Chapitre 33
Martin essuya ses mains moites sur son pantalon trop habillé et poussa la porte du bistrot de pays réputé où son compagnon lui avait donné rendez-vous. Il faisait très doux en ces premiers jours du mois de septembre et il avait un peu trop chaud dans cette tenue de créateur, héritage d'un de ses derniers shootings. Il regrettait un peu ses jeans/tee-shirts coutumiers mais il avait voulu se faire beau et sur les conseils d'Amédée, très excité de vivre ce rencard par procuration au bout du fil, il avait finalement opté pour cette tenue qui, il le savait, le mettait particulièrement en valeur. Il s'était pourtant interdit d'en faire toute une histoire, se l'était défendu. Mais en son for intérieur, il ne pouvait s'empêcher de trépigner, entre exaltation et incrédulité. C'était la première fois, le tout premier rendez-vous public, où son amant et lui allaient se révéler.
Ils s'étaient donnés du temps, comme ils l'avaient convenu. Martin se sentait encore fragilisé par l'incertitude que Johan avait creusée et même s'il prétendait avoir dépassé ses angoisses, il savait que son compagnon se remettait à peine du traumatisme dû aux manigances de son géniteur. Conscient que cette souffrance était réelle, tangible, et ne souhaitant pas la minorer, Martin était déchiré entre son propre besoin d'être rassuré et sa volonté de ne pas trop mettre la pression à Johan, au risque de le voir régresser. Mais cette peur latente de faire une bêtise, de trop en demander à son amoureux, avait été battue en brèche par la détermination affichée par Johan de lui démontrer, en actes, qu'il avait changé.
Conformément à sa promesse, l'entrepreneur avait employé toute son énergie à lui prouver sa fiabilité depuis qu'ils s'étaient rabibochés. Martin aurait dû s'en douter, s'il y avait songé un peu. Johan était consciencieux et méthodique, en amour autant qu'au travail, et comme lorsqu'il rénovait une maison ou un meuble antique, il avait engagé toute son énergie et sa volonté dans sa mission. De nouveau très pris par son boulot et le démarrage de nouveaux chantiers, il s'était organisé pour consacrer chaque minute de son temps libre à Martin et aux enfants. Ainsi, il s'était présenté chaque matin, juste quelques minutes, pour déposer un baiser discret sur les lèvres du jeune oncle et câliner les enfants, sans se soucier des regards écœurés que Soan lui décochait. Il était aussi venu chaque soir, les bras chargés de pizzas, burgers, glaces ou bonbons, jusqu'à ce que Martin lui fasse remarquer, mi-figue mi-raisin, qu'à ce rythme, tous allaient engraisser. Et savait-il donc que les fleurs étaient aussi des valeurs sûres, s'il souhaitait se montrer galant? Johan avait pris acte et en avait donc apporté une brassée - des cosmos multicolores - le matin de leur excursion au lac, dernière sortie des vacances d'été où il les avait accompagnés. Il s'était enfin libéré le jour de la rentrée, présent pour garder Alice et l'emmener en promenade pendant que Martin escortait les jumeaux dans leur nouvelle classe et que Soan se rendait, les pieds trainants et la mine morne, à l'arrêt de bus où le ramassage scolaire passait le récupérer. En bref, il s'était comporté comme le partenaire idéal, présent et dévoué, sans jamais chercher à s'imposer pour la nuit ou pousser son avantage auprès du jeune mannequin sur la réserve. Car Martin restait méfiant, malgré lui, et cherchait encore ses marques dans ce nouveau pan de leur relation. Et ce rencard, leur tout premier, donc, était un jalon inédit qu'il abordait avec inquiétude et sans parvenir à croire entièrement aux assurances de son amant.
Johan l'attendait déjà, installé à une petite table ronde éclairée d'une unique bougie vacillante. Le cadre était rustique au premier regard, murs de pierre brute et sol carrelé, néanmoins de petits bouquets de fleurs des champs ainsi que l'éclairage tamisé apportaient un charme simple, mais délicat, et Martin en apprécia chaque détail. Johan se leva à son approche et Martin constata avec ravissement qu'il n'avait pas été le seul à faire des frais. Le jean noir moulait parfaitement les fesses toniques de son compagnon, sa chemise claire et unie mettait en valeur sa poitrine large et il s'était rasé de près. Martin s'avança, un sourire ravi aux lèvres, mais hésita un instant sur la salutation appropriée. Johan résolut son dilemme de la plus jolie des façons en lui attrapant la main et en y déposant un baiser léger, suivi de son double sur sa bouche délicatement fardée que la surprise avait entrouverte. C'était là un geste discret mais à la portée claire et à la pensée que c'était donc ainsi que Johan avait prévu de le jouer, Martin en fut transporté.
