III. Faire son deuil en quatre étapes
Une nouvelle fois, je me réveille dans un hurlement. Je m'étais assise sur mon lit et je continuais de hurler puis de pleurer. J'avais mal. Très mal. Ma poitrine me serrait. Je pouvais encore sentir la lame me traverser le corps. J'entends des pas précipités dans les escaliers. Mon père ouvre la porte de la chambre et se précipite à mon chevet.
— Nesee calmes toi ma chérie !
Il s'était tourné vers Maman, impuissant.
— Lana, aide-moi... Pourquoi elle a l'air de souffrir ?
Maman s'était jetée sur mon lit et avait passé sa main sur mon front.
— Nesee, ma chérie, tu as mal quelque part ?
Non, je n'avais mal nul part. J'étais morte. Deux fois. Je secouais tête. Mes parents portaient encore le même pyjama.
— Quelle est la date ? je demande dans un sanglot.
Mes parents se regardent comme si j'étais folle.
— Chérie ce n'est...
Je m'éloigne des bras de ma mère, énervée.
— La date ! je hurle.
Ils s'éloignent un peu de moi. Est-ce que je leurs faisais peur ?
— Euh...Charles ? questionne ma mère perplexe.
J'avais stoppé mes pleures, attendant la réponse de mon père.
— Le... Le Jeudi 21 Juin 2018.
Et là, plus un mouvement. C'est comme si j'avais arrêté de respirer. Alors... Non. Ce n'était pas un rêve, ni une prémonition. C'était réel. On me punissait pour... Mon comportement ? Je renifle. J'étais piégée. J'avais remarqué que mon réveil indiquait sept heures cinquante. Le réveil sonnait toujours. Dans un moment de silence, mon père l'avait éteint violemment. Papa remarque soudainement l'heure.
— Tu... Tu as raté le car, je vais te conduire au...
Ma mère semble choquée.
— Charles, bon sang ! Regarde ta fille ! Elle a l'air de pouvoir aller où que ce soit ?
Elle lui fait signe de se lever, pour me laisser sans doute me reposer.
— Repose-toi mon cœur, ça ira mieux demain, je te le promets.
Si seulement... Maman referme la porte et je me couche lentement, observant le plafond. Si seulement il y avait un lendemain... Mais. Attendez. Si je ne sors pas, je ne risque pas de mourir. Dès que je meurs, je reviens ici... Alors. Oui. Je vais rester toute la journée ici. Et c'est ce que j'ai fait. Toute la journée, je suis restée dans ma chambre. Je n'ai pas mangé. J'ignorais tous les appels et les messages. La plupart m'annonçait que Wes était mort. Je m'étais endormie. J'avais regardé des séries. Ma mère était venue me voir après son boulot. Je n'avais pas dîné. Demain, on sera Vendredi. Je m'étais répété ça, comme on compte les moutons avant de s'endormir.
Le réveil sonne. J'ouvre les yeux lentement et je tourne la tête. Sept heures vingt. Je me redresse pour prendre mon portable. La date indiquait Jeudi 21 Juin 2018. Je le pose lentement puis m'allonge à nouveau scrutant mon plafond, sans aucune émotion. J'étais épuisée moralement. Je m'en fichais. Royalement. 21 Juin pour toujours. J'allais devoir m'y habituer.
La première phase était le déni. C'est la période où nos émotions et nos sentiments sont totalement déconnectés. On se cloisonne dans un monde qui n'est pas réel. Je ne réagissais à rien. Je ne réagissais pas à l'annonce de la mort de Wes. Je ne réagissais pas au gamin qui était tombé de son skate. Je ne réagissais pas à la blague de Hugo en sortant du car. Je n'étais pas concentrée sur les cours. Comme un robot, mon corps me conduisait sans cesse aux toilettes et sans cesse je revivais la mort de Spencer. Sans cesse je revivais l'interrogatoire des policiers mais je restais de marbre. Sans cesse je me faisais tuer à cette fête stupide. Sans cesse je me réveillais le 21 Juin 2018 à sept heures et des poussières.
