Chapitre 15 : Miléna
- Merci, lui répondis-je simplement, et elle comprit.
Je m'installai dans le chariot, prête à commencer le voyage. Théo s'assit à côté de moi, et m'entoura les épaules de son bras.
- Attention, Lyra est dans la place : les trolls et leur clique n'ont qu'à bien se tenir !
J'éclatai d'un rire franc, contente de pouvoir évacuer un peu de mon stress.
- Si tout ce que tu arrives à faire est manquer de respect aux personnes qui t'entourent, je doute qu'ils soient très impressionnés.
La voix de Maitre Corcy me fit lever les yeux au ciel. Ce voyage allait être extrêmement long en sa compagnie... Je m'apprêtai à lui sortir une remarque acerbe, mais Théo fut plus rapide.
- Écoutez-moi bien. Il y a plus de puissance dans le petit doigt de Lyra que dans vous et tous vos amis érudits réunis. Alors si vous ne voulez pas reconnaitre ses qualités, respectez au moins son pouvoir.
Le vieil homme grommela quelque chose à propos de la jeunesse insolente et du vouvoiement mais ne répondit rien d'intelligible.
- Tu sais, dis-je à Théo avec un sourire en coin, je suis capable de me défendre toute seule.
- Alors là, hors de question de te laisser tout le plaisir de remettre ce vieux crouton à sa place ! Je veux bien que t'aies des privilèges, mais soit un peu partageuse quand même !
Je replongeai dans un fou rire, avant de me faire la réflexion que je n'étais pas si mal ici, avec mon meilleur ami... Puis je me rappelai du reste.
Nous franchîmes la porte de la ville au moment où le soleil commençait réellement à éclairer Castellian. Je ne pus pas détacher mon regard du spectacle extraordinaire de la cité éclairée par la lueur du soleil naissant. C'était la plus belle chose que j'avais vu de toute ma vie, et ça le resterait sûrement jusqu'à ma mort. Je gardai mes yeux ouverts jusqu'à ce que les larmes y montent, comme si je voulais avaler la ville de mon simple regard pour m'en souvenir pour l'éternité. Lorsque nous perdîmes Castellian de vue, je repris connaissance comme si j'émergeais d'un rêve.
- Ça petite, c'est ce que les hommes peuvent créer de plus beau, me souffla maitre Corcy.
Je ne songeais même pas à lui répondre, car il énonçait là une vérité certaine. Je me contentai de hocher la tête, mes yeux encore remplis de ces images merveilleuses.
Notre convoi avançait à une vitesse plutôt lente, et Alyssa et Miléna avaient déjà mis en place un système de patrouille et d'éclaireur, afin de s'assurer qu'aucune mauvaise surprise ne nous attendait au détour du chemin.
La très jeune générale des armées m'intriguait beaucoup depuis notre première rencontre au palais, et bien que je sois plutôt du genre timide, je décidai d'engager la conversation. Lorsqu'elle passa à cheval près de moi, je l'abordai maladroitement :
- Euh... Mademoiselle la Générale ?
- Oh, par pitié Lyra, appelle moi Miléna ! J'ai horreur de tous ces noms pompeux que les gens de haut rang se donnent, un nom à rallonge ne prouve en aucun cas la valeur d'un homme.
- D'accord... Donc, Miléna, si je puis permettre, d'où venez... d'où viens-tu ?
- Je suis née loin de la capitale, dans le Nord du territoire. Mes parents sont morts quand j'avais trois ans. Tués par des rastes.
- Oh, je suis désolée... dis-je, me maudissant d'avoir entamé la conversation avec un sujet sensible. Mais, c'est quoi, des rastes ?
