Subitement seul, Aquanos sentit les larmes lui monter. Il n'avait plus la moindre aide. Il retint à grand-peine ses sanglots, serra les dents et redressa la tête, son chagrin balayé par un brasier de défi soudain.
Ils veulent nous séparer ? Ils vont voir ce qu'ils veulent voir. Je réussirai avec ou sans Blue, se promit-il, et il se mit à examiner les environs. Toujours rien. Aucun indice sur comment gagner cette damnée épreuve. Il soupira, jura et ferma les yeux.
- Vue du Dieu.
Ses paupières battirent sauvagement, et il vit le monde changer. Les contours se brouillaient, la luminosité devenait aveuglante. Il se protégea les yeux de ses deux mains. Et, alors qu'il peinait à tenir debout, sa chair disparut. Il sursauta. La lumière avait diminué. Fasciné, il contempla ses paumes. Sous son regard ébahi, la chair était devenue de minuscules ruisseaux d'éner bleu roi qui chantaient jusqu'au bout de ses doigts, remontant ses paumes avant de basculer dans ses poignets pour gravir ses avant-bras. Le monde aussi avait disparu, remplacé par d'innombrables chemins d'éner aux couleurs changeantes. Sous ses pieds, un fleuve énerique grondait en silence, zébrant le canyon pour aller choir dans la cascade qu'Aquanos avait aperçu plus tôt. Faible et hésitant, le jeune homme suivit le cours du chemin sous ses pieds. Ce n'était pas du tout l'effet qu'il avait prévu.
Je dois arrêter de lancer des sorts sans savoir ce qu'ils donnent, se morigéna-t-il en arrivant devant la chute d'eau. Cette dernière se renversait du haut du ravin en hurlant et basculait avec une vitesse et une force folle dans un puits circulaire et sombre.
Il avait toujours eu peur des chutes. C'était une de ses plus importantes phobies, avec les araignées et le noir. Il se pencha devant le trou. Celui-ci rassemblait au moins deux de ses phobies.
Espérons qu'au moins il n'y ait pas d'araignées là-dedans.
Il inspira un grand coup.
Je ne dois pas faiblir, se serina-t-il, et, avant d'avoir le temps de réfléchir, il plongea. Le vide sous ses pieds le terrifiait. Le hurlement de la cataracte lui emplissait les oreilles. Il se mit à paniquer.
Je vais mourir je vais mourir jevaismourirjevaismourirjevais...
Il sentit de l'eau sous ses pieds et coula à pic.
Ah bah non, je suis pas mort en fait.
Il se sentit ballotté par un violent courant. Il se prit un mur dans le dos et sentit la roche lui taillader le dos. La douleur le brûla le temps d'un battement de cils alors que son éner le soignait. Il remarqua non sans surprise qu'il pouvait respirer sous l'eau alors que le courant le projetait au fond.
Tant mieux. Il faut que j'arrête ce courant.
Il se retourna tant bien que mal et examina les alentours. Il était dans un lac souterrain. Le fond de la grotte dans laquelle il se trouvait était troué, et l'eau coulait par là. L'éner aussi s'y engouffrait. Aquanos se mit à nager vers l'orifice, battant des bras et des jambes. Le courant le malmenait, le tirant, le poussant, le brisant. Il jura alors que son éner se concentrait dans son bras droit. Il écarta les doigts.
Stop !
L'eau parut étinceler avant de se figer. Le jeune homme sentit la fatigue mordre ses entrailles et se tordit. La caverne se vidait de plus en plus vite. Épuisé, haletant et trempé, il fut laissé sur le sol lisse et froid.
Je dois me relever.
S'appuyant sur ses bras tremblants, il se redressa. Le simple fait de rester debout lui donnait la nausée. Il se traîna jusqu'au fond de la grotte. Le trou béait devant lui. Il se pencha et se laissa tomber tête la première.
Oups...
Il plongea dans un second lac, moins profond, plus proche d'une rivière. Le contact du liquide transparent fut comme un coup de fouet, et il se redressa. Il touchait le fond de la pointe des pieds. Las de ces éternelles complications, il se laissa porter par le courant. Le fleuve s'inclinait lentement, forçant l'eau à accélérer. Le jeune homme fit bientôt soulevé de terre. Il allait de plus en plus vite.
- Ouh là là là là ! Moins vite !
Son pied se prit dans une faille rocheuse, et il sombra.
Crotte !
Le fleuve se changeait en torrent violent, le giflant, le griffant, le mordant. Une grappe de bulles s'échappa de son nez. Au prix d'un effort minime et de sa chaussette droite, l'humain parvint à s'extraire du trou. Il fut immédiatement emporté par le courant. Sa chaussette le dépassa alors qu'il arrachait sa chaussure du sol et se faisait balayer de nouveau par le courant. D'un seul coup, il vit l'éclair blanc de son habit plonger vers le bas.

