rassemblais mes affaires, cernée mais plus calme. La nuit porte conseil, dit-on. Elle m'avait permis en tout cas de relativiser et de ranger certaines pensées dans un coin de ma tête pour me concentrer sur ce qui allait arriver ensuite. 

Nous devions nous rendre une dernière fois dans la salle du trône pour conclure notre séjour chez les elfes que je n'étais pas fâchée de voir se terminer. Notre petite équipe se rassembla devant les portes de la salle, attendant que le roi veuille bien nous recevoir. La liesse de la veille était retombée, et chacun se taisait en appréhendant ce moment qui, à n'en pas douter, serait très tendu.

- Laisse moi parler, d'accord ? entendis-je dire Miléna à Alyssa.

La jeune femme aux cheveux sombres acquiesça d'un signe de tête, l'air revêche. Après un bon quart d'heure d'attente, on consentit enfin à nous ouvrir les portes de la salle du trône. Nous entrâmes avec toute l'impatience que l'attente avait créée, les nerfs déjà en pelote. La salle était conforme à mes souvenirs, le roi assis sur son trône, et le conseiller, le père de Vylon, debout à ses côtés. Les deux avaient l'air de vautours prêts à fondre sur leur proie.

- Ah oui, vous, fit le roi avant que quiconque n'ait pu prononcer un mot, comme s'il nous avait oublié.

Un ange passa. Miléna posa un genou à terre et dit poliment :

- Votre Majesté, nous partons dans quelques minutes. Nous vous remercions de votre hospitalité. Nous voulions simplement... nous assurer que les termes du contrat seront respectés.

- Êtes-vous en train de mettre en doute notre parole ? Les elfes sont fiables. La gamine a gagné, et à l'heure où nous parlons, les trois-quart de notre armée se dirige vers le Nord pour porter secours à la votre. Cela vous convient-il, mademoiselle la générale ? demanda-t-il avec un ironie palpable.

- C'est parfait. Merci bien, monsieur le roi, et au plaisir de vous revoir, répondit-elle avec une petite courbette ridicule avant de se détourner, prête à partir.

J'allais la suivre lorsque la voix du conseiller me coupa net dans mon élan.

- J'aimerais un mot avec la petite, avant que vous ne partiez.

Miléna chercha mon approbation du regard et quand je la lui donnais, elle acquiesça.

- Très bien. Mais rapidement alors, nous ne devons pas prendre de retard.

Le conseiller Kerdor lui fit un petit signe dédaigneux de la tête pour dire qu'il avait compris. Il sortit dans la salle où nous avions attendu avec moi tandis que les autres se rendaient directement dans le couloir qui sortait du palais.

- Alors, gamine ? Heureuse d'avoir gagné ? Tu as montré l'étendue de tes pouvoirs, et que nous étions les grands méchants ? Tu es contente de toi ?

- Pas exactement, non, répondis-je, méfiante.

- Tu te demandes où je veux en venir, pas vrai ? Pourquoi j'ai demandé ce mot avec toi ?

Je ne bronchais pas, attendant la suite.

- C'était pour un petit rappel très simple : n'oublie pas ce que je t'ai dit. Je te retrouverais, et e t'écraserais. Si j'étais toi, je commencerais dès maintenant à régler mes affaires et je dirais au revoir à mes proches. Il se pourrait qu'il leur arrive un malheureux accident, à eux aussi. Rappelle toi : je suis puissant, et tu n'es rien.

Une main se posa soudain sur l'épaule de Kerdor, l'agrippant fermement et avant que je ne puisse dire un mot.

- Tu es puissant, toi ? Tu es un colosse aux pieds d'argile, alors.

Vylon se tenait droit derrière son père, les yeux brillants et les mâchoires serrées.

- Il suffirait d'une petite information pour que tout s'écroule... Ce serait regrettable.

La veine sur le cou de Kerdor commença à palpiter.

- Toi ! Comment oses-tu te présenter devant moi, espèce d'infâme bâtard...

- Précisément. Je suis la preuve vivante de ton adultère, de tout ce que ta misérable existence a produit de pire. Et, le fait est que pendant ces derniers jours, j'ai eu du temps pour me promener dans Versafiar. J'ai du croiser un bon nombre d'elfes, sans compter que j'étais présent au concours. Et si la rumeur venait à se propager que mes yeux ressemblent quand même étrangement aux tiens ? Et si les elfes se souvenaient de moi, de l'impression familière qu'ils avaient eu en me rencontrant ? Quel dommage pour toi. À vrai dire, tu le mériterais mille fois, mais je suis généreux, je n'ai rien dit. Par contre, si tu touches à un cheveu de Lyra ou de n'importe quel autre membre du groupe, je ne te garantis pas qu'il n'y aura pas une fuite malencontreuse.

