Chapitre 2
— Bon, déjà, merci à tous d'être là, mais c'est réellement une urgence puisque ce projet a été perdu, en quelques sortes. C'est un jeu vidéo qui a décidé de créer un album, sur la conception du jeu, avec des images, et pleins de choses inédites, si j'ai bien compris, quoi qu'il en soit, il a été publié en Angleterre, mais il doit être à présent traduit en français, d'où votre présence Jilane.
— Quel jeu ?
— Worlds of Emerald
— Je le connais, ça tombe bien. Vous avez un exemplaire que je jette un coup d'œil ?
— Mais bien évidemment.
Thomas se penche pour attraper un livre sous la table, et me le tend. C'est un grand album avec une couverture unie bleue.
— Le mec a pas encore terminé la couverture apparemment.
J'ouvre le livre à la première page, destinée aux créateurs du livre, et aux principaux développeurs du jeu, parmi tous les noms, un seul retient mon attention. Skyler McCray.
— Je dois obligatoirement me charger de la traduction de ce livre ?
— C'est votre job Jilane, pourquoi ? Il y a un problème ?
Le seul problème c'est que nos noms ne doivent jamais être vus ensemble...
— Non, aucun, je dois juste caser ça dans mon emploi du temps.
• • •
A peine dix minutes plus tard, la réunion est terminée, et je quitte rapidement la pièce pour aller m'enfermer dans les toilettes. Ma tête recommence à tourner, et je suis forcée de m'asseoir sur le sol pour retrouver ma stabilité. Au bout d'un moment, plusieurs femmes entrent, et commencent à discuter de vives voix.
— Tu sais pas quoi, tu vois le mec à qui je parle sur insta ? il est à Paris en ce moment !
— Oh, vous allez vous rencontrer ?
— Non, je crois pas qu'il veuille, c'est hyper dommage il est trop canon !
— Ouais, tu veux qu'il te baise quoi.
— Carrément, le rêve.
Elles rigolent, puis repartent tout en continuant de discuter joyeusement.
Ah, l'amour, ce sentiment si fort, si destructeur...
Mon dernier amour, le véritable, s'appelait Skyler McCray, s'appelle toujours d'ailleurs, puisqu'il n'est visiblement pas mort. Ça c'est très mal fini, même si techniquement on est jamais vraiment sorti ensemble, à la place, on s'est fait la promesse de ne jamais plus se revoir... ça fait huit ans. Huit longues années que l'on a jamais vu le nom de l'autre écrit quelque part.
Heureusement qu'il habite à Lancaster, on ne pouvait ainsi pas se croiser dans la rue.
Aujourd'hui, c'est fini, si ce livre sort, et que j'en suis la traductrice, nos noms seront vu ensemble, et ce sera surement significatif de la fin, il faut absolument que j'empêche ça.
Je ne peux pas prendre le risque de tout gâcher après avoir fait tant d'efforts...
• • •
A 19h pile, je suis dans l'un des nombreux cafés parisien, celui où je retrouve habituellement Camille, lorsque j'ai des urgences à régler, et un besoin de soutien mental. Elle débarque quelques minutes après moi en courant, et se précipite aussitôt à ma table.
— Dis-moi tout de tout.
— Tu veux pas commander avant ?
Elle interpelle son serveur préféré, qui, à force de nous voir là a fini par tout connaître de nos vies, il s'incruste d'ailleurs très régulièrement dans nos conversations, et est d'excellent conseil, ce qui n'est en soit pas trop mal.
— Que voulez-vous aujourd'hui mesdames ? Une Guinness et un Spritz ?
— Parfait ! Fait Camille avec un grand sourire.
Après qu'il soit partie, elle se retourne vers moi, et me fait signe de commencer.
— Skyler McCray.
— Ce connard t'as contacté ?
— Non, en revanche, je vais devoir traduire un livre dont il a sûrement fait les dessins, en tout cas il a participé à la création.
— Comment tu sais ?
— C'est écrit dessus, et il était en école d'art.
— Ah merde.
— Je peux pas le croiser, mais avec ma poisse habituelle il va sûrement venir en France, et je peux parier qu'il ira pas à Toulouse.
— Merde...
— Je fais quoi Cam ?
