Partie 1 : Première danse

Pov Maryane:

Dernière ligne droite Maryane.....Tu peux le faire. Je sais que tu le peux, sinon tu ne serais pas là, à participer à la plus importante des compétitions de Ballet de France.

J'inspirai profondément et hochai la tête, en accord avec mes pensées.

Dans une semaine se jouait le plus grand challenge de toute ma carrière, une étape qui propulserait mon rang au niveau de danseuse étoile ou qui briserait à jamais le peu d'espérance que je m'étais forgée depuis petite...

Je m'étais préparée toute ma vie à disputer cette place, à pousser mon corps au-delà des limites en espérant pouvoir toucher un jour les étoiles.

J'avais gravi tous les échelons, passant de Quadrille, le grade le moins élevé de la hiérarchie au rang de Première Danseuse, un titre plus qu'honorifique dans le monde de la danse...

Pourtant, je n'étais pas satisfaite : j'avais l'impression de frôler mon rêve sans vraiment le toucher malgré tous les efforts que je fournissais.

Mes parents, loin d'être inquiets, préparaient déjà une petite fête avec les membres de mon village en mon honneur, un petit comité d'une centaine de personnes à l'intérieur d'une campagne brute.

Je n'étais pas aussi certaine qu'eux. J'avais déjà rencontré certaines participantes qui n'en n'étaient pas à leur coup d'essai, et dont les chorégraphies étaient toutes plus exceptionnelles les unes que les autres...

Pense à autre chose, concentre-toi...

Je contemplai le reflet que me renvoyait la glace et cherchai dans mon regard de quoi me rassurer.

Une lueur incertaine brillait dans mon regard pers, mes dents mordant nerveusement ma pauvre lèvre devenue endolorie.

Je soupirai et sondai mon propre visage, le fixant jusqu'à ce que mon reflet devienne flou.

Soudainement, un autre visage apparut dans la glace, tellement similaire au mien que l'on aurait pu s'y confondre.

Ma sœur : Katelyn.

Je me tournai et me relaxai en la voyant me sourire de cette même mimique que quand nous étions petites.

Un petit tic nerveux signifiant qu'elle avait fait une bêtise...

─ Que viens-tu faire ici ?

─ Te souhaiter bonne chance, bien sûr ! me fit-elle comme une évidence.

Je l'embrassai tendrement sur la joue, heureuse d'avoir enfin une occasion pour me ressaisir.

─ Je sais très bien que tu n'es pas venue pour ça, ma chérie ! Tu ne sais pas mentir.

Elle rougissait de honte, préférant regarder le plafond comme si celui-ci avait quelque chose d'hypnotique.

─ Kate ?

Elle souffla et me regarda enfin.

─ Dis-moi.

─ Je ne peux pas. Je suis désolée, je pensais que je pouvais le faire mais je ne peux vraiment pas...

Je la dévisageai, inquiète pour de bon.

─ Tu n'as pas fait tout ce chemin pour rien. Dis-moi.

Elle serra les dents, les larmes aux yeux, une lueur de souffrance si brute dans ses yeux que je me préparai au pire.

─ S'il s'agit du spectacle, vas-y, je peux gérer. Je ne craquerai pas sur scène, promis.

Elle secoua la tête, ses cheveux bleus retombant sur son épaule d'un air négligé.

─ Pas ça, crois-moi, tu ne pourras pas le gérer.

Des scènes toutes plus chaotiques les unes que les autres se bousculèrent dans ma tête.

─ Kate, dis-moi ce qu'il se passe...Tout de suite !

Ma voix avait grimpé d'un octave.

Elle se mordit la lèvre et hocha la tête avant de soupirer.

J'attendis, crispée.

─ Papa a eu une attaque.

Le monde s'effondra sous mes pieds.

Je bondis, renversant la chaise sur laquelle j'étais assise.

─ QUOI ?

Le temps pulsait dans mon oreille, et la panique eut un gout acide dans ma bouche.

Les larmes que Kate essayait de retenir s'échappèrent de ses yeux avant qu'elle ne me saute dessus, s'accrochant à mon tee-shirt comme s'il avait le pouvoir d'arranger les choses.

─ Ça s'est passé ce matin, maman était dans la cuisine quand elle l'a entendu tomber...Il est encore en soins intensifs..., me dit-elle d'une voix si déraillée que je dus me concentrer pour en saisir les paroles.

Je me figeai sur place et restai immobile pendant que le sens de ses mots résonnait dans ma tête.

─ Comment va maman ?

─ Elle tient le coup comme elle le peut.

Je secouai la tête et embrassai doucement la tête de ma sœur jumelle avant de la prendre dans mes bras.

─ Je rentre avec toi voir papa.

Elle se décala, fronçant les sourcils.

─ Quoi ? Mais tu ne peux pas, tu as...

─ La famille avant tout, Kate. Papa a besoin de moi.

─ C'est hors de question, il n'approuverait pas ton choix !

─ Il est à l'hôpital Kate, je ne peux pas danser alors qu'il se bat pour rester en vie !

─ La meilleure chose à faire, pour toi comme pour lui, c'est justement de danser ! Il veut absolument que tu gagnes cette compétition, imagine sa fierté lorsqu'il se réveillera.

─ S'il se réveille...

─ C'est un vieux fourbe grognon, il ne baissera jamais les bras, et maman est avec lui, ils n'ont pas besoin de toi. Ta place est sur scène, Mary...

Mes épaules s'affaissèrent.

─ Apelle-moi si vous avez besoin de moi...

Elle me sourit.

─ Bien sûr ! Ne t'inquiète pas, tout va bien se passer pour lui...

Je hochai la tête, elle me prit dans ses bras une dernière fois et partit en direction de la sortie avant de se tourner vers moi.

─ Mary ?

─ Oui ?

─ Fous-leur la pâtée !

Je vis la porte claquer et je m'autorisai enfin à craquer, m'effondrant sur le sol en pleurant.

De toutes les nouvelles qu'elle pouvait m'annoncer, c'était bien cette dernière que je redoutais.

Gagner cette compétition me parut insignifiant à coté...

Je soupirai, les yeux baissés sur le sol.

Merde...Que dois-je faire ?

Deux possibilités s'offraient à moi:

Soit je quittais l'Opéra Garnier pour rejoindre ma famille, brisant ma seule chance d'accéder à mon rêve...

Soit je tentais le coup et montais sur scène, laissant mon père sur ce lit d'hôpital...

Mes envies devraient-elles passer avant ma famille ?

Absolument pas.

Mais les paroles de Katelyn résonnaient encore dans ma tête...

"Ils n'ont pas besoin de toi...Ta place est sur scène...".

J'avais exactement 10 minutes pour prendre une décision.

Prise entre deux feux, je me mordis doucement la lèvre et regardai droit devant moi, observant les photographies d'anciennes danseuses étoiles qui ornaient la pièce avec une admiration non dissimulée.

Réfléchis bien...

J'inspirai profondément et écoutai ce que me dictait mon instinct.

Ils n'ont pas besoin de moi...Ma place est sur scène...

Une fois ma décision prise, je me levai lentement et me préparai, enfilant mon tutu bleu clair au reflet doré et orné de petites perles blanc nacré.

Je rembourrai mes chaussons de danse à l'aide de coton: chacun avait sa technique contre la douleur...

J'appliquai ensuite un rouge à lèvre d'une jolie teinte rose pâle et sortis en direction des sous-sols, là où se tenait la salle de répétition.

Je ne croisai personne en longeant les multiples couloirs qui défilaient devant mes yeux...

Cette endroit est pire qu'un labyrinthe ma parole! Allez Maryane, concentre-toi! Il ne manquerait plus que tu te perdes...

Je mis dix minutes à trouver cette fameuse salle, qui accueillait déjà une dizaine de danseuses et deux professionnelles qui faisaient partie du jury.

Pas bon ça...

Elles venaient ici afin de mesurer le niveau de chacune d'entre nous, scrutant nos moindres faits et gestes, jusqu'à notre manière de respirer, choisissant d'avance qui seraient leurs favorites.

Puis, elles partiraient deux heures avant la représentation, regagnant leurs places, se concertant entre elles alors que la musique ne s'était pas encore déclenchée.

J'avais vu ce rituel des vingtaines de fois à la télévision et entendu suffisamment de témoignages de la part des anciennes candidates pour savoir exactement comment réagir.

Je décidai d'ignorer toutes les personnes présentes dans la pièce et commençai mon échauffement: la première heure consistait à assouplir ses muscles à la barre.

J'enchainai rapidement des pliés, des petits dégagés pour les chevilles*, des battements jetés, des ronds de jambes à terre, des fendus, des ronds de jambes en l'air, des frappés**, des battements, et terminai avec des adages***.

Une fois mon échauffement à la barre terminé, je continuai à m'assouplir à terre, me contorsionnant au-delà des limites tout en fredonnant doucement.

La douleur physique à ce moment là n'avait pas sa place: plus maintenant.

J'avais commencé la danse classique lors de mon troisième anniversaire et la baby dance m'avait permis de gagner en souplesse, plus qu'une personne lambda en tout cas.

Quand j'eus appris à faire mes premières pointes, mon enthousiasme était tel que je forçai mon corps à aller plus loin, toujours plus loin afin de ressentir ce même émerveillement.

Ce fut à l'âge de 8 ans que je sus quel serait mon rêve...mon objectif.

Danseuse étoile...

Désormais, je ne vivais que pour celui-ci, collectionnant les trophées et les photos souvenir en rêvant d'apparaitre un jour sur les écrans et d'illuminer la salle de mes arabesques.

Je me relevai et commençai une série de mouvements ordonnés et tournoyai en alternant avec quelques sautés et pointes, histoire de garder une température corporelle au-dessus de la moyenne.

Bien vite, je me perdis et improvisai, victime de mon imaginaire et de ses pulsions.

Je m'imaginai sur scène, une mélodie douce et tragique me berçant au rythme de ses notes...

Je me laissai emporter, dansant de plus en plus vite, perdant pieds face à la réalité.

Lorsque je sentis l'inspiration me quitter, je me coupai en plein élan et ouvris les yeux.

Les deux femmes me regardaient, une lueur indéchiffrable brillant dans leurs iris.

L'une d'elle opina à mon intention et elles partirent sous le regard incrédule des autres participantes...

Je regardai le mur en face de moi et vis qu'elles avaient une demi-heure d'avance.

Dans toute l'histoire de ce concours, c'est la première fois que je voyais le jury partir aussi tôt.

Avais-je été si mauvaise ?

Et si j'avais complètement raté mes chances en les décevant ?

J'essuyai la sueur de mon front et soupirai.

Faites que je n'ai pas tout gâché...

Je fis mine de ne pas avoir vu les regards noirs des autres danseuses et repris mes enchainements.

J'avais travaillé pendant un an cette chorégraphie jusqu'à connaitre les pas avec une telle facilité qu'il m'était impossible de me tromper.

Je ne vis pas le temps passer, toutes mes pensées occupées par les mouvements que j'enchainais avec aisance... jusqu'à ce que mon nom soit prononcé et que le charme se rompe.

De retour dans la vie réelle...

Je ne voulais pas faire ce concours, prendre plaisir à danser alors que mon père était au plus mal...

Mes mains se mirent à trembler et je les cachai derrière mon dos, à l'abri des regards tandis que je me positionnais derrière le rideau.

Ne pense pas à ce qu'il se passe en ce moment...Concentre-toi, réalise ton rêve. Danse juste comme tu as l'habitude de le faire...

Le rideau se leva et la musique du Sacre du Printemps résonna étrangement à mes oreilles.

C'était sa musique préférée...

Comment pouvais-je lui faire ça ?

Je regardais le jury en attendant que le prélude se finisse et vis Ilanka et Viktoria Varga, deux anciennes danseuses étoiles d'origine hongroise...Ainsi que...