- Ça ne fait rien, je ne me souviens pas d'eux. Et puis tu sais, quand tu te retrouves orpheline des rues, tu n'as pas beaucoup le temps de pleurer ! Les rastes sont des créatures qui viennent de la Contrée de l'Ombre. Ils sont bêtes mais très nombreux, et n'ont absolument aucune peur de mourir. Ce qui en fait des ennemis redoutables quand ils sont contrôlés par quelqu'un de plus intelligent qu'eux. Ce sont nos principaux adversaires dans cette guerre, et nos hommes ont beau être vaillants et forts, nos Enchanteurs puissants et doués, on ne peut pas venir à bout de 50 000 rastes dont le seul désir est de vous tuer comme ça. Les batailles sont longues et difficiles, et nous essuyons beaucoup de pertes.
Son expression s'était assombrie tandis qu'elle parlait de la guerre qui faisait rage à Arcadia. Je commençais à peine à comprendre les enjeux de ce monde, et je voyais bien que c'était assez compliqué.
Je laissai passer un silence, observant Miléna perdue dans ses pensées, sans doute tournées vers les batailles sanglantes qui se déroulaient loin d'ici.
En la regardant, je pris conscience de sa beauté. Ses cheveux blonds cendrés étaient réunis en une couronne de tresse autour de sa tête, et si je me doutais que cette coiffure avait été choisie parce qu'elle était pratique, elle n'en mettait pas moins son visage en valeur. Elle avait des traits presque coupants, comme taillés dans de la pierre. Mais ce qui aurait rendu le visage dur et sévère chez d'autres la faisait paraitre plus puissante et sûre d'elle encore. Ses yeux couleur noisette adoucissait son regard, mais on devinait une force immense dans ces pupilles qui paraissaient juste belles au premier abord. Ses pommettes étaient hautes, rajoutant un côté altier à son visage déjà conquérant. Ses lèvres étaient pleines et roses, et l'on voyait que sa bouche avait le sourire facile malgré son allure impressionnante. Je me demandais si elle avait déjà connu ou si elle connaissait l'amour, car beaucoup d'hommes avaient sûrement du tomber sous son charme. Mais je me fis soudain la réflexion qu'on n'emprisonne pas facilement un oiseau sauvage en cage...
- Lyra, ça va ?
Je sursautais, car perdue dans mes pensées j'avais oublié la réalité qui se déroulait devant moi. Je devais fixer Miléna avec un regard vide assez bizarre car elle me détaillait maintenant avec une mine inquiète.
- Hum... Oui, oui !
Comme elle n'avait pas l'air convaincue, je décidai de jouer la carte de l'honnêteté.
- À vrai dire, je viens de me rendre compte à quel point tu es belle...
Ouais, bon, sur ce coup-là il aurait peut-être mieux valu mentir. Là, elle allait sûrement me prendre pour une espèce de folle psychopathe...
Contrairement à ce à quoi je m'attendais, elle poussa un long soupir.
- Oui, je sais, dit-elle avec un sourire un peu triste. J'aurais préférée de loin être laide...
- Quoi ? Mais... Pourquoi ? Je connais des filles qui auraient tuées pour te ressembler vaguement !
- C'est bien le problème ! Toutes veulent obtenir ma beauté, mais personne ne voit mes autres qualités. Je me suis battue toute ma vie, et je me bats encore pour qu'on me reconnaisse à ma juste valeur. Quand je disais que je voulais m'engager dans l'armée pour défendre notre pays, on me répondait toujours que je ferais mieux de mettre un peu de maquillage et de me boucler les cheveux, parce que je ferais un ravage auprès des garçons. J'ai cru qu'en montant de grade, ça m'aiderait à me faire respecter, mais au contraire. Plus j'étais forte et importante, et plus on me disait -surtout des hommes d'ailleurs- que je ferais mieux de retourner jouer à la poupée au lieu de gâcher mon joli minois à la guerre. Tu ne peux pas savoir à quel point ça me faisait enrager. En plus, outre le fait que je sois belle, je crois que c'était surtout le fait que je sois une femme qui les dérangeait. C'est bien connu, les femmes sont de petites choses fragiles qui explosent en mille morceaux au moindre danger et qui ont besoin d'un homme fort à leur côté pour les protéger ! Alors, je m'entrainais deux fois plus, pour devenir plus fort que tout ces gens qui me critiquaient, que tous ces hommes jaloux de ma volonté. Ça n'a pas été facile, mais j'ai tenu bon. J'ai toujours su au plus profond de moi que je valais mieux que ce qu'on disait de moi. Cette certitude m'a aidé à ne jamais lâcher, et aujourd'hui j'en suis arrivée là. Comme quoi, quand on veut, on peut !
