XV. L'As de cœur


Ash


Bonjour national.

— Salut, Ash.

L'espace dans l'ascenseur se réduit légèrement à ma montée. Je m'évince dans le coin gauche pendant que ma main droite desserre le nœud papillon qui a l'air de vouloir me soutirer une mort imminente.

— Il fait chaud, se plaint Katia.

— Très chaud, enchérit Honey.

Les sirènes me dévisagent en riant à moitié, insistantes sur le regard et sur la gestuelle.

Depuis que Craig a annoncé officiellement mon nom en tant qu'associé, je crois que je suis devenu une sorte de mascotte, ici. Dans les couloirs, dans l'ascenseur et jusqu'au portail même de l'Aquarium, je suis connu, reconnu et en outre un peu surcoté.

Ça fait railler Spencer et légèrement pleurer Sawyer, qui, dans le coin opposé à moi, ne cesse de lever les yeux au ciel.

Le bip retentit, l'ouverture s'agrandit et les filles descendent à l'étage qu'elles convoitent.

Les portes se referment, l'ascenseur s'évince et... absolument toute ma retenue avec.

Je pivote rapidement, beaucoup trop pour que Sawyer ne présage mon mouvement, et la plaque gentiment sur la paroi froide derrière elle. Elle lâche un sursaut étonné, mais appréciateur, lorsque mon entrejambe entre en collision avec le bas de son ventre.

— Ash...

Ma main entoure sa gorge doucement, afin d'incliner son visage. Mes lèvres se posent dans son cou, à l'odeur envoutante et sucrée de pêche et de vanille.

— Saw.

— Tu es...

— Vilain ?

— J'allais dire impatient.

Je souris sur sa peau, pendant que ma bouche dévore sa chair fine. Elle se mord la lèvre en se cambrant davantage, poussant contre mon érection enflammée. Je n'ai pas le temps de comprendre ce qui se passe que sa main glisse dans mon pantalon de costard afin d'empoigner ma queue.

— Ok... chuchoté-je.

Elle commence des va et viens lents et presque douloureux, obligeant mon souffle à se suspendre au-dessus de son épiderme. Mon membre se dresse bien trop vite au contact de sa paume, ne demandant qu'à être comblé.

Je la veux, maintenant, sur moi et dans toutes les positions imaginables.

— Sawyer...

— Juste une minute.

Ses doigts serrent davantage, empêchant la bonne circulation du sang dans l'endroit de mon anatomie qui a le plus besoin d'en pomper.

— Putain...

— Chut.

Sa bouche rejoint mon cou et c'est mon propre visage qui pivote, cette fois. Ma main, encore sur sa gorge, relâche doucement la pression pour venir s'aplatir sur la paroi, pile à côté d'elle. Appuyé de part et d'autre de sa tête, je ne contrôle plus rien, même pas les battements de mon cœur qui s'affolent.

Ses impulsions s'intensifient, plus vites et plus fortes, m'arrachant un râle que je cale au creux de ses vertèbres.

Elle s'applique, jusqu'à me rendre complètement fou. Je tachycarde, le souffle court et inhabituel.

— Arrête, je vais...

Trop tard.

Adieu le pantalon de smoking et l'air classe, je viens de jouir pour une femme à l'intérieur d'un putain d'ascenseur comme un adolescent en manque de cul.

Je reprends ma respiration en n'osant plus bouger, pendant qu'elle... éclate de rire.

Elle rit, pour la première fois depuis que je la connais. Et c'est bon. C'est bon de l'entendre rigoler, mais ça l'est encore plus de la voir vivre. La lueur vide de ses yeux disparaît au plus les soubresauts de sa joie secouent son corps.

Je ne fais pas ça, d'habitude. C'est moi qui tiens les rênes, moi qui gère et moi qui fait jouir, dans les ascenseurs ou autre part. Mais malgré tout, je suis bien obligé d'admettre que ça m'amuse un peu, aussi.

