II. Cauchemar




"Sawyer... Sawyer... Sawyer..."

Je me réveille paniquée. Mon cœur tape dans ma cage thoracique avec une telle force que j'ai l'impression qu'il va traverser ma poitrine. Ma tête pivote de droite à gauche pour m'aider à me situer.

Il fait nuit. Et comme souvent ici, il fait chaud. Je passe ma main sur mon front dégoulinant de sueur, mes cheveux emmêlés collent à mon visage brûlant et baigné de larmes muettes. Je prends une grande inspiration puis silencieusement, je compte.

Un, deux, trois, quatre, cinq.

C'est le temps que je me laisse pour éprouver chaque foutu sentiment qui a le don de me briser en morceaux. Cinq secondes, j'inhale un grand coup et je renoue avec le cours de ma vie. Avec plus de force et de détermination. Du moins, c'est ce que je me répète incessamment, pour me permettre de continuer à résister.

Alors que je m'assieds sur le bord du lit, Craig bouge, ce qui m'oblige à suspendre tout mon être, de ma respiration à mes mouvements. Il est toujours endormi, le bras pendant dans le vide. Son visage est paisible en dépit de l'alcool qui dessine des cernes noirs sous ses yeux.

Mes pensées s'évadent vers un autre monde. Un monde dans lequel moi aussi, je serais sereine. Je n'aurais pas besoin de faire semblant. Pas besoin de me forcer. Je serais simplement moi-même et j'aimerais vraiment ça pour la première fois de ma vie.

Je me lève, le corps douloureux, les muscles tétanisés. Aucun alcool n'est assez fort pour me permettre de passer au-dessus de ça. De lui, de ce monde noir et de cette foutue vie dans laquelle je suis obligée de demeurer. Au sens propre, je respire. Mais j'étouffe. Chaque jour qui passe est pire que le précédent. Chaque nuit qui m'agresse est plus insupportable à chaque fois. Chaque bleu, chaque emprise, chaque forfaiture est plus difficile, plus meurtrière.

Je n'étais qu'une enfant. Une enfant avec une mère qui n'a su faire les bons choix. Avec un père qui n'existait pas. Je n'étais qu'une enfant. Pure et avec l'espoir de toute une vie devant elle.

Une vie arrachée, volée, piétinée.

L'espoir fait vivre. Mais il tue, aussi, sans aucun doute.

Sous l'eau chaude, je me lave et frotte sans arrêter ma peau qui rougit à vue d'œil. Même comme ça, nettoyée par ma propre main, je continue de me sentir sale et négligée. Je suis blessée. Par les coups d'un rapport sans tendresse, par la couleur des plaies sur mon corps, par le mal-être qui m'habite et qui revient doucement me hanter.

Je m'appuie de mes deux bras sur la paroi et baisse la tête. Je laisse le flot envahir mon cou, mes cheveux, mon visage. Comme souvent après avoir fait ce rêve, je peine à me ressaisir et mets bien un quart d'heure avant de sortir la tête de l'eau, au sens propre, mais surtout au figuré.

Ce sentiment, je peine à le maitriser. Mais je n'ai pas d'autres choix que d'essayer de toute mes forces. Je ne veux pas que mes vieux démons me gâchent la vie, je ne veux pas subir mes tourments sans me battre en retour. Alors à chaque fois que j'entreprends de sombrer, je frappe. Je compte, je me relève... et je repars.






***







— Sérieusement, ça fait quoi, genre deux semaines ? Il est sympa et il baise comme un Dieu, c'est clair. Mais il se trompe s'il pense que je peux lui offrir plus que ça.

Je ne réponds pas, le regard rivé devant moi, fronçant les sourcils en écoutant Nicky me déballer chaque chose de sa vie personnelle. Non pas que je n'en ai pas l'habitude. Seulement cette fois, ça me semble légèrement différent.

Travis est un con. Mais il l'apprécie, c'est indéniable.

— Tu m'écoutes ou quoi ? demande-t-elle d'une voix irritée.

— Oui, assuré-je en la regardant enfin. Je ne sais pas, tu es sûre de toi ? Je veux dire, c'est si terrible pour toi d'imaginer être sérieuse pour la première fois de ta vie ? En plus ça ne fait pas deux semaines, mais deux mois, je te signale.

— En plus, ça ne fait pas deux semaines, mais deux mois gnagnagna, m'imite-t-elle, très mal. Ça n'empêche que oui, ça me semble terrible. C'est carrément inconcevable, même. Regarde-moi, Saw. Tu crois vraiment qu'une fille comme moi a le droit aux fleurs et aux chocolats ?

Je le contemple sans répondre. Non pas parce que j'approuve ce qu'elle dit. Simplement, malgré nos différences physiques flagrantes, je me vois plus en Nicky qu'en n'importe qui sur cette Terre. Si elle pense qu'elle n'a pas le droit au bonheur, qu'en est-il de moi ? En aurais-je le privilège, un jour ? Ou comme elle, dois-je me résigner pour de bon ?

La porte de l'ascenseur sonne et nous laisse sortir. Nicky passe avant moi et se retourne pour me parler.

— Tu crois que j'en fais trop, c'est ça ?

Je hausse les épaules.

— Ce que je crois n'a aucune importance.

Elle s'arrête en me dévisageant. Ses yeux de biche, camouflés sous ses longs cils, me jaugent un instant, sceptiques. Puis elle soupire avant de m'entourer de son bras pour m'entraîner à ses côtés.

— Tu sais bien que si, avoue-t-elle en collant sa tempe à la mienne.

Nous avançons ainsi jusqu'au hall principal qui mène à la sortie de l'hôtel. Elle sourit en poursuivant notre cheminement sans se douter de la masse qui prend durement forme dans ma gorge. Nicky est un ange tombé du ciel, à mes yeux. Mais je regrette amèrement l'endroit choisi par ses ailes pour la déposer.

Elle mérite mieux que tout ça. Et elle le découvrira, aussi, dans très peu de temps.

Je ravale ma peine en essayant de paraître naturelle et nous nous dirigeons vers la grande entrée en verre noir. Au moment où l'on se sépare pour passer, la porte s'ouvre et laisse apparaître deux personnes.

Mes yeux se posent dans ceux sombres du type en face de moi. Je le reconnais immédiatement. À sa posture, à ce qu'il dégage et à mon cœur, qui s'accélère sans raison apparente. Je me retrouve paralysée. Il me dévisage de la même façon que la veille, juste devant l'ascenseur. Il émane de lui quelque chose d'intense, quelque chose que je n'arrive pas à surpasser. Il semble investi autant que moi, ce qui éveille les soupçons de ma voisine qui, en me détaillant, s'inquiète :

— Sawyer ?

Je tourne la tête pour affronter ses deux yeux noisette qui me questionnent désormais. Le type en face et son copain du même genre s'entêtent à nous barrer la route en restant plantés là, ce qui ne fait qu'accentuer le malaise qui découle entre nous.

Je souris à Nicky pour la rassurer puis prends les devants en évitant les deux gars. Je passe sur le côté et effleure à peine celui qui ne cesse de me dévorer du regard. À peine, mais pourtant bien assez pour qu'un frisson me parcoure la nuque et m'électrise la peau. Je me presse pour m'éloigner de ce contact, de ce ressenti, de ce tourment, aussi, afin de retrouver l'air frais de l'extérieur, Nicky sur mes talons. 

Je m'apprête à relâcher doucement la tension quand une voix rauque s'élève soudain derrière nous pour amorcer :

— Allez, quoi. Un verre, Sawyer ?



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