Petit curieux
Le plus dur, dans la vie, c'est commencer. Commencer par le commencement. Où se trouve le commencement, le début de tout ?
Dans ma chambre, mes murs ne sont pas blancs. Ils sont couverts de spirales colorées, qui datent de l'été de mes treize ans. Je ne peux pas dire exactement quelle spirale est apparue en premier. Pourtant, il y a bien eu un moment où presque tout était blanc, sauf cette petite touche de couleur.
Chaque fois qu'on m'offre un nouveau carnet, ma première tâche consiste à l'observer méticuleusement et le feuilleter. Ensuite, le commencer, ce qui demande un beau stylo, beaucoup de temps et de grandes hésitations. La toute première page, je la débute toujours de la même façon :
Ce carnet appartient à Églantine Foltier. Si vous le lisez, évitez de me le rendre.
Je n'interdis pas de lire mes carnets, car tout le monde sait que les interdictions sont faites pour ne pas être respectées. Mais si quelqu'un le fait, je préfère éviter de devoir le regarder en face quand il voudra me le rendre. Ce serait très embarrassant.
Beaucoup trop embarrassant.
Les gens aiment bien m'offrir des carnets. C'est un mystère que je n'ai pas encore réussi à résoudre. Peut-être est-ce parce qu'ils ne savent jamais quels cadeaux me faire ? Ils devraient demander. Je pourrais les conseiller.
Sur mon bureau, j'ai une pile de carnets de toutes les couleurs. La plupart n'ont jamais été terminés.
J'aime bien les couleurs. C'est aussi pour cela que je n'apprécie pas mon lycée, il est beaucoup trop simple, trop morne, trop blanc.
Note aux curieux qui fouillent dans ce qui ne les regarde pas et qui lisent ce carnet : vivez en couleurs ! La vie en noir et blanc, c'est carrément nul.
• • •
— J'suis pas un curieux, marmonna Zéphyr.
Après tout, quel mal y avait-il à fouiller dans la chambre de sa sœur ? Il avait besoin de cette peluche qu'Ondine lui avait promis en échange. Un carnet n'allait pas l'empêcher de récupérer Jérôme le serpent !
Du haut de ses sept ans, il accumulait les bêtises. Mais ce jour-là, l'idée ne venait même pas de lui. C'était Ondine la fautive.
Le jeune garçon sortit de la chambre colorée de sa sœur. Il rejoignit Ondine dans le salon.
— Alors ?
— C'est carrément nul.
— Ah ?
— Elle m'a traité de petit curieux.
Un petit curieux. Zéphyr croisa les bras, offensé et boudeur. Églantine l'avait insulté ! Indirectement, c'était vrai, mais insulté quand même.
— Est-ce qu'elle parle de ses amis ?
Le garçon passa sa main dans ses cheveux sombres. Il n'eut besoin que d'un instant pour réfléchir.
— Non. Mais elle dit qu'elle aime pas le lycée.
Est-ce que toutes les grandes sœurs s'inquiétaient toujours autant pour les plus jeunes ? Peut-être que Zéphyr devrait en parler à ses amis. Après tout, Nathan aussi avait une grande sœur.
En tous cas, maintenant il savait à quel point écrire dans les carnets pouvait s'avérer dangereux. Il ne voulait pas qu'Ondine connaisse tous ses secrets !
— Tu n'as vraiment rien vu d'autre ?
— Pourquoi tu n'y vas pas toute seule, si tu veux vraiment savoir ?
— Si elle me surprend, Églantine va deviner. Alors que les frères, eux, sont là pour embêter les sœurs, c'est bien connu.
Zéphyr réfléchit longuement aux paroles de son aînée. Il ne savait strictement pas quoi dire, mais il fallait bien répliquer.
— C'est pas vrai ! cria-t-il alors.
Et il partit en courant, laissant derrière lui une grande sœur bien trop pensive.
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