Les jours puis les semaines ont passé, et le mois d'août a commencé quand le soleil se lève ce matin-là, dorant de ses rayons les mèches désormais d'un joli blond vénitien d'Emma, jetant quelques paillettes scintillantes dans les prunelles noisettes de Lily, qui, silencieuse, s'est glissée dans la chambre d'Arnaud et, assise à la fenêtre, observe les feuillages des arbres dans les jardins voisins, d'un vert tendre qui bientôt se parera de feu. Le jeune homme, derrière elle, dort encore, et l'adolescente sourit en observant le visage aux traits détendus et paisibles de son cousin et grand frère de cœur. Il lui manquera, quand elle devra repartir...

Un petit soupir s'envole des lèvres rosées de la plus jeune, qui replace tendrement la couverture et passe une main douce dans les cheveux de son cousin avant de se rasseoir, son regard contemplatif se perdant vers le ciel. Quinze ans à distance. Quinze ans qu'elle ne peut les voir que quelques semaines, l'été, et qu'une part de son cœur reste aux côtés de sa famille, la déchirant encore un peu plus chaque fois. Quinze ans, les derniers en particulier la tuant peu à peu... Deux larmes roulent sur les joues de la brune, avant qu'elles ne soient cueillies, perles scintillantes, par deux grandes mains qui essuient délicatement la tristesse avant qu'une étreinte ne se referme autour d'elle.

« Ne pleure pas. » murmure Arnaud à son oreille. « Ne pleure pas, petit sœur. »

Alors Lily sourit, juste un peu, et ferme les yeux, savourant l'étreinte, se retournant pour cacher son visage dans l'épaule de son frère de cœur, avec reconnaissance. Le soleil s'élève dans le ciel, et tous deux restent quelques secondes ainsi avant qu'un petit son les fasse regarder à la porte à nouveau, rompant leur bulle de silence, irisée de tendresse et parée de couleurs. Claudelle, Emma et Catherine les contemplent en souriant, attendant patiemment que tous deux se relèvent pour venir déjeuner.

La journée sera longue, mais tous savent qu'elle sera inoubliable - sauf Emma, peut-être, pour qui leurs projets seront une surprise. Arnaud se lève donc, puis tend la main à sa cadette, une main qu'elle saisit sans hésiter, avec un sourire de connivence à son aîné. Ils sont réellement frère et sœur, peut-être pas par le sang, mais toujours par le cœur... Puis tous descendent pour rejoindre la table couverte de fraises, de bleuets, de pancakes, d'œufs au bacon, et s'asseyent, se servant calmement, la tante de Lily s'installant elle aussi. Claudelle lance à cette dernière un regard complice, lui fait un clin d'œil, et toutes deux rient aux éclats. Catherine glisse simplement une lettre à sa cadette, et celle-ci sourit plus encore en voyant les quelques lignes à l'écriture penchée mais délicate, ainsi que la dernière phrase retracée en couleurs, petit arc-en-ciel égayant la feuille, près de quelques dessins.

Ne pleure pas.

Puis tous se lèvent et se dirigent vers les chambres pour se préparer, Lily et Emma montant côte à côte l'escalier en colimaçon jusqu'à la leur, la porte de bois clair se fermant derrière elle. Un short en jean et un débardeur rouge à motifs, aux bretelles de dentelle et au dos croisé forme la tenue de la plus jeune, son aînée enfilant un tee-shirt blanc et une jupe noire, ainsi qu'un short sous celle-ci sur les conseils de son amie, avant que Claudelle ne vienne tresser les mèches de sa cousine. Un châle corail orangé couvre alors les épaules de la benjamine, et toutes trois sortent de la pièce, descendant dans l'entrée mettre leurs baskets, bientôt rejointes par Arnaud et Catherine. Enfin, la joyeuse compagnie s'ébranle en direction du métro, et s'éloigne peu à peu de la maison. Le soleil brille, parant d'or chacun d'eux, illuminant les visages souriants, et ils continuent de marcher, main dans la main, sous les feuillages d'un vert tendre ou d'un doux orangé qui se mêle à l'or et au bordeaux, annonçant la saison des feuilles mortes. C'est une belle journée qui commence.