Pas encore une cascade !

À son grand désarroi, le torrent finissait par choir à pic, droit vers un autre lac plus bas. Profitant de la chute pour rattraper sa chaussette, le jeune homme finit par s'enfoncer dans ce second lac, plus calme que le premier, presque immobile malgré le rugissement assourdissant de la cascade. La surface aqueuse était peu profonde. Aquanos pouvait s'y tenir debout sans que l'eau ne dépassât son nombril. Avec effort, il se traîna vers une plage devant lui, éclairée par un rai de lumière filtrant du toit fissuré. Le sable se collait à sa peau humide, à ses habits lourds et trempés. Il s'écroula une fois au sol et se cogna le front à quelque chose de dur et de froid. Relevant péniblement les yeux, il se retrouva face à un mur de pierre grise. Levant de nouveau le regard, il comprit que le mur était en fait une grossière statue de pierre, représentant vaguement un homme tendant une épée vers l'horizon. Ce qui avait été son bras gauche n'était plus, et son visage uniformisé par le vent n'avait plus de traits précis. L'éner se concentrait dans la sculpture, faisant vibrer la lame de cette dernière. Avec effort, l'humain parvit à frôler des doigts le roc. sous sa peau, le rocher se couvrit de fissures noires et s'effondra en un grondement sourd. Une voix familière, claire comme du verre et teintée de soulagement, fit résonner l'esprit du jeune homme.

Aquanos !

Blue ?

L'Espraide jaillit des fragments rocheux, se posant sur le bras de son propriétaire. Ce dernier sentit une cascade d'énergie pulser dans ses veines, et il se releva.

Qu'est ce que tu fais là ?

Le téléphone se changea en une montre fine et métallique avant de répondre, serrant son bracelet autour du pâle poignet.

Lorsque nous avons été séparés, j'ai glissé le long d'un tunnel froid et sombre avant d'être directement propulsé dans cette statue. Oh, je suis si content !

Mais l'épreuve...?

L'épreuve est finie, Aquanos ! Tu as gagné !

L'adolescent se tint coi, ne parvenant pas à comprendre.

Donc, résuma-t-il, l'épreuve, c'était d'arriver à cette statue ?

Exactement !

À cet instant précis les environs autour d'Aquanos disparurent, comme soufflés par un soupir divin, remplacés par un monde blanc et nu. Seule tache brune parmi la pâleur claire, lumineuse et nacrée, la porte des vestiaires apparut devant le jeune homme, qui posa après un instant d'hésitation sa main sur la poignée. La voix de Luxara retentit dans son esprit.

Tu es prié de te retirer le temps de la modification de l'Arène.

Avec un sourire, le jeune homme obéit. Il avait gagné ! Plus que deux épreuves. Cela ne pouvait pas être bien difficile, songea-t-il en s'asseyant sur le banc, enfilant sa chaussette et sa chaussure droite et réparant le dos de son T-shirt d'une décharge d'éner. La lampe au-dessus de la porte reprit son éclat émeraude, et il se leva.

C'est parti, Blue !

D'un geste vif et décidé, il abaissa la poignée et ouvrit brusquement la porte.