Chapitre 8 - Arthur


Arthur.

Après une petite dizaine de minutes, Mia refait son apparition. Je remarque qu'elle a fait l'effort de mettre l'un de ses plus beaux leggings galbant. D'ici, je peux sentir l'odeur délicatement acidulée de son parfum à la verveine. Elle le porte depuis plusieurs années et je pourrais le reconnaître entre mille.

Nous nous sommes assis autour de la table de jardin en fonte, et, pour la première fois depuis son retour, nous arrivons à discuter de manière civilisée. Elle a enfin baissé sa garde et j'ai même réussi à la faire sourire.

Avant tout ça, nous pouvions passer des heures entières à discuter sans jamais être à court de débats, et par la suite, je n'ai jamais réussi à retrouver ça avec une autre. Je sais qu'elle et moi ne pourrons plus être ensemble à nouveau, mais je sais aussi que je ne vivrais plus une relation comme la nôtre.

Malgré tout, ça me fait un bien fou de la retrouver. Notre complicité m'a manqué, et j'espère sincèrement que cette fois nous réussirons à être amis.

— En tout cas, je trouve que ce job te va bien.

— Pourquoi ? me sourit-elle.

— Parce que tu es une Gomel. Vous êtes faits pour aider les autres.

Mia baisse les yeux un instant, et resserre sa prise sur ses genoux recroquevillés sur sa poitrine. J'ai l'impression de l'avoir blessée, alors que je voulais au contraire lui faire un compliment.

— Oui enfin, je ne serais pas le médecin de la famille... finit-elle par me répondre en haussant les épaules.

J'aurais dû m'en douter. Mia a toujours eu beaucoup de mal à trouver sa place à la suite de Daphné. Elle manque de confiance en elle et s'est toujours comparée à sa grande sœur. Je n'ai jamais compris qu'elle en soit jalouse alors qu'elle est elle-même une personne extraordinaire, qui brille par sa gentillesse et son intelligence.

— Et alors ? Toi tu es douée avec les enfants, ce qui n'est absolument pas le cas de ta sœur. Tu l'imagines en pédiatrie ? Les enfants seraient terrorisés !

— C'est pas faux, pouffe-t-elle.

Je me mets à rire avec elle. Daphné a beau être ma meilleure amie, elle est susceptible et très rigide. Elle a une petite tendance à vouloir avoir toujours raison et elle ne supporte pas la critique. Et même si Mia est parfois impulsive quand un sujet lui tient à cœur, elle est aussi douée d'une sensibilité bouleversante, ce qui fait d'elle un humain naturellement tourné vers les autres.

— C'est fou que tu te compares autant à elle. Tu n'as rien à lui envier, je t'assure.

— C'est gentil, mais tu ne peux pas comprendre.

— Oh oui, c'est vrai, je n'ai pas un frère jumeau avec qui tout le monde me compare, ironisé-je avec un clin d'œil.

Elle soupire à ma remarque et se replace pour me faire face. Elle pose sa joue sur son genou, en réfléchissant.

— Je parie que c'est toi le fils modèle entre vous deux. Celui qui suit les traces de son papa et qui ne fait pas de bêtise.

— Et tu crois que c'est moi le plus heureux ?

— Tu ne l'es pas ?

— Si, bien sûr, murmuré-je en baissant les yeux.

Mais Léo est libre.

Parfois, je lui envie son côté rebelle et capable de suivre ses rêves sans se soucier de ce que pensent les autres. Moi je ne suis qu'un gentil petit soldat qui suit les ordres sans oser se rebeller. Au fond, j'ai l'impression que je loupe quelque chose. Je voudrais vivre autrement juste le temps d'une journée et ne pas me soucier des règles de bienséance.

— Alors... dit-elle en me sortant de ma rêverie. J'ai appris que Solène avait quitté Léo.

— Tu es bien renseignée.

— J'ai gardé contact avec elle. Je l'aimais beaucoup. Avant elle, je ne pensais pas Léo capable d'être en couple.

— Avec une autre fille non. Mais avec Solène c'était différent.

Mon frère et moi l'avons rencontré quand elle était serveuse dans le bar-étudiant que nous fréquentions tous les jours. Il lui a fait son numéro et il n'y a qu'en résistant à son charme qu'il s'est mis au défi de la faire craquer.

