Partie 18 : Dix-huitième Brisé

Pov Shira :

La porte s'effaça devant moi, ouvrant sur un intérieur chaleureux et plein de fantaisie qui n'avait rien à voir avec l'idée que je me faisais de l'endroit.

Comment imaginer la carrure imposante de Steve au milieu des tapis moelleux et des autocollants fleuris ? C'était presque impossible.

Le petit sourire ironique de Charley m'apprit qu'elle le pensait aussi.
─ Je t'assure que c'est possible.

Zut, j'ai dû parler sans même m'en rendre compte....

─ Sérieusement Charley, je t'aime beaucoup tu sais ? Mais ne me raconte pas de salades... Regarde cette entrée ! Tu as collé des autocollants papillons ! Des papillons bon sang ! Ton homme fait quoi ? Deux mètres de haut ? Et tu imagines Terminator avec un tablier rose dans une cuisine avec des autocollants ?

Ma tirade la fit rire.

─ Shira, Shira, Shira....Tu ne l'as jamais vu passer l'aspirateur et nettoyer la cuvette des toilettes !
Je ne pus m'empêcher de glousser: l'image que je me faisais de cette armoire à glace venait de brusquement s'effondrer.

Nous fûmes interrompues par l'arrivée de Steve qui (une fois n'est pas coutume) souriait paisiblement.

Apprendre la grossesse de sa femme l'avait métamorphosé: le videur transpirait la tranquillité, l'amour dans ses yeux se décuplant avec tellement d'intensité que j'en avais les larmes aux yeux.

─ Où dois-je m'installer ? M'enquis-je en souhaitant leur laisser un moment d'intimité en couple.

Ce fut (sans surprise) Charley qui se précipita vers moi pour m'entrainer vers une petite pièce au fin fond du couloir.

─ Voilà la chambre d'ami ! Enfin...la future chambre du bébé, déclara-t-elle avec un sourire rayonnant.

La pièce, assez petite, avait sa propre télé, un bureau en chêne, un lit double, une armoire blanchâtre et des rideaux verts.

Je reconnus le tapis gris du salon et la légère touche fantaisie de Charley sur les murs.

─ Alors ?

─ J'aime beaucoup.

C'était une semi-vérité: j'appréciais la pièce, mais je n'étais pas fan des couleurs verdâtres de la maison.

─ Super ! Je te laisse te décharger de toutes tes affaires, les valises sont dans le couloir. Nous sommes dans le salon, si tu veux quoi que ce soit : appelle-nous.

J'attendis qu'elle parte pour m'affaler sur le lit, une grimace m'écorchant la bouche.

Cette saloperie de prothèse m'a fait un mal de chien !

Comme elle était connectée à mes nerfs, je pouvais sentir la rouillure m'empoisonner le sang, me mordant la chair fendue comme un rasoir tenaillant la peau.

Je ne pouvais plus continuer mon simulacre longtemps: ils s'en rendraient bientôt compte.

J'avais essayé de faire traduire mon boitage par un manque de sommeil mais le regard inquiet que Charley avait posé sur moi me prouvait qu'elle n'était pas dupe.

Loin de là.

Elle n'avait pas insisté, préférant sûrement attendre que je daigne lui parler de ma situation chaotique. Ce n'était pas quelque chose que je faisais volontiers.

Mon amour me manquait. Personne ne m'entendrait un jour le dire, mais je pouvais le penser.

C'était de ma faute ; moi et mon stupide accident, moi et mon ego surdimensionné, moi.

Et seulement moi qui étais la cause de tout cela.

Y songer me faisait mal, mais j'aurais peut-être dû écouter Jade : nous n'en serions pas là sinon.

Penser à Mary me faisait me sentir infidèle mais j'avais beau résisté, mon attirance ne faiblissait pas ; au contraire, elle augmentait d'intensité de jour en jour...

Je soupirai, lasse d'avoir toujours à me battre contre moi-même.

─ Shira ? Tout va bien ? fit la voix rauque de Steve en toquant à la porte.
─ Oui, bien sûr.
─ Je peux entrer ?
─ Entre Steve.

La seconde d'après, un géant me toisa d'un regard soupçonneux.

─ Quelque chose ne va pas ?

Oui. J'ai mal.

─ Tout va bien.

