Chapitre XV : Réveil

L'air glacial arrachait les parois de ses poumons brûlants alors que des larmes de survie achevaient leur course folle en allant s'unir sous son menton. Son dos était en feu, sa gorge se craquelait, ses membres tremblants luisaient de sueur, mais il était vivant. Déjà les images de sa convalescence se dissipaient sous le joug de la réalité. Il ne s'en rendait pas compte, trop occupé à savourer le sentiment miraculeusement banal d'être vivant.
Aquanos ?
Blue ! Je... Tu... On est où ? Qu'est-ce qui s'est passé ? Tu vas bien ? Et l'Ombre ? L'Arène ?
Du calme ! Tu vas encore t'évanouir si tu en fais trop.
Affolé, le jeune homme chercha du regard son Espraide et ne le vit pas.
Sur la table de nuit.
D'un geste hystérique, Aquanos s'empara de son ami, serrant le fin rectangle entre ses mains tremblantes et faibles.
Tu m'as fait tellement peur ! Après que tu aies tué l'Ombre, j'ai...
Attends. J'ai tué l'Ombre ? Je l'ai tuée ?
Bien sûr que oui ! Tu l'as tranchée en deux ! Tu ne t'en souviens pas ?
Je...
Le jeune homme sonda ses souvenirs. Une douleur atroce lui vrilla le crâne, et il grimaça.
Aah ! Ma tête !
Oh ! J'avais oublié ! Tu as failli mourir de l'attaque de l'Ombre. Après que tu aies perdu conscience, ton éner a réparé ton corps et bloqué ce qu'il considérait comme des souvenirs dangereux. Tu ne peux pas y accéder pour l'instant. Donc, comme je te disais, j'ai été séparé de toi après que tu aies tué l'Ombre. Ton éner était bien trop instable pour que quiconque t'approche. C'est seulement une fois ton corps réparé que j'ai pu te rejoindre. Nous sommes dans l'infirmerie, au sud du Manoir.
Le jeune homme examina la salle, sa respiration apaisée à défaut d'être agréable. Les murs et le sol étaient blancs et lisses, donnant l'impression troublante d'être dans un hôpital. Il n'y avait aucun autre meuble qu'une dizaine de lits aux squelettes de métal, et une armoire aux battants bloqués par un cadenas doré. Une lumière légèrement jaunâtre s'écoulait d'une lampe fixée au plafond. Devant lui, assis dans une chaise pliante, un livre entre les mains nonchalamment posé sur ses cuisses, maître Mistoraï laissait ses yeux courir sur les lignes noires. Profitant de l'occasion, Aquanos examina l'adulte. Il avait un visage lisse, à la fois visiblement adulte et encore empreint de l'insolence de l'adolescence. Une intelligence vive glissait sur ses yeux, à peine voilée par un humour mordant. Il était objectivement beau, de cette beauté presque méchante, moqueuse et digne qu'ont les antihéros.

- C'est très indiscret de me fixer comme ça.

Le Bleu rougit et se détourna.

- Plus ou moins que de débarquer chez les gens ?

Refermant son livre avec un éclat de rire scintillant, l'adulte se redressa, raffermissant sa prise sur les accoudoirs métalliques. Il souriait doucement.

- Je suis soulagé de te voir ainsi. On dirait que ta colonne vertébrale a correctement repoussé.

La surprise fit s'étouffer l'adolescent.

- Ma quoi ?

- Ta colonne vertébrale. Tu sais, ce truc solide dans ton dos.

- Je sais ce que c'est, merci. Mais pourquoi "repoussé" ?

Un sourire plus franc étira les lèvres du Sombre, et un brin de cruauté scintilla dans ses yeux.

- Tu veux vraiment savoir ?

Aquanos frissonna. Par réflexe, il effleura ses bandages. Ils étaient encore poisseux de sang, et sa chair était chaude et douloureuse. Une grimace glissa sur son visage.

- L'Ombre me l'a arrachée ?

- Tu veux la réponse ?

- Pas vraiment, avoua avec une grimace l'adolescent.

- Alors ne pose pas la question. Tu as essayé de te lever ?

Aquanos secoua la tête, et ce simple geste irradia de douleur son dos. Il se tordit en deux, paupières serrées, mâchoires contractées, la respiration coupée. Sa vision se brouilla. Il serra les poings, broyant sa couverture entre ses doigts tremblants.

- Je vois, soupira maître Mistoraï en se levant. Évite de trop bouger, et attends de te soigner.

Le Shinsei déposa le livre qu'il était en train de lire devant le Bleu, qui se redressait lentement, prudemment, évitant d'enflammer de nouveau sa colonne vertébrale.

- On y va, Dark !

