Chapitre 20

Johan se sentait comme un adolescent de seize ans, mains moites et cœur battant la chamade, en se présentant devant la porte d'entrée bien après que la nuit soit tombée. D'un autre côté, le total de ses rendez-vous galants durant ses années lycées atteignait le nombre magistral de zéro pointé, aussi n'était-il pas surprenant que son ventre soit noué et ses jambes mal assurée. Les choses étaient plus simples dans les bars et avec quelques bières dans le nez. Pas de moments gênants, pas de discussions empruntées, tous les participants savaient bien pourquoi ils étaient présents et les opérations s'enchaînaient avec fluidité.

C'était d'autant plus gênant qu'il avait déjà expérimenté une relation sans engagement ni attache avec Cédric, lui rendant visite dans l'objectif affiché de baiser. Il ne se souvenait pourtant pas avoir été si nerveux à cette époque. Peut-être parce qu'ils avaient passé le cap du sexe dès leur première rencontre? Ou parce que le reste de leurs vies restait bien séparé ? À l'exception de leurs nuits, d'une bière et d'une étreinte, Cédric et lui n'avaient encore rien partagé alors que Johan avait à l'inverse la sensation diffuse que Martin et ses neveux s'étaient taillés une place profonde dans son existence calme et apaisée. Il en était arrivé au point de trouver sa propre petite maison morne et silencieuse quand il rentrait chez lui, le soir, et s'était surpris à regretter les babillages incessants, rires d'enfants et courses mouvementées qui rythmaient la progression de ses tâches dans la grande maison qu'il rénovait. Alors ouais, il était foutrement nerveux à la pensée de bouleverser l'équilibre précaire qu'il tâchait de maintenir.

Depuis la proposition de Martin le matin même, l'idée n'avait cessé de tourner dans sa tête, au point de virer à l'obsession. Elle l'avait préoccupé pendant qu'il terminait les encadrements de fenêtre et fixait les plafonniers, elle l'avait titillé durant sa pause déjeuner et l'avait poursuivi après sa journée de travail, alors qu'il faisait ses courses et se préparait à dîner. Après cette bombe vouée à l'assommer, le jeune mannequin s'était fait discret et à l'exception de quelques sourires mutins, il n'avait pas poussé son avantage, ni ne l'avait sondé sur ses intentions. Il faut dire que Martin passait le plus clair de ses journées à courir en tous sens et avait probablement d'autres chats à fouetter que se torturer au sujet de ses états d'âme. 

Sur le papier, cette proposition de sexe décontracté était idéale et Johan ne comprenait pas pourquoi une petite voix lui soufflait que c'était une très, très mauvaise idée. Après tout, Martin avait été clair, aucun attachement sur le long terme n'était en jeu et au vu de leur indéniable attirance réciproque, le compromis semblait paraît. Et malgré tout, il avait passé des heures à ruminer, tournant en rond chez lui, avant de craquer et de reprendre la voiture pour revenir chez son client et - il y comptait - futur amant.

Johan hésita devant la porte fermée. Il en avait la clé, pour des raisons purement pratiques, mais ne voulait pas paniquer Martin en entrant sans l'en alerter. Et sonner était une très mauvaise idée s'il ne voulait pas devoir expliquer à un adolescent structurellement mesquin et des enfants très curieux ce qu'il venait foutre chez eux à une heure aussi indue. Aussi, tira-t-il de sa poche son portable pour envoyer un SMS au propriétaire des lieux, non sans se morigéner de ne pas l'avoir fait plus tôt - histoire d'être certain qu'il l'attendait ou, du moins, serait content de le voir débarquer.

Les minutes qui suivirent parurent interminables au trentenaire, de plus en plus mal à l'aise. Il était à deux doigts de tourner les talons et partir ravaler sa honte chez lui lorsqu'un bruit de pas étouffés lui annonça que quelqu'un arrivait. Le battant s'ouvrit lentement et dans la semi-pénombre du couloir chichement éclairé, le visage angélique de Martin fit son apparition. Il souriait avec une malice indéniable et Johan  sentit ses joues chauffer. Putain, il avait plus rougi en vingt-quatre heures qu'en trente-cinq années et ne savait pas trop quoi faire de cette constatation. Ou simplement admettre que son attraction physique envers le nouveau résident de Forsallier le rendait décidément très con. Martin recula, tirant la porte vers lui dans une invitation claire, et chuchota :

- Essaye de ne pas faire de bruit. Les jumeaux dorment mais Soan est probablement encore en train d'écouter sa musique.