─ Ça n'a pas l'air d'aller pourtant.

Il s'assit à mes côtés, ses cuisses faisaient la taille d'un tronc d'arbre touchant les miennes.

─ Charley m'a raconté votre discussion au bar....

Je me crispai.

─ Tu as l'air sur le point de craquer.

Peut-être que c'était le cas d'ailleurs...

─ Je ne compte pas te juger, ni te jeter la pierre d'ailleurs. Seulement si je pouvais te donner un conseil, ce serait : va de l'avant. Tu as tendance à t'empoisonner avec tes souvenirs passés. C'était une autre époque, avec une autre Shira.

Il me regardait, attendant une réaction de ma part.

─ Je ne lui serai pas infidèle. Ce que je ressens pour Mary.... c'est mal. Ce n'est que de l'attirance, point.
─ En es-tu vraiment sûre ?

Non.

─ Bien sûr.

Il haussa ses épaules.

─ Je ne sais pas ce que tu penses mais je suis sûr que tu me mens. Tu te mens à toi-même, Shira.

─ C'est faux. J'aime quelqu'un d'autre, je sais ce que je ressens.

─ Ce n'est plus réciproque, tu le sais. Tu vis dans le déni, c'est inévitable mais tu dois avancer : tes parents, ta prothèse, c'est invivable. Tu te dois d'avancer, tu n'as plus le choix.

Je ne l'ai jamais eu.

─ Je sais. Je vais le faire.

Parfait. Je te laisse déballer tes affaires.

Il se leva, sa tête frôlant presque le haut de la porte entrouverte.
Je me relevai donc, m'appuyant sur ma jambe gauche pour éviter d'accentuer la douleur.

Mes affaires déballées, j'ouvris la porte de l'armoire et entrepris de déposer mes vêtements dans les cases vides qui m'étaient dorénavant dédiées.
Il y en avait trois, assez spacieuses pour une si petite armoire, trop grande pour mes quelques affaires.
Je pouvais entendre Aiko aboyer dans le jardin, heureux de changer d'atmosphère.

En voilà un qui ne s'inquiète pas d'éventuels revers.

Je ne mis pas plus de dix minutes pour m'installer, n'ayant pas dévalisé la maison en arrivant.
Aller au salon me prit plus de mal, mon boitage s'étant aggravé, je devais à présent me tenir à quelque chose pour ne pas tomber.
La situation devint de plus en plus critique en fur et à mesure que les minutes défilèrent.

Je vis Steve et Charley confortablement installés sur le canapé, la main de l'homme tendrement posée sur son ventre légèrement arrondi.
Ils me virent arriver, et leurs mines s'assombrirent en me voyant avancer.
Aussitôt, Steve se leva, m'aidant à marcher jusqu'au fauteuil brunâtre qui se tenait à l'angle de la pièce.

─ Il nous faut agir maintenant. On va bien finir par trouver une solution ! fit la jeune femme d'un air inquiet.

─ Il n'y en a pas. J'ai tout essayé.

─ Je vais t'en dégoter une, fais-moi confiance, m'assura-t-elle en secouant la tête.

─ Je m'en occupe, fit Steve. J'ai ma petite idée....

Je me pinçai l'arête du nez, sachant très bien que tout cela ne servait à rien.

─ Steve a des amis qui travaillent dans les forces de l'ordre. Ils seraient aptes à faire quelque chose, m'expliqua-t-elle en hochant la tête en direction de son mari.

Les forces de l'ordre? Pourquoi pas....

─ Ils pourraient faire ça ?

─ Bien sûr ! Aurais-je omis un détail ? Steve a été pendant cinq ans dans l'armée.

Oh...!

Je vis Steve rougir. Littéralement.

─ Je n'aime pas en parler, fit-il, grognon.

─ Je suis sûre que Shira rêve d'entendre le récit palpitant de tes exploits en Afghanistan.

─ Tout à fait ! M'exclamai-je en m'installant confortablement.

─ Et bien, il y a huit ans St...

Des pneus crissèrent sur le sol, l'interrompant.

Hein ?

Le couple n'avait pas l'air d'attendre qui que ce soit.

Si jamais Jade m'avait retrouvée...

Je me crispai contre le fauteuil.

Charley se leva, jetant un coup d'œil inquiet à son mari qui disparut vers la porte.

