Partie 16 : Seizième Manège

Pov Shira :

Je ne m'endormis pas ce soir-là, la tête hantée par le souvenir d'un taxi disparaissant sous la lumière des lucarnes...

On ne change pas les bonnes vieilles habitudes.

Je tentai de ne pas imaginer ce qu'ils faisaient à l'heure actuelle.

Pas trop du moins.

Un mississippi, deux mississippi...Endors-toi...endors-toi !

Rien ne fonctionnait comme prévu : j'aurais dû être à des centaines de kilomètres d'ici, échafauder un plan pour préserver ce contrat... mais non.

J'étais en train de ruminer dans la salle de bain, inquiète, aveuglée par une romance à sens unique alors que j'étais en couple avec l'être le plus parfait qu'il soit : un amour aux yeux bruns et à la tignasse ambrée.

Je me souvins encore de notre rencontre, avant que le destin ne se mêle de notre histoire...

Flash-Back :

─ Où sont ces maudites clefs ? Shira, tu vas être en retard, pestai-je en maudissant le rangement bordélique de mon sac à main.

Je marchais sans trop savoir où, trop occupée à trouver le bout du tunnel.

─ Ce putain de paquet protéiné prend toute la place et...qu'est-ce que c'est que ce machin ?

Je soulevai la petite souris en plastique imbibée de salive et me retiens de rire.

─ Aiko.

J'ai quand même pris la balle du chien, la preuve que je ne suis jamais réveillée le matin...Mouchoir, chewing-gum à la menthe, tampons...où sont ces fichues clefs ?
─ Je ne les ai tout de même pas laissées sur la serrure...? Si ?

Si je pars maintenant, que je cours jusqu'à la voiture et que je grille les feux rouges, je serai arrivée dans...une heure.

─ Merde.

─ Besoin d'aide ? fit une voix aux accents doucereux dans mon dos.

Je me retournai et vis une jeune femme âgée d'au moins vingt-cinq ans me regarder avec des yeux pétillant d'amusement.

─ Je ne crois pas que..., commençai-je en voulant refuser son aide le plus courtoisement possible.

Avant de voir mes clefs dans sa main gauche.

─ Mes clefs.

─ Tu les avais laissées tomber sur le trottoir, m'expliqua-t-elle en me les donnant.

Mes doigts frôlèrent sa paume.

─ Merci beaucoup...

─ Sophia.

─ Merci Sophia.

Son sourire me donna un léger bourdonnement dans le ventre, -vous savez ?-, ce léger papillonnement dans le creux de l'estomac qui annonçait la couleur.

Oh mon dieu...

Je sentis mes joues s'enflammer et, ne pouvant éviter son regard, je ne pus que rougir sans pouvoir prendre contenance.

J'ai l'air absolument débile mais quel sourire! J'ai l'impression qu'il illumine son visage... un rayon de soleil.

─ Tu ne serais pas en retard, par hasard ?

Je la regardai les yeux ronds.

─ Si ?

─ Je t'ai entendue ruminer jusqu'au bout de la rue..., m'expliqua-t-elle avec un petit rire.

Un tintement de clochette..., pensai-je en la regardant, émerveillée.

─ Je dois y aller, j'imagine...

─ Ce serait mieux, en effet, me dit-elle, amusée par mon comportement.

Ses yeux brillaient d'un intérêt certain.

─ Au revoir Sophia... à bientôt j'espère.

─ A bientôt...Shira.

Elle se retourna ensuite, repartant dans la direction qu'elle avait prise précédemment.

J'arrivai avec dix minutes de retard, aussi essoufflée que si j'avais couru un marathon.

Je ne croisai aucune danseuse dans les vestiaires, signe que l'entraînement avait commencé : des voix se faisaient entendre à travers la porte.

Paniquée pour de bon, j'ouvris la porte de la grande salle avec tellement d'empressement que celle-ci s'écrasa contre le mur, sous les yeux exorbités des autres filles...

Oh non...

La conversation cessa à mon arrivée, et la personne au centre de la pièce qui semblait superviser les opérations se retourna.

Sophia.

Elle avait changé sa veste en jean et son pantalon moulant contre le juste-corps et le tutu qui nous définissaient en tant que danseuses.

Ne me dites pas que...

─ Bonjour Shira, entre, je te prie. Je disais donc que j'étais votre nouveau professeur pour cette année et que j'attendais de vous une écoute toute particulière et des améliorations tout au long de cette année. J'espère que vous passerez une excellente année à mes côtés... sur ce, en place mesdemoiselles! S'exclama-t-elle en se frappant les mains.