Johan acquiesça et après s'être dandiné un instant, décida de se déchausser. Avec l'impression perturbante de jouer dans une mauvaise pièce de boulevard, il retira ses baskets et suivit Martin sur la pointe des pieds. Ce dernier se déplaçait avec une grâce silencieuse, très à l'aise, et quand il passa sous le plafonnier, Johan nota avec effarement que son hôte n'était vêtu que d'un boxer et d'un marcel échancré et trop large pour sa carrure fine. Le tissu laissait apercevoir la perfection d'une peau lisse et claire, le relief subtil de muscles finement dessinés et sa longueur de jambes parfaites était réhaussée d'un cul à se damner. Johan faillit en avaler sa langue.

Martin fit un crochet par la cuisine, où il préleva une bouteille ambrée dans un placard et deux verres épais, et d'un geste, il invita Johan à le suivre. Ils gravirent l'escalier discrètement et c'est seulement une fois arrivé dans la chambre de Martin que Johan relâcha son souffle. L'aménagement y était encore sommaire et un peu vide mais déjà, Johan trouvait l'ambiance confortable. Peut-être était-ce grâce au mur bleu cendre qu'il avait convaincu Martin d'ajouter, ou en raison de la parure de lit moelleuse qu'il s'imaginait trop facilement froissée sous le corps de son futur amant. Ou alors, c'était juste Martin, son parfum ambré et sa présence lumineuse qui lui faisait de l'effet. Tout de grâce féline et discrète, Martin lévita à travers la pièce et gloussa en déposant les verres sur son bureau pour y verser le contenu de la bouteille.

- Ca fait très ado, tu ne trouves pas ? Se glisser en douce dans la maison pour tirer un coup en secret, sans se faire pincer.

Johan se racla la gorge à la mention explicite de ce qui l'avait amené dans la maison, et les avait conduit dans la chambre, et accepta le verre de rhum. Il en but une longue gorgée pour se donner du courage, appréciant la qualité indéniable de l'alcool, et secoua la tête.

- Ça ne m'est jamais arrivé. Dans le placard, tu te rappelles? Je n'aurais jamais osé ramener un mec chez mes parents.

- Moi non plus, en vérité. Mais l'idée est drôle, non?

Martin le regarda par en dessous et papillonna des cils, ses yeux pers brillant dans la lumière chaude de la lampe de chevet. Il était beau et à cet instant, il le savait clairement et en jouait.

- Dis-toi que nous rattrapons le temps perdu. Une crise d'ado, à notre façon.

Il attrapa son verre et Johan le regarda savourer l'alcool parfumé, fasciné par le jeu de sa pomme d'Adam qui montait et descendait dans sa gorge et les claquements doux de sa langue rose qui se donnait en spectacle. Martin prenait son temps, humectant ses lèvres et dégustant chaque gorgée avec langueur. Puis, sans doute satisfait de l'air ébloui que le trentenaire avait conscience d'arborer, option grande claque dans la gueule et éjaculation prématurée à envisager, il reposa son verre avec délicatesse. Et d'un pas que Johan jugea dangereusement déterminé, il s'avança en sa direction, tout d'ondulations délicieuses et de confiance en lui.

Johan était subjugué, sous le choc de la métamorphose capiteuse que le jeune homme avait engagée, même si leur baiser enflammé de la veille aurait du l'en alerter. Il l'avait toujours trouvé bel homme, dès la première heure de leur rencontre. Mais pour la première fois, il distinguait en lui cette facette de sensualité décomplexée, ce charme érotique et charnel qui avait rendu fou les photographes du monde entier et avait assuré la carrière de mannequin du parisien. Le jeune oncle sympa et débordé s'était transformé en une créature sensuelle respirant la luxure et la séduction et Johan déglutit difficilement, alors qu'il était tout entier capturé dans les rets de ce prédateur charnel qu'il n'avait pas anticipé.

Résistant à la tentation ridicule de reculer, il sécurisa son verre d'une main tremblante sur le chevet et lorsque Martin se pressa contre lui, il suivit son instinct et déposa ses doigts sur la peau nue, là où le débardeur baillait. Martin sourit à nouveau, le déposa un léger bisou dans le cou et chuchota contre son oreille :

- Si tu en as envie, c'est le bon moment de m'embrasser.

Johan en mourrait d'envie alors malgré le début de panique, il laissa libre court à son instinct et, se pencha vers la bouche rose et la dévora d'un baiser. 

