Chapitre 24 : Versafiar (partie 2)

- Nous sommes arrivés à Versafiar.

J'attendis quelques secondes avant de me retourner, savourant d'avance le spectacle qui allait s'offrir à mes yeux. Toutes les villes magnifiques que j'avais eu l'occasion de visiter défilèrent dans mon esprit. De Castellian à Rome en passant Londres, j'avais des références très différentes, mais j'avais aussi bien conscience qu'il était impossible d'imaginer quelque chose de réel que l'on avait jamais vu avant. Ce fut sur cette réflexion que je me retournais enfin. Sous mes yeux ébahis ne s'étendait pas une ville extraordinaire, surprenante et éblouissante, non, sous mes yeux s'étendait... Rien. Absolument rien. Enfin, je veux dire rien de plus que la forêt que nous traversions depuis plusieurs jours, avec ses arbres immenses et touffus, et son tapis de verdure qui s'étalait à l'infini (ou du moins en avions nous l'impression). Je me tournais vers Théo et nos regards se croisèrent, disant en silence « euh attends c'est normal que je ne vois rien ? ». j'interpellais Miléna, confuse :

- Euh, tu es sûre que c'est bien ici ? À part si je suis soudainement devenue aveugle, je...

La jeune femme avait simplement souri et pointé le ciel. Je levai alors la tête, et compris qu'on était bien au bon endroit. Au dessus de nous s'étendait une ville... Dans les arbres. Ébahie, je contemplais cette véritable toile qui atteignait un diamètre impressionnant. Les premières constructions étaient à environ vingt mètres du sol, et je ne pouvais discerner les plus hautes à cause des branches touffues. Il s'agissait de cabane constituée de branchages, de feuilles épaisses et d'autres matériaux faciles à trouver dans une forêt. Et entre chaque habitation, des passerelles de bois entrelacées s'étiraient, créant un immense réseau entre plusieurs dizaines d'arbres. Ces petits ponts avaient une forme gracieuse mais semblait également extrêmement solides. Je devinai qu'ils devaient sûrement être l'oeuvre de magie elfique. De tous les côtés, on voyait des formes furtives d'elfes qui se suspendaient aux branches, glissaient sur des troncs ou empruntaient une des multiples passerelles. Je remarquai un petit groupe d'enfant qui jouait dans les arbres à trente mètres de hauteur. L'un d'eux sauta de la branche où se tenait, fit une chut qui me parut vertigineuse et se réceptionna sur une autre branche plus basse. Il vacilla pendant quelques secondes, et mes yeux s'agrandirent de terreur. J'étais persuadée qu'il allait tomber et venir se fracasser sur le sol juste sous nos yeux, mais au dernier moment il se raccrocha à une branchette située juste au dessus de lui. Il éclata de rire, puis grimpa sur une dizaine de mètres avec une agilité déconcertante pour rejoindre ses camarades de jeux.

- Je crois que mon coeur s'est arrêté pendant une minute... dis-je à Théo.

- Le mien était sur le point d'exploser ! renchérit-il, le souffle court. En plus d'être horribles, ces elfes sont des fous suicidaires !

- Je ne pense pas qu'on devrait tous les mettre dans le même panier. Pour les humains, c'est pareil, il y en a des bons et des mauvais, tu ne crois pas ?

Mon ami opina du chef, l'air un peu penaud. Je lui fis un léger sourire, puis me tournais vers le groupe.

- Et du coup, comment on va monter là haut ? Parce que je suis désolée, mais j'ai loin d'avoir le niveau de grimpe pour me hisser dans ces arbres sans faire cinq chutes mortelles ou du moins me casser tous les os.

- Moi aussi, renchérit Théo. C'est ça d'avoir grandi en ville ! Nos défis les plus dangereux, c'était d'aller s'aventurer dans les immeubles désaffectés, et y avait des escaliers.