— Il t'as fait trop de mal, tu peux pas risquer quoi que ce soit, à cause de lui t'es malade.
— Merci ça je le sais.
— Démissionne. Viens vivre chez moi, mais faut pas que tu le vois c'est ta seule solution.
— Thomas compte sur moi.
— Tu peux lui dire la vérité.
— Plutôt mourir, ça va pas la tête !
Le serveur arrive au même moment, et pose les boissons sur la table.
— C'est quoi le problème aujourd'hui alors ?
— Comment éviter un mec qui t'a fait énormément de mal, quand tu dois traduire un livre dont il a fait les dessins, et que tu vas sûrement croiser parce qu'il va sûrement accompagner l'auteur à Paris ? Lui résume Camille le plus simplement possible.
— Tu dis que t'as trop de travail pour en traduire un autre.
— Déjà fait, ça a pas fonctionné.
— Tu dis que ta mère vient de mourir et que tu dois aller à son enterrement très loin, et que t'as pas le moral.
— Sauf que ma mère est morte il y a dix ans. Et que si je veux garder mes jours, je dois donner un certificat de décès.
— T'as qu'à démissionner.
— J'aurai plus de revenus.
— Mais tu préfères quitter ton job ou le revoir ? Rappelle Cam tranquillement.
— Quitter mon job, largement.
— Si t'as plus assez pour payer ton appart, t'es la bienvenue chez moi ma belle.
— Et je peux t'embaucher ici, le patron m'aime bien !
— Vous êtes géniaux vraiment.
Nous parlons encore un long moment, avant que la nuit ne commence à tomber, et que je me décide enfin à rentrer chez moi. C'est seulement en arrivant que je vois sur mon téléphone un message de Camille écrit en lettres majuscules.
J'AI OUBLIE DE TE DIRE ? DANS
DEUX JOURS ? TOI, MOI, ET S
ON VA A L'OPÉRA POUR TON
ANNIV ! RÉSERVE TA SOIRÉE
C'est dans deux jours et tu
Me le dit que maintenant ?
J'ai juste zappé, j'étais trop
Concentrée à résoudre ton
Énorme problème du jour !
C'est bien parce que c'est
Toi j'ai zéro motivation !
Je pousse la porte de mon appartement et laisse tomber toutes mes affaires sur le sol. Mon chat, assis sur le sol, se relève brusquement et s'enfuie dans la cuisine à toute vitesse.
— Trouillard !
Je m'assois par terre dans l'entrée, et m'adosse à la porte.
— Coco, j'ai passé une horrible journée, j'ai besoin d'un câlin...
L'animal ne daigne même pas se montrer, et miaule à présent dans la cuisine.
— Je te nourrirai pas avant d'avoir eu mon câlin.
Les miaulements s'arrêtent, mais il ne sort toujours pas de la cuisine.
— Je t'ai déjà parlé de Skyler ? Mon colocataire à Lancaster. Il va venir en France. Et j'ai peur, parce que si on doit pas se revoir il y a bien une raison... C'est ma faute si on a dû se quitter. Tu sais, je le déteste pas, j'ai dit à Camille que si pour pas avoir à en parler, mais je le déteste pas...
Ma voix tremble aux souvenirs de l'homme, et je commence à pleurer.
— J'ai tout gâché, je gâche toujours tout, mais là en plus de ça je me souviens à peine de ce qu'il s'est passé...
Coco sort de la cuisine et s'approche pour coller sa tête contre ma jambe.
— Il m'avait offert un classeur à mon arrivée, il avait fait un récapitulatif de tout ce dont j'avais besoin pour survivre dans la ville, et il avait dessiné dedans. D'ailleurs il doit être quelque part dans cet appart, je sais pas où, sûrement dans un des cartons que j'ai jamais déballé... Et que je n'ouvrirai sûrement jamais par crainte de regretter mes choix... Et mes erreurs. La vie est cruelle mon cher chat, elle laisse ses enfants partir vers leur père alors que leur heure n'est pas encore venue, elle laisse leur âme s'en aller, le bien qui les habite également.
Le chat me fixe, avec son air habituel de « donne-moi à manger ».
Au moins il me donne l'impression de ne pas être seule...
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top