Elle m'adressa un petit sourire amer et talonna son cheval qui partit au galop.
Je la laissais partir au loin, réfléchissant à son récit. Les préjugés avaient visiblement et malheureusement leur place dans ce monde aussi... Ça me déprimait mais en même temps, je ne pouvais qu'admirer le parcours de Miléna. Encore une qualité... La jeune femme était-elle donc parfaite ? Car j'avais beau chercher, je ne trouvais rien à lui reprocher. Je poussai un petit soupir en me rendant compte que je voyageais parmi des êtres d'exception. Entre Alyssa et Miléna en passant par les soldats royaux, j'eus soudain l'impression de ne pas être à ma place. Que faisais-je avec ces hommes et ces femmes surdouées ? Que faisaient-ils avec moi était une question plus pertinente. Qu'avais-je donc fait pour mériter leur attention, et même mieux, leur protection ? Je n'étais qu'une poussière insignifiante par rapport à leur maitrise des armes, leur courage, leur harmonie, leur perfection. Je n'étais que moi. Et ce n'était pas grand-chose. Presque rien, en fait...
J'étais sur le point de faire quelque chose de stupide lorsque je me souvins de trois choses : la première était les pensées que j'avais eu à l'égard d'Alyssa hier soir dans mon lit, quand je m'étais rendue compte qu'elle ne s'imposait aucune limite car elle ne se comparait jamais aux autres, mais à elle-même. La deuxième était les paroles de Théo à Maitre Corcy concernant mon pouvoir immense. La dernière était le récit que Miléna venait de me livrer. Ces trois évènements me firent prendre conscience d'une chose : me comparer à eux était inutile, et même idiot. J'étais qui j'étais, Lyra, ado un peu paumée mais dotée de puissants pouvoirs, décidée à rentrer chez elle et à ne pas se laisser faire par le premier venu.
Certes la plupart de mes compagnons me dépassaient de loin en de nombreux domaines, mais pourquoi cela devrait-il m'importer ? Seuls comptaient ma progression, mes objectifs et mes rêves. Essayer d'être comme Alyssa, Miléna ou un de ces soldats ne rimaient à rien, car ils n'étaient pas moi et je n'étais pas eux. Cette réflexion me libéra soudain d'un poids. Inconsciemment, je m'étais mise la pression pour être à la hauteur face à ces personnes exceptionnelles. Être moi suffisait amplement.
Rassérénée, je décidai de poursuivre ma petite enquête sur Miléna.
- Je vais faire un tour avec Pomme de Pin, d'accord ? dis-je à Théo qui conversait de manière enflammée avec Maitre Corcy. Je pensais que ces deux-là pourrait finir par s'apprécier, malgré leurs différences. Et puis en attendant, ça faisait un bon entrainement mutuel pour leur niveau de sarcasme !
Mon ami me fit un petit signe de tête un peu étonné, vu mon entrain pour monter à cheval ces derniers jours.
- Je dois bien m'entrainer à monter si le chariot a un problème ! me justifiai-je.
Je ne savais pas trop pourquoi, mais je ne voulais pas que Théo soit au courant pour mes recherches sur Miléna. Enfin, recherches était un bien grand mot mais j'avais l'impression d'avoir passer un pacte avec elle lorsqu'elle m'avait narré son passé et les épreuves qu'elle avait subies. Un pacte qui signifiait que tout ça resterait entre nous, et qui commençait une amitié pleine de promesses.
Je montai prudemment sur Pomme de Pin, puis me dirigeais au petit trot vers Alyssa qui se trouvait à l'avant de notre convoi.
- Alyssa !
Elle se tourna vivement vers moi, sa tresse de cheveux noirs volant derrière son dos.