Je retiens un sourire, réajuste mon pantalon dégueulasse en espérant dissimuler le plus gros, puis attends sagement l'étage qui m'intéresse en me repositionnant correctement.

Quand les portes s'ouvrent, je cours presque pour rejoindre ma chambre. Et c'est seulement lorsque je fais glisser mon badge dans la fente que je permets un vrai sourire.

Parce qu'elle rit encore, de là où elle est. Et qu'étonnamment, c'est moi que ça remplit.








— Paire d'as.

— Va te faire foutre, putain !

Je me satisfais innocemment alors qu'Ulrich abat ses dernières cartes. Il finit son verre, se relève d'un bond, puis insulte la terre entière, de ma mère à ma grand-tante.

Je ricane, si bien que Craig se ramène.

— Tout va bien, les enfants ?

J'acquiesce en même temps que Sawyer, qui me lance un clin d'œil complice de l'autre côté de la table, une fois qu'il tourne le dos. Cette fille manie les cartes comme personne. Et autant dire que c'est plaisant, de rafler toutes les mises, de la plus petite à la plus grosse.

Je croyais en mon talent, au début. Mais ça ne m'est jamais arrivé de gagner tant, et encore moins contre ces mecs-là.

J'ignore quel est son secret, mais sa technique sophistiquée et sûrement un peu illégale -même pour des types comme nous- de trier les cartes, me remplit les poches, et pas qu'un peu.

— Je n'en resterais pas là, s'offusque Ulrich avant de disparaître soudainement.

Quelques minutes plus tard, je prends une pause à mon tour. Ça fait un moment que je ne me suis pas senti aussi bien, pour tout avouer. J'ai l'argent, le pouvoir, et une dernière chose et pas des moindres, la sirène la plus sexy et la plus badasse de tout l'aquarium.

— Tu as le cul bordé de nouilles, ce soir.

Au bar, Craig me tend un rhum que je ne refuse pas. Il s'accoude impoliment pour m'affronter, le regard hostile, mais pourtant intéressé.

— Disons que je me débrouille, rétorqué-je en avalant une première gorgée.

— Tu ne te débrouilles pas, tu les traumatises. Tâche de te reprendre. Aucun de nous n'aimerait voir nos clients quitter cet endroit en étant mécontents, pas vrai ?

Il sourit, vicieux, et je secoue la tête.

— Tu me demandes de tricher  ?

J'apprécie la façon dont je maîtrise notre partenariat. Craig me hait, c'est indéniable. Néanmoins, il a bien compris qu'il n'avait pas le choix d'obtempérer avec mes conditions s'il ne voulait pas tout faire foirer pour ses affaires. La leçon des cinq ans n'a pas été pardonnée, loin de là. Mais elle a servi, c'est certain.

— Je te demande de perdre, modifie-t-il.

Il avale son verre d'un trait en me dévisageant, puis ajoute :

— Au moins un peu. Pour le reste, c'est toi qui vois.

Il me quitte ensuite pour attraper une sirène qui passe par là. Je le regarde faire un instant, vaguement étonné de l'observer se détourner de Sawyer et en être de si bonne humeur. On ne se détourne pas d'une fille comme elle, je sais de quoi je traite.

— Qu'est-ce qu'il voulait ?

En parlant de la louve, voilà qu'elle attire ma queue.

— Il a grillé tes tours de passe-passe, annoncé-je à Sawyer qui me rejoint.

Elle fronce les sourcils un peu, ce qui n'a pour cause que de la rendre craquante. 

— Est-ce qu'il est fâché ? demande-t-elle en me détaillant.

— Curieusement, non. Mais peut-être que tu devrais faire plus attention. La dernière fois qu'il a été de mauvaise humeur, ça n'a pas été à ton avantage.