Après maintes et maintes tentatives, elle a fini par accepter de dîner avec lui. Le deal était qu'après ça, il ne devait plus jamais tenter quoi que ce soit. Il s'est avéré qu'ils se ressemblaient sur énormément de sujets : leur humour lourdingue, leur passion pour la montagne et la randonnée, leur aisance à toute épreuve et surtout leur capacité à vivre leur vie sans jamais se préoccuper de l'avis du monde qui les entourait.

Entre eux, s'est tout de suite devenu une évidence, et si j'avais encore cru aux âmes sœurs, je pense qu'ils l'auraient été. Mais leur rupture suite à la stupide infidélité de mon frère a confirmé ce que je pensais déjà : nous ne sommes pas destinés à rencontrer l'amour de notre vie. Il n'existe pas. Tout le monde est né et meurt seul. La vie ne sert qu'à profiter au maximum en attendant la fin.

— C'est dommage, soupire-t-elle.

— Et toi, avec ton mec ? demandé-je, soudainement piqué par une grande curiosité.

— Ce n'était pas le bon.

— La rupture est définitive ?

— Oui.

— Pourquoi ? Raconte-moi.

Le premier soir, quand Raphaël a fait allusion à ce type, j'ai ressenti comme une pointe de jalousie. Je sais que Mia a une vie, et j'imagine qu'elle a aussi des petits amis et des prétendants, mais je préfère ne rien savoir. Sinon je me mets à imaginer ce qu'ils lui font, ce qu'ils lui disent et à quel point elle adore ça.

Je le sais, c'est de la fierté mal placée, mais c'est plus fort que moi.

— Je l'aime beaucoup, mais je me suis rendu compte que c'était plus un ami... soupire-t-elle. On n'avait pas la même vision du couple. Il m'étouffait. J'avais besoin d'air.

— Tu ne peux pas arranger les choses ?

— Non, c'est trop tard. C'était déjà notre seconde chance.

Je hoche la tête en signe d'approbation, le regard perdu dans mes pensées. Je suis content qu'elle ne se laisse pas faire par n'importe quel guignol. Elle est capable de leur dire non, et même de les envoyer bouler. Lorsque nous étions ensemble, elle manquait de confiance en elle et elle avait beaucoup de mal à s'affirmer. Aujourd'hui, elle est devenue une femme forte qui sait ce qu'elle veut et ça me plait beaucoup.

Égoïstement, j'espère qu'elle est aussi désagréable avec eux qu'elle l'est avec moi quand je l'agace. Mais bon, après tout, ils sont peut-être moins cons que je ne l'ai été.

— Et toi ? demande-t-elle.

— Moi quoi ? rigolé-je.

— Tu as quelqu'un ?

— Non. Absolument personne.

— Vraiment ?

— Oui, j'ai bien eu des copines, mais je n'ai pas réussi à m'investir.

Elles n'ont toutes été que des passe-temps rapidement remplacés et oubliés. Elles avaient beau toutes être très belles, je les trouvais plates et insipides. Nous ne partagions pas un seul point en commun et je m'ennuyais vite.

Daphné me dit souvent que, si j'y crois, je trouverai ma moitié et que ce sera vraiment génial, mais je ne veux pas y croire. J'ai déjà connu cette personne avec qui tout paraît simple, mais nous avons été trop cons pour prendre soin de notre relation.

Les adolescents ont tendance à s'aimer pour un temps avant de vite passer à autre chose, mais notre amour était bien plus violent. Comme une tempête qui bouscule tout sur son passage. Nous étions trop jeunes, trop immatures pour y faire face. Pourtant, je souhaite à Mia de retrouver quelqu'un si c'est ça qui peut la rendre heureuse.

— Ce n'est pas plus mal d'être seule.

— Il t'a dégouté de l'amour, m'indigné-je. Je t'assure que tu trouveras quelqu'un de bien.

Qui te traitera comme tu le mérites et qui t'aimera plus que quiconque. Même si ça doit me rendre fou.

— Ne me parle pas d'amour Arthur, je te connais, dit-elle en grimaçant.

— Je suis déjà tombé amoureux, sourié-je en me penchant vers elle. Au moins une fois. Je sais ce que c'est.

— Oui, c'est vrai, répond-elle en détournant le regard.

— Donc je sais que ça peut être nul, mais aussi particulièrement agréable avec la bonne personne.

— Je n'enlève pas ça à l'amour. Mais je ne l'avais pas avec lui.

