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Le couloir était sombre. Si sombre que la silhouette vêtue d'une cape noire se fondait presque dans l'obscurité. Seul un oeil attentif aurait pu en discerner les contours, fins et menaçants. La capuche rabattue sur la tête, elle avançait le long du corridor à long pas souples. N'importe qui assistant à la scène aurait trouvé la silhouette très sûre d'elle, et l'aurait sûrement considérée comme le maitre des lieux. Malgré tout, quelques signes trahissaient sa nervosité. Ses pieds frappant le sol un peu plus fort que nécessaire. Sa main gantée de noire, serrée en un poing anxieux. Sa poitrine, soulevant sa cape à un rythme légèrement plus élevé que la plupart des gens.

Elle venait visiblement d'arriver, car sa cape et tout son corps dégoulinait d'eau gelée. Des gouttes tombaient au sol en un rythme régulier, résonnant dans le couloir vide en un métronome macabre. Plic, plic, plic. Le tissu était gorgé d'eau, signe que la silhouette avait eu un long trajet pour arriver jusque là. Sa capuche était particulièrement trempée, et pesait sur sa tête comme une couronne trop lourde à porter. Mais même maintenant qu'elle était à l'intérieure, au sec, elle la gardait rabattue de manière à cacher son visage dans une ombre de noirceur.

Elle passa devant une fine ouverture qui ne méritait pas le nom de fenêtre, mais au lieu d'éclairer la silhouette, cela sembla la rendre plus sombre encore. Le ciel à l'extérieur était d'un noir d'encre, sans qu'on puisse déterminer si cela était dû à la nuit ou bien à l'orage qui éclatait depuis des heures déjà. Peut-être à un mélange des deux. La pluie était torrentielle et incessante, produisant un vacarme assourdissant en s'écrasant contre le sol. De temps à autre le tonnerre grondait, le ciel semblant libérer une colère ancestrale enfermée depuis trop longtemps. Puis un éclair survenait, sa lumière attirant l'oeil, roi dans ce monde de ténèbres. C'est ce qu'il se produisit lorsque la silhouette passa devant l'ouverture, mais cela n'illumina pas la scène. Au contraire, même, la silhouette parut aspirer la lumière, comme si elle ne pouvait supporter ne serait-ce qu'une seconde de luminosité. Elle continua à marcher à grand pas, sombre et dégoulinante. Seul un observateur exercé aurait su remarquer son léger ralentissement lorsqu'elle arriva à proximité de son objectif. Comme une minuscule hésitation, le plus infime des doutes. Et si...? 

Mais la silhouette était apparemment trop décidée pour se laisser entrainer dans cette spirale parfois destructrice, car elle reprit son allure pressée et arriva finalement devant une porte, similaire à celle devant laquelle elle s'était trouvée quelques semaines plus tôt mais différente dans les détails. De plus petite taille, elle semblait moins imposante et plus travaillée dans la finesse. Mais au lieu de créer de l'admiration chez le spectateur, cette oeuvre faisait plutôt naitre... De la terreur. Des arabesques obscures semblaient s'enrouler dans des spirales infinies et prêtes à jaillir pour étrangler sa victime. Les sculptures était abstraites, mais on pouvait deviner ici et là des visages gémissants ou des corps écartelés, avant que les sombres boiseries ne se transforment en quelque chose de plus effrayant encore. La silhouette sortit une main gantée -de noir, bien sûr- de sous sa cape et frappa trois fois à la porte, après un instant d'immobilité comme si elle répugnait à s'approcher des arabesques menaçantes.

La porte s'ouvrit brutalement, mais avec lenteur. Et toute seule, apparemment. La pièce qui se trouvait de l'autre côté était une chambre qui paraissait inhabitée au premier abord. Un grand lit à baldaquin vide était fait, les draps tendus et l'oreiller lisse comme si personne n'y avait dormi depuis bien longtemps. Des rideaux noirs masquaient de longues fenêtres, laissant passer de temps à autre la luminosité d'un éclair. Un petit bureau de bois sombre, vide lui aussi, accompagné d'une chaise, était calé contre le mur opposé à celui du lit. Et à gauche, se trouvait une coiffeuse. Le miroir était entouré des mêmes arabesques que celles sculptées sur la porte, mais ce n'était pas le plus effrayant. Non, le reflet de la femme qui s'y mirait était mille fois plus terrifiant.

La silhouette déposa un genou à terre devant elle, assise devant sa coiffeuse. Sa robe noire lui seyait toujours aussi bien, se fondant avec ses cheveux ébènes. Sa peau si pâle semblait presque lumineuse dans cette pièce si sombre, mais d'une lumière glaciale. Après un instant de silence, la silhouette prit une courte inspiration, et se lança :

- Ma reine, dit-elle simplement, sûrement parce que c'étaient les seuls mots sans risque à prononcer.

- Tu m'apportes de mauvaises nouvelles.

La voix froide de la femme n'avait pas posé de question, mais affirmé une fait. La silhouette se racla la gorge avant de lui répondre.

- Eh bien... La fille...

Elle hésita avant de continuer.

