VIII. Une histoire de famille


Ash


Les yeux rivés au plafond, les mains croisées sur le ventre, le souffle court et le cœur lent, je n'arrive plus à arrêter de penser. Je ressens encore chaque chose qui m'a lié à elle. Ce n'est qu'une femme, putain. Une femme avec un sourire à s'en damner, avec des courbes coutumières à la luxure, avec un regard comme on n'en voit jamais, peut-être, mais juste une femme quand même.

Elle n'est pas différente. Si elle l'était, elle ne serait sans doute pas ici. Si elle l'était, elle n'aurait pas couché avec moi, non plus. Ok, mais je ne peux pas omettre le fait qu'elle ait tout de même tenté de mettre fin à ses jours. Si je n'étais pas arrivé...

La réelle question que je me pose, maintenant, l'attention scotchée à la peinture sombre qui me domine, c'est pourquoi ?

Pourquoi une fille comme elle ne trouve pas la force de se battre pour échapper à Craig Maxwell ? Qu'est-ce qu'elle subit de si difficile, pour lui permettre de ne se projeter nulle part ailleurs que sur le rebord d'un muret, face au néant ?

Je me redresse, le front en transe. La chaleur m'est familière, même si celle-ci se rapproche plus de l'insupportable effet de mes souvenirs.

Je ressens tout, vraiment tout. De ses lèvres qui parcourent les miennes, à son corps, qui glisse autour de moi. Je ressens chaque souffle, chaque râle, et j'en viens jusqu'à imaginer le son de son orgasme, encore et encore.

Ce n'est qu'une femme, Ash. Et toi, tu n'es rien du tout.








En revêtant ma chemise, je fais face au miroir devant moi. Les sourcils froncés, les muscles tendus, la mâchoire crispée. Même un aveugle pourrait voir l'état difficile qui m'avoisine, ce matin.

Il est plus de neuf heures quand je descends pour retrouver le rez-de-chaussée. Je n'ai pas le choix de jouer le jeu. J'ai voulu les parts, il me faut maintenant assumer le reste.

Maxwell m'attend déjà dans son bureau. Dans ce costume marron qui semble dater des années soixante, il me dévisage en se grattant le menton.

— Ash.

Le son de sa voix suffit à me tendre.

— Tu souhaitais me voir ?

J'essaye de ne pas tout mélanger. Mais je n'ai qu'une envie, à ce moment-là, c'est celle d'être l'instigateur de son nez fracturé. Pour Sawyer, pour le bleu qui entoure son œil, pour ce qu'elle a failli faire et pour lequel il est incontestablement en cause.

Je ne m'abandonne pas à mes idées noires, mais je serre les poings, si fort que ça attire son attention.

— Comment était ta nuit avec Sweet ?

Il ose, en plus. Je fronce les sourcils.

— Tu devrais le savoir.

Il sourit lentement, puis s'appuie sur les accoudoirs de son fauteuil afin de se relever. Devant moi, il se dresse comme un chacal prêt à se venger.

— C'était la dernière fois.

Je sens les flammes de la colère danser dans mes iris, lorsqu'il ajoute, d'une voix songeuse :

— Que tu posais tes mains sur elle, j'entends.

Il me détourne ensuite pour attraper son paquet de clopes et en allumer une. La fumée sortant de sa bouche de gros porc masochiste, il reprend, plus léger :

— Je n'aime pas beaucoup qu'on me contredise. Ton père le savait, et il me paraît normal de te l'apprendre également.

— Je ne suis pas Will.

Ma voix grave l'oblige à relever des yeux intéressés vers moi. Son bleu si clair me transperce une seconde, juste avant qu'il n'éclate de rire en attrapant une bouteille de whisky pour s'en abreuver directement au goulot.

— Tu n'es pas différent, non plus.

Je serre les dents à cette remarque. Mon père était un homme lunatique, pervers et immoral. Je ne suis peut-être pas mieux, mais bon sang, je suis tout à fait opposé. Craig s'aperçoit certainement de mon changement d'attitude, puisqu'il fronce les sourcils soudainement, avant de s'écarter un peu. Il expire sa fumée en me détaillant profondément, comme s'il cherchait la plus petite faille en moi afin d'y plonger entièrement.

— J'ai accepté que tu reprennes les parts de ton père parce que je sais que c'est ce qu'il aurait voulu. Mais ne marche pas sur mes plates-bandes, Ashton. Sinon...

En trois pas, je suis face à lui.

— Sinon quoi ? grincé-je, mon visage à quelques centimètres du sien.

Il tire sur sa cigarette, puis d'une voix lente, affirme :

— Je me désolerais de devoir me passer de toi.

Puis il sourit paresseusement, avant de me souffler sa fumée dans la gueule. Je marque un pas en arrière, juste pour le mérite de reprendre une dose d'air potable. De poser à plat ma colère pour ne pas la laisser me dompter. Mais c'est trop tard. Mon cœur entame les palpitations que je ne connais que trop bien. Celles qui rythment le début du combat et de la guerre. Celles qui font disparaître la moindre petite chose qui fait de moi un humain.

Ses yeux sont ancrés dans les miens et son sourire ne succombe pas. Mes poings se serrent, ma gorge se noue.

Il n'était pas seulement proche de mon paternel, ce type. Il est comme lui. Aussi salaud, aussi vipère, aussi terrible.

Il pense que tout lui appartient. Et c'était peut-être vrai, avant.

Mais plus maintenant.

— C'était la dernière fois.

En me voyant reprendre ses dires, il hausse un sourcil, quand j'argumente :

— Que tu me prenais de haut, j'entends.

Et j'attrape la bouteille de whisky qu'il tient dans ses mains pour l'exploser sur le sol.

Le choc lui fait faire un saut en arrière. Il est surpris et si j'en crois son regard noir et brutalement vide, il remet tout en question. Il pourrait me tuer, là, maintenant. Mais il n'en fera rien.

Je suis le fils de son meilleur ami. Sa descendance. Et chez ce genre de mafieux, la famille est ce qu'il y a de plus important. Il ignore juste, pour l'instant, qu'il commet une irrémédiable erreur, en ne le faisant pas.

Il devrait le faire, oui.

Me coller une balle dans la tête.

Parce que me laisser vivre... c'est d'un autre côté autoriser sans même le savoir que tout meure, ici.

Quand je le quitte, Maxwell est encore méfiant. Il ne cesse de me dévisager, comme pour jauger mon aptitude à conserver ses dossiers dans l'aquarium. Ça ne fait que quelques jours que je suis ici en tant qu'associé, et il doute déjà.

Ce n'est pas bon pour ses affaires, mais une chose est sûre, ce n'est pas bon pour les miennes, non plus. Mon besoin de vengeance est tel que je ne laisserais rien arriver qui pourrait la compromettre.

Alors quand je ressors de son bureau et que je croise celle que je n'ose plus nommer, en pause au bar de l'hôtel, je me le promets silencieusement.

Rien, n'ébranlera ça.

Même pas une fille.

Même pas une sirène.

Même pas cette sirène-là, en particulier. 



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