Et moi je ne l'ai eu avec personne d'autre. C'est triste à dire, mais je suis condamné à ressasser une histoire que je sais pertinemment passée. Je ne l'aime plus, mais je pense être encore trop attaché aux souvenirs de notre relation.

Peut-être que je l'idéalise avec le temps ?

Même si ce petit moment privilégié avec Mia était très agréable, je ne me suis pas éternisé. La situation était quelque peu surréaliste et rester trop longtemps aurait été contreproductif. Je suis sincèrement content qu'elle ait baissé sa garde pour nous permettre de parler. Nous n'avons pas abordé les sujets sensibles de notre relation, mais c'est peut-être mieux ainsi. La dernière fois que nous avons essayé de nous expliquer, j'avais fini avec un verre de vin au visage.

Alors oui, éluder le problème n'est peut-être pas la meilleure solution. Mais si c'est le seul moyen d'être en contact sans crier dessus, je signe tout de suite.

Je passe la porte de la demeure Pietron aux alentours de vingt-deux heures. J'entre dans le salon où la lumière est allumée et mes parents sont blottis l'un contre l'autre dans notre canapé à regarder un film.

J'ai toujours admiré leur couple. Ensemble depuis trente ans, ils ont surmonté tous les obstacles et aucun n'a été assez grand pour les séparer. C'est de leur faute si j'ai cru à l'âme sœur pendant si longtemps. Ma maison a toujours dégouliné d'amour honnête à n'en plus finir. Je voulais trouver la même chose, avoir leur vie. Mais maintenant, je sais qu'ils ne sont qu'une exception dans ce monde de brutes, et que la chance ne tombe jamais deux fois au même endroit.

— Bonjour mon grand, s'exclame ma mère en me voyant arriver.

— Xavier t'a invité à rester ? me demande mon père.

— Non, il n'était pas là.

— Alors pourquoi tu as mis autant de temps ?

— Mia m'a ouvert.

Leur mentir ne servirait à rien et puis cela n'a rien d'extraordinaire. Elle et moi avons juste essayé de nous comporter comme des adultes.

— C'est bien mon poussin, me sourit ma mère, les yeux déjà pleins d'étoiles.

— Maman, n'en fait pas toute une histoire, soupiré-je en montant l'escalier.

Elle a toujours adoré Mia, et lorsque notre couple nous a explosé au visage, j'ai cru qu'elle ne s'en remettrait pas. Elle ne cesse de me répéter à quel point tout ceci est du gâchis, que nous étions parfaits et qu'elle espère que le destin nous réunira à nouveau. Malheureusement certaines choses ne peuvent pas être réparées.

Enfin dans ma chambre, je m'allonge sur le lit et regarde l'écran de mon téléphone. Mehdi m'a laissé pas moins de sept messages vocaux et un texto.

[APPELLE-MOI !]

Je décide donc de ne pas écouter ses messages et de l'appeler sans tarder. Il répond à la première sonnerie en brayant :

— C'est la meilleure nouvelle de l'année !

— Quoi donc ?

— Si je t'envoie des vocaux, c'est pour que tu les écoutes, mec ! Il y a une fête, demain, chez Stella. L'occasion de revoir tous les débiles du lycée et de faire la soirée de l'année !

Ce que j'apprécie le plus chez mon ami, c'est son enthousiasme communicatif, résistant à l'épreuve des balles. Quand la plupart des gens vivent dans un monde sans saveur, fait de centaines de jours gris et identiques, Mehdi vit dans un monde rempli d'opportunités, d'aventures et, on ne va pas se mentir, de beaucoup de femmes.

— Tu ne travailles pas samedi ?

— J'ai seulement un coaching à seize heures, alors tu ne peux pas me dire non !

— Je n'ai pas dit non. C'est une bonne idée.

L'avoir comme ami est comme un remède contre la morosité. Tout ce qui peut paraître banal et sans grande importance devient tout à coup l'évènement à ne pas rater. D'ailleurs, les profs lui ont toujours dit qu'il ferait un très bon commercial. Malin comme un singe et borné, il pourrait vendre une vache à un Parisien si l'envie lui prenait.

— Dans ce cas, tu me rejoins chez moi en sortant du boulot. Ton frère sera là aussi.

— Parfait, faisons ça, dis-je pendant qu'il me raccroche au nez.

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