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Le métro file sous la terre, de station en station, tandis que sur les quais, quand les portes se rouvrent, tous peuvent apercevoir boutiques de vêtements, de sacs, librairies et affiches colorées, le petit groupe s'étant installé dans une des rames, trouvant quelques places vides qu'occupent Emma, Catherine et Claudelle, Arnaud restant debout, enlaçant Lily, qui elle aussi s'accroche à une barre de métal, attentive aux paroles de ses amis mais rêveuse malgré tout, dans les bras de son cousin. Celui-ci en profite, se moque gentiment d'elle, la taquine, et elle rit tandis que tout s'ébranle à nouveau. Sur l'une des parois de ce transport, une carte où sont tracés sept trajets colorés. Rouge, orange, jaune, vert, bleu, indigo et violet. La benjamine l'observe, pensive, puis annonce, revenant à la réalité avec un sourire :

« On descend à la prochaine ! »

Une étincelle malicieuse étincelle dans les yeux de son aîné, et Catherine - Katniss, la surnommait Lily trois ans auparavant - esquisse un petit sourire complice, que la plupart lui rendent. Tous se lèvent, les portes s'ouvrent. Quelques passagers descendent, puis c'est leur tour, et les portes se referment derrière eux. Les escaliers, qu'ils grimpent quatre à quatre, sont bientôt derrière eux, et deux minutes plus tard, dans le bus les menant à destination, c'est une Lily aux joues rosies par les rires et la course qui entrelace ses doigts à ceux d'Emma. Emma, dont les mèches blondes encadrent le visage aux prunelles chocolat. Emma, qui, tandis que le bus ralentit, comprend où l'emmènent son amie et la famille de celle-ci. Emma, qui a si souvent entendu parler de ces paysages et y croit à peine. Mais Lily a promis, et elle tient ses promesses.

Devant elles, un parc d'attractions se dessine, ses montagnes russes s'élançant vers le ciel ou volant au-dessus du fleuve qui entoure la ville, située sur une île, en un festival de couleurs et de rires. Les enfants jouent, courent en tous sens, crient de joie ou de peur, quelques couples d'adolescents entrent main dans la main, les adultes surveillent les plus jeunes. L'air porte les fragrances de l'eau, du vent frais, des fleurs et du chocolat qui se mêlent, tandis que le groupe attend, fait la file, au soleil puis à l'ombre, pour entrer dans le parc. Enfin, ils franchissent les portes, et Lily serre la main d'Emma plus fort dans la sienne, avant de saisir délicatement celle d'Arnaud, qui lui presse doucement les doigts, presque imperceptiblement, rassurant.

Tout ira bien, aujourd'hui. Voilà ce que semblent vouloir dire les petites caresses du pouce de son cousin sur la peau claire et douce de Lily. Alors elle sourit, et se met à courir en direction des attractions, entraînant dans son sillage un groupe coloré aux milles éclats de rire. Un petit groupe d'arc-en-ciel. Catherine a les joues rosies par le vent, court à côté d'elle, Arnaud les dépasse puis se retourne pour les narguer, trébuche, se rattrape de justesse. Claudelle lui jette un regard narquois, les yeux d'Emma brillent de joie. L'espace d'un instant, un battement de cils, une seconde, tous oublient leurs problèmes. Adieu aux traits nacrés, rosés, qui marquent la peau fine d'une jeune fille, au niveau de ses poignets. Adieu aux larmes et à l'angoisse de sa meilleure amie. Adieu aux appels et aux messages à n'importe quelle heure, quand elles ne peuvent être ensemble.

Emma et Lily. Lily et Emma.
Ensemble ou séparées, pour créer l'arc-en-ciel.

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Quelques heures ont passé, le soleil est à son zénith et pare d'or les cheveux d'Emma, tandis que le groupe se dirige vers un des petits restaurants pour manger... Et s'y sécher. En effet, tous sont trempés et si l'adolescente aux mèches colorées semble choquée, tous les autres s'affairent déjà à essuyer leurs longs cheveux, changer de tee-shirt ou s'essuyer le visage. Lily a tout prévu, et relève ses cheveux chocolat en un chignon flou avant d'ôter le maximum d'eau de ses vêtements fins, qui sècheront heureusement vite, puis de se laisser tomber au soleil, les autres filles l'imitant. Arnaud, moqueur, a déjà passé d'autres vêtements, secs, et les nargue en essuyant ses cheveux courts avec une moue qui lui vaut un coup de pied amical de sa grande soeur. Catherine, elle, fait mine de bouder.

« Cath ? »
« Katniss trouve que tu as été méchant. » fait Lily d'une voix d'enfant, en une plaisanterie, affichant une moue adorable.
« Mais non... » continue tristement le jeune homme, rentrant dans le jeu. « Comment je vais faire pour me faire pardonner... »
« Et bien... » souffle une Catherine au regard espiègle. « Tu pourrais aller chercher le repas, pendant qu'on sèche. »
« D'accord ! » accepte Arnaud, exagérant sa joie, tel un enfant au matin de Noël.

Il prend les commandes, sourit à ses soeurs, sa petite amie et son amie, puis s'éloigne tranquillement, tandis qu'elles restent au soleil, fines silhouettes, et laissent les rayons du soleil les sécher peu à peu, une douce brise d'été caressant leur visage. Emma pose délicatement sa main sur celle de Lily, et cette dernière l'observe, avec dans le regard comme un remerciement muet, comme une demande aussi, les mots ne pouvant plus exprimer ce que la jeune fille voudrait dire.
Reste avec moi, grande soeur.
Toujours.