Nous nous dispersâmes dans chaque coin de la pièce et je m'échauffai avec l'air tout aussi choquée que tout à l'heure.

─ Sophia Meyer...Je crois qu'il s'agit d'une ancienne concourante pour le titre de danseuse étoile..., murmura une de mes coéquipières.

─ C'est vrai, elle a remporté le prix il y a trois ans... Je me demande ce qu'elle fait ici, fit une autre en étirant ses pointes.

Sophia Meyer.

Je testai ce nom en le répétant en bouclant dans mon esprit.

Ma jolie demoiselle était un professeur adorable, s'attardant sur chacune d'entre nous, prenant le temps de corriger nos fautes, de nous encourager sans jamais nous faire sentir moins bien qu'elle.

J'appréciai le calme et la patience dont elle faisait preuve à notre égard.

Cinq heures plus tard, les trois-quarts d'entre nous partirent, le corps luisant de sueur.

Je n'étais pas loin de le faire d'ailleurs : une crampe de plus en plus insupportable menaçait de me faire me plier en deux, coupant net mes enchaînements.

Je n'étais pas habituée à tant d'un seul coup.

Les deux autres téméraires n'étaient pas dans un meilleur état : Lisa, la jeune du groupe semblait être sur le point de rendre son petit déjeuner.

─ Ce sera tout pour aujourd'hui, mesdemoiselles. Vous étiez superbes ! fit Sophia en nous souriant.

Merci mon Dieu...

Je m'appuyai contre la barre en soufflant de soulagement.

─ Ton énergie est intéressante, tes mouvements sont agressifs mais gracieux, c'est la première fois que je vois ça, me dit-elle, son souffle contre mon cou.

Je la regardai, largement surprise.

─ Merci.

─ Je pense que tu iras loin...très loin. Ne t'en fais pas pour ce matin, ton retard ne sera pas pris en compte.

Ses fossettes manquèrent de m'achever.

Je suis fichue...

Fin du Flash-back :

Dès lors, les choses avaient rapidement évolué, et deux ans plus tard, j'aménageai avec elle dans un petit appartement en bord de ville.

Les larmes me montèrent aux yeux.

Cette époque me semblait si lointaine à présent ; tout avait changé.

Tout depuis ce drame.

Si je n'avais pas pris le volant ce soir-là...

Sophia n'avait plus été la même après l'accident, si distante que je sus que notre couple venait de prendre un tout autre tournant.

Son silence était devenu insupportable, un gouffre infranchissable que je ne pouvais plus combler.

Je n'acceptai plus cette impasse dans laquelle je vivais mais, fidèle, je m'accrochai encore à mon amour en priant que le temps puisse arranger notre situation.

Sans succès évidemment : je ne savais plus comment m'accrocher.

Me voilà donc au point de départ...

C'est à dire : devant l'entrée du Carmen.

Qu'est-ce que je fais là, encore ?

J'avais bêtement pensé qu'une compagnie amicale serait la bienvenue, sans me soucier du fait qu'elle ne serait probablement pas là.

Essayons tout de même...

Une heure plus tard, me voici à arpenter la boite de nuit de long en large à la recherche de Charley.

Barman tatouée à quatre heures !

Mon soulagement fut immédiat : je n'étais pas venue ici pour rien.

─ Charley ! Fis-je en l'appelant d'une voix assez forte pour pouvoir percer le volume de la musique assourdissante qui battait dans mes oreilles.

Elle se retourna et me fit un grand signe de la main, apparemment heureuse de me trouver ici.

─ Hey Shira, je te sers à boire ? me demanda-t-elle en sortant déjà plusieurs bouteilles sur le comptoir.

─ Pas ce soir, lui dis-je en souriant.

Je me dégotai rapidement une place afin d'être en face d'elle.

─ Qu'est-ce qui t'amène ? me demanda la barman à la fée pirate gravée sur le bras droit, intriguée.

─ Je suis venue te tenir compagnie.

─ C'est gentil ça, une vraie première ! lança-t-elle d'un ton amusé.

─ Je suis comme ça, gentille, modeste et sociable. Je suis parfaite ! Ironisai-je en rigolant. Steve est là ?

Je pus voir ses dents miroitées dans la quasi-obscurité de la pièce.

─ A la même place que d'habitude.

Je jetai un rapide coup d'œil à l'endroit indiqué et ne pus m'empêcher de sourire en voyant l'air grognon de celui-ci.

