Partie 20 : Vingtième Déboulé
POV Shira :
─ Ouvrez-moi ! Tout de suite ! Hurla la même voix pour la vingtième fois.
─ Steve, fait quelque chose. Il est trois heures du matin ! fit Charley en gémissant.
─ Shira, ouvre-moi cette porte ! cria Maryane en tapant plus fort.
Cela faisait plus d'une demi-heure que Mary hurlait à la mort, coupant net le sommeil de tout le monde.
Charley qui, -avec ses émotions à fleur de peau-, ne supportait plus ce tapage sonore, envisageait de l'assommer avec une casserole, sous le rire amusé de son mari.
Je la regardai se démener, l'espionnant entre le volet entrouvert, à moitié endormie.
Qu'est-ce qu'elle voulait à la fin ?
─ Shira !
─ Tais-toi ! hurla Charley, excédée.
─ Pas avant de l'avoir vue ! répondit-elle en haussant davantage la voix.
─ Mais fermez-lui la bouche ! lui dit mon amie en grognant.
J'eus pitié d'elle et me levai gauchement, me tenant au mur.
Ma démarche laborieuse me fit perdre une précieuse minute de silence, Maryane ne se décourageant pas.
J'ouvris la porte à la volée, découvrant un petit génie frigorifié.
Mais qu'est-ce qui lui prend d'être en chemise à manches courtes quand il fait moins de dix degrés ? Cette fille est complètement folle !
─ Quoi ? M'enquis-je d'un ton bourru, le manque de sommeil me rendant grognon.
Elle me dévisagea, la bouche ouverte.
Quoi ?
Bon d'accord. J'étais dans mon vieil ensemble, un mélange de haut usé et de mini short déchiré mais je ne voyais pas ce qui....
Merde : ma jambe.
Ma prothèse était clairement visible, me rendant si honteuse qu'un haut de cœur me fit vaciller.
Les yeux de Maryane étaient écarquillés, regardant ma jambe comme si une créature surnaturelle y vivait.
Et cela me fit mal.
Très mal.
─ C'est donc ça.., murmura-t-elle dans un souffle.
Je dus résister à l'envie de pleurer toutes les larmes de mon corps, mon cœur meurtri à l'idée que ce secret mis en plein jour ne la fasse fuir.
Qu'elle me brise comme mon amour avant elle.
Je ne répondis pas, retenant mes larmes.
Elle releva la tête, le regard aussi embué que le mien.
─ Il faut qu'on parle.
Je crispai ma main contre la poignée, indécise, détruite.
─ Shira...Ça ne change rien. Rien. Laisse-moi entrer, fit-elle d'une voix douce.
Je m'effaçai alors, la laissant passer à contrecœur.
Mary regardait l'intérieur avec calme, m'offrant le loisir de me ressaisir.
─ Viens, lui dis-je en boitant jusqu'à la chambre d'amis.
Elle me suivit en silence, son corps frôlant le mien avec douceur.
Je fis comme si cela ne me touchait pas, frissonnant intérieurement.
Elle prit place sur le lit, attendant que je fasse de même.
Je n'eus pas ce courage et préférai me mettre assise sur la seule chaise de la pièce.
─ Je t'écoute.
Elle attendit que je sois bien installée avant de lâcher la bombe :
─ J'ai parlé avec Matt.
Bien sûr, il fallait que cet abruti aux mèches blondes vienne mettre son grain de sel dans cette histoire !
─ Ah.
─ Je ne sais pas tout ! S'empressa-t-elle d'ajouter. Il m'a juste parlé d'un accident.
─ En effet.
Elle jaugea ma réaction, attendant que j'explose. Je restai miraculeusement impassible.
─ Pose ta question.
─ Que s'est-il passé ?
─ Ton crétin de petit copain a bu et a pris le volant, ivre. Il a percuté ma voiture et s'est barré. Point.
Elle ferma ses poings et me lança un regard furibond.
─ Matt n'est pas mon petit copain et ce n'est pas aussi simple que ça !
─ Bien sûr que si.
Elle soupira.
─ Je ne parlais pas de l'accident mais de l'après choc.
Je détournai les yeux.
─ J'étais complètement terrifiée. Ma jambe... ma jambe était coincée, je ne pouvais plus bouger. J'ai pété un plomb, littéralement. Ils m'ont transportée à l'hôpital, m'ont bourrée de morphine avant de m'expliquer qu'ils allaient devoir me sectionner la jambe droite. Sans plus de cérémonie. Je me suis réveillée avec la sensation d'avoir perdu une partie de moi. Je ne voulais pas voir cette horreur, ce qui faisait de moi un monstre... J'étais une danseuse hors-pair, adulée par tous, heureuse de pouvoir vivre de ma passion, comblée de bonheur...Il m'a tout arraché. Ton Matt a brisé mes rêves. Il a gâché le reste de mon existence. C'est son alcoolisme m'a conduite là-bas et regarde : qu'a-t-il eu lui ? Rien. Pas de prothèse, de peines encourues par la justice. Rien. Nada.
