Chapitre 16 : Campement (partie 1)
- Non seulement Miléna a été la première femme à se présenter au concours, mais elle a aussi remporté les dix épreuves.
Lorsque le soleil disparut derrière l'horizon strié de collines que nous pouvions contempler depuis le chariot, Alyssa mit son cheval au pas et annonça au petit groupe :
- Nous nous arrêterons ici pour la nuit.
Elle désignait un plateau assez peu large et pas très haut battu par les vents et semé d'herbes hautes.
- Non. Nous irons en bas, répliqua Miléna d'une voix décidée en montrant une petite vallée nichée entre deux collines.
- Pardon ?
Au ton de sa voix, Alyssa avait fait comprendre qu'elle n'avait pas l'habitude d'être contredite et qu'elle n'avait aucune envie que cela change.
Malheureusement pour elle, Miléna était générale des armées, habituée à commander et donner les ordres elle aussi.
- J'ai dit, nous irons en bas, répéta-t-elle, aucunement intimidée.
- Ce serait du suicide ! objecta Alyssa. Sur le plateau, nous aurons une vue claire de toutes les menaces qui pourraient nous approcher alors que si nous nous installons dans la vallée, elles n'auront qu'à venir nous cueillir gentiment par surprise !
- Peut-être, mais dans la vallée, nous pourrons faire un feu sans difficulté. Contrairement au plateau, où le vent éteindra la moindre étincelle que nous produirons. Or le feu éloignera tous les prédateurs, qui sont nos principales menaces. La vallée est donc une option beaucoup plus sûre.
- Absolument pas ! Je pense que... commença Alyssa, à deux doigts de perdre son calme.
- Écoutez, nous pourrions camper dans la vallée où nous ferons un feu, et envoyer deux personnes faire le guet sur le plateau. Nous nous relayerons pendant la nuit, afin de voir arriver toute éventuelle menace.
C'était Vylon, l'elfe, qui était intervenu dans la dispute. Sa voix était calme et douce, et on sentait qu'il était doué pour trouver des compromis et ainsi éviter les conflits. Je notai que cette aptitude allait sûrement nous être très utile au cours de notre périple.
Les deux jeunes femmes acceptèrent de mauvaise grâce, toutes les deux persuadées d'avoir raison, et je bénis Saïla de nous avoir fait don d'un compagnon négociateur pour départager ces deux têtes de mule. Je devinai que la suite du voyage ne serait pas de tout repos si les deux guerrières continuaient à s'opposer sur tout et rien, car avec leur deux personnalités bien affirmées, trouver des accords risquait d'être compliqué. J'espérais qu'après plusieurs jours de voyage ensemble, elles réussiraient à trouver un terrain d'entente.
Tylède et Cilar, deux des imposants colosses qui nous escortaient, se proposèrent pour prendre la première garde. Ils se campèrent sur le plateau, le regard balayant les alentours à la recherche de potentiels dangers. De dos, ils me faisaient penser à deux petits menhirs plantés dans le sol, et je les imaginais sans mal rester dans cette position des heures durant.
Pendant que je les observais, les autres membres du groupe commençaient à s'affairer pour préparer le repas. Je vis qu'Alyssa et Miléna avaient déjà rassemblé un tas assez conséquent de petit bois pour le feu qui, en plus de sa fonction défensive, nous servirait sûrement à cuire notre dîner.
- Maitre Corcy, si vous voulez bien vous donner la peine, l'interpella la jeune générale en désignant le feu.
En sachant ce qu'elle m'avait dit à propos des noms à rallonge, je devinai que de l'ironie pointait dans cette tournure de phrase ampoulée, mais Maitre Corcy ne la perçut pas. Il parut réfléchir un moment, avant de se tourner vers moi.
- Ta première leçon débute maintenant, petite.
Je le regardai, sans comprendre.
- Si tu pouvais passer la seconde, Lyra, ça nous arrangerait, histoire qu'on ne mange pas dans trois heures...
Cette phrase teintée de malice de ma protectrice me fit l'effet d'un déclic. Le feu, ils voulaient que j'allume le feu !
- Euh... je... Est-ce que vous pourriez m'expliquer comment faire ? dis-je à Maitre Corcy, grommelant à moitié car les mots m'arrachaient la bouche.
- Que disais-tu, déjà, à propos du pouvoir de ton amie ? demanda le vieil homme à Théo.
Nous fûmes les seuls du groupe à comprendre la référence à la réplique de mon meilleur ami le matin-même. Ce dernier arbora une expression dédaigneuse sans prendre la peine de répondre.
- Ne crée pas flamme qui veut, commença mon professeur, cette oeuvre n'est pas à la portée de n'importe quel débutant. En effet, la flamme est complexe par son immatérialité. Il est beaucoup plus simple de créer un objet bien solide que quelque chose d'aussi volatile et incontrôlable qu'une flamme.