Le repas était excellent, avec une cuisine de pays retravaillée et raffinée, mais pour être franc, Martin n'y prêta guère attention. C'était sans doute injuste pour le cuisinier mais il ne parvenait pas à se concentrer sur autre chose que la sensation du pied de Johan contre son pied, la chaleur de sa main sur la sienne, et la tendresse, certes un peu gênée mais évidente, de ses yeux posés sur lui. Ouais, Martin était bien atteint et il le savait. Le jeune homme se sentait débordant de tendresse, lui aussi, mais également d'envie et à ce stade, il n'avait plus qu'une idée en tête. Et tant pis si cela faisait de lui un obsédé. La conversation languit, puis se tarit, et quand ils refusèrent la carte des desserts dans un unisson parfait, ils se jetèrent un regard complice et coquin.
- Tu n'as plus faim? murmura Johan d'un air entendu.
- Pas de chocolat, non, répondit Martin sur le même ton, laissant sa langue humidifier légèrement ses lèvres gonflées d'avoir été mordillées depuis le début du repas.
Johan lui répondit d'un grognement sourd et se leva en hâte payer l'addition, sous le gloussement de son compagnon. Martin riait, certes, mais il était aussi bien embarrassé. Il remua sur sa chaise et serra les dents, tâchant de se distraire pour ne pas se ridiculiser en affichant à l'ensemble des convives la bosse immanquable qui avait pris vie sous son pantalon. Après une à deux minutes à résoudre des divisions à deux chiffres, il se releva avec raideur et se dirigea vers la sortie, soulagé que le restaurant soit aussi faiblement éclairé. Son SUV était garé un peu à l'écart du parking, sous les ombres profondes de grands platanes, et il y attendit Johan. Ce dernier le rejoignit à pas rapides et sans mot dire, ils se jetèrent l'un sur l'autre avec passion. Martin se retrouva écrasé contre la portière fermée mais à cette heure-ci, il n'y voyait aucun inconvénient, du moment qu'il pouvait embrasser Johan à satiété. Aucun des deux hommes ne parvenaient plus à résister à leur attraction mutuelle trop longtemps délaissée. Quand Martin sentit les mains de Johan se glisser entre lui et le métal lisse de la voiture et se plaquer sur ses fesses, il faillit décharger dans son joli pantalon comme un adolescent excité. Il se retint de justesse en se mordant la joue, planta ses dents dans la lèvre inférieure de Johan et grogna, comme un animal sauvage :
- Putain, j'ai tellement envie de toi.
- Ici?
Johan jeta un regard inquiet aux alentours mais son regard égaré parlait pour lui et de toute façon, il était très tôt et tous les convives étaient encore à table. Aucun œil indiscret n'était là pour les surprendre. Martin l'attrapa par le col et opina :
- Voiture?
Johan acquiesça comme un fou et Martin le repoussa, juste le temps de déverrouiller le véhicule. Puis, il s'engouffra sur le siège arrière de la voiture et y tira son compagnon par les vêtements, le faisant basculer en avant. Johan tomba avec un petit cri, s'affala sur lui et pouffa, le visage au niveau de ses clavicules et le bassin de travers :
- Et nous voilà, une nouvelle fois, comme des adolescents.
Martin fronça les sourcils un instant et se souvint du contexte de leur premier rapprochement. Il rit, ivre du seul verre de vin qu'il s'était permis à table et de l'excitation du moment et ajouta :
- Sur la banquette arrière d'une voiture, effectivement. Un grand classique. Mais il faut croire que j'ai eu une jeunesse super chiante parce qu'en vrai, c'est la première fois que je fais ça.
- Pareil pour moi.
Ils échangèrent un regard connivent, heureux de ces premières fois partagées qui étaient les leurs, celles de leur histoire et de leur couple unique, mais Martin revint à ses priorités. Les mains toujours agrippées à la chemise de Johan, il entreprit de la dégager de la ceinture en tirant comme un forcené, guère aidé par son amant qui se déhanchait en essayant de se déshabiller. Martin se redressa pour l'assister en lui donnant de l'espace mais son mouvement déstabilisa Johan qui glissa de ses genoux et tomba à moitié dans l'espace entre leur banquette et les sièges avant. Martin le rattrapa de justesse, une main coincée dans son col et l'autre agrippée aux protège-têtes, mais il sentit le rire le gagner face à la posture alambiquée de son partenaire. Johan gigota, en vain, gémit en tentant de se redresser, et soudain, le jeune mannequin se mit à glousser sans parvenir à se retenir.
- Attends, attends.
- Quoi? Quoi? demanda Johan, échevelé, une jambe bloquée, l'autre à moitié pliée et le pantalon descendu à mi-cuisse.