La deuxième phase était la colère. Tout était réel. Rien n'était fictif. On se confronte aux faits. Comme une voiture qui s'écrase contre un mur. C'est brutal. On ne s'y attend pas. Au dixième jour, j'en ai eu marre. J'étais énervée contre le monde entier. Pourquoi ça tombait sur moi bordel ? Je parlais mal à mes parents, mes amis et mes professeurs. Combien de fois je me levais et combien de fois je revoyais les mêmes vêtements putain de propres tous les jours ? Au quinzième jour, j'en ai eu marre. Je les ai déchirés. Je les ai pris, je les ai serrés entre mes mains puis je les ai déchirés en jurant. Combien de fois Spencer mourrait sans que je ne puisse rien changé ? Combien de fois Cory casser ce putain de verre sans se couper ? Combien de fois je n'aidais pas cet homme qui était menacé par un flingue ? Combien de fois je me faisais tuer ? COMBIEN ? Pourquoi j'étais la seule coincée dans ce putain de merdier ? Pourquoi suis-je la seule à me souvenir ? ET POURQUOI LE JOUR DE LA FÊTE DE LA MUSIQUE BORDEL. Quoi que je dise les gens ne se souvenaient pas. Alors, je pouvais les haïr, les aimer dans la même journée, ils ne se souviendront JAMAIS. Ils étaient comme mes marionnettes et je tirais les ficelles.
Le vingtième jour, j'en ai eu assez de mettre des jupes ou encore des talons aiguilles. Je ne voulais plus jouer à la poupée. Je m'étais réveillée à l'heure habituelle. Or, j'avais balancé mes draps et j'avais hurlé dans mon oreiller. J'avais longuement réfléchi à ce que je pouvais mettre de confortable. J'avais opté pour un jogging que j'adorais mettre le jour de mes règles ainsi qu'un tee-shirt basique avec marqué dessus « Jurassic Park ». J'avais fait une queue de cheval haute puis j'étais descendu en trombe avec mon sac et mon portable. J'avais lâché mon sac violemment au sol et j'enfilais déjà de vieilles baskets. Ma mère s'était rapprochée, les sourcils froncés.
— T'en fais du boucan dès le matin...
Elle avait lâché un soupire.
— Attends... Tu pars déjà ? Tu n'as même pas déjeuné.
Je m'étais redressée de manière énervée après avoir enfilé mes chaussures. J'avais passé mon sac à dos sur mon épaule droite. Oui un sac à dos. Ma mère semblait avoir remarqué mon nouveau look. Elle était assez surprise. Je me tourne et ouvre la porte.
— C'est bon, j'ai pas faim.
Je la claque en sortant et me dirige vers mon arrêt de bus. Je ne voulais pas voire encore le visage de Wes sur la télévision. Je prends mes écouteurs et les branches à mon portable. Je mets la musique au volume maximale puis marche d'un pas déterminé vers la rue. Je dépasse la maison où le garçon tombait avec son skate. Il n'était pas encore là parce que j'avais de l'avance. Beaucoup trop d'avance. J'arrive à mon arrêt de bus, lâche mon sac au sol puis m'assoit sur le banc. Après une dizaine de minutes, le bus arrive. Je me lève et monte directement. Je dépasse une pièce et demande un ticket au conducteur, assez brutalement.
Il n'avait pas parlé. Il m'avait regardé de haut en bas sans faire sa remarque habituelle. J'avais pris mon ticket puis je m'étais avancée dans le bus. Tous les visages étaient braqués sur moi. Je les ignore et vient directement m'installer à côté de Spencer. Elle me lance un regard à la fois surpris et apeuré. Je retire mes écouteurs et lui fait un bref sourire. Je la sentais très renfermée à ce moment. En même temps, vu mon look et la tête que je tirais, personne n'osait m'adresser la parole.
— Salut. J'ai une suuuuuuper prédiction pour toi, est-ce que ça t'intéresse ? je lui demande d'un air faussement joyeux.
Elle me fait de grands yeux de biche et ça m'énervait. Tellement innocente cette Spencer. Je ris amèrement et pousse un soupire tout en me collant à mon siège. Je ne dis rien avant l'arrêt du lycée. Je finis par me tourner vers elle.
— Tu vas mourir aujourd'hui, j'annonce brutalement.
Je lui souris rapidement. Elle se tourne vers moi avec un air encore plus apeuré que la dernière fois. Le bus s'arrête. Je me lève en prenant mon sac.
— Très bonne journée, je lui dis.
Je descends du bus et voir déjà Hugo me saoulait davantage.
— Miss princesse qui de... commence-t-il.
Je m'approche de lui lentement mais il semblait chercher quelqu'un d'autre. Exaspérant ce gars. Je me mets en face de lui.
— Hugo, c'est moi.
Il baisse son regard sur moi. J'ai vu du dégoût et de la surprise dans ses yeux.
