X. La brebis


Ash


Une paire d'as et je remporte deux mille dollars. La fumée m'empêche de voir à deux mètres devant moi, mais je distingue quand même les yeux noirs de Maxwell. Les cartes me parlent, ce soir, et pas uniquement grâce à la came. Leur langage m'est familier, d'autant plus lorsqu'elles me rapportent.

Spencer est à ma droite, plus occupé à caresser les nichons d'une sirène qu'à se concentrer sur le fric qu'on décroche. On n'en manque pas, mais mon arrogance me pousse à vouloir toujours le meilleur de mon équipier. Il y a un temps pour tout, j'estime, et celui-ci n'est pas au sexe pour le moment.

En réalité, je peux bien faire le malin, si je réagis ainsi, c'est uniquement parce que Sawyer n'est pas là. J'ai eu beau la chercher, elle ne s'est pas montrée parmi les femmes qui nous vendent du rêve ce soir.

Les lèvres s'entrouvrent, les seins se pressent, les culs se frottent. Et parmi eux, aucune trace de celui de la sirène que je convoite.

Peut-être que Craig lui a ordonné de ne plus m'approcher. Si tel est le cas, la pâtée que je suis en train de lui faire manger est méritée, en plus d'être plaisante. Je pensais avoir été clair. J'ai le droit à la moitié de ce qu'il possède à l'aquarium. M'empêcher de voir Sawyer ce serait tout simplement mettre en défaut notre partenariat.

J'ai espoir qu'il ne soit pas aussi con, même si j'en doute très fort.

Le tour fini, je me rafraichis avec un whisky trop cher. Je le goutte, l'apprécie, le termine. Et là, en relevant la tête, elle m'apparaît enfin.

La robe noire qu'elle porte est différente de celle des sirènes, mais ne la rend pas moins sexy. Très courte, j'arrive à imaginer ce qui se cache dessous, et pour cause. Mon corps connaît le sien, désormais.

Elle approche, sa démarche faisant rouler ses hanches. Ma langue humidifie mes lèvres au goût prononcé d'interdit. 

À aucun moment elle ne prend le risque de lier son regard au mien. Elle évite la confrontation directe, très bien, j'accepte. Ce que je n'admets pas, en revanche, c'est la position qu'elle vient d'adopter. Sur les cuisses de mon voisin d'en face, elle s'assied, sage, habituée, dans l'approbation la plus totale.

Je fronce les sourcils, plus par incompréhension que par mécontentement. Et sans réellement le planifier, je pose mon verre vide sur la table en le claquant un peu fort, ce qui ne réussit qu'à attiser le regard du patron.

Un nouveau tour reprend, je joue sec. Plus agressif, plus impatient, plus colérique. J'esquive les yeux de Spenc durant quelques turn de plus, mais on se connait trop bien. Il insiste, silencieux, et je décline, tout aussi muet.

La partie se finit enfin, transformant l'aquarium en lieu dépravé. Je me relève avec les poches pleines, mais la tête loin d'être vide.

Les néons me subjuguent, la musique m'enlace, et ce que je suis forcé de mater sans rien pouvoir faire me pousse finalement à l'absurde. Pour éloigner Sawyer de mes pensées chaotiques, je lui tourne le dos. Je bois, je fume, je prends deux ou trois pilules et je fais ce que je sais faire de mieux.

Je survis.

Accoudé au bar, je laisse les fesses d'une inconnue s'imprimer sur ma peau. Elle danse comme une déesse, aucun débat ne pourrait remettre ça en cause. Son parfum me chevauche alors qu'elle me murmure à l'oreille :

— On monte, mon beau ?

Je souris, mais je n'acquiesce pas. Parce que devant moi, la nouvelle fille que je désire vient d'apparaître. Elle n'est pas blonde, cette fois. Brune, des traits asiatiques, des yeux de biche et une peau au teint caramel. Elle est belle, vraiment belle. Mais ce n'est pas la raison qui me pousse à me décaler pour venir la rencontrer.

— Tu es libre ?

Elle sourit grandement avant de hocher la tête à l'affirmatif.

Sawyer ne t'as donc rien dit. Parfait.

Je lui tends une poigne certaine, qu'elle attrape sans hésiter. Le cul posé sur un fauteuil, je la laisse me propulser dans un autre monde. Je ne détaille rien de ces courbes, parce que je ferme les yeux, le sourire aux lèvres. J'imagine ce qui me plaît et ce que je m'efforce de taire quand elle invite ma main à caresser son épiderme brûlant. Ses cuisses, son ventre, ses seins. Elle se donne à fond, elle joue, elle tente. Il n'y a aucun doute sur le fait que cette nana attirerait mon attention plus que nécessaire, en temps normal. 

Mais ici et maintenant, je ne cherche rien d'autre que ce que je viens de trouver.

Dans le chaos de la soirée, les yeux de Sawyer se soudent enfin aux miens.

Pendant que sa copine torture mon corps avec la force de son attraction, elle me dévisage, assise sur Maxwell. Ses sourcils sont froncés, son vert est sombre. Ses lèvres, si charnues et si douces, sont étirées de façon linéaire.

Elle subit ce contact exactement au même titre que je l'apprécie.

Une bonne dizaine de minutes s'écoule avant qu'elle ne lâche enfin prise. Elle déconnecte son attention de la mienne et se relève brusquement, s'excusant auprès de Maxwell en posant une main sur son épaule.

Lorsqu'elle disparaît derrière la porte, je remercie la fameuse Nikky et lui laisse un pourboire relatif à ce que je viens de gagner, pour sa démonstration épique et sans défaut.

Je me rends au bar, commande deux bouteilles de plus que je fais livrer à la table du fond, puis m'évince juste derrière une sirène énervée, donc, après m'être assuré que Craig soit occupé pendant un temps suffisant à ce que je veux mener.

