Chapitre 7 - Mia


Mia.

Au centre aéré, le jeudi est synonyme de journée sportive et, comme avant le 14 juillet il y a souvent plus d'enfants, les directeurs ont opté pour une compétition Intervilles. