"Nous nous disons souvent qu'il ne se passe rien, nous n'avons souvent rien à raconter. Ces 5 là non plus. Ils sont un garçon, quatre filles, pas plus proches que vous et moi, mais après tout ce n'est pas si important.

Ils n'avaient qu'une seule peur : ne pas savoir quoi écrire. Lorsque l'inévitable arriva, la première réaction fut le déni. Puis la colère. Puis la résignation.

Ensuite seulement ils avaient réfléchi. Ils avaient l'impression de vivre une "Non-Vie", dans un "Non-Monde" composé de "Non-Humains", de "Non-Résidus". On les avait amputés du monde physique, ils lui avaient survécu par l'écriture. À présent, il leur fallait baisser les bras face au gouffre vide de leur mémoire ? Pas question. Alors ils ont tout recommencé.

Leur credo était fixé, ils avaient à nouveau une vie, pour la troisième fois, et savaient à quoi l'employer.

Parce qu'on n'a pas besoin d'aller bien loin pour trouver des idées extraordinaires. Peu importe si tout s'écroule un jour. Vous avez lu une partie de nous, vous avez imaginé ce que nous étions. Toi, tu as fait comme si nous étions réels. Merci. Parce que grâce à toi, on vit, tant que tu nous feras vivre. Et si un jour, nous ne sommes plus là, nous saurons que quelque part, à un moment donné, notre vie, notre "impossible tas" de "non-grains" ont aidé quelqu'un. "

Le dernier Portail s'éteignit. Un Fragment allait disparaître, et 5 adolescents avec lui. Ils se regardaient dans les yeux, se souriaient. Une dernière fois, Numéro 1 prit la parole. Il avait les yeux humides.

- Finalement, on a tout dit, non ? J'espère que nos Autres ne feront pas la même erreur que nous.

- Ils ne la feront pas, j'en suis sûre, assura Numéro 5 en lui prenant la main.

- C'est que tu deviens positive, toi, plaisanta la rousse, en reniflant et retenant ses larmes.

- C'est ça qui nous aura sauvés, fit remarquer Numéro 2, dont les larmes roulaient sur sa peau de bronze.

- Merci pour tout, mes amis, murmura Numéro 2, les yeux embués.

Ils ne retenaient plus leurs larmes. Numéro 1 prit une grande inspiration, il sentait la lumière diminuer. Il sourit, il venait enfin de se rappeler entièrement ce qu'il avait dit, ce qu'il voulait dire à Numéro 5, aux autres. Alors il le dit. Les paroles d'un auteur, ancien, il les dit calmement, savoura chaque mot comme s'il était unique, comprenant enfin leur sens :

-''Fini, c'est fini, ça va peut-être finir. Les grains s'ajoutent aux grains, un à un, et un jour, soudain, c'est un tas, un petit tas, l'impossible tas. On ne peut plus me punir.'' On ne pourra pas nous punir d'avoir vécu, non ?

Le silence ne le contredit pas. L'écho de ses paroles demeura longtemps dans un Fragment disparu. Les Autres entendirent-ils cet écho ? Qui sait...

{Fin}