VIII. Quand le chat n'est pas là, les souris dansent

Combien ? J'avais arrêté de compter depuis longtemps. Soixante ? Soixante-dix ? Quatre-vingt fois ? J'avais perdu cette notion. Mais peu importe. Mon réveil indiquait sept heures cinquante. J'étais encore allongée dans mon lit, à scruter mon plafond. Je connaissais maintenant chaque petit détail.

Je savais maintenant que Spencer sortait avec Wes. Je savais que Hugo voulait tuer Spencer. Je savais aussi qu'il avait tué Wes. J'avais peut-être le mobile : Hugo était amoureux de Spencer. C'est vrai. Je ne l'avais jamais entendu se moquer d'elle, enfin... D'après mes souvenirs. En tout cas, quand cet enfer a commencé, jamais il n'avait sorti une phrase méchante à Spencer. Son mobile maintenant... C'était probablement la jalousie. Wes était bien plus cool que lui et il était jaloux de sa relation avec Spencer. J'avais sûrement loupé des éléments importants... Et pour ça. J'allais devoir revivre cette journée comme au premier jour. Tout analyser. Tout laisser faire. Je devais comprendre ce qui m'avait échappé. J'allais en baver, j'allais en souffrir. Mais, il le fallait.

J'étais descendue déjà habillée et vu l'heure, j'allais devoir courir pour ne pas louper le bus. Heureusement que maintenant, je mettais de simples chaussures de ville. J'embrasse rapidement Papa et Maman. Ils avaient l'air sous le choc et je savais pourquoi, mais je n'avais pas le temps de m'attarder sur ce détail. J'avais pitié surtout de l'innocent qui s'était fait arrêter dans la nuit à la place de Hugo.

En marchant à grande vitesse, j'avais vu le gamin tomber de son skate juste devant moi. Merde ! Je cours vers lui et me baisse à côté de lui. Je n'avais jamais remarqué avant mais il s'était fait une belle entaille. La prochaine fois, je devrais prendre une trousse de secours.

Merde, ça va ?

Question inutile.

Ça pique mais ça peut aller.

Je cherche dans mon sac et sort un vieux mouchoir.

Appuie dessus, tu as besoin que j'appelle quelqu'un ?

— Non, non, ça va mais... Tu allais prendre le bus non ? Je te conseille de courir, il ne va pas tarder.

Et beh... C'était mieux que « Tu veux ma photo salope ? » Vous vous souvenez ? Je souris même si j'étais perturbée par cette phrase.

Euh d'accord...

T'en fais pas pour moi, voisine.

Je le salue de la main en me relevant puis je cours. J'étais arrivée juste à temps. Je monte puis paie mon ticket. Je reste devant. Je ne voulais pas me retourner et voir Spencer assise au fond. J'avais peur de craquer et de pleurer.

Ensuite j'étais arrivée au lycée, il y a eu la petite histoire avec Hugo, Juliette et Jesse. J'avais versé ma petite larme en passant devant le casier de Wes rempli de fleur au sol. On avait assisté au cours de madame Lip. Je n'avais pas participé. J'avais prétexté que je me sentais mal pour aller observer Cory jouer avec la fanfare discrètement. Ensuite on a assisté aux autres cours puis l'heure du repas est arrivée. Comme je stressais, ma vessie me serrait encore plus. A peine assis, j'avais dit « Ma vessie va exploser ». Hugo avait soupiré et j'avais couru aux toilettes pour me vider. L'heure fatidique arrivait. J'étais encore montée sur la cuvette. Mon cœur tambourinait fort dans ma poitrine. En entendant Spencer appeler à l'aide, j'avais pose une main sur ma bouche pour étouffer mes pleures. Si j'avais pu, j'aurais posé mes deux mains sur mes oreilles. J'en avais assez d'entendre ce bruit mouillé puis ce grand boum. Mes yeux ne voulaient pas non plus voir les petites taches rouges au sol. Après être sûre qu'il n'y avait plus aucun bruit, j'ouvre lentement la porte. Et j'éclate en sanglot.

Je suis désolée, j'avais lâché.

Je sors ensuite des toilettes et tombe nez à nez avec Hugo le meurtrier. Ma rage bouillonnait en moi. J'avais tellement envie de le frapper. Mais je me contrôle. Je me concentre sur ma tristesse. Il prend mes mains. Je ne voulais pas qu'il me touche... Mais tant pis.

Nesee, il se passe quoi ?

Ma voix tremblait et des larmes chaudes et salées coulaient le long de mes joues.

— C'est Spencer... Elle est morte. Quelqu'un l'a tué.