Il était rouge et échevelé et paraissait si perdu que l'hilarité de Martin se transforma en fou rire. Il se mit à hoqueter, d'abord doucement puis de plus en plus fort, et le froncement de sourcils perplexe de Johan ne fit rien pour l'aider à se calmer. Après quelques instants, ce dernier finit par sourire lui aussi de l'incongruité de leur posture, puis un rire franc le gagna également. Il se laissa retomber sur son amoureux et ils pouffèrent de concert face à l'absurdité de leur empressement.
- Non mais ça ne va pas le faire, en fait, finit par articuler Martin. En vrai, nous n'avons plus quinze ans.
Johan secoua la tête, les yeux plissés d'amusement et les yeux pétillants de joie, et lui planta un baiser sur le nez.
- Non, tu as raison. Mais c'était rigolo quand même.
- Rigolo plus que sexy, ouais. Tu sais quoi? Et si nous allions au lit? J'ai dit à Mme Lapers que je ne rentrerais pas tard. Les petits doivent déjà être au lit et Soan dort chez son ami, ce soir. Tu viens aussi? Par contre, euh... Si tu rentres avec moi...
- Oui, j'avais bien compris.
Johan se dandina pour remonter son pantalon, toujours entravé sur ses cuisses larges et légèrement poilues, et une fois parvenu à ses fins, réussit à enjamber Martin. Il s'assit à ses côtés, lui attrapa la main et l'embrassa avec douceur.
- Je te l'ai dit. C'est terminé de me cacher.
- Alors vendu, répondit Martin, un peu ému mais plus heureux qu'il ne l'avait jamais été. Rentrons tous les deux et allons nous coucher.
À son crédit, et à l'exception d'un petit cri de souris vite réprimé, Mme Lapers ne manifesta aucune surprise et encore moins de jugement sur leur couple inattendu. La grande bavarde avait beaucoup à raconter par ailleurs. Elle s'épancha en long en large et en travers sur les cabrioles d'Alice, loua le comportement irréprochable des jumeaux, et voulut tout savoir de leur dîner et du contenu de leur assiette. Johan regarda Martin avec un brun d'embarras et le jeune homme dissimula son sourire en constatant que lui non plus n'avait guère été marqué par ce qu'ils avaient mangé. De plus en plus accoutumé à l'adorable vieille dame, Martin la dirigea habilement vers la porte, la remercia de sa disponibilité avec effusion et referma la porte derrière elle avec soulagement.
- Ne te trompe pas, je l'adore. Mais nom de dieu, qu'est-ce qu'elle peut parler !
Johan roula des yeux.
- Ouais, elle est connue pour ça, dans le pays.
Il ricana et demanda avec malice :
- Tu as déjà rencontré son mari? Et bien, je l'ai croisé à Forsallier durant toute ma vie mais je crois que je ne l'ai jamais entendu dire un mot ! Elle lui a piqué tous ses mots !
Cette nuit-là, Martin fit l'amour à Johan avec une douceur émue et une révérence qu'il n'avait jamais éprouvées pour aucun amant avant lui. Après une douche en commun, dans un silence chuchoté destiné à rester discret dans une maison remplie d'enfants, il le prépara longtemps, de la langue et des doigts. Puis, il s'enfonça en lui avec langueur, les yeux plantés dans les siens et chaque vas et vient ponctué d'un baiser et de compliments et mots d'amour chuchotés.
Au petit jour, c'est Johan qui réveilla son amant et qui, pour la toute première fois, manifesta son envie de lui retourner la faveur. Dans les premières lueurs du matin, Martin se laissa aller. Sa vie était là, à l'extérieur de la chambre où Johan s'employait à le faire gémir et supplier. Une vie pleine d'enfants et de corvées, de devoirs d'école, de vaisselle et de virées au supermarché. Une vie de recadrages d'ados rebelles et de nuits éveillées à veiller un bébé malade. Une vie imparfaite et épuisante, un puzzle parfois compliqué mais où l'amour de son compagnon était la pièce manquante.
C'était sa vie. Une vie qu'il n'avait pas choisie, où il avait beaucoup perdu, mais que rien, jamais, ne le pousserait à abandonner.
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Merci pour votre lecture et vos étoiles !
Martin et Johan c'est terminé mais n'hésitez pas à vous laisser tenter par mes autres histoires, sur Wattpad, chez Juno publishing ou auto éditées. De même, si vous voulez me soutenir, vous pouvez laisser votre avis sur mes romans disponibles à l'achat sur Amazon, Babelio et Booknode, cela aide vraiment beaucoup à me faire connaître ❤️
De belles lectures à vous et à bientôt pour de nouvelles histoires ! 🥰
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