- Tu ne peux pas... commença son père, au bord de l'implosion sous l'effet de la fureur.

- Au contraire. J'ai des amis ici qui connaissent ton petit secret, et qui se feraient une joie de le diffuser si je leur en donnais le signal. Et si tu en découvres un, ne t'inquiète pas : ils sont plusieurs.

- Je... Tu es... bégaya-t-il de fureur.

- Ton fils, oui, c'est tout l'enjeu du problème. Enfin, souviens toi que les informations vont très vite. Et que les rumeurs vont encore plus vite. Ceci est le premier et le dernier avertissement. Tu as détruit ma vie. N'oublie pas que j'ai le pouvoir de détruire la tienne.

Sans un dernier regard pour son géniteur, il me prit le bras et m'entraina dans la direction opposée, sans que je puisse prononcer un seul mot.

- Merci, je suppose ? dis-je alors que nous avions presque rejoint nos amis.

- Désolé que tu aies eu affaire à lui. J'aurais aimé que ça se passe autrement, répondit-il d'un air sombre.

- Je sais. Moi aussi.

- Je vais demander aux gardes royaux de garder un oeil sur toi sans relâche, même si je doute qu'il tente quelque chose, et que je doute encore plus que sa potentielle tentative puisse passer au travers de Miléna, d'Alyssa et moi réunis, mais on ne sait jamais.

- D'accord... Vylon ?

- Oui ?

- Ce que tu as fait, te confronter à lui, c'était vraiment courageux. Merci.

- Merci à toi Lyra, me dit-il en me serrant le bras affectueusement.

Nous hochâmes la tête de concert, avant de se tourner vers nos amis, prêts à quitter cet endroit malsain pour nous.

Quelques minutes plus tard, nous étions de retour en haut des échelles de corde qui m'avaient tant effrayées à notre arrivée. Je n'avais plus peur à présent. Peut-être parce que j'avais l'impression de ne pas être la même que celle qui était montée à cette échelle. Versafiar m'avait changée. Je m'apprêtais à entamer ma descente, lorsqu'une voix fluette m'interpella :

- Lyra !

Je me retournais pour voir Sistyle, la fée juge du concours devant moi, équipée d'un sac de voyage adaptée à sa petite taille.

- Oh ! Je voulais vous dire un mot, mais avec toute l'agitation du départ, j'ai complètement oublié, lui dis-je, un peu honteuse.

- Lyra, qu'est-ce que tu fais ? On est déjà en retard ! m'appela Miléna.

- Juste une minute, j'arrive ! Je voulais simplement vous dire, je me retournais vers la fée, merci. Votre soutien a été crucial dans toute cette histoire, et c'est en grande partie grâce à vous que j'ai gagné. Alors merci. Je suis désolée de ne pas pouvoir vous parler plus longtemps, mais comme vous pouvez le voir, nous sommes sur le départ et-

- Justement, à ce propos... me coupa-t-elle. Je suis venue ici pour vous demander si vous accepteriez une voyageuse en plus. Vous vous dirigez vers la capitale des Nains, je crois ?

- Euh... En effet, répondis-je, un peu confuse.

- Je m'y rends aussi, et j'apprécierais avoir des compagnons de voyage. Comme vous pouvez le deviner, je ne mange pas beaucoup, et je ne prends pas beaucoup de place. Seriez-vous d'accord pour m'accepter dans votre petit groupe ?

- Eh bien... je dois vous avouer que je ne m'attendais pas à ça ! Je n'y vois aucun inconvénient, il faut simplement que je demande leur avis à Alyssa et Miléna, qui sont les responsables.

- Bien sûr, je comprends.

Je filai expliquer la situation aux deux jeunes femmes, m'attendant à une réponse positive d'office. Je fus surprise de voir Miléna froncer les sourcils d'un air inquiet.

- Elle pourrait être une espionne, envoyée par le traitre ou par son camp.

- Quoi ? m'écriai-je. Mais comment pourrais-tu le savoir ?

- Justement, je ne sais pas. Je suis désolée, mais la méfiance est de mise après tout ce qui s'est passé.

Alyssa acquiesça d'un air grave.