Sans être un Don Juan, la faute aux circonstances peu favorables, Johan se considérait comme un amant capable. Cédric avait été un partenaire exigeant et lui avait enseigné de nombreuses manières de satisfaire les hommes dans son lit. Par la suite, aucun de ses coups d'un soir ne s'en était plaint. Ces étreintes avaient été satisfaisantes, dans l'ensemble, même si aucune ne lui avait laissé après coup de souvenirs impérissables. Par commodité et habitude, parce qu'il n'avait pas de temps à perdre et pas grand chose à attendre,  Johan avait pris le pli de se plier aux espoirs de ces hommes éphémères. En général, cela revenait à prendre les rênes de la relation puisque sa carrure forte et ses mains de travailleur manuel avaient tendance à attirer les amateurs de sexe rugueux. Mais comme la veille, il était évident que Martin n'avait aucune intention de jouer les timides dans leur étreinte et Johan devait admettre que cela lui plaisait. Beaucoup, même.

Ils s'embrassaient contre le mur, Johan écrasé contre le plâtre frais. Martin avait crocheté sa nuque pour l'attirer jusqu'à lui, légèrement plus petit, et ses mains fourrageaient avec enthousiasme dans ses cheveux désormais complètement ébouriffés. C'était bon. C'était tellement bon. À cet instant, rien n'avait plus d'importance que cette langue inquisitrice, ces lèvres brûlantes, cette cuisse ferme glissée entre les siennes et cette odeur luxuriante qui montait. Le reste de sa vie, sa solitude, mi voulue mi subie, sa peur panique d'être découvert et raillé, ses remords de mentir à tous ceux qu'il aimait, rien ne comptait plus que ce désir qui l'emportait et ce jeune homme, si confiant et sûr de lui, qui le séduisait. 

Johan sentit des mains fermes sur son col de tee-shirt et d'une traction sèche, son dos se décala du mur. Il ouvrit les yeux, déstabilisé, et tomba dans le regard rieur de Martin qui était en train de l'entraîner en direction du lit, avant de le faire pivoter et de l'y pousser. Il tomba en arrière dans un bruit amorti et un hoquet surpris lui échappa. Sans se laisser distraire, Martin l'escalada sans manière et s'assit directement sur son entrejambe, se trémoussant sur lui à le faire exploser dans son jean.

- Putain, souffla le trentenaire, émerveillé par cette vision. Tu es tellement sexy...

- Je te retourne le compliment. Les mannequins maillots que j'ai croisés en shooting n'ont rien à t'envier. J'ai envie de te toucher partout.

Joignant le geste à la parole, Martin insinua ses mains sous son tee-shirt et le releva, admirant sa poitrine que le travail manuel avait sculpté. Il posa un doigt mutin sur sa clavicule avant de le faire dévaler jusqu'au nombril, contournant ses tétons érigés et accrochant de ci de là un poil brun et bouclé dont le haut de son torse était tapissé. Johan frémit sous la caresse et se cambra, demandeur de plus. Un rire étincelant et une pichenette taquine lui assurèrent que c'était bien le projet. Martin agrippa son pantalon, s'attaqua à ses sous-vêtements et quelques secondes plus tard, le trentenaire était nu, échoué sur le lit et très content d'y être. Martin fut tout aussi empressé à se déshabiller et en quelques secondes efficaces, il était revenu sur lui, mais cette fois entièrement dévêtu. Johan attrapa un oreiller à l'aveugle et le cala sous son crâne, afin de mieux contempler le spectacle. Martin était dépourvu de pilosité et ses mamelons, d'un rose délicat, ressortaient élégamment sur l'opaline de son épiderme. Les ombres de ses pectoraux, aux vallées à peine marquées, habillaient son torse et sa verge, légèrement plus foncée que le reste de son corps, oscillait doucement, clairement aussi désespérée que son propriétaire de faire intimement connaissance. Il était beau et désirable, félin et dangereux, et Johan prit conscience de sa putain de chance. Un mannequin mondialement connu voulait coucher avec lui, c'était fou. Mais au-delà de ça, Martin, son ami Martin, le désirait et cette évidence l'enivra encore plus que le rhum qu'il sentait chauffer au creux de son estomac.

Martin leva un sourcil, se lécha les lèvres et demanda :

- Je peux?

Il désignait sa verge du menton et en comprenant l'acte qu'il sollicitait, Johan sentit son propre sexe s'agiter sur son estomac. À court de mots, le ventre bouillonnant d'excitation, il grogna un acquiescement et Martin rit à nouveau. Le jeune homme semblait être de ces amants pour qui le sexe est un moment joyeux et même si c'était très éloigné de l'expérience de Johan, c'était une nouveauté sacrément agréable. Martin rampa sur lui, remontant son postérieur sur sa poitrine en oscillant et arrivé au niveau de ses clavicules, il saisit sa verge dans sa main fine. Il la dirigea devant lui et en tapota le menton de Johan.