Je me renferme, en me rappelant cette fille, trop proche du vide, la violence entourant son œil et changeant la couleur de sa peau. En me rappelant ce que j'ai dû faire ensuite, pour le faire payer ses vices.

Je ne regrette pas d'avoir eu à éliminer ce type, pour elle. Ce que je regrette, c'est que malgré ça, Craig puisse recommencer quand ça lui chante.

Sans que je ne m'y attende, elle pose sa main sur la mienne.

— Tu te fais du souci pour moi, Ash ? se plait-elle pendant que je détaille nos doigts si proches.

Cette démonstration d'affection ou peu importe ce que c'est, c'est inédit. Craig s'en doute peut-être, mais n'a jamais eu la moindre preuve de cette liaison qu'on entretient, elle et moi. Pour son bien-être à elle, mais aussi pour le mien. Parce que j'ai des projets à conduire, et que le faire en veillant sur elle et parfois en elle, me devient un peu plus compliqué à chaque fois.

Je retire ma main, doucement, sans la brusquer. Mais elle se rembrunit immédiatement.

— Je n'ai pas peur de lui.

Son ton ne filtre que la révolution, lorsqu'elle crache ces paroles. Ce qu'on ne doit absolument pas mener pour le moment.

— Moi non plus, rétorqué-je. Toutefois, il se montre beaucoup trop patient pour que ce soit normal. Et je compte bien découvrir pourquoi, avant de traiter une nouvelle guerre.

Son nez se retrousse alors qu'elle se mord la lèvre. Je n'arrive pas discerner ce qui traverse son regard à cet instant, mais ça me dévore de l'intérieur.

— Peut-être qu'il a seulement accepté de me laisser partir.

— Impossible.

Elle se redresse.

— Et pourquoi ?

— Parce que ça ne lui ressemble pas. Maxwell fait partie de ceux qui mangent, pas de ceux qui se laissent manger. S'il accepte que tu t'éloignes, c'est que ça profitera à sa cause à un moment ou à un autre. À moins que...

— Que... ? questionne-t-elle, l'inquiétude traversant ses iris clairs.

— Que tu couches encore avec lui tout en te servant de moi.

Son regard oscille entre doute et terreur. Je fronce les sourcils, soutenant son attention devenue presque fuyante, jusqu'à ricaner profondément.

— Détends-toi, je rigole.

Elle sourit, mais ne se décrispe pas.

— Tu couches encore avec lui ? m'inquiété-je alors que son visage m'interpelle.

Non pas qu'elle me doive quelque chose. Seulement, je vivrais très mal qu'elle persiste à se donner à lui sans plus y être obligée. Alors que la tachycardie de son silence m'emporte, elle secoue finalement la tête.

— Non, idiot. Bien sûr que non.

Je ne sais pas pourquoi j'ai soudain envie de faire sauter chacune des barrières qui s'érigent entre nous. Que ce soit Maxwell, Travis, juste derrière le bar et l'attention à son comble, sa copine, un peu trop bornée et un peu trop têtue, ou même mes propres limites, celles que je me suis fixées afin de pouvoir terminer ce que j'ai mis tant de temps à commencer, je n'ai plus qu'un désir  : celui de tout effacer. De lui prendre la main, de m'enfuir avec elle et de ne jamais plus me retourner.

Mais alors que mes doigts touchent les siens, un visage m'apparaît.

Un visage familier, un peu ridé par la tristesse et lui aussi souvent marqué par la violence d'une vie qui n'a pas été choisie.

Je manque de m'étouffer, quand les yeux verts de Sawyer se transforment peu à peu en gris fade. Lorsqu'en elle, c'est ma mère, que je vois.

Je serre les dents, retire ma main, puis ferme le poing. Sur le bar, je dévie le regard pour ne plus visualiser qu'une seule chose, derrière le verre à moitié vide posé devant moi.

Mon but.

Ultime et précis.

Et duquel je jure pour la millième fois de ne plus m'éloigner. 




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