J'étais tellement désespérée. Hugo fronce des sourcils puis entre dans les toilettes. Il recule avec un air choqué. Quel comédien, il méritait un Oscar. Ensuite, il est parti pour appeler la police avec le directeur. Les deux sont arrivés, ils m'ont interrogé, comme d'habitude – mais ça faisait quand même longtemps. Je ne voulais pas encore appeler mon père pour rentrer chez moi. J'avais besoin d'espace. J'avais dit à Hugo que je voulais rester seule mais surtout, je n'avais pas envie de traîner avec un meurtrier. J'avais besoin de voir une autre personne. Lui. Est-ce qu'il était encore dans la cafétéria ? La dernière fois, je l'avais coupé dans son élan de manger un repas chaud. Peut-être qu'il y était encore ? Hugo était retourné dans le self et je l'avais contourné pour ne pas tomber sur lui. Il était presque treize heures. Je m'arrête devant les portes et observe la salle grâce au petit hublot. Cory était très grand, il me serait donc facile de le voir... Mais rien. J'étais ensuite allée dans la salle de répétition mais personne. Je commençais à perdre espoir. J'allais bientôt sortir mon portable et appeler mon père pour qu'il vienne me chercher. Quand soudain...

BIM.

Je me cogne dans quelqu'un.

Wooh, tu m'as fait peur !

Sa voix. Je me recule et le serre aussitôt dans mes bras en pleurant. Il était tellement grand que ma joue était collée à son torse et encore. Cory ne savait pas comment réagir. Il avait d'abord posé maladroitement ses mains sur ma tête puis sur mes épaules. Je pleurais.

Nesee, je... Tu... Ma mère m'a toujours dit qu'il valait mieux pleurer que de tout garder en soi...

Il ne savait pas comment me réconforter. Il se recule légèrement et je lève les yeux pour le regarder.

Est-ce que t'as besoin d'aide ? Je peux te raccompagner chez toi ? J'ai une voiture.

Je hoche lentement la tête. Il me sourit. On sort ensuite du bâtiment et je souris en voyant sa voiture garée au loin. Avant qu'il ouvre la bouche pour dire « C'est pas le luxe mais... ».

Ta voiture est géniale.

J'imaginais bien la situation suivante : son père ramène une voiture à retaper et père et fils s'en occupent ensemble. Il ouvre sa voiture, je monte dedans puis je m'attache. Il démarre et je lui indique l'adresse.

Alors, pourquoi tu pleures ?

Je vais t'expliquer.

Après quelques minutes, on s'était garé juste à côté de la maison. Je lui avais tout dis. La boucle temporelle, Spencer, Hugo, toutes les fois où on s'était rencontré, ce qu'on s'était dit, tout à propos de Wes, Madame Lip, la fête de la musique... Après mon monologue, on s'était regardé pendant plusieurs minutes sans rien dire. Je crois qu'il essayait de reformuler mes phrases dans sa tête. Il essayait de comprendre. J'essuie une larme qui coulait sur ma joue et je sentais que j'avais les yeux rougis. Mais au moins, j'avais parlé à quelqu'un de mes problèmes et ça faisait du bien.

Je sais que ça paraît impossible et pourtant, c'est ce qu'il m'arrive...

Il prend timidement ma main, peut-être pour me réconforter.

Nesee, c'est... Je te crois. J'ai du mal à assimiler toutes ces informations mais je te crois.

Je renifle légèrement et lâche un soupire en observant ma maison.

De toute manière, tu auras tout oublié d'ici demain, parce que demain sera encore le même jour. Spencer est morte et je n'ai toujours pas prouvé que Hugo est le meurtrier de Wes alors...

Je me tourne vers lui. Il fait une légère moue.

Alors...Je te propose un truc. Dans cette histoire, tu es clairement seule mais je te promets que tu ne le seras plus. Mets-moi au courant comme aujourd'hui. Tu sais que je réagis positivement à tout ça.

Je soupire.

Oui mais... Je voudrais éviter de te mettre en danger. Hugo a tué Wes, il a tué Spencer et il m'a tué plusieurs fois. S'il y a bien des personnes que je veux protéger de tout ça, c'est toi, Juliette et Jesse.

Il hoche lentement la tête.

D'accord, d'accord... En tout cas, Nesee, crois-le ou non mais tu n'es pas seule. Tu ne t'en rends pas compte, mais tu as toujours eu des piliers autour de toi, que ce soient tes meilleures amies, Madame Lip ou moi.

Il avait raison. Je passe une main sur mon visage pour essuyer mes dernières larmes. Je serre sa main puis me détache lentement. Je me tourne ensuite vers lui.

Pas d'imprudence pour aujourd'hui, d'accord ?

Promis.

Je lui souris lentement. Je descends de la voiture et l'observe s'éloigner avant de rentrer chez moi. Vers quinze heures, mon père rentrait. Je l'entends m'appeler de sa voix de papa pas content. Je fronce des sourcils et je descends timidement les marches.

Oui... ?

Tu peux m'expliquer pourquoi ton directeur m'a appelé en me disant que tu avais séché les cours ?

Je fronce des sourcils.

Euh...Quoi ?

Tu n'as pas été à ton cours de dix heures et à tous les autres cours de la journée d'ailleurs.

Je secoue la tête.

Mais c'est pas possible, il était au courant, Hugo et les policiers me l'ont dit.

Quels policiers Nesee Baker ?

J'étais perdue. Mon père attendait une réponse.

Je... Papa, c'est...