— Oooh... Nesee.
Il me prend dans ses bras mais j'ai senti sa raideur. Il ne passe pas son bras autour de mon épaule et on commence à marcher vers l'entrée du lycée. Juliette et Jesse arrivent, pile à l'heure. Jesse allait ouvrir la bouche mais me juge de haut en bas. Elle jette un regard à Juliette. Les deux se mettent à rire.
— Pauvre Nesee... On te soutient, mais t'aurais pu faire un effort vestimentaire, on n'est pas Dimanche.
Je lâche un soupire tout en les dépassant.
— Merci Jesse, je sais très bien quel jour on est. On est Jeudi comme tous les jours de la semaine.
— Oooh, m'en parle pas, j'ai l'impression de vivre le même jour, encore et encore.
Je m'arrête brutalement puis me retourne vers Jesse.
— C'est vrai ?
Elle s'arrête aussi et regarde Hugo et Juliette d'un air « Aidez-moi, elle va m'étrangler. » Elle se met à rire nerveusement.
— C'est une métaphore chérie... dit-elle.
J'avais eu un élan d'espoir... Mais à quoi j'avais pensé sérieusement ? Je hoche lentement la tête puis me retourne rapidement pour reprendre ma route.
— Mais sinon... Vous êtes au courant ? questionne Juliette.
Je pousse les portes du lycée et trace mon chemin. Je ne pose même pas un regard sur le casier de Wes. J'entends Hugo lâcher son fameux « bordel de merde ». Je me stoppe net, j'entendais Jesse se plaindre de l'absence d'informations des journalistes. Je me tourne vers eux.
— Des gens meurent tous les jours. Wes fait partie d'eux maintenant. On l'a assez pleuré comme ça je pense. Si je meurs demain, vous allez aussi réagir comme des hyènes ? Je n'espère pas.
Il y eu un long silence dans le couloir. Tout le monde me regardait. Je pose mon regard sur des secondes.
— Vous voulez ma photo ?
Je m'éloigne ensuite du couloir pour entrer directement dans ma salle de cours. Je pose mon sac sur ma table puis ma tête dessus, poussant un long soupire.
— Quelle journée de merde, je murmure.
Vous connaissez la suite. Le cours de littérature. Le train. La fausse sonnerie. Hugo et les filles étaient distants avec moi mais je m'en foutais totalement.
— C'est moi où j'ai l'impression que la journée va être suuuuuuper longue ?
Cette phrase de Hugo m'emmerdait vraiment. Je pose mon regard sur lui. C'est comme s'il jouait avec mes nerfs.
— Ferme ta putain de gueule, abruti.
Ils m'avaient tous regardé comme si je venais de brûler le drapeau national. Je sentais mes nerfs vraiment lâché. J'étais énervée, en colère, contrariée. Je sentais des larmes de rage remonter dans mes yeux. Ma gorge se serrait. Je les abandonne d'un coup et me met à courir dans le couloir et sort en trombe du lycée, me retrouvant sur le parking. Je jette mon sac au sol violemment.
— Pourquoi vous me faites ça ?!
Je frappe dans une voiture avec mon pied. Je ne savais pas où j'allais. Je voyais flou. Je tournais sur ma moi-même à la recherche de question à mes réponses. Je reprends mon sac et fait le tour du lycée pour aller sur l'autre parking. Peut-être que je pourrais trouver une autre voiture pour me barrer d'ici. Je bouscule une personne.
— Désolé... je lâche en m'essuyant les yeux.
— Oh ce n'est pas grave... Ça va ?
Je lève lentement mon regard. Cette voix...
— Cory ?
En me regardant, il se met à sourire comme un con mais il était en même temps intrigué.
— Tu sais comment je m'appelle ?
Je me pince légèrement les lèvres.
— Euh...Oui. On a déjà eu l'occasion de se parler. Plusieurs fois même.
Ce n'était pas un mensonge.
— Ah ? Bizarre, je ne me souviens pas, dit-il avec un fin sourire.
Je me mets à rire et lui aussi.
— Ça n'a vraiment pas l'air d'aller, indique-t-il.
Je secoue la tête et hausse les épaules.
— C'est une sale journée.
Il se rapproche de moi et remet une mèche de cheveux derrière mon oreille. Dans mon élan de folle, j'avais sans doute trop bougé et ça avait un peu décoiffé ma queue de cheval.
— On a tous des sales journées. Je suis sûr que demain ça ira mieux.