- Oh, ne vous inquiétez pas pour ça, nous rassura Miléna. Elles devraient arriver d'un moment à l'autre maintenant...

- Elles ?

- Oh regardez ! Ils les font descendre !

Et en effet, lorsque je relevais, je vis trois échelles de corde se couler le long des troncs pour arriver jusqu'à nous. Elles avaient beau avoir l'air solide, je n'étais pas complètement sereine. Les cordes, ce n'est pas assez fixe à mon goût. Je déglutis et me dis que ce n'était qu'une promenade de santé par rapport à ce qui m'attendait ensuite. Ce ne fut pas une pensée relaxante, mais ç'eut au moins l'effet de me faire relativiser. Alyssa prit le commandement des opérations.

- Lyra et Théo, vous monterez sur les échelles de droite et de gauche, et je serai au milieu. Puis Miléna, Maitre Corcy et Vylon et enfin Karod, Tylède et Cylar.

Tout le groupe acquiesça, puis je m'avançais vers l'échelle de droite, tandis que mon ami allait à gauche. Je saisis le premier barreau mon geste fit onduler toute l'échelle. Tout allait bien se passer. Je commençais à monter, et au final, c'était moins pire que ce que j'avais imaginé. Évidemment, ce n'était pas la position la plus stable qui m'eut été donné d'expérimenter, mais je n'avais pas l'impression de me diriger vers une mort certaine. Je montais environ dix mètres, puis eut l'assez mauvaise idée de me retourner pour regarder en bas. Dix mètres me parurent soudain une distance immense, d'autant plus longue que je n'avais pas de corde pour m'assurer. Ma main tremblait un peu lorsque je saisis le prochain barreau, mais je réussis à garder mon calme. Nous n'étions plus qu'à quelques mètres des premières grosses branches où nous pourrions marcher sans danger quand je tournais la tête vers Alyssa. Je compris immédiatement qu'elle n'aurait absolument pas eu besoin de l'échelle, et qu'elle l'utilisait juste parce qu'elle était là. Il était très clair qu'il s'agissait pour elle d'une agréable balade, et qu'elle se forçait à aller très lentement pour nous attendre. La voir grimper était un spectacle magnifique. Ses mouvements étaient si fluides qu'elle paraissait aussi voir plus à l'aise qu'au sol. Voyant que je l'observai, elle me fit un clin et se passa la main dans les cheveux. Et se passa la main dans les cheveux. À cette hauteur. Dans ces conditions. J'en fus si surprise que mon pied rata le barreau qu'il visait. Pendant une seconde, une atroce seconde, une seconde qui me parut durer mille ans, je crus que je tombai, irrémédiablement attirée par le sol. Le vide en dessous de moi me semblait infini, mais le sol contre lequel j'allais forcément m'écraser me paraissait également beaucoup trop proche. Si j'avais pu j'aurais hurler, mais j'étais proprement incapable de faire le moindre mouvement, jusqu'à un simple clignement d'oeil. Ce serait vraiment stupide de mourir comme ça, eus-je le temps de penser avant qu'un main ferme ne m'attrape par le col et me plaque contre le tronc, empêchant ma chute. Malgré mes bras qui tremblaient plus que jamais, j'attrapais le barreau le plus proche de moi à m'en faire blanchir les jointures. Je posai doucement mes pieds sur un autre barreau, toujours soutenu par la poigne ferme qui m'avait sauvée. J'avais le souffle court, et l'adrénaline qui avait brusquement afflué dans mon corps faisait battre mon coeur à cent à l'heure. La main finit par me lâcher, et j'entendis la voix d'Alyssa me dire d'un ton moqueur :

- Tu veux déjà repartir, alors que tu n'as encore rien vu ?

- Non... Je... Ici, bredouillais-je, pas encore remise de mes émotions.

- Pardon ?

- Je disais, non, je crois que je vais rester ici pour l'instant, repris-je, ayant retrouvé mon souffle.

