#deux
{Salle Commune}
C'était dans cette salle que Numéro 1 rejoignit les autres. Enfin, il n'y avait que Numéro 3. Les autres étaient probablement restées dans leur salle privée, et Numéro 5 était sur le point d'arriver. Numéro 3 était devant l'une des bibliothèques qui recouvraient deux murs et demi sur quatre, et hésitait. Elle sursauta quand Numéro 1 entra, et fit tomber les ouvrages qu'elle avait dans les bras. Galant, il offrit de ramasser, et en profita pour lire les résumés de livres.
- Tu lis des choses difficiles, c'est ton Autre qui les a fait apparaître ?
- Ah bon tu trouves ? J'aime assez. Je ne sais pas, ils sont apparus la dernière fois que je suis venue ici, pendant une pause.
- On demandera aux autres, je ne sais pas qui pourrait lire ça.
Numéro 3 se rendit compte que Numéro 1 ne lâchait pas le livre en question, et sourit intérieurement. Il mourait d'envie de le lire, ça se voyait comme le nez au milieu de la figure. Elle l'informa :
- Ils sont sûrement à Numéro 5. Son Autre a des goûts particuliers, ça ne m'étonnerait pas...
- Tu penses ?
- Oui. Tiens, elle arrive. Demande lui donc !
- Ça ne se fait pas trop...elle n'aime pas prêter ses livres. Surtout à moi...
Numéro 3 soupira, et d'autorité le prit par le bras et le poussa en direction de Numéro 5.
- Numéro 5 ? Je crois que Numéro 1 veut te demander quelque chose...
- Quoi donc ?
Numéro 1 prit une inspiration mais se dégonfla.
- Je...non rien laisse tomber. C'est impoli.
Numéro 3 se mit à côté du garçon hésitant et désigna l'ouvrage épais qu'il tenait fermement, en demandant à Numéro 5 :
- C'est à toi, non ?
- Oui.
- Tu peux lui prêter ?
Numéro 5 regarda Numéro 3, puis Numéro 1, puis le livre.
- Oui, vas-y.
Numéro 1 la remercia et alla tout de suite le commencer. Numéro 5 chuchota à Numéro 3 (on ne haussait jamais le ton quand quelqu'un lisait, pour ne pas le déconcentrer) :
- J'ai l'air si austère pour qu'il n'ose pas me demander ? Il avait l'air plutôt à l'aise avant, pourtant.
- Va savoir...
Numéro 3 haussa les épaules et alla à son tour tomber dans un siège pour lire. Numéro 5 fit de même, après avoir choisi un livre lui appartenant dans un des rayons. La Salle Commune était une bibliothèque, mais surtout un lieu de rendez-vous des Numéros, qui lisaient un livre, puis le reposait avant d'en lire la fin, pour ne pas qu'il disparaisse, croyant son devoir de livre achevé. Chaque livre était éphémère, comme la mémoire des Numéros. Numéro 5 savait très bien que Numéro 1 avait les souvenirs les plus flous d'eux tous. Elle savait aussi que si elle lui prêtait le livre, celui-ci risquait de disparaître après une lecture complète, par mégarde. Numéro 1 ne se contrôlait pas, tous le savaient et en tenaient compte. Numéro 3 savait de son côté que Numéro 5 avait fait un gros effort pour ne pas paraître triste quand elle avait accepté, pour Numéro 1.
Chaque livre était précieux, même s'il y avait beaucoup d'ouvrages écrits, la plupart par des auteurs dont personne ne se souvenait, mais peu d'entre eux n'avaient été réellement et entièrement lus. Sinon, ils s'évaporaient, d'une période à l'autre. Ils savaient que les "jours" existaient, mais ne savaient plus à quoi cela correspondait. Ils utilisaient donc le mot "période", à défaut d'autre chose. Ce mot n'était pas dénué de sens, et ne leur rappelait pas leur ignorance sans cesse, ils évitaient ainsi une souffrance inutile, celle de l'absence. Ils savaient qu'ils occupaient leurs jours. Mais à quoi ? Et pourquoi ? Rien ne leur venait. C'était la raison de la lecture. Ils parlaient et discutaient au début, mais il ne restait que peu de choses à parler, peu de choses à se remémorer ne causant pas de souffrance morale, et Numéro 4 la première avait demandé à ne plus mentionner le passé, l'avant-destruction, pour ne plus avoir à se torturer l'esprit. Numéro 4 faisait partie des deux filles (avec Numéro 2) qui n'aimaient pas trop la Salle Commune. Elles relançaient leur chronomètre une deuxième fois, pour passer le temps dans leur Salle Privée. Numéro 4 restait allongée dans son lit aux draps orange pâle, sur le côté, contemplant ses mains pendant toute la période. Toutes les périodes, puisqu'elle en passait deux immobile, ne tendant le bras que pour remettre le chronomètre en route. Elle profitait de ces moments pour faire travailler sa mémoire.
Numéro 2, elle, travaillait ses sujets, comme elle disait. Elle se tenait prête pour toutes les périodes d'écriture, craignait trop de ne pas avoir d'idées. Sa peur était viscérale, la paralysait, bien qu'elle n'eut jamais éprouvé ce sentiment. Elle avait vu ses effets, sur Numéro 5, et cela lui avait servi d'avertissement. Numéro 5 n'en parlait jamais, Numéro 1 osait lui demander de temps en temps, si tout allait bien. Parce qu'il faisait figure d'autorité, parmi ces filles. Parce qu'il était le plus touché il était vu comme un vétéran. Il avait réussi à rassembler 4 personnalités opposées dans cet ersatz de monde, ce simuli d'univers, et Numéro 5 respectait l'autorité. La rousse osait parfois répondre, et Numéro 3 devait intervenir pour éviter que Numéro 1 ne craque. Numéro 1 ne s'énervait pas. C'était pire encore. Numéro 2 pensait à tout cela et trouvait ses sujets. Seule, elle qui détestait la solitude. Elle n'en n'était pas sûre, elle l'avait oublié, mais le sentait. Et son instinct la trompait rarement.
Fin de #deux}
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top