Sawyer ne se retourne même pas lorsqu'elle entend du bruit derrière elle. Je suis certain qu'elle sait que je la suis, mais comme depuis le début, elle se plaît à ne rester que l'objet de mes désirs les plus fous.

Elle grimpe les marches sans en démordre, pousse la porte de l'issue de secours violemment, puis allume une cigarette, toujours sans m'orner de son attention.

Je demeure en retrait, les mains dans les poches, le sourire dissimulé au maximum en dépit de son humeur qui m'agace autant qu'elle me fascine. J'attends, patiemment, puis quand elle se sent prête, elle rompt le silence d'elle-même :

— Tu comptes tester chaque sirène que tu croises ?

Elle me questionne avec colère, mais aussi avec fatigue. Je ne me laisse pas démonter. C'est elle qui a été battue. Elle qui a tenté l'impossible. Elle qui a couché avec moi. Et elle qui vient de s'asseoir sur les genoux de Craig comme si tout cela n'était jamais arrivé.

— J'en sais rien. Tu vas sauter, cette fois, où la robe que Maxwell t'a offerte suffit à ce que tu pardonnes tout ?

Ce coup, elle pivote vers moi. Son visage se fend dans une douleur qui m'abime, mais pour laquelle j'essaye d'être sans pitié.

— Tu m'en empêcherais ? demande-t-elle alors, la défiance dans la voix.

Je serre la mâchoire.

Néanmoins, je suis bien obligé d'admettre :

— À chaque fois.

Et elle quitte mes yeux, un sourire victorieux sur les lèvres. Les secondes s'écoulent entre nous comme la cigarette se consume. Lentement, mais sûrement. Le bout s'embrase à chaque fois qu'elle tire dessus, provoquant tout mon être. Lorsqu'elle se débarrasse du mégot, elle marque trois pas pour se rapprocher de moi.

— Tu n'aurais pas dû monter.

Son corps s'éloigne juste après ça, mais le mien n'est pas d'accord. J'attrape sa main, ce qui la freine brusquement.

Son sourire s'évanouit et elle plante ses yeux verts dans les miens.

— Pourquoi ? chuchoté-je.

Mon ton la fait frissonner.

— Parce que si Craig nous voit...

— Je voulais dire, pour quelles raisons tu te retrouves à nouveau scotchée à cet enfoiré de Maxwell ?

Je fronce les sourcils, sa main emprisonnée dans la mienne. Elle ne se débat pas. Elle se laisse même plutôt apprivoisée, en me faisant complètement face.

— Je te l'ai dit, c'est la vie qui veut ça.

— La vie ?

Je la dévisage comme si c'était la chose la plus stupide que j'aie jamais entendue.

— Tu as couché avec moi juste après que tu aies tenté de mettre fin à tes jours. Tu clamais la liberté et te voilà à nouveau prisonnière. Qu'est-ce que la vie vient foutre là-dedans, Sweety, hein ?

Elle déglutit, avant de récupérer son bras d'un geste sec.

— Depuis quand je te dois des explications ?

Ses paroles tranchent mon calme mis à rude épreuve. Je lève les mains en l'air, puis m'éloigne un peu, sans quitter son regard.

— Tu as raison. Tu ne me dois rien.

Alors que j'entame un demi-tour, elle n'en reste pas là. Comme un coup de poignard dans le dos, elle crache :

— Si tu ne fais pas plus attention, tu disparaîtras très bientôt de l'aquarium.

Lentement, mon corps pivote. Face à ses yeux verts, foncés par la colère, je la contemple argumenter :

— Maxwell prévoit quelque chose contre toi. Je l'ai entendu, au téléphone.

Si elle adoucit ma fierté en prenant mon parti, ma haine, elle, s'agrandit au fur et à mesure de ces mots.

— Et qu'est-ce qui te pousse à m'en faire part, au juste ?

Elle hausse les épaules en esquivant mes yeux.

— Tu m'as sauvé.

— Et ?

— Et c'est la moindre des choses que je puisse faire pour te rendre la pareille.

Je souris sordidement.

— Notre petite partie de jambes en l'air. Je croyais que c'était ça, ta façon de me rendre la pareille.

Elle se redresse, le regard sombre. Elle n'aime pas ce que je lui dis, mais c'est tout ce qu'elle mérite, pourtant.

— Ce n'était que ça, pour toi ? Une manière de consoler la brebis égarée ? me reproche-t-elle en croisant les bras sur sa poitrine.

Non. Bien sûr que non.

— Oui.

Elle déglutit violemment, puis vient se planter devant moi.

— Ben je te remercie, Ash. Mais la brebis n'a plus besoin de toi.

— Parce qu'elle a retrouvé son berger, je suppose. C'est bien le problème, avec ces animaux-là. Ils ne marchent qu'en troupeau, quitte à suivre une direction qui ne mène nulle part.

Elle avance encore.

— Tu ne sais rien de ma vie.

— Et je ne veux même pas en connaître davantage.

Son souffle court se mêle légèrement au mien. Ses yeux foudroient mes lèvres, pour venir se réimplanter dans les miens.

— Tu es comme Maxwell.

— Et toi, soufflé-je, tu es comme toutes les autres.

Elle respire fort, son attention jonglant entre sa colère et son envie. J'ai goût de l'embrasser, là, maintenant. De la prendre sur ce toit une nouvelle fois.

Mais je n'ai pas l'habitude de me rabaisser.

C'est la raison pour laquelle je souris doucement, avant de me reculer franchement.

Je l'entends expirer bruyamment alors que je fais demi-tour.

Elle braillait à la liberté. Eh bien, c'est exactement ce que je lui donne, ce soir. 


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