Je tombe nez à nez avec mon père à la salle du trône. C'est la boule au ventre que je le rencontre. Près de lui, le corps de maman dans un cercueil ouvert. Il ne remarque pas ma présence, et semble dans un univers où seul maman et lui sont. Il tient sa main inerte sans jamais détourner le regard de son visage endormi. Et malgré la tragédie que nous venons de vivre, maman est resplendissante en cet instant. Mon père a soigné son apparence et essuyé toute trace de sang. Il s'adresse à elle avec beaucoup d'amour et de tendresse, témoignant à sa moitié son inconditionnel amour pour sa moitié.

—Père… je…

Quand je m’approche de lui en lui tendant ma main, une autre se pose sur moi. Ridzac et Loïck viennent tout juste d'arriver et me demande de reculer pour les laisser seuls. Je regarde mon père une dernière fois avant d’obéir et recule. Je quitte la salle avec eux et ces derniers me prennent à part pour discuter. Ridzac me regarde avec beaucoup de peine en découvrant mon visage. La peau d'une bonne partie de mon visage est partie ainsi qu'un de mes yeux. Le loup blanc en a lui-même perdu un par le passé.

— Tu es dans un bel état. Mais je suis content que tu sois en vie, me dit-il en posant sa main sur moi.

Mais le faite de le savoir juste en vie me fait littéralement pleurer. Loïck a la gentillesse de me prendre dans ses bras alors que Ridzac n’enlève pas sa main. Ils sont un peu comme mes deuxièmes parents, tous les deux tiennent une place très grande dans ma vie, et dans mon cœur. S'ils n’étaient pas là maintenant, je ne sais pas ce que je serais à l’heure actuelle. Dans leurs bras, je peux pleurer et être un enfant. Alors je hurle et serre fortement le corps de l’humain aux cheveux noirs sans parvenir à contrôler ma force à tel point que Ridzac tente de nous séparer.

Mais Loïck l'en empêche, comprenant que je n’ai plus rien à quoi me rattacher. Je n’ai jamais été réellement proche de mon père parce que je le détestais. Injustement, je lui voue une jalousie. Mais une partie de moi l'admire, il a la chance d’avoir de magnifiques yeux rouges et un pelage noir sombre, mais brillant à la lumière de la lune. Alors en cet instant, je m’en veux de ne pas me tenir à ses côtés et de le soutenir.

—Nous n’avons pas retrouvé Tsukumo je suis désolé. S'excuse Ridzac.

Depuis qu'il s’était volatilisé, Ridzac a demandé aux hommes de mon père de remuer ciel et terre pour le retrouver. Mais il est parti sans faire de bruit, en n’emportant qu'avec lui la peluche que je lui aie offert.

—Mais nous allons le retrouver, me rassure Loïck. I-Il ne peut pas être très loin !

Mais je sens bien qu'il n'est pas convaincu par sa propre parole. Cependant, je ne peux pas lui en vouloir, tous les deux sont étrangers à cette histoire, et pourtant, ils soutiennent ma famille depuis toujours. Loïck a beaucoup pleuré en apprenant la mort de ma mère. Si au début, il m’a détestait, il a finit par s’entendre avec elle. Sa mort ne fait pas mal uniquement à moi. Mes frères et sœurs, Loïck, Ridzac, mais surtout mon père sont touchés par cette triste nouvelle.

— Allons-y, Loïck. Tu es fatigué. Dit Ridzac à son compagnon en mettant une main sur son épaule.

Tous les deux s'en vont, en me laissant derrière eux. Je décide donc de retourner voir mon père pour un peu discuter avec lui. Il a beau être une bête royale majestueuse, il a besoin de quelqu’un pour le soutenir. Je retourne sur mes pas pour aller à sa rencontre et pousse les portes de la salle pour le rejoindre.

Silencieusement, je m’approche de lui. Il n'a pas bougé de sa place, assis en face du cercueil dans lequel maman se repose. Elle a les deux mains jointes, sur son ventre, et porte une magnifique tenue blanche qui rappelle sa pureté. Mais il se contente de la regarder, sans jamais poser ses ailleurs, sans jamais tourner sa tête pour m’observer. Je réalise alors que dès l’instant où maman nous a quitté, son cœur est mort avec. Il a cessé d'exister à ce moment-là. Alors pour le soutenir, je pose une main sur son épaule et enfin, je capte son attention.

—A-Aranaël ?
—Bonjour, père. Réponds-je en essayant de ne pas craquer devant lui.

Mais la  vision de ma mère me détruit. Je n’ai pas su la protéger de Baron, ni elle, ni Tsukumo. Et aujourd’hui, j’ai perdu des personnes extrêmement chères à mon cœur. Mais je ne suis pas seul dans cette souffrance, nous traversons cette épreuve ensemble. Loïck et Ridzac, mes frères et sœurs, et notre père. Et si pour le moment la douleur est trop présente pour penser à demain, nous devons rester soudés. C'est pourquoi, je dois retrouver Tsukumo et m'excuser proprement, en face. En faisant les choses bien.

—Père, dis-moi où est parti Tsukumo. Je t'en prie…
—Pourquoi cela, après ce qui s'est passé ? Me demande-t-il en caressant le visage froid de maman.

Je serre des poings, enragé. Mais toute cette haine c'est envers moi-même que je la ressens. Mais c'est terminé, je dois arrêter de fuir mes responsabilités et les affronter. Je dois retrouver Tsukumo, peu importe s'il me rejette, s'il me déteste, j’aurais eu le mérite d’essayer, d'aller vers lui. Et quoiqu’il décide, j’accepterais sa décision.

—Il s'est rendu sur la tombe de ses parents. Il avait besoin de les rencontrer au moins une fois dans sa vie.

Les paroles de mon père sonnent tragiquement. J’ai un terrible pressentiment à propos de Tsukumo. Quelque chose est sur le point d'arriver, et si je ne fais rien maintenant, alors je risque de le perdre pour toujours.

Et si je viens de perdre ma mère, il est hors de question que je le perde lui. Non, ça suffit. Je ne veux plus jamais laisser une personne que j’aime partir, et ne rien faire pour empêcher cela.

Pour la dernière fois, je tourne le dos à mon père en tapant sur son épaule, et lui glisse ces quelques mots :

—Attend moi, père.

Puis je quitte la salle du trône en le laissant derrière moi. Mais je ne réalise pas sur l’instant de la gravité de mon geste.

Malheureusement, je ne suis pas un héros comme l’était ma mère. Je ne peux pas sauver tout le monde avec seulement ma volonté et ma lance. Même en tant que bête, la force me manque.