- Ça me semble une bonne idée à moi aussi ! approuva la jeune femme.

Je me tournais lentement vers elle, et vit qu'elle arborait un grand sourire... et un pied et une main libre. Qu'elle avait sûrement utilisé pour me secourir. Je bénis ma chance d'avoir été à côté d'une si bonne grimpeuse, et finis mon ascension, plus crispée qu'avant.

Ce fut un soulagement lorsque des bras m'attrapèrent pour me hisser sur une plateforme de bois. Théo était aussi arrivé sans mal, et Alyssa donna le signal aux autres qu'ils pouvaient commencer à grimper.

- Bienvenue à Versafiar ! annonça une voix derrière moi.

Je me retrouvais et découvris un elfe, sûrement celui qui m'avait aidée à monter. Il était grand et fin, avec la peau pâle et les yeux clairs. Ses oreilles pointues dépassaient de ses longs cheveux noirs.

- Je m'appelle Kastyl, et je suis l'intendant du roi. La reine des Enchanteurs nous avaient avertis de votre venue, et nous vous avons préparé des chambres au palais. Si vous voulez bien me suivre...

Il nous indiqua une direction, et nous empruntâmes une passerelle de bois entrelacé que j'avais remarqué. Il nous assura que d'autres domestiques guideraient nos compagnons lorsqu'ils auraient fini leur escalade. 

Il nous conduisit à travers un dédale de branches, de feuilles, de passerelles. J'étais complètement perdue au bout d'une minute, et je n'arrivais pas à comprendre comment diable arrivait-il à se repérer dans ce labyrinthe végétal. Sur notre passage, les gens adressaient des signes de tête respectueux à Kastyl qui leur répondait d'un petit signe amical. Puis quand ils pensaient que nous ne prêtions plus attention à eux, ils murmuraient à l'oreille de leurs amis, maris ou frères des choses mystérieuse qui avaient sûrement rapport avec le fait que trois humains ne devaient pas être si fréquents à la capitale elfique. Et encore, ils n'avaient pas vu la suite de notre petit groupe ! Au bout d'une dizaine de minutes à marcher, l'intendant du roi s'arrêta si brusquement que, distraite par le paysage, je lui rentrai dedans violemment.

- Je suis vraiment désolée, je n'avais pas...

- C'est moi qui m'excuse, mademoiselle, j'aurais du vous prévenir que nous étions arrivés. Vous ne vous êtes pas fait mal, au moins ?

Je secouai la tête puis interrompit mon geste. Ma bouche s'ouvrit sous l'extraordinaire spectacle qui s'offrait à mes yeux. Un édifice des plus fantastiques se dressait fièrement devant moi. Il s'agissait d'un palais supposai-je, mais pas n'importe quel palais. Il s'encastrait parfaitement dans le tronc du plus immense arbre que j'eus jamais vu. Il avait été construit d'une architecture audacieuse, à moitié logé à l'intérieur du tronc qui était sûrement creux, à moitié s'élançant vers les cieux. Il possédait des tours faites de bois -évidemment- qui semblaient jouer avec les branches, leur tourner autour et serpenter entre les feuilles. Sa façade était richement décorée, mais seulement grâce à des végétaux. Les feuilles d'une plante grimpante parfaitement taillée formait des arabesques complexes, et des buissons remplis de baies juteuses colorées embaumaient l'atmosphère. C'était une vision féérique, ou plutôt elfique devrais-je dire. J'avais toujours été étonnée du fait que les civilisations, quelles qu'elles soient, réussissaient créer des choses magnifiques, des bâtiments extraordinaires, des plats délicieux, des vêtements délicats, et pourtant restaient des sociétés extrêmement inégalitaires, atroces et détestables. Toutes idéalisaient la beauté et le raffinement, et toutes avaient un côté laid et puant. Ne pas se fier aux apparences. Le proverbe prenait tous son sens. Je dus faire une grimace reflétant mes pensées, car notre guide me dit :

- Eh bien, d'habitude les visiteurs ne font pas cette tête devant le palais, surtout lorsque c'est la première fois qu'ils le voient !