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Les cinq amis sont désormais installés à une des tables, et commencent à manger. Comme on ne se refait pas, au parc d'attractions, c'est fast-food, et donc, petite entorse à leur régime alimentaire habituel, mais bon... Une fois n'est pas coutume, ils auront le temps de revenir aux plats ensuite. Les frites, les nuggets, le ketchup ou la sauce aigre-douce, une multitude de petites boîtes s'alignent sur la table, dans lesquelles tous piochent, sans réellement faire attention à la personne qui avait commandé à l'origine. Lily mange, discute, s'amuse, et le groupe est assez animé, quand soudain, tous voient le sourire d'Emma se figer, tandis qu'elle observe la sauce devant elle puis s'empare de son soda pour en boire une gorgée. Elle tousse un peu, puis souffle :

« C'était quoi, ça ? »

Ca, c'est une petite sauce orangée, qui ressemble à s'y méprendre à celle qu'elle voulait goûter, mais qui, de toute évidence, est beaucoup trop épicée... Lily lui adresse un regard amusé, ébouriffe ses mèches blondes qui ont retrouvé leur texture et un peu de volume, puis l'embrasse sur la joue, juste pour la provoquer. C'est le rôle d'une petite soeur, dit toujours la brune, et elle le remplit très bien. Quant à Emma, elle distribue très bien les claques, et quelques secondes plus tard, sa cadette se tient le crâne, faussement outragée. L'aînée hausse les épaules et murmure simplement :

« Tu l'as méritée. »

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La journée est bientôt terminée, et le soleil descend sur l'horizon, parant le ciel d'un bleu parfait de rose et de violet, quand tous atteignent la dernière montagne russe. Ils s'installent par deux, Claudelle demeurant pour cette fois toute seule, Arnaud enlaçant Catherine et Lily, doucement, posant sa tête sur l'épaule d'Emma. Le wagon s'ébranle, s'élance à toute allure jusqu'en haut d'une pente où il s'arrête. De leur place, les deux amies ont l'impression qu'ils suffirait d'un rien pour tomber en arrière, telles deux funambules sur un fil, mais elles restent là un instant, avant que le véhicule fuse dans l'autre sens sur ses rails, si vite qu'on pourrait croire qu'il veuille s'envoler pour rejoindre les premières étoiles.

Le coeur bat à toute allure, le vent fouette le visage, et ils s'arrêtent à nouveau, au sommet de l'autre versant. Seul le silence leur répond, Emma restant muette face au spectacle sous ses yeux. Lily n'a pas menti, le crépuscule est sublime de là-haut, et le coucher de soleil sur le fleuve merveilleux... Les teintes pourpres, écarlate ou orangées, couleurs de feu, se répandent à la surface de l'eau, et quelques étoiles brillent, plus haut, se cachant dans la pénombre du ciel nocturne. La plus jeune des deux filles passe une main dans les mèches brunes encadrant son visage, et murmure, ne voulant pas rompre ce mouvement féérique :

« C'est beau, non ? »
« Si, Lily. C'est magnifique. »
« C'est ça le orange. La journée qu'on a passée, les rires, la joie, l'excitation, cette douce folie. C'est foncer et s'arrêter au sommet de la falaise, en équilibre, sans savoir si l'on va tomber. C'est une couleur acidulée aussi, sucrée ou piquante, parfois. Une couleur forte ou douce... Orange feu, orange crépusculaire. C'est une couleur positive, créative, lumineuse, la couleur du soleil. Et tu es mon petit soleil. Alors rappelle-toi que tu peux briller, d'accord ? »

Et là, au sommet de cette attraction, devant le jour mourant qui se mêle à la nuit, elle glisse dans la main de son amie une petite pierre ciselée, fragment de cornaline formant un petit soleil. Ses doigts s'attardent dans la paume pâle, effleurent les poignets, et elle retient ses larmes, avant de doucement relâcher son étreinte. Alors, Emma glisse ce nouveau cadeau à son cou, sur la chaîne, ajoute une couleur, l'avant-dernière, à l'arc en ciel, et Lily répète, en un souffle très doux :

« Tu peux briller. Je t'aime, petit soleil. »
« Je t'aime, petite étoile. » répond son amie.

Puis le silence revient. Elles n'ont pas besoin, n'ont jamais eu besoin de mots pour se comprendre. Un regard, un geste suffisent. Et en cet instant, aucun mot ne peut se comparer à ce qu'elles viennent de vivre. Alors elles gardent le silence, et Emma enlace sa cadette, muette. Celle-ci lui rend avec joie cette étreinte, et ferme les yeux, tandis que le wagon repart. Le soleil s'est couché désormais, et un oiseau seul, non loin, chante la mélodie de la nuit.