Mais...Non ? Pourquoi le directeur ne serait pas au courant, il... Oh. Punaise. Alors... Je comprends. Si je n'avais jamais entendu mon père m'annoncer ça, c'est parce que je partais trop tôt à cette fête pour attendre les autres. Si j'avais été au courant de ça plus tôt... Tout aurait changé. Depuis longtemps.

Je dois... Je dois vérifier un truc.

Nesee Baker !

J'ignore les appels de mon père. Je m'enferme dans ma chambre puis j'attrape mon portable. J'appelle le commissariat de la ville. Mon cœur battait, mon ventre se contractait et mes mains tremblaient. Une voix féminine me répond.

Euh, oui bonjour... J'aimerais parler à l'agent Dece s'il vous plaît, c'est urgent.

— Pourquoi madame ? demande l'interlocutrice.

Je suis témoin dans une affaire et je viens de me souvenir d'un élément important, je mens.

— Attendez une seconde.

Je l'entends taper à son clavier. Pester puis reprendre le téléphone.

— Il n'y a aucun agent Dece dans notre base de données madame. Vous avez sûrement mal compris son nom de famille, c'est pour quelle affaire ?

J'avale ma salive. Ma gorge était sèche.

Le...Le meurtre de Spencer Marsh.

Elle tape encore sur son clavier.

— Cette affaire n'existe pas.

Je me fige.

Quoi ?

— Je peux vous assurer madame que cette Spencer Marsh est bien vivante. Mais, concernant votre agent Dece, c'est un faux, quelqu'un s'est fait passer pour un policier, pouvez-vous me déc...

Je raccroche tremblante. Non... NON ! Je balance mon téléphone puis je me lève, passant mes mains dans les cheveux.

Ils ont pas osé... Ils ont pas osé...

Je fais les cent pas dans ma chambre. Je tape dans mon lit puis sur mes murs. Spencer Marsh est vivante. Dans quel plan foireux je m'étais embarquée ? Sans attendre, je descends en trombe des escaliers, mets rapidement mes chaussures sur les interrogations hurlantes de mon père. Je cours. Je n'avais jamais autant couru aussi rapidement de ma vie, mais c'était sûrement dû à mon impatience. Gros foutage de gueule. Je me dirigeais chez Spencer, connaissant très bien la route à présent. Après de longues minutes, je monte les marches du perron et frappe brutalement à sa porte.

Spencer, je sais que t'es là !

Elle était seule et ses parents travaillaient tard, donc, revenir les fringues tâchées de faux sang ne pouvaient pas les choquer. J'avais beau frapper, aucune réponse. Sois elle faisait la morte, sois elle n'était tout simplement pas là.

Putain.

Je me recule de la porte et me dirige vers les fenêtres pour regarder à travers. J'avais son salon d'un côté et sa cuisine d'un autre. Je pose mes mains sur les vitres et colle mon nez sur le carreau. Rien dans le salon. Je fais pareil du côté de la cuisine mais rien. Je reviens devant la porte, jette des coups d'œil derrière moi puis essaie de l'ouvrir. Fermée. Je tape du pied sur le paillasson. Mais j'avais senti quelque chose. Je me recule et soulève celui-ci. Il y avait plusieurs bouts de papiers pliés. L'un d'eux était ouvert et disait « Achètes du pain pour ce soir. » et pleins d'autres dans le genre. Apparemment, c'était leur méthode de communiquer quand ils ne se voyaient pas dans la journée. J'avais remarqué un papier qui semblait propre. Mon instinct me hurlait de le lire. Je m'exécute et j'étais restée sans voix :

« Maman, Papa, ne m'attendez pas pour ce soir, je vais quelques jours chez tante Edith pour me changer les idées. J'irais après la fête de la musique pour prendre le dernier train. Bisous »

Quelle salope. Je me relève mais je sens quelqu'un attraper ma touffe de cheveux et me cogner contre la porte. Je ne pouvais pas voir la personne, j'étais de dos. Je me laisse glisser au sol puis me retourne pour voir mon agresseur. Ma tête me faisait mal. Il y avait un vieil homme qui me pointait avec un fusil de chasse.

Bouge pas voleuse !

Ce type me disait quelque chose. Il semblait que je l'avais vu plusieurs fois en venant dans cette rue... Est-ce que c'était un voisin des Marsh ?

Ce n'est pas ce que vous croyez Monsieur...

Oh que si.

Il me relève brutalement par le bras et me tire vers la route.

J'vais appeler les Marsh, ils vont être contents d'savoir qu'une conne a essayé de rentrer chez eux par effraction.

Mais pas du tout !

Il s'arrête au milieu de la route en me lâchant. Il pointe son doigt sur moi.

N'me la fais pas à l'envers, j't ai vu essayer d'ouvrir la porte, 'spèce de folle.

Il avait un drôle d'accent campagnard. D'un coup, je me suis sentis partir violemment au sol avec le vieil homme. Comment aurais-je pu savoir qu'une voiture était arrivée droit vers nous sans s'arrêter ?

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