I. Nuit sombre




Ash


Tu fais tourner, beau-gosse ?

La sirène sur les genoux de Spencer me tend la main. Expulsant la fumée de mes poumons, je lui propose le joint en la baisant du regard. Pulpeuse et formée comme une déesse de l'océan, ses lèvres viennent embrasser son bout avec un peu trop d'entrain.

Je ne suis qu'un homme. Un homme faible, qui plus est.

— Si tu veux tirer sur autre chose, j'suis chambre douze, lui lancé-je en me relevant, le sourire revêtu d'un air entendu.

L'excitation prend place dans ses iris foncés et Spencer tourne la tête. Il me fusille du regard. Ses doigts continuent l'ascension d'une caresse, qu'il émet sur la cuisse de celle qu'il ne connaît que depuis dix minutes.

Je lui tapote l'épaule en riant avant de glisser les mains dans les poches. J'en sors une cigarette que j'allume dans la seconde, prêt à entretenir le déclin qui fertilise mes poumons. Déterminé à ne pas rentrer sobre, j'attrape le reste de la bouteille de whisky qui traîne là et m'en abreuve jusqu'à la dernière goutte.

Spencer soupire et lève les yeux au ciel. Il ne conçoit que trop bien l'homme qui se tient face à lui et qui ne se permet jamais de se limiter.

— On dégage, beauté, lâche-t-il en appuyant son attention sur moi.

Beauté se mord la lèvre en se relevant, son regard scintillant me prenant en otage. Je ne résiste pas, répondant d'un clin d'œil qui n'échappe pas à mon plus vieil ami.

— Merde, Ash. Tu fais chier.

— Du calme, mon pote.

Mais la malice qui erre dans ma voix attire son attention davantage. Il se redresse, comme un lion prêt à attaquer. 

Il a comprit, ça y est. Et ce n'est plus cette fille, la proie. Là, dans ce zoo qui retient les animaux que nous sommes, il devient celui qui se fait chasser.

— Peut-être qu'on pourrait simplement la laisser choisir qui de nous deux va la baiser ce soir, m'entends-je dire dans un sourire mesquin. 

Spencer fronce les sourcils, bien conscient de ce qui s'apprête à suivre. La petite brunette aux formes exorbitantes se trémousse et le quitte pour se positionner devant moi.

— Tu crois vraiment que tu as ce qu'il faut pour satisfaire une fille comme moi, mon joli ?

Je me lèche la lèvre, vieille habitude, puis ricane sans même le camoufler.

— J'suis chambre douze, répété-je en appuyant mes mots.

Mon pote et ses yeux noirs me détaillent un peu plus. Jusqu'à ce qu'un vulgaire sourire naisse sur ses lèvres de salaud.

Il a saisit et tout comme moi, il joue. 

Au plus fort, au plus beau et à celui qui à la plus grosse queue. 

Chaque foutue soirée, c'est la même chose. Un vrai combat de coqs pour savoir qui va trouver la meilleure came ou baiser la plus belle femme. Le sexe, l'alcool et la drogue sont notre quotidien depuis tellement d'années que j'ai désormais oublié pour quelles raisons et à quel moment c'est devenu ainsi.

Je me renferme un peu plus chaque jour dans ce jeu de perversion, où rien d'autre n'est promit à la fin qu'une solitude monstre. 

Qu'importe. 

Il faut dire que ça me va comme ça. Surtout qu'en plus, en général... c'est moi qui gagne.




***




Sawyer


La lumière du coucher de soleil se reflète à travers la fenêtre de l'hôtel. Allongée sur le lit, mes pensées s'évadent. Je me surprends à spéculer à une autre vie. Une vie où je serais enfin la maîtresse de mon propre destin. Où j'aurais le choix. Je ne serais pas la prisonnière de mon passé, je n'aurais pas non plus à porter le poids des erreurs de chacun.

Je ferme les yeux quand le matelas s'affaisse. Je peux sentir les effluves de l'alcool se murer dans l'air. Mon ventre se noue lorsque cette main s'approche de ma cuisse.

– Ouvre les yeux.

Son ordre résonne comme une promesse à la violence si je n'obéis pas. Mes poils s'hérissent, ma gorge s'obstrue d'une masse qui empêche quelconque son d'en sortir. Doucement, j'obtempère.

Ses yeux m'apparaissent comme une fatalité. Je serre les dents quand ses doigts glissent sous ma jupe en jean. Je ne dis rien, ne résiste pas. Ni lorsque son index caresse mon sexe ni lorsque le sien entre en collision avec mon corps frêle et abimé. Entre ces murs, je suis son esclave. J'ai compris son fonctionnement. Si je me tiens correctement, si je fais ce qu'il me dicte, si je satisfais son propre plaisir, alors tout ira bien.