- Mais vous l'avez vu ? Qu'est-ce que vous voulez qu'elle nous fasse ?

- Je croyais que tu avais compris qu'il était dangereux de juger sur les apparences, me dit Alyssa. Et puis, pas besoin d'être un combattant hors-pair pour transmettre des informations utiles.

- Mais elle m'a soutenu pendant tout le concours ! Vous ne croyez pas qu'elle aurait eu interêt à ce que je perde, plutôt ?

- C'est peut-être une ruse, justement.

- Vous frôlez la paranoïa, là. Arrêtez de voir le mal partout. C'est juste une fée, qui veut faire le trajet jusque chez les Nains avec nous. Point.

Vylon, qui avait entendu la discussion devenir houleuse, s'approcha et intervint :

- Vous savez quoi ? Trouvons un compromis. On la laisse partir avec nous, mais on garde toujours un oeil sur elle, que ce soit nous ou les gardes. On ne parle pas des sujets sensibles devant elle. Et à la moindre attitude suspecte, on prendra les mesures nécessaires. Ça convient à tout le monde ?

Les jeunes femmes hochèrent la tête d'un air entendu, tandis que je ne redescendais pas. Alyssa le remarqua et me prit le bras.

- Lyra, on fait ça pour te protéger. Ça ne nous fait pas plus plaisir qu'à toi.

- Et vous ne croyez pas que vous allez un peu trop loin ?

- Dans ces cas-là, trop commence tout juste à être assez.

Je me figeai. Trop commence tout juste à être assez. J'avais déjà entendu cette phrase quelque part. Mais où ? Plus je cherchais et plus ma mémoire se défilait. Je serrai les poings de frustration, et allai annoncer à Sistyle la décision du groupe, sans mentionner le fait qu'elle allait être surveillées (comprenez, elle aurait pu mal le prendre).

Cinq minutes plus tard, j'entamais la périlleuse descente des échelles. Même si je n'avais plus peur, je restai prudente et m'accrochai solidement à chaque barreau. Lorsque nous fûmes tous arrivés en bas sain et sauf, nous retrouvâmes nos chevaux et le chariot, et on s'apprêta à partir.

Je leva la tête une dernière fois pour contempler la toile végétale qu'était Versafiar. Je laissais une partie de moi ici, que je ne retrouverais probablement jamais. Mais tout n'était pas fini, et il me restait encore tellement à vivre. Je me tournai vers la forêt qui s'étendait devant moi, prête à affronter ce que me réservait l'avenir.

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Bonjour bonjour ! J'espère que vous allez bien, je vous souhaite santé et bonheur, pour commencer. C'est pas le nouvel an, mais c'est pas grave. Pas besoin de prétexte pour répandre de l'amour et de la bienveillance. 

Bref ! Un nouveau chapitre. Je suis à un rythme de un à deux chapitres par mois, et j'aimerais faire plus, mais ce serait très compliqué. Je voue une admiration totale aux auteurs-es qui postent régulièrement (hum hum a_writer_dreamer c'est de toi qu'on parle). Et aussi, ça n'a rien à voir, mais mes chapitre sont environ deux fois plus longs que ceux du début. genre, x2. c'est énorme. Bref.

J'espère qu'il vous a plu. J'ai écrit la scène du début quand il pleuvait, et la pluie me déprime toujours. Et comme j'aime recommencer à écrire quand je ne l'ai pas fait depuis longtemps avec des réflexions, eh ben... Voilà. J'espère que ça vous aura pas trop miné le moral, quand même XD

Sinon, la scène avec le conseiller fait complètement bis avec celle d'avant le concours, mais je voulais qu'il y ait une confrontation entre Vylon et son père, donc je l'ai écrite, et je supprimerais/modifierais celle d'avant quand je ferais la réécriture (ça parait trèèèès lointain)

Et sinon, tout ce qui se passe avec Sistyle s'est limite écrit tout seul, j'avais juste prévu qu'elle parte potentiellement avec eux. J'adore ces moments où tu as l'impression que les personnages prennent le contrôle de l'histoire.

Bon, je fais des notes d'auteure de plus en plus longues, je sais, mais j'aime beaucoup expliquer d'où viennent les textes, et comment je les ai écrit, donc si ça vous soule, et bah ne les lisez pas tout simplement. En tout cas, elles ne vont pas se raccourcir, loin de là.

Je vous fais des bisous et je vous dis à bientôt pour le prochain chapitre (dans moins d'un mois si les dieux me sont favorables haha) ★

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