─ Ne te tracasse pas Shira. Elle n'aurait jamais pu te suivre.

Tout était possible avec elle. Je n'espérais pas avoir de la chance.

La portière de la voiture claqua et des coups répétitifs bombardèrent la porte.
Steve attendit qu'ils se calment avant de regarder dans le hublot.

─ C'est une femme, nous annonça-t-il avec calme.

Mon cœur manqua d'exploser dans ma cage thoracique.

─ Jade ? Balbutiai-je-en tentant de me ressaisir.

─ Je ne pense pas. Elle est jeune, brune avec les yeux pers.

─ Maryane..., murmurai-je en me redressant.

Mon petit génie, que fais-tu ici ?

─ Laissez-moi entrer ! Tout de suite ! Shira, je veux voir Shira ! Tonna Mary avec force en tambourinant la porte de plus belle.

─ Il y a un homme avec elle.

Ken.

Ce petit salopard ne pouvait-il donc pas la laisser tranquille ?

Ouvre la porte mon amour, c'est Maryane, fit Charley avec douceur.

Je me levai, m'accrochant au bras de Charley pour avancer.
Il ouvrit la porte et je pus voir le visage courroucé de Mary, ses pommettes devenues rouges d'indignation.
Lorsqu'elle me vit, son expression changea du tout au tout: l'inquiétude flottant sur ses lèvres.

─ Shira...

─ Que fais-tu ici ?

Puis, je croisai le regard de Ken, que je n'avais jamais vu jusque là.
Le choc.

Flash-Back :

J'entendis les pneus crisser sous la pluie à la vue de cette Mercedes argentée qui roulait à une vitesse folle au milieu même de la route: un homme la conduisait.
Je vis son regard affolé croiser le mien. Il était avec une femme qui lui hurlait dessus, ivre de colère.
Les doigts crispés sur le volant, le blond sembla comprendre ce qu'il se passait mais ne réagit pas, tétanisé, les pupilles dilatées: il avait bu.

La femme à ses côtés hurlait, semblant si terrifiée que je sus que ce regard me hanterait toute ma vie.
La voiture me rentra dedans en plein élan, avant que la mienne ne sorte de la chaussée, percutant un arbre de plein fouet.

Je sentis la douleur s'insinuer dans tous les pores de mon corps, me foudroyant comme un éclair avant qu'une horrible déchirure me paralyse la jambe droite.

─ NOON ! MA JAMBE !

Je hurlai à m'en écorcher les cordes vocales, essayant de la dégager de là où elle était.
Mon cri résonnait encore après mon entrée au service des urgences.

Fin du Flash-Back :

C'était lui.
Assassin.
C'était ses yeux que je voyais toutes les nuits.
C'était sa tignasse que je pouvais sentir en fermant les yeux.
C'était son alcoolisme qui avait provoqué l'accident.
C'était lui : Matthew Douglas Parrish.

Il me regardait, reculant d'un bond en découvrant qui j'étais : sa victime.

─ Sors, fis-je, commençant à avoir de légers tremblements.

Il se reprit, toujours aussi secoué.

─ Je suis désolé...

─ Sors.

─ J'ai tenté de m'amender...

─ SORS ! Hurlai-je, perdant mon calme. C'est de ta faute ! Tu m'entends ? TA FAUTE ! Casse-toi ! Je ne veux plus entendre parler de toi, jamais !

Mary me dévisageait sans comprendre, nous regardant Matthew et moi tour à tour.

─ Matt ? Que se passe-t-il ?

Il l'ignora, ses yeux empreints de douleur me fixant avec une intensité troublante.

─ Je suis désolé.

─ DÉGAGE ! Criai-je en claquant la porte.

Le silence fut à son comble à l'intérieur de la maison, personne ne pipant mots.

─ C'est lui ? Le chauffard...

─ Ouais, c'est lui.

Les coups contre la porte reprirent, la voix de Mary me suppliant d'ouvrir.
Elle ne comprenait pas.

Je lui ai claqué la porte au nez....

J'étais dans l'incapacité de lui répondre. Je ne voulais pas lui répondre.
Je restai immobile, tremblante, furieuse pendant plusieurs minutes : jusqu'à ce que Mary parte avec lui, lasse d'attendre.

Je ne lui pardonnerai jamais. 

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