- Il y a un problème ? me demanda-t-elle, tout son corps déjà prêt au combat.
- Non, non ! la rassurais-je. Tout va bien. Enfin, il est possible qu'on retrouve le cadavre de Théo tué par Corcy s'il l'insupporte trop, mais ce n'est qu'un détail.
Alyssa éclata de rire, et je me joignis à elle de bon coeur.
- Je voulais te demander, commençais-je quand nous eûmes retrouvé notre sérieux, comment tu fais pour ne pas avoir les fesses et tout le reste du corps en compote avec toutes ces heures de chevauchée ? C'est pour moi un grand mystère !
- Oh, il suffit d'avoir un peu de muscle, me répondit-elle d'un ton moqueur.
Je fis semblant d'être vexée, ce qui fit s'agrandir son sourire.
- Mais je suppose que tu n'es pas venue me parler de derrière, si ? me relança-t-elle après un temps de silence.
- Tu supposes bien ! Je me demande parfois si tu ne sais pas lire dans les pensées...
J'avais un peu peur de lui poser ma question, et j'essayai de détourner le sujet. Cela ne marcha évidemment pas, et elle resta silencieuse, attendant calmement que je lui révèle le fond de ma pensée.
- Je voulais te demander... Qu'est-ce que tu sais sur Miléna ?
- C'est tout ce que tu veux savoir ? Pourquoi as-tu eu tant d'hésitation devant cette simple question ?
C'était tout Alyssa, répondre à une question par une question. Comme elle lisait en moi comme dans un livre ouvert, je lui révélai la vérité :
- Eh bien, comme vous avez deux personnalités très... Imposantes, je me disais qu'il y avait une possibilité pour que vous ne soyez pas très en phase...
- Ah, tu pensais que je la détestais ? Hum... C'est intéressant. Pour répondre à ta question, je n'avais presque jamais eu l'occasion de voir Miléna avant aujourd'hui. Je l'avais seulement entrevu lorsque je me rendais devant le Conseil et qu'elle passait dans le coin. Je sais une seule chose sur elle : pour devenir Général des armées, il faut passer dix épreuves. Certaines mesurent la force, d'autres la stratégie, d'autres la précision, d'autres encore la puissance et certaines l'éloquence. Bref, il faut avoir plusieurs cordes à son arc et être très bon, car chaque fois que l'on a besoin d'un nouveau Général, plus de 50 candidats se présentent aux épreuves. Le jury n'a aucune pitié, et ce sont les meilleurs des meilleurs qui s'affrontent là-bas. Le gagnant est celui qui remporte le plus d'épreuves. Le dernier Général avant Miléna avait battu le record en en remportant cinq, et il était vénéré dans tout Arcadia.
Je retins mon souffle, pressentant que l'instant suivant serait d'une importance cruciale.
- Non seulement Miléna a été la première femme à se présenter au concours, mais elle a aussi remporté les dix épreuves.
*********************************
Coucou tout le monde !
Je vous ai concocté un super long chapitre pour compenser celui plus court de la dernière fois ! J'espère qu'il vous aura plu, comme d'hab ;)
Il y eu pas mal de bla-bla avec Miléna, de remise en question, de découverte de soi et des autres, pas beaucoup d'action, mais ces chapitres sont quand même hyper importants et surtout très plaisants à écrire. Je ne sais pas si écrire fait ressentir à tout le monde la même chose, mais perso je trouve ça absolument génial de voir naitre un personnage au fur et à mesure de l'histoire, de le sentir évoluer, d'écrire une phrase sans y penser, de relire et e de se dire "mais c'est parfaitement il/elle ça !". Pour moi c'est vraiment une sensation extraordinaire, c'est d'ailleurs pour ça que j'écris ! Et pour tout le reste bien sûr ;) En tout cas j'espère que vous aurez autant aimé lire ce chapitre que moi l'écrire ! <3
Et n'hésitez pas à me donner votre avis en commentaire et à voter, ça me fait toujours hyper plaisir ! (En média, comment j'imagine la coiffure de Miléna)
Kiss ★
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top