- Comme ça, ça te dit?

Johan contempla en louchant le ravissant membre, empourpré et déjà humide, et hocha la tête. Martin précisa:

- Je ne suis plus sous PREP, vu que c'est le désert dans mon pieu depuis des mois, mais je l'ai été durant des années. Et mon dernier bilan est clean, donc pas d'inquiétude.

C'était raison même mais Johan était à mille lieux de ces considérations de sécurité, entièrement voué au moment, à la sensation du poids de Martin sur lui, à l'odeur musquée de son envie. Afin d'accélérer le mouvement, il ouvrit la bouche dans une invitation limpide et après un nouveau gloussement, Martin répondit à son désir et avança les hanches, le surplombant.

Cela faisait très longtemps qu'un de ses partenaires ne lui avait pas baisé la bouche comme tel. Peut-être même depuis Cédric. Les jeunes hommes qu'il levait à Montpellier étaient plutôt du style à s'agenouiller ou se laisser diriger. Mais alors que Martin s'enfonçait prudemment entre ses lèvres, prenant garde à ne pas aller trop loin, Johan se rappela soudain pourquoi il aimait tant cet acte, en apparence déséquilibré. La verge de son amant emplissait sa bouche et frottait son palais. Son goût un peu amer se répandait sur ses papilles et l'excitait et les gémissements qui résonnaient au-dessus de lui était un nectar. Il leva les mains et attrapa les petites fesses charnues du jeune homme, parfaitement à leur place dans ses paumes larges. Il ne voulait pas l'inciter à aller plus loin ou plus vite, il n'était pas un acteur porno non plus, mais goûta juste le plaisir de les serrer, les malaxer et les écarter. Martin réagit avec de petits cris perçants et accéléra un peu la cadence. Ses yeux bridés étaient mi-clos, son visage et son torse avaient pris une belle couleur pourpre et ses cheveux, humides de sueur, pendaient en mèches lourdes autour de son visage parfait. Il était magnifique et sur le point de jouir, Johan le sentait aux pulsations contre sa langue.

Il n'était pas très friand du goût du sperme, pas en grande quantité, aussi d'une petite tape il invita son amant à se retirer. Martin lui obéit immédiatement, tout le corps tremblant sous l'effort qu'il lui fallait pour se retenir d'éjaculer. Johan eut un rictus diabolique en le voyant dans cet état et l'incita :

- Vas-y, viens sur moi. Je veux te voir s'il te plaît.

Il n'eut pas besoin de lui dire deux fois. Martin porta des doigts mal assurés à son sexe, sans le quitter des yeux. Il n'eut besoin que de l'effleurer, Johan agrippant plus fort son fessier, et il jouit en un long spasme étranglé sur son menton et son cou. Son orgasme dura de longues secondes et il se mordit la lèvre inférieure si fort, pour se retenir de hurler, que Johan aperçut deux petites billes pourpre affleurer sur la peau tendre.

Martin resta un instant immobile, comme suspendu dans le plaisir, puis s'affaissa d'un coup, semblable à une marionnette aux fils coupés. Son souffle était court et s'il retomba dans le désordre poisseux qu'il avait créé, il ne parut pas s'en soucier.

- Nom. De. Dieu. Putain.

Johan pouffa, avant de s'essuyer du dos de la main, sans grand résultat. Une douche allait être un impératif dans son futur proche.

- Je peux me tromper, mais j'ai l'impression que tu en avais besoin.

- Putain ouais. Six mois. Non, attends, sept mois. C'était... À New York, je crois. Enfin bref oui, j'en avais besoin.

Il gigota vaguement en s'étalant un peu plus et marmonna contre le téton de Johan.

- Je ne t'oublie pas, hein. Je vais te tailler une pipe magique, je te le jure. Je prends juste euh... cinq minutes pour me remettre.

Johan releva un peu la tête pour déposer un baiser gentil sur le haut de son crâne.

- Je ne suis pas inquiet. Et pas non plus pressé.

Et c'était la réalité. Écrasé par le poids de son amant, dégoûtant de sueur, salive et sperme et incroyablement excité, Johan se sentait bien. Heureux même. Alors ouais, il n'était pas pressé et ça, plus que le reste, aurait dû l'effrayer.













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