─ Tu l'a déjà vu sourire rassure-moi ?

─ Une fois, le jour de notre mariage.

Steve devant un hôtel, le sourire aux lèvres ?

─ Les miracles existent...

Elle me donna une pichenette sur le bras, l'air faussement indignée.

─ J'espère que le tien partage ton sens tordu !

Ma bonne humeur s'envola aussitôt.

─ Hein hein...raconte-moi, me dit Charley d'une voix douce.

─ Je crois finalement que j'aurai besoin d'un verre. De deux même.

Charley s'exécuta sans un mot, me mettant des shoots de vodka sous le nez.

J'en avalai un d'une traite avant d'enchaîner :

─ Tu as du temps devant toi ?

─ J'ai jusqu'à la fermeture, lance-toi.

─ Tu l'auras voulu...

Je n'omis aucun détail, alternant l'alcool et les récits douloureux, le regard fixé sur un point pour pouvoir mieux respirer.

Les verres se multiplièrent sur le comptoir et le liquide âpre me délia la langue, me détendant presque.

Je me perdis dans un tourbillon de bribes du passé avec parfois quelques points lumineux qui m'accordèrent assez de répit pour pouvoir continuer sans perdre le fil de mes pensées.

Une fois mon sac vidé, j'osai un regard en direction de Charley et ce que je vis me stupéfia: elle pleurait.

Un chiffon broyé sous une poigne de fer tremblotante et les yeux si empreints de douleur que je fustigeai intérieurement de lui raconter tout ça, ma nouvelle amie semblait abasourdie.

─ Comment as-tu pu vivre comme ça? Comment as-tu tenu le coup? murmura-t-elle d'une voix brisée.

Je me tortillai, mal à l'aise.

─ On s'y fait, avec le temps.

─ Tu ne devrais pas avoir à t'y habituer. Tu le sais ça, n'est-ce pas? Rien n'est de ta faute... Cet accident, Shira, rien de tout cela n'est de ta faute. Tes parents méritent de finir leurs jours au fin fond d'une prison, à moisir avec leurs préjugés à deux balles. Ecoute, je serais ravie de t'accueillir chez moi. Tu y serais la bienvenue.

Je me figeai.

─ Quoi ?

─ Viens chez nous. Je te promets que tu pourrais y vivre comme bon te semble et que personne ne t'importunera. Personne.

Je m'étais préparée à un rejet de sa part, des insultes, des menaces, des cris...mais pas sa sollicitude et son affection.

─ Je ne...

─ Accepte, c'est tout. Je suis prête à te harceler s'il le faut.

─ Je veux payer ma part du loyer, des courses et des factures, fis-je intraitable.

Elle leva ses yeux au ciel.

─ Si tu veux. Accepte.

Je me sentis soudainement presque... fragile.

─ D'accord, je te remercie du fond du cœur Charley...

Elle fit alors le tour du comptoir à la vitesse d'un éclair et me prit dans ses bras, pleurant à chaudes larmes.

─ Ça va s'arranger Shira, tu n'es plus seule maintenant.

Je me surpris à la croire : pour une fois, quelqu'un se souciait réellement de moi.

Son ventre se mit à rentrer en collision avec le mien et je fronçai mes sourcils : il était dur et légèrement rebondi.

─ Charley...?

─ Oui ?

─ Tu es enceinte ?

Elle se décolla de moi et ses joues se rosirent.

─ Ca fera trois semaines dans deux jours.

─ Enceinte et tu travailles dans un bar ? Charley...

─ Ne sois pas si mère poule, Steve n'est pas au courant.

Je regardai l'homme en question les yeux ronds.

Steve dut sentir qu'on le regardait car ses yeux se fixèrent sur nous et un sourire digne d'un mannequin pour une pub de dentifrice se forma sur ses lèvres.

─ Nom de Dieu ! Regarde, ton mari sourit ! Il sourit !

La vie est pleine de surprises...

Elle s'étrangla de rire, une joie retentissante mêlée à une profonde tristesse.

─ Je te l'avais dit.

─ Et je ne t'ai pas cru...Je crois que je ne verrai plus jamais Steve de la même façon.

─ A la maison, c'est un gros nounours, rien à voir avec le dur à cuire du Carmen !

─ Ne me dis pas que tu l'appelles "mon nounours" quand même ?

Un sourire angélique naquit sur ses lèvres.

Cette fois, je suis sûre d'une chose: les miracles existent bien.

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