Une main me serra doucement le poignet, me faisant baisser les yeux vers elle.
─ Je suis désolée...
Une larme perla au coin de mes yeux, tombant sur sa main pâle, miroitant ma souffrance sans oser la cacher.
─ Il n'a rien eu. Rien.
─ Shira, regarde-moi.
Je secouai la tête.
─ Regarde-moi, fit-elle d'une voix ferme.
Je n'eus pas d'autre choix que de lui obéir.
Ses yeux transpercèrent les miens, si calmes et remplis de chaleur que ma tristesse se tarit légèrement.
Je pouvais de nouveau respirer.
─ Tu n'es pas responsable, Matthew non plus.
J'ouvris la bouche dans le but de protester mais elle me coupa dans mon plein élan.
─ Non. A moi de te donner sa version des faits.
Je n'en n'ai rien à faire, de sa version.
Meurtrier.
─ Matt était à une fête pour jeunes diplômés, heureux de pouvoir fêter son entrée dans un cabinet d'avocats...Il était trop enjoué, trop influençable. Alors oui, il a bu. Beaucoup. Joy, sa petite amie, l'a appelé : elle était seule, en pleine nuit et avait besoin qu'il la raccompagne. Il était le seul à avoir une voiture. Il a accepté. Lorsqu'elle a vu l'état dans lequel il était, Joy s'est emportée et a exigé qu'il reste cuver chez un ami...Matt n'a pas mesuré les risques, ne décelant pas l'ampleur des dégâts que son état pourrait causer. Il s'en est rendu compte trop tard... beaucoup trop tard. Joy est morte devant ses yeux, il n'a rien pu faire pour éviter ça. Il s'est réfugié dans la violence, l'autodestruction et le mépris de soi-même pour oublier. Tu peux bien imaginer que ça n'a pas marché bien sûr. Je l'ai trouvé au plus bas. Mon Dieu Shira, lors de notre première rencontre, j'ai rencontré un homme brisé, incapable de surmonter sa douleur, terrassé par ses souvenirs teintés de rouge qui le faisaient hurler chaque nuit. J'ai découvert ses boites de somnifères et ses réserves de morphine qu'il prenait en overdose chaque jour. J'ai été témoin des émeutes qu'il créait dans les bars, de sa soif de vengeance, de ses bagarres auprès des gangs...je suis même allée le récupérer au poste de police plusieurs fois. J'ai vu les marques sur ses bras, l'absence de vie dans ses yeux, le sang sur sa chemise blanche...J'ai vu l'enfer dans lequel il plongeait un peu plus chaque jour. J'ai vu ses parents le rejeter, l'humilier, le dénigrer, l'accuser d'être ce qu'il n'était pas. Je l'ai vu passer des journées entières devant la tombe de Joy, refusant de partir. J'ai constaté sa perte de poids, je l'ai vu dépérir...J'ai senti sa détresse comme si c'était la mienne. Je pleurais avec lui, l'écoutant s'auto-flageller encore et encore, regardant sa tête cogner contre le mur. Je l'ai aidé à penser ses blessures, je suis restée avec lui des nuits entières, je lui ai confisqué ses boites. La situation ne s'arrangeait pas : parfois même encore aujourd'hui, il lui arrive de rester sur le perron de la porte, incapable de le franchir, recroquevillé sous la pluie.
Mary pleurait, incapable de maitriser les violents sanglots qui lui secouait le corps.
J'eus moi-même beaucoup de mal à ne pas pleurer.
Même si je ne lui pardonnais pas ses actes, je pouvais comprendre sa douleur. Compatir.
J'attendis ; mon petit génie avait besoin de vider son sac.
─ Tes paroles Shira...Les paroles que tu lui as sauvagement balancées à la figure, c'était un retour en arrière. J'ai vu la petite étincelle de vie qu'il peinait à garder s'éteindre. Je l'ai retrouvé à l'hôtel, la poitrine zébrée de sang. Son sang. Il était incapable de me regarder dans les yeux, Shira. J'ai perçu sa honte avec une force incomparable : un ouragan de tristesse, de désespoir, de colère et de souffrance.
Je ne connaissais pas les difficultés que pouvait traverser Matthew, m'arrêtant à son physique avantageux.
J'avais conscience de mes actes mais lui, devait vivre tous les jours avec la mort de sa copine sur les épaules.
Un fait que j'avais remis sur le tapis sans le vouloir.
Maryane m'avait avoué certains faits : j'allais faire de même.
Pour nous.
─ Je dois te dire quelque chose.
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