Lorsqu'il m'empoigne les cheveux, donc, je ferme les yeux, fort. Lorsqu'il me pénètre, je me mords la lèvre, fort. J'étouffe un cri de rage et de désespoir lorsqu'il jouit, puis m'efforce de ne faire semblant de rien lorsqu'il se retire pour se rhabiller comme si tout allait bien.

Je suis silencieuse, il l'est aussi. C'est pareil à chaque fois. Un rituel non moins malsain que sordide, désormais ancré dans ma vie comme au plus profond de mon âme. Je suis marquée au fer rouge par les mains poisseuses de ce piètre homme et le pire, c'est que je n'ai aucune porte de sortie pour le fuir.

Une fois habillé, Craig s'en va, m'abandonnant à mon triste sort. La porte claque, je cours dans la salle de bain. Une salle de bain sans doute bien trop grande et luxueuse pour une chambre d'hôtel et qui ne sert pas à grand-chose pour quelqu'un de normal. Pourtant, à moi, elle me sert d'échappatoire. Juste le temps d'un instant, je m'y enferme et laisse couler l'eau le long de mon corps en espérant me laver un peu de la luxure et de la dépravation qui luit sur ma peau nue. Et puis, quand je décrète que mon épiderme m'est assez douloureux à force de frotter, j'en sors. Je m'habille, me coiffe, et m'empresse de rejoindre le bar de l'hôtel, où j'escompte noyer mes pêchers.

Lorsque l'ascenseur s'ouvre, je me jette dehors et percute quelqu'un presque violemment. Le type me dévisage d'abord, puis doucement, un vague sourire s'insinue au bord de ses lèvres. Ses pupilles dilatées trahissent des différentes substances ingurgitées au cours de la soirée, ce qui n'enlève pourtant rien à l'assurance qui émane de lui. Mieux que la confiance, c'est la fierté qui dévore ses iris. Sa chevelure noir corbeau et désordonnée lui donne un air désinvolte, ses yeux d'un noir profond, un goût de liberté.

Je déglutis difficilement.

Voilà ce qui me surprend par-dessus tout. Ce type pue la liberté. Alors que moi, je suis juste prisonnière de celle d'un autre.






Son regard quitte le mien un instant et ne se gêne pas pour se balader sur tout mon corps. Il accroche à nouveau avec mes yeux quelques secondes plus tard, visiblement sans se préoccuper de mes sourcils froncés.

— Je peux t'offrir un verre ? C'est quoi, ton nom ?

Je lève les yeux au ciel.

— Ringard, chuchoté-je en l'évitant.

L'inconnu hausse un sourcil amusé quand je le contourne et me suit à la trace :

— C'est ton nom, ça ?

— Non.

À peine ai-je fait deux pas qu'il me barre le chemin à nouveau.

— Juste un verre, annonce-t-il en fourrant les mains dans ses poches. Et c'est toi qui rince.

J'ouvre la bouche puis la referme brusquement.

— Pardon, quoi ? finis-je par demander.

— Quoi, quoi ? Tu me rentres dedans, tu m'éclates le bras et tu espères que je paye ma tournée, en plus ?

Ce visage si masculin au sourire pourtant si enfantin me déroute. Je jette un œil plus approfondi sur sa silhouette. Son tee-shirt noir moule parfaitement ses formes et dévoile un corps dessiné spécialement pour faire danser le Diable. Il a des yeux sombres, aux cils épais, longs et noirs. Et ces mèches, qui retombent de part et d'autres de ses tempes et qui sont humides de sa dépravation, lui donne tout, sauf l'air d'avoir à se méfier de moi. Il est tatoué de la tête au pied, et il pue l'insolence à des kilomètres. Ce mec n'a absolument rien à craindre de mon corps qui s'entrechoque avec le sien.

Clairement, il bluffe.

— L'ascenseur c'est par-là, indiqué-je en le montrant du doigt.

Il sourit plus grandement, niant la vraie requête qui émane de cette phrase.

— Doucement, ma belle. Tu es sûre que tu ne veux pas qu'on prenne un verre, d'abord ?

Mes lèvres frémissent et se transforment en un minuscule sourire que j'essaye instantanément de dissimuler au maximum sous mon arrogance.

— T'es pas mon genre.

Il se mord la lèvre, pensif, pendant que je scrute ses yeux d'un noir irréfutable. Entre tempête et orage, ils semblent camoufler tant de choses que ça m'effraie soudainement.

Lui passe une main dans sa chevelure désordonnée et secoue la tête légèrement.

— Ok. Si tu changes d'avis... J'suis dans la douze.

Il relève la tête et plante son regard dans le mien.