Je hoche lentement la tête. Il se recule. Il avait toujours son sourire craquant.
— En tout cas, tu es magnifique Nesee.
Je le remercier silencieusement. Il était vraiment sincère ? Il me trouvait jolie alors que... Mais attendez... Il connaît mon nom en fait ? J'étais surprise.
— Tu sais comment je m'appelle ? je demande à mon tour avec un petit sourire.
Il se met à rire nerveusement. Trop mignon.
— Tout le monde le sait ici je pense.
Je penche légèrement la tête sur le côté.
— Attends, tu es...
Mon regard se pose sur une voiture qui m'était familière.
— Mon père.
Cory me regarde avec de gros yeux. Je me mets à rire puis lui montre d'un signe la voiture de mon père.
— Non, non, c'est... Mon père. Il est... Il est au lycée.
J'étais intriguée. Cory se tourne. Il hoche la tête.
— On se voit sûrement ce soir alors ?
J'écarquille, à mon tour, les yeux. Il se met à rire.
— Je veux dire que... Ce soir c'est la fête de la musique.
— Ah oui, euh... alors... Oui c'est fort possible.
On se salut de manière maladroite. Conversation étrange. Je me rapproche de la voiture de mon père pour être sûre... Oui, c'était bien sa voiture.
— Nesee ?
Je me tourne et aperçoit mon père. Il avait l'air surpris.
— Qu'est-ce que tu fais là ? Tu n'es pas en cours ?
— Je te retourne la question.
Il se rapproche de la voiture et pose ses clés sur le capot.
— Ton comportement de ce matin... Ta mère était inquiète alors j'ai préféré aller voir le directeur pour savoir si tu avais des problèmes.
Je hoche lentement la tête.
— Et ?
— Et rien.
Je soupire et me tourne, prête à ouvrir à portière.
— OK, cool, tu me ramènes à la maison s'il te plait ? Merci.
Il allait ouvrir la bouche mais je le coupe d'un signe de main.
— Je suis épuisée.
Il se pince les lèvres et acquiesce lentement. J'entre dans la voiture et m'attache. Il fait le tour pour s'installer à la place du conducteur. Un silence s'était installé. Je voyais mon père ouvrir puis refermer sa bouche toutes les dix secondes.
— J'ai appris pour ce garçon, Wesley... Est-ce que c'est cette nouvelle qui te bouleverse ?
— Papa, je ne connaissais pas Wes, d'accord ? En ce moment, je ne me sens pas très bien. C'est tout. (Je tourne la tête pour le regarder). Problèmes de femmes.
Je savais que ce genre de conversation le gênait. Il s'était tu immédiatement, me faisant comprendre qu'il compatissait à ma douleur naturelle, ma douleur de femme. Avoir ses règles, c'était une excuse pour tout. Surtout quand vous vivez la même journée, personne ne pouvait vous contredire parce que personne ne se souvenait. Perdue dans mes pensées, j'étais perplexe. L'heure du tableau de bord indiquait neuf heures vingt.
— Euh... Tu vas pas être en retard au boulot ?
Il secoue la tête.
— Non, je commence à dix heures.
— Mais du coup, ce matin, tu aurais pu me conduire au lycée ?
— Bien sûr, si tu m'avais demandé.
Je l'observe, la bouche ouverte. Est-ce qu'il se foutait de ma gueule ? Je reste à le fixer pendant quelques secondes puis je m'installe dans le fond du siège. Après quelques minutes, il me dépose à la maison et je l'observe partir. Il mentait. Sois il trompait Maman, sois il s'était fait viré. Mais dans les deux cas, il nous mentait.
La troisième phase du deuil était l'expression. Cette période était faite de négociations, de chantages, d'émotions négatives. Je passais les dix jours restants à changer mes paroles envers les gens mais ça ne changeait rien. Même envers Spencer, je devenais beaucoup plus gentille et je n'arrivais toujours pas à comprendre pourquoi elle pleurait dans les toilettes.
Et c'est là où on arrive au point le plus froid de ces étapes : la dépression. Cette phase est caractérisée par une intense tristesse, des remises en question, la détresse... Je ne savais pas comment faire. Pour moi, ça faisait déjà plus d'un mois que j'étais coincée ici. Je pleurais à chaque réveil. Je n'allais pas en cours... A quoi ça servait de toute manière ? Je serais à tout jamais coincée ici. Je ne me sentais plus vivre. C'était comme si j'étais morte. Je ne souriais plus à la vie parce qu'elle me punissait.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top