Cookies et disputes

Quand on me demande de remplir des papiers au lycée, on demande souvent le numéro de ma mère, ou sa profession, ou des informations sur elle. Même en cours d'espagnol, la prof nous demande souvent de parler de nos parents.

Je déteste ça. À chaque fois, ça me met hors de moi.

Est-ce que c'est si dur à comprendre, que je n'ai plus de mère ?

Elle est partie en disant qu'elle reviendrait. Papa, lui, savait que c'était faux. Ondine, je crois qu'elle sentait le mensonge, elle a un drôle de don pour ça. Zéphyr et moi, comme des imbéciles, on l'a crue. On lui faisait confiance, si fort que nos petits cœurs ont mal supporté ses mensonges, son départ, ses excuses, tout.

Et si Zéphyr pardonne toujours, moi, je suis rancunière.

C'est débile, mais le jour où j'ai eu mes règles, c'est ma sœur qui m'a expliqué, qui m'a rassurée. Ma mère, elle avait d'autres chats à fouetter, à l'autre bout du pays. Et pour ma rentrée au lycée et même celle au collège, je n'avais pas de mère pour me soutenir. Je parle même pas de la fête des mères...

Ce genre de détails, ça m'a fait un truc. Ça m'a fait un truc au cœur, que j'ai du mal à expliquer.

Je me sens à moitié orpheline, parce que malgré tous les efforts d'Ondine et papa, il est impossible de combler le manque d'une mère.

• • •

Dans la cuisine, Églantine et Zéphyr lorgnaient les cookies qui sortaient à peine du four. Ondine, d'un geste agacé, les poussa à l'écart.

— Je savais même pas que ça existait, les cookies à la compote.
— C'est pas une raison pour les manger tout de suite.
— Si, il faut qu'on améliore notre expérience de goûteurs professionnels, Ondine !

Il y avait quelques jours, Zéphyr avait entendu parler des goûteurs qui testaient la nourriture avant les rois, reines et personnes importantes. On avait beau tenté de lui expliquer que si le repas était empoisonné, il en ferait les frais, le petit garçon était déterminé. Et pour ne pas faire sa formation (formation qui consistait à manger tout ce qu'il trouvait dans la maison) seul, il avait décidé de convertir aussi Églantine.

Ondine étouffa un soupir et repoussa encore les deux plus jeunes.

— Et si vous alliez plutôt balader le chien ?
— On va toujours balader le chien !
— Monsieur le futur goûteur n'a pas tort, pour une fois.
— Oh, vous êtes pas cools, moi je fais la cuisine. Et je sors le chien, aussi.
— On a débarrassé le lave-vaisselle, nous. On a rangé nos chambres, s'écria Zéphyr.

Ondine leur adressa un regard de mise en garde. Elle perdait vite son sang-froid, quand ce sujet là était abordé. La moindre remarque l'agaçait.

Les yeux de Zéphyr cherchèrent un point où se poser. Finalement, ils choisirent ses chaussettes rouges et blanches, sa paire favorite, qu'il était capable de mettre dix jours de suite sans la laver.

— Eh, on va pas se disputer pour ça, c'est débile. Viens, Zéphyr, on va sortir Atchoum.

Églantine prit la main de son frère et s'apprêtait à appeler le chien quand Ondine enfila le pull attaché autour de sa taille.

— Je viens avec vous. J'suis désolée, je suis fatiguée, je m'emporte trop vite.

Les deux plus jeunes sourirent. Si Églantine se montrait souvent extrêmement rancunière, elle pardonnait tout à sa grande sœur. Du côté de Zéphyr, tout était déjà oublié depuis un moment.

Tous trois allèrent enfiler leurs manteaux, gants et écharpes, prêts à affronter le froid de l'hiver. Atchoum se leva en agitant la queue, heureux de sortir.

— Vous pourrez goûter les cookies en revenant, promis Ondine en refermant la porte de la maison.

Zéphyr lâcha un cri ravi et s'élança le long de la route, talonné par le chien. Les deux filles rirent, amusées. Elle se mirent en marche, tranquillement.

— Alors, tes nouveaux amis sont gentils ?

Églantine prit son temps avant de répondre. Oui, elle était entourée de personnes formidables, mais quelque chose bloquait en elle.

— Samantha me manque.
— Samantha est une peste. Ce n'est pas elle qui te manque.
— Quoi d'autre ?
— J'en sais rien. Peut-être que c'est l'idée d'avoir une meilleure amie pour la vie. Ou alors, ce sont les soirées qui finissent toujours par un drame qui vont te manquer. Ou c'est simplement l'idée que Sam, c'est maintenant Samantha et qu'elle traine enfin avec des gens qui lui ressemblent. Ou peut-être qu'au fond de toi, tu te sens déçue.
— Arrête. Tais-toi, Ondine. Tu empires les choses.
— D'accord. Qu'est-ce qui te manque, alors ?
— Samantha, je te l'ai dis.
— Mais tes nouveaux amis sont géniaux, Églantine ! Tu te rends pas compte ! J'aurais adoré avoir des amis comme les tiens, moi, en seconde !

Ondine s'était arrêtée, comme si une dispute devait être immobile. Églantine serra les poings et se positionna en face de sa sœur, se fichant bien d'être au milieu de la route.

— Tu ne comprends pas. Je ne suis pas comme toi. Je n'arrive pas à supporter le départ de maman, moi. Et ne parlons pas de sa famille d'idiots avec qui elle préfère être. Tu comprends rien, Ondine ! Toi, t'es forte en tout, t'as des bonnes notes. Toi, t'es pas perdue dans ta vie, tu sais où aller, même si y'a des imprévus. Moi, je ne sais pas faire tout ça, je n'y arrive pas. Moi, je me ridiculise d'une manière ou d'une autre tous les lundis, je ne dis rien quand Chloé dit que mon nom est bizarre et souris avec Eliss et Samuel. Mais qu'est-ce que t'en sais, de ce que je ressens, hein ? Comment tu peux me donner des conseils alors que tu sais pas ce que je vis, moi ? Fiche-moi la paix, Ondine.

L'ainée recula d'un pas, touchée. Elle cligna plusieurs fois des yeux, combattant les larmes qui menaçaient de dévaler ses joues.

— J'essaye juste de t'aider...

Zéphyr s'approcha, inquiet. Il n'aimait pas voir ses sœurs se disputer. Tout bas, il appela Atchoum et s'accroupit pour serrer le chien contre lui. Il ne savait pas ce qui l'effrayait le plus : les cris ou les larmes ?

— Arrête de te prendre pour maman ! Tu ne pourras jamais la remplacer !

Les paroles d'Eglantine déchirèrent l'air. Atchoum s'éloigna de Zéphyr pour rejoindre les deux filles, inquiet. Le petit frère, lui, n'osait pas bouger. Et si on lui criait dessus, lui aussi ? Comment tout avait pu dérailler si vite ?Est-ce que Ondine et Églantine allaient se séparer aussi, comme leur père et leur mère ? Est-ce que l'amour devait toujours mal se terminer ? Fallait-il toujours que deux êtres aimés se disputent et s'éloignent ?

Terrifié par toutes ces questions sans réponse, Zéphyr ferma les yeux.

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