— Juste un verre, soumet-il en agrémentant ses paroles d'un clin d'œil.

Sur ses mots, il me contourne pour regagner l'ascenseur. Je reste là un tout petit instant, à parcourir sa démarche assurée s'éloigner de moi et à me demander ce qui pourrait se passer, si je cessais enfin de combattre le monde pour lui faire un peu confiance. J'en oublie presque la réalité, celle qui me rattrapera immédiatement après ma débauche.

Une seconde. Une toute petite seconde.

C'est le temps qui suffit à me faire enterrer la vie d'orgie que je mène contre ma volonté. Mais l'évidence finit par me ressaisir lorsque la clochette de la grande porte de l'hôtel tinte, m'obligeant à tourner la tête.

— Qu'est-ce que tu fous là ? Monte.

La voix de Craig refroidit mes ardeurs. Je déglutis lorsqu'il me passe devant, son ordre résonnant dans la moindre de mes entrailles. En dépit de ce que me dicte mon cœur, j'obéis. Son regard fait naître en moi une peur irrationnelle de la contradiction. J'attrape la main qu'il me tend avec une once de culpabilité, puis remonte dans la chambre, à ses côtés, comme la pauvre esclave que je suis devenue.

Comme celle qui ne compte pas et que je suis, maintenant.

Il me balance presque sur le lit en arrivant, ses yeux emplis de haine me détaillant des pieds à la tête. Craig n'est pas un homme des plus moches et pourtant, tout en lui me dégoute. Je ne le supporte plus. Je ne supporte plus ses mains sur moi, sa voix qui me susurre des mots répugnants pendant qu'il me pilonne sans amour et sans relâche. Je n'ai de cesse de chercher dans ce regard la moindre petite chose qui pourrait m'aider à m'en sortir, mais je comprends jour après jour et mois après mois que c'est sans espoir. Aujourd'hui comme toutes les autres fois, je suis prise au piège, sans plus d'issue.

Il s'approche de moi comme un prédateur chassant sa proie. Son haleine alcoolisée me rend nauséeuse, j'essaye de retenir tel que je peux la bile qui me monte à la gorge. Ses mains se promènent sur mon corps, le déshabillent, cherchent la plus petite faille pour s'y plonger sans ménagement. Il enfonce ses doigts en moi si brusquement que ça me décroche un cri de douleur. Les larmes perlent sur mes cils, imbibant mes yeux de mon désespoir.

À contrario, je jurerais voir dans les siens les flammes de la fierté, danser.

Sa langue passe sur ses lèvres abimées en signe d'excitation. Mon corps tremble sous ses yeux malveillants, n'en pouvant plus d'être maltraité. Je le supplie silencieusement, par un regard, par un souffle, de mettre un terme à mon calvaire. Aujourd'hui, comme toutes les autres fois, il n'en fait rien.

Au contraire.

Il fait ce qu'il sait faire de mieux, il me prend tout. Il agit comme un porc, vole mon intimité pour décharger sa frustration, me baise sans repos, jusqu'à ce que mes muscles n'en puissent plus. Il grogne sur ma peau mutilée, me susurre des mots indécents qui me donnent envie de mourir. Il s'approprie ce que je peine à lui refuser tant je suis fatiguée de me battre et escamote ce qui ne lui appartient pas. 

Et le pire, dans tout ça, c'est qu'il le fait sans scrupule.

Sans une once d'hésitation.

Une fois fini, il jette le préservatif directement à terre et s'affale à mes côtés sans même un regard pour la chose qu'il vient à nouveau de salir.

Moi.

Il vient de me détruire un peu plus, de mettre un énième coup de pelle au trou qu'il me creuse et le plus moche, c'est qu'il arrive à s'endormir seulement trente secondes après l'avoir fait.

Son visage est paisible alors que le mien brûle de mes larmes. Mon bas-ventre me tire et le sang présent sur les draps ne fait que confirmer la cruauté de son geste. Il ronfle, pendant que je pleure ma souffrance, éternelle habitude qui s'est érigée entre nous.

Il est plus d'une heure du matin quand je me décide à sortir du lit. Mes larmes taries, je me lève en essayant de rester discrète. Même si je sais parfaitement qu'il est raide mort d'alcool et ne sera sans doute pas capable d'ouvrir les yeux avant plusieurs heures, je continue d'avoir peur.

C'est vrai, je suis effrayée. Mais pourtant, je n'hésite pas.

Après une douche rapide et fâcheuse, je descends au bar de l'hôtel pour noyer ma haine et purger mon estomac de ces spasmes vomitifs.

La vodka, le whisky et la musique pour riches frustrés me permettent peu à peu de me retrouver.

Le temps d'un verre. Le temps de deux, peut-être.

Je respire et puis... je sombre. 



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