Le fauteuil se dressa sur ses pieds avant de bondir vers l'adulte. Juste avant de percuter le Sombre, l'imposant séant se changea en un collier d'ébène qui tinta en s'immobilisant. Aquanos fixa bouche bée l'Espraide alors que Mistoraï sortait.
Tu peux faire ça aussi Blue ?
Pas encore, avoua avec une pointe de regret. Pour ça, il faut que tu devienne meilleur.
Comment ça ?
Les Espraides évoluent en même temps que leur porteur. Au fil de ta progression, tu auras de plus en plus de formes disponibles.
Le jeune homme acquiesça, immobile pour ne pas réveiller la douleur.
Allez, rendors-toi. Je ne veux pas d'un infirme comme porteur, se moqua gentiment Blue.
******
- Arrête de bouger !
- Je ne bouge pas !
- Bouge encore moins alors !
Volts soupira. Prenant une profonde inspiration, il écarta les doigts un peu plus, les bras levés vers une sphère chromée qui lévitait juste au-dessus de ses mains. Penchée sur l'objet, Chronos appuyait à divers endroits, essayant de déclencher le mécanisme d'ouverture de l'artefact. La main du Violet devant lui s'enfonça soudain, illuminant un cercle blanc qui fit le tour de l'objet avant de se rassembler en une tache au sommet de la sphère.
- Alors ? Il se passe quelque chose ?
Volts grimaça. Ses bras commençaient à trembler. Sa main droite s'effondra, et la sphère bascula sur le côté.
- Volts ! Rattrape-la
Le blond se jeta à plat ventre, et l'objet métallique s'abattit lourdement sur ses doigts. Il étouffa un juron alors que son éner soulevait de nouveau l'objet. Chronos se remit à malaxer l'artefact.
- Cette fois, essaie de ne pas le faire tomber.
Après avoir caressé chaque centimètre de la sphère, le Dokontas se redressa en soupirant.
- Plus rien. On la ramène au Manoir.
- Je te la passe, grogna le blond en tendant les bras devant lui, amenant la boule à flotter devant Chronos.
Les gars !
Yellow jaillit de la poche de Volts. Avec un cri de surprise, le blond lâcha son paquet, qui s'écrasa sur son pied avec un craquement sourd. Le blond jura et s'effondra, serrant son membre blessé.
Yellow ! Fais gaffe, abruti !
Pardon d'avoir une urgence à vous transmettre, cracha sarcastiquement l'Espraide.
-Yellow, le salua calmement Chronos. Qu'est-ce qui se passe ?
C'est Aquanos.
- Aquanos ? Qu'est-ce qu'il a ?
Il est réveillé !
- Et alors ? On n'est pas obligés de connaître chacun de ses battements de cils, grogna le Dokontas en faisant léviter la sphère.
Maître Luxara va organiser sa cérémonie d'Éveil !
- Ça, c'est une urgence, concéda Volts dont le pied blessé s'entourait d'éner.
Le Violet soupira longuement, sortant Purple de sa poche. Son Espraide se changea en une espèce d'oiseau aux serres immenses et saisit la sphère que lui tendait son maître.
Rapporte ça au Manoir s'il te plaît.
L'animal hocha la tête et décolla. Chronos se tourna vers Volts qui se massait encore le pied.
- Bon ! Je te téléporte ?
- Je veux bien. Ça m'a vidé cette saloperie, avoua le blond en rangeant Yellow dans sa poche.
Chronos lui tendit sa main droite flambante d'éner. Volts la saisit, et ils disparurent.
*****
- Aquanos ?
L'adolescent sursauta, arraché à ses pensées. Maître Rikonaïen le regardait, l'air inquiet, assis au bout de son lit.
- Pardon. Vous me parliez ?
L'adulte soupira. Un sourire désillusionné se peignit sur son visage.
- Tu n'as rien écouté du tout, je suppose ?
Devant l'air innocent de son élève, l'adulte sourit plus franchement.
- Je m'en doutais. Recommençons, et suis cette fois.
Le jeune homme hocha la tête.
- Maîtres Luxara et Mistoraï veulent organiser ta cérémonie de l'Eveil, durant laquelle le Dragon de l'Eau te reconnaîtra comme son légitime Coloré. Une fois reconnu, ton entraînement pourra commencer. C'est le point de non-retour. Si tu acceptes, tu deviendras Coloré de l'Eau. Mais entends bien ceci. Tu ne pourras parler de ton identité à personne d'autre que nous. Tu ne pourras pas utiliser tes pouvoirs en-dehors du Manoir sauf en cas d'urgences. Prend ta responsabilité au sérieux. Ce n'est pas un jeu.
Le Bleu hocha la tête. Son regard était perdu au loin. Il ne pourrait jamais en parler à sa famille. Il vivrait dans un mensonge permanent.
- Aquanos ?
Maître Rikonaïen le fixait d'un air préoccupé.
- Ne me dis pas que tu n'as rien écouté.
Le jeune homme voulut sourire et sentit sa bouche se tordre. Toujours mentir.
- Je crois que j'ai besoin de réfléchir. Je peux remonter dans ma chambre ?
- Bien sûr. Donne-moi ta réponse demain, si tu te sens mieux.
Il acquiesça et sortit. Blue se mit à vibrer dans sa poche.
Quel est le problème ?
Si j'accepte, je mentirai pour toujours à ma famille, soupira Aquanos en fixant ses pieds qui entamaient les escaliers vers sa chambre.
Et ? Tu deviendras presque comme un dieu !
Tu peux pas comprendre. Tu n'es pas humain.
À cet instant, le Bleu percuta quelque chose devant lui et bascula. Son pied dérapa sur le bois lisse et il s'étala de tout son long au sol.
- Regarde devant toi !
Cette voix était grave et furieuse. Aquanos leva la tête. Debout devant lui, un adulte aux cheveux et yeux rouges le toisait haineusement. Il était drapé dans une cape sanglante qui s'ouvrait sur un pantalon du même ton. Ses pieds étaient serrés dans des chaussures de sport flamboyantes. Son visage carré était mangé par un début de barbe rousse et ses yeux brûlaient de hargne.
C'est qui ?
Maître Firotià, le Dokontas du Feu.

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