- Oh... Non, je veux dire, il est magnifique... C'est que...

- Je plaisantais, vous n'avez pas à vous justifier. Surtout pas devant un humble domestique comme moi, finit-il avec une petite courbette.

J'en restais scotchée. Il faut dire que c'était la première fois qu'on me faisait une révérence. Kastyl m'adressa un petit sourire déférent puis reprit son chemin. Lorsque nous entrâmes dans le palais, je fus très étonnée de voir une multitude d'elfes s'agiter et vaquer à ses occupations. Pour moi, un palais était destiné à accueillir la famille royale et leur domestiques, c'est tout. Mais apparemment, ils étaient plus dans le trip Louis XIV et Versailles à Versafiar. Nous traversâmes plusieurs salles richement décorées, toujours dans les motifs végétaux. Puis nous arrivâmes dans la salle du trône. Elle était vraiment impressionnante, avec des dimensions respectables et des colonnes autour desquelles s'entourait du lierre grimpant. De longues tables étaient disposées sur les côtés, sûrement pour accueillir des festins les soirs de fêtes. Le trône était admirable, constitué de bois et de feuilles entremêlés d'une manière tellement esthétique qu'on avait l'impression de voir des dessins se former entre les plantes. 

Dessus était naturellement assis le roi. Si je l'avais vu dans la rue, j'aurais sûrement détourné le regard et changer de trottoir. Son regard sombre vous fixait, et vous aviez l'impression d'être épinglé au mur comme un insecte sans défense. Tous les traits de son visage étaient durs et semblaient inébranlables. Il avait une carrure assez imposante qui finissait de dissuader quiconque de le provoquer. Ses oreilles, par contre, étaient le seul élément assez ridicule dans ce tableau effrayant : elles étaient particulièrement pointues et très courtes, comme celles d'un lutin farceur (pour l'instant, je n'étais pas au courant de l'existence de lutins, alors comme celles d'un lutin farceur de mon imagination). Malgré ce petit détail, on comprenait pourquoi il était roi. Je devinais qu'il devait diriger le royaume d'une main de fer et qu'il n'était pas particulièrement réputé pour sa clémence. 

Je me rendis compte que Kastyl était en train de parler, et j'allais concentrer mon attention sur ses paroles lorsque je le vis. Ce fut d'abord, évidemment, ces yeux qui me frappèrent en premier. D'un gris orage, d'une couleur que je n'avais vue qu'une seule fois ailleurs. Je détaillai ensuite le reste de sa personne. Il était debout à côté du roi, et nous balayait du regard comme si nous n'étions que de vulgaires déchets sans interêt. Son regard, justement, au-dela de la couleur, était si méprisant, si supérieur que même si je n'avais pas su qui il était, je ne l'aurais pas apprécié. Tout en lui évoquait la sévérité et la supériorité, de son long cou à son nez droit, de son menton à pointu à son dos raide en passant par ses longs doigts qui semblaient vouloir s'emparer de quelque chose. Je fus traversée par un frisson. Je venais de rencontrer le conseiller du roi. Le père de Vylon. 

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Bon. Un nouveau chapitre ! 

Je dois vous avouer que je ne suis pas très satisfaite de la description du château de Versafiar. Mais bon, vu que ce n'est pas un élément super important, je pourrais toujours le retravailler plus tard. 

Que pensez-vous de la capitale des elfes ? De son moyen d'accès (très pratique disons-le) ? Et du roi, ainsi que du pire cauchemar de Vylon, aka son père ? Des idées pour la suite ? Dites moi tout <3

En tout cas j'espère que ça vous aura plu, et je vous dis à bientôt pour la suite :)

Kiss ★

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