J'acquiesçais pour signifier que j'avais compris, buvant chacune de ses paroles. Il reprit après un petit sourire de satisfaction devant mon interêt :
- Pour réussir, il te faut imaginer que le feu est à l'intérieur de toi, et que tu peux en attirer à l'extérieur de ton corps grâce à ta volonté. Pour simplifier, c'est un peu comme le sang qui coule dans tes veines et qui perle au bout de ton doigt quand tu te coupes. En réalité, c'est le Flux qui parcourt l'intérieur de ton corps, mais tu dois lui donner une forme en imaginant que c'est une flamme. Voilà, je t'ai donné toutes les explications dont tu avais besoin. À toi de jouer maintenant !
Encore une fois, plus facile à dire qu'à faire. Je m'employai malgré tout à essayer de toutes mes forces à créer une flamme. Je fermai les yeux pour mieux me concentrer, et au bout de quelques secondes, je sentis une fois encore le Flux me traverser de toutes parts. Mais au lieu de le faire sortir de mon corps instinctivement comme cela m'était arrivée plusieurs fois, je devais à présent le contrôler et lui donner une forme précise selon ma volonté, ce qui était nettement plus difficile. Je me représentai le Flux comme de la lave bouillonnante coulant dans mes veines, un liquide en fusion qui serait facile à transformer en simple flamme. J'ouvris les yeux un dixième de seconde avant qu'une flamme, petite mais assurée, émerge du bout de mes doigts. Je sus que j'avais réussi bien avant de la voir jaillir, et je me rendis compte d'une chose : ma volonté était sans limite, ou du moins je ne pouvais pas encore en contempler les barrières. Cette constatation me donna le tournis, car elle signifiait que j'étais capable, en théorie du moins, de créer n'importe quoi. Littéralement. Et c'était une perspective aussi excitante qu'effrayante. Bien que mon pouvoir fut très puissant, je sus tout de suite qu'il ne fallait pas jouer avec. Si je m'amusai à repousser les limites qui régissaient ce monde, mon don se transformerait en une malédiction, car ce serait une insulte à la complexité et la finesse de la vie que de vouloir l'imiter, ne serait-ce que faiblement. Connaissant à présent ma puissance, je savais cependant qu'il me restait encore énormément à apprendre, notamment de Maitre Corcy, qui devait bien mieux maitriser son don que moi, lequel était sûrement plus puissant que le mien.
Je pris une grande inspiration, et ce fut bien plus que de l'oxygène qui rentra dans mes poumons et se diffusa dans tout mon corps : c'était la certitude que j'étais qui j'étais, et que c'était déjà pas mal.
Je dirigeai mes doigts vers le tas de branchettes amassées et la flamme qui dansait à leur extrémité y met feu très facilement. Tout le groupe m'applaudit avec enthousiasme, sauf Maitre Corcy qui me fit seulement un petit signe de tête approbateur. Venant de lui, ça me paraissait déjà beaucoup.
Lorsque tout le monde fut revenu à ses occupations, Maitre Corcy me dirigea dans un coin un peu éloigné de la vallée, où nous ne serions pas entendu. Théo pointa le bout de son nez pour savoir ce que je faisais et je lui fis signe d'approcher. Tant pis si ça ne plaisait au vieux bougon.
Ce dernier jeta un regard hautain à mon ami, mais j'y décelai une minuscule trace d'affection, ce qui était déjà beaucoup. Il ne fit aucun commentaire sur sa présence, et m'adressa directement la parole :
- Combien de temps estimes-tu avoir passé à te concentrer pour créer ta flamme ?
- Hum, je dirais, une minute environ, répondis-je étonnée de cette étrange question.
- Dix secondes. Tu n'as pas mis plus de dix secondes.
Mes yeux ronds firent office de réponse. Je n'avais absolument pas conscience d'avoir réussi l'exercice en si peu de temps.
- Normalement, les débutants mettent plus d'un quart d'heure pour y arriver. Les plus doués le font en dix minutes, mais ça reste très rare. Et tu n'as mis que dix secondes ! Te rends-tu compte à quel point c'est extraordinaire ? Tu avais raison, continua-t-il en se tournant vers Théo, Lyra est extrêmement puissante. Bien plus que je, que n'importe qui aurait pu l'imaginer.
- Je... Tu... Vous êtes sérieux ? fis-je, abasourdie et passant du tutoiement au vouvoiement dans ma confusion.
- Je n'ai jamais été aussi sérieux de toute ma vie. Ton pouvoir est immense. Je ne sais pas si quelque chose de pareil a jamais existé dans notre monde, et dans les autres d'ailleurs. C'est incroyable. Absolument incroyable. Si quelqu'un peut sauver Arcadia, c'est bien toi.