Je fronçai les sourcils en dévisageant la troisième personne du regard.

Elle était tout simplement sublime...

A l'instar des deux autres, sa chevelure rouge cerise et ses yeux verts étincelants n'avaient rien de docile.

Au contraire, tout dans sa position droite et figée jusqu'à l'inclinaison de son menton fier me prouvait qu'il s'agissait d'une rebelle.

Son visage anguleux, sa peau de porcelaine et sa bouche charnue me rappelèrent quelqu'un.

Shira Laurent, la gagnante de l'ancien concours.

On murmurait qu'elle avait le pouvoir de figer le temps rien qu'en commençant à danser, et les critiques la voyaient déjà comme celle qui révolutionnerait le monde de la danse classique.

Les gens des quatre coins du monde se bousculaient pour avoir une chance de la voir danser.

Elle était adulée, idolâtrée, chouchoutée par tous...

Était.

Du jour au lendemain, Shira quitta la scène, disparaissant aux yeux du monde...

Des rumeurs disaient qu'elle avait brulé ses chaussons, refusé de sortir, et surtout, de tourbillonner à nouveau.

Les gens disaient que le succès lui avait monté à la tête, que l'alcool et les drogues avaient pris le dessus sur son génie et que l'Académie l'avait virée pour ça...

Mais en la voyant me dévisager, je compris que tout cela était faux: elle n'avait pas l'air d'avoir un problème de dépendance quel qu'il soit...

A moins que l'obscurité de la salle entravait ma vue...

Ses yeux verts me scrutaient avec attention, aussi vifs que ceux d'un félin, et ses lèvres pincées m'apprirent qu'elle n'était pas ravie de se trouver ici.

Les deux danseuses hongroises parlèrent à voix basse mais je pressentis que j'étais le sujet principal.

Shira les regarda, opina et s'enfonça dans son siège.

Je compris clairement son message: "épate-moi" disait-il.

J'entendis la mélodie se modifier et les néons m'éclairer soudain.

Je commençais à virevolter, exactement comme à l'entrainement, lorsque le visage cireux et fatigué de mon père apparut brusquement dans mon esprit, occupant à présent toutes mes pensées.

Je me figeai en plein milieu d'une arabesque et manquai d'arrêter de danser.

Les trois membres du jury me dévisagèrent, réprobatrices, et mon cœur manqua un battement.

Je viens de fiche en l'air l'une des plus belles figures de cette danse...Contrôle-toi !

Je carrais les épaules et repris comme si de rien n'était.

Encore une faute et c'est la disqualification.

J'avais bon déployé tous les efforts du monde, l'image de mon père sur un lit d'hôpital me hantait.

Je culpabilisais.

Si je n'étais pas en train de me ridiculiser devant tout le monde, je serais à son chevet à cette heure-ci ! Imagine qu'il soit mort !

Je ratai mon saut de chat et sentis mes genoux faiblir.

Non !

Je vis les deux femmes du jury me rayer de la liste et regardai Shira secouer la tête, déçue.

Les larmes se mirent à perler au coin de mes yeux et je sus que j'avais fait une terrible erreur.

Non seulement j'étais recalée mais en plus j'avais laissé la danse prendre le pas sur la famille.

Je m'effondrai sur scène, mes mains crispées sous la douleur, tandis que des bouffées de chaleurs m'empêchaient de respirer.

La dernière chose que je vis fut cette magnifique paire d'yeux verts...

Et je perdis connaissance.




petits dégagés pour les chevilles*: tendre la pointe, la détendre...

des frappés**: mouvement sur le coup de pied ou au genou...

adages***: suite de mouvements amples exécutés sur un tempo lent...

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Et voilà pour ce première chapitre ! ^^

Des commentaires (bon ou mauvais) à me faire ?

J'espère que vous aimerez cette histoire, bonne lecture à vous :)

(Je vais essayer d'avancer un peu plus vite que d'habitude... ;) )


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