La fille a obtenu l'aide des elfes, et leur armée se dirige en ce moment-même vers le nord, dit-elle très vite, comme on arrache un pansement d'un coup.

Peut-être pensait-elle que vomir les mots et s'en débarrasser rapidement leur donnerait moins de sens, ou au moins moins de pouvoir. Ce n'est pas ce qui sembla se passer. La femme ne répondit rien, mais la silhouette remarqua que sa mâchoire finement dessinée s'était contractée. Rien qu'un petit détail, mais ce fut suffisant pour lui donner envie de s'enfuir à toutes jambes. Lorsque sa mâchoire se détendit enfin, la silhouette espéra que le pire était passé. Mais une seconde plus tard, un éclair déchira le ciel et au même moment, le miroir devant la femme éclata en mille morceaux. Extraordinairement, aucun éclat ne se planta dans sa chair, mais un bout de verre s'enfonça dans le mollet de la silhouette, qui serra les dents pour retenir un cri. La femme n'avait pas bougé et se contenta de prendre une longue inspiration, avant d'expirer tout aussi longuement. Il était évident qu'elle n'avait même pas voulu briser le miroir, mais que la puissance débordait tellement d'elle, qu'elle devait parfois sortir de manière quelque peu... imprévue. 

- Dire que je suis déçue serait un euphémisme.

- Je suis- commença la silhouette.

- Tais-toi.

Même si sa vie en dépendait, elle n'aurait plus été capable de prononcer un seul mot. Simple peur ou... Magie ?

- Ton incompétence ne me surprend pas, bien sûr que non. Mais je dois avouer que je m'attendais à quelque chose d'un peu mieux. Tout de même, tu sièges au Conseil ! Comment le peuple peut-il laisser des larves telles que toi le diriger ? Ça me dépasse, lâcha-t-elle avec un petit soupir.

La silhouette ne répondit rien, laissant les reproches se planter violemment en elle.

- Je t'ai fourni une relation avec un des plus haut placés chez ces arrogants d'elfes. Je t'ai offert un moyen de communication efficace, pour que ta couverture ne soit pas trahie. Je t'ai même donné de l'argent pour corrompre les derniers obstacles qu'il resterait. (Elle marqua une pause, soupira.) Et tu as réussi à faillir à ta mission ? À ce niveau-là, c'est presque un talent.

La silhouette tremblait, sans qu'on puisse savoir si c'était de douleur à cause de l'éclat toujours planté dans sa jambe, de choc ou de terreur.

- Tu sais, tu commences à devenir vraiment inutile ces derniers temps. Voire... Problématique. Je suppose que tu as pleinement conscience du fait que personne n'est irremplaçable, surtout pas toi. Et je vais te confier un secret : je crois que de nous deux, c'est moi la plus stupide. Pour avoir cru rien qu'une seconde que tu ferais l'affaire.

En face d'elle, le corps vêtu de noir baissa la tête, provoquant l'écoulement d'une eau restée amassée sur sa nuque.

- Sors maintenant, au lieu de dégouliner comme un chiot abandonné devant moi. Et ne t'avise pas de revenir avant d'avoir accompli quelque chose, ou au moins réparer une de tes multiples erreurs !

Elle n'avait pas haussé la voix, mais la cruauté de ses paroles était aussi efficace qu'un hurlement. La gorge toujours bloquée, la silhouette se leva et repartit sans dire un mot. Lorsqu'elle sortit la chambre et fit quelques pas dans le couloir, elle sentit l'étau qui enserrait sa voix se relâcher. Le pouvoir de la femme était si puissant qu'il était impensable d'y résister une seconde. La silhouette se baissa, haletante, et arracha avec un grognement de douleur l'éclat du miroir qui s'était logé dans son mollet. Sur le sol de pierre noir, son sang écarlate se mêla à l'eau de pluie comme un avertissement funèbre.

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Les trois petites étoiles sont de retour !!! Je suis trop contente, je ne sais pas trop pourquoi, mais j'adore ces petits passages hors du point de vue de Lyra. C'est le problème quand on écrit à "je", mais je ne regrette pas du tout pour autant. (Ah oui, bonjour au fait :) ça va, vous ?)

Bon, entrons dans le vif du sujet : ça vous a plu ? Je fais ces passages de plus en plus longs, mais je dois vous avouer que je prends mon pied à écrire ces descriptions. J'espère que vous prenez autant de plaisir à les lire !

Sinon, un peu plus d'infos sur la femme mystérieuse, et son pouvoir surtout. Qui peut-elle bien être ? Et que veut-elle à nos héros innocents et courageux ? Oh, on me dit à l'oreillette que j'en fais un peu trop...

Je vais donc m'arrêter là et vous donner rendez-vous au prochain chapitre, qui ne saurait tarder trop longtemps :)

Kiss et prenez bien soin de vous <3<3

(J'écris énormément en ce moment, c'est absolument génial. Du coup, je devrais pouvoir poster peut-être un peu plus souvent que d'habitude, ou au moins être un peu plus régulière pour une fois ! Je me fais plaisir, et j'espère vous faire plaisir à vous aussi 😁)

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