Il me lança un regard profond avant de tourner les talons et de rejoindre les autres.
- Ben dis donc ! L'Enchanteresse la plus puissante que la terre ait jamais portée, rien que ça ! remarqua Théo qui n'avait fait aucun commentaire jusque là.
Je hochai la tête, encore choquée. Moi, détentrice de tant de pouvoir ? Et dire qu'il y a quelques minutes je pensais naïvement que Maitre Corcy était plus puissant que moi ! Je m'étais rendue compte que j'étais douée, très douée même, mais de là à être la meilleure et de loin...
Mon ami passa un bras autour de mes épaules, sentant mon désarroi, pour me signifier qu'il était là pour moi. Ce geste m'encouragea à parler :
- Je crois que ce qui me perturbe le plus, c'est que... Avant, dans notre monde, je n'étais rien. Mon existence n'avait aucune importance. Et maintenant... Maintenant je suis nécessaire à la survie d'un peuple, je peux accomplir presque n'importe quel prodige... C'est...
Avant que je puisse trouver le mot qui exprimait mes sentiments, s'il existait, Théo me coupa la parole.
- C'est complètement faux.
- Mais... Je ne me vantais pas, enfin je veux dire, c'est Maitre Corcy qui a dit que j'étais puissante et... balbutiai-je, ne comprenant pas sa réflexion.
- Non, ce n'est pas ça qui est faux. Tu n'étais pas rien dans notre monde. Je t'interdis de dire ça, parce qu'en plus d'être un mensonge, c'est une insulte à tout ceux qui te connaissaient et t'appréciaient.
J'allais répliquer mais il me coupa la parole.
- Non, laisse moi finir. Je sais ce que tu vas me dire, que tu n'avais aucun ami, et que tu étais invisible pour la plupart des gens. Mais pour moi, tu n'étais pas invisible. Tu étais, et tu es toujours ma meilleure amie, celle à qui je peux me confier et que j'entrainais dans des aventures follement excitantes. Et ton père, tu crois que tu n'étais rien pour lui ? Je ne l'ai vu que quelques fois, mais chaque fois que son regard se posait sur toi, il s'illuminait. Tu était son soleil, Lyra, et il t'aimait plus que tout. Et je ne te parle pas de la bibliothécaire et des libraires, qui t'adoraient toutes, et de tous les autres. Là-bas, tu étais toi, Lyra, et ça, c'était tout sauf rien. Et ce n'est pas parce qu'on a changé de monde, que tu t'es découvert des pouvoirs extras et qu'on doit sauver tout le monde que ce que je viens de te dire a changé. Je ne t'aime pas pour tes pouvoirs ou ta puissance, et je suis sûr qu'aucun des autres membres du groupe non plus. Non, tu es importante pour moi parce que tu es toi, et pour aucune autre raison.
Ma bouche s'était entrouverte sous l'effet de la surprise, et ma voix semblait avoir disparu. Et même si j'avais pu répondre, je n'avais rien à dire. Parce qu'il n'y avait rien à dire, tout simplement. Cette déclaration n'était pas une déclaration d'amour, ou même d'amitié, mais quelque chose de beaucoup plus fort, complètement indescriptible. Je sus alors au plus profond de moi que nos destins étaient liés, et que jamais, jamais rien ne pourrait nous séparer. Je plongeai alors mes yeux dans ceux de Théo, et dans ce regard je vis l'évidence. Notre relation était le commencement de toute chose, et nos vies n'avaient aucun interêt sinon celui d'être ensemble. Nous étions nés pour cela, et ce sentiment était ancré dans notre âme et jusqu'à la moindre goutte de notre sang. Rien ni personne ne pourrait jamais nous enlever ça. Cette constatation me parut alors absolument évidente, mais le fait que je ne m'en sois pas rendue compte avant n'avait aucune importance, car maintenant je le savais, et cela pour l'éternité.
Un sentiment de calme et de plénitude m'envahit quand je réalisai que tout cela allait bien au delà du simple amour ou de la banale amitié. Nous pouvions nous hurler les pires insultes du monde au visage ou bien nous embrasser passionnément, ça ne changeait absolument rien. C'était tellement complexe et pourtant si simple que je laissai échapper un petit rire.
J'avais trouvé mon âme soeur.
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Coucou mes petit-es lecteur-trices !
Voilà un nouveau chapitre juste pour vous <3 Toujours pas beaucoup d'actions, mais on commence à en apprendre plus sur les membres de l'expédition et sur le pouvoir de Lyra. Et aussi sur la relation qu'elle a avec Théo ! Je suis partie un peu loin sur ce coup là, j'espère que ça vous aura plus quand même ;)
Kiss ★
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