Partie 15 : Quinzième Chassé


Pov Maryane :

Lorsque j'étais montée à bord de ce taxi, la sensation d'avoir laissé quelque chose d'important derrière moi me prit aux tripes.

Je m'étais alors retournée sur le côté et avais cru apercevoir son visage...

Tu délires encore.

Avant d'avoir pu enregistrer la moindre information, la voiture avait dépassé la rue, laissant cette incertitude dans l'ombre.

Matthew, loin de se douter de tout ça, regardait devant lui, détendu.

J'étais heureuse de voir que cette soirée n'avait pas été aussi éprouvante qu'elle aurait pu l'être pour lui.

Une excellente nouvelle même si je ne comptais pas renouveler l'expérience.

─ Alors ?

Je haussai mes sourcils.

─ Quoi ?

─ Qu'est-ce qui t'a tant perturbé à l'intérieur ?

Si tu savais...

─ Une connaissance.

─ Une connaissance aux yeux verts et aux cheveux rouges ?

Je le regardai, surprise.

─ Comment as-tu...?

─ Mary, depuis quand en sommes-nous là ?

Ses yeux étaient plus que sérieux.

Hein ? Où exactement ?

─ Depuis quand me mens-tu ? Continua-t-il d'un ton sec.

─ Matt..., soupirai-je en me frottant l'arête du nez.

─ Il n'y a pas de "Matt" qui tienne !

Je sentais venir la dispute.

─ Que veux-tu que je dise ? Oui, j'ai vu Shira. Et alors...?

Ses yeux me transpercèrent l'âme, me mettant à nu.

─ Et alors ? Et alors ? Tu ne m'as jamais tenu à l'écart Maryane. Pas une seule fois. Je n'accepterai pas que cela commence maintenant. Quand vas-tu tout me dire ?

Mes jointures se serrèrent.

─ Ok...ok.

Il ouvrit la bouche mais je le devançai :

─ Je ne ferai pas ça dans un taxi.

─ J'attendrai.

Le trajet se déroula sous un silence dérangeant, le genre à vous faire vous trémousser d'angoisse sur le siège comme une petite fille de cinq ans qui devait expliquer à ses parents qu'elle avait fait une grosse bêtise.

A la différence près que j'avais aujourd'hui vingt-quatre ans et que Matthew Parrish n'était pas mon mentor.

Je ne pus m'empêcher de le regarder anxieusement, me mordant la lèvre pour calmer ma nervosité.

Quand le taxi s'arrêta devant l'hôtel dans lequel séjournait Matt, un frisson glacé me traversa l'échine.

Pourquoi est-ce que j'ai soudainement l'impression d'aller à la potence ?

Il ouvrit la portière sans un mot, attendant que je sorte avant de la refermer d'un coup ferme.

Oh bon sang, ça s'annonce vraiment mal...

Nous entrâmes dans l'hôtel désert, aussi silencieux que des ombres et montâmes au troisième étage, jusqu'à ce que la chambre soixante-treize apparaisse devant mes yeux.

Une poignée de secondes plus tard, la lumière des tamiseurs éclairaient la petite chambre à la tonalité moderne.

─ Tu veux boire quelque chose ?

J'opinai, la gorge nouée.

Il partit en direction d'une kitchenette et revint cinq minutes plus tard, deux verres de citronnade en main.

─ Désolé, je n'avais plus que ça..., s'excusa-t-il contrit en me tendant un verre.

─ C'est parfait, merci.

─ Assieds-toi, tu vas me faire une syncope.

Je ne me fis pas prier et m'affalai sur le matelas, rebondissant presque.

─ Je t'écoute. Commence par le début.

─ J'ai gagné ce premier pilier en travaillant d'arrache-pied...

─ Je m'en doute mais c'est tout à ton honneur.

─ Car je la voyais toute la journée pour perfectionner mon travail. Elle me donnait des techniques, m'apprenait à trouver suffisamment de concentration pour pouvoir m'investir à fond et me parlait de tout et de rien, juste pour me déconcentrer.

─ Hum hum...continue.

─ Je ne faisais pas que danser : il nous arrivait de nous poser pour en apprendre plus sur l'autre ou pour tout simplement se détendre.

─ Très bien, racontez-moi votre enfance...

Je levai la tête et lui adressa mon regard le plus noir.

─ Tu es en train de te foutre de moi là.

Il réussit à masquer son rire en une toux étranglée, pas du tout crédible.

─ Tu es en train de transformer ton attirance pour elle en une espèce de problème existentiel qu'il te faut absolument résoudre, de mon point de vue, c'est hilarant.

J'ai cru que mes yeux allaient sortir de ma tête.

─ Je n'ai aucune attirance envers elle ! M'écriai-je, outrée.

─ C'est ce qu'ils disent tous. Ecoute, je m'en fiche : tu peux être attirée par qui tu veux. Ce qui me dérange, c'est ton refus de l'accepter.

─ Je ne peux pas accepter ce qui n'existe pas, voyons ! C'est absurde. Absurde.

─ Si je te disais que j'étais attiré par un homme, tu me rejetterais ?

─ Bien sûr que non !

─ Tu trouverais que c'est une abomination ?

─ Non !

─ Alors pourquoi est-ce que tu refuses de l'admettre ? Ça ne me dérange pas.

Mes mains se contractèrent autour du verre, et je le regardai comme s'il détenait la réponse à mes questions.

─ Il ne se passe rien, déclarai-je sans départir de ma conclusion d'origine.

Il soupira et se passa la main dans les cheveux.

─ Si tu le dis, je n'insiste pas plus.

Je portai le verre à mes lèvres et bus longuement, appréciant la brûlure glacée que me procurait l'eau presque gélifiée.

─ Éclaire toutefois ma lanterne sur ce point : pourquoi crois-tu à ton avis qu'elle soit venue au Carmen ?

Je clignai lentement des paupières.

─ Parce qu'elle en avait envie ?

─ Réfléchis ! Ce que tu dis ne colle pas. Shira est réputée pour être asociale, tu la vois vraiment aller seule en boîte de nuit ?

─ Elle n'est pas asociale. Juste... un peu réservée, c'est tout, la défendis-je en me fichant bien de l'air que j'affichais.

─ Ce n'est pas une tare, rentre tes griffes Tigresse.

Je me déridai instantanément.

─ De plus, qui sait ? Elle aime peut-être les boîtes de nuit ?

Le regard qu'il me lançait me fit ressentir clairement ce qu'il pensait de mon idée.

─ Bon, d'accord... peut-être pas. Et alors quoi ? Qu'est-ce que ton esprit tordu va m'annoncer ?

Il se mit à glousser.

─ Je voulais juste insinuer qu'elle n'était pas là-bas par hasard.

─ Ah oui ?

─ Elle a du entendre notre conversation...

─ Tout cela serait donc un complot, c'est évident, m'amusai-je en me moquant de son raisonnement.

─ Peste. Ta petite Shira était jalouse.

J'eus du mal à m'imaginer Shira était jalouse de quoi que ce soit: l'image d'une femme indépendance et forte emportant sur tout le reste.

─ Tu ne me crois pas ?

Sa voix me ramena vers lui.

─ Hmm... aucune idée. Je ne sais rien d'elle, enfin presque rien, me repris-je en me souvenant de nos conversations.

─ Il serait tant que ça change, tu ne crois pas ? me dit-il d'une voix douce.

Je ne fus pas surprise : son comportement altruiste était une des nombreuses qualités des personnes qui sont trop solitaires...

Il prit place à mes côtés et me serra dans ses bras.

─ Personne ne mérite d'être seul... qu'importe ses blessures. Avec le temps, même les plaies les plus profondes arrivent à être partiellement pansées, suffisamment pour nous permettre de vivre et c'est une personne sage qui me l'a appris.

Je souris contre son torse.

─ Sage comment ?

─ Très sage. Sans elle, je n'aurais jamais tenu jusqu'ici...Ta Shira, elle, n'a personne.

Cette soudaine prise de conscience me sauta aux yeux.

Oh bon sang...

Le souvenir de ses yeux empreints de douleur et son teint blafard me firent l'effet d'un coup de poignard planté en plein cœur.

─ Tu viens de comprendre, n'est-ce pas ? Me chuchota-t-il en me caressant distraitement les cheveux, comme s'il revivait un souvenir douloureux.

Ses souvenirs...son passé, pensai-je en soupirant.

─ Tu sais, je pense qu'il y a des choses que personne ne peut réellement comprendre.

─ Parfois, seule une présence suffit.

Malgré son ton nonchalant, je compris que cela n'avait pas été le cas de Matthew. Pas totalement du moins.

Les marques de son mal-être ne disparaîtraient jamais, ses souvenirs non plus.

Parfois juste une présence suffit...

J'essayerai: pour le bien de Shira et le mien. J'essayerai de toutes mes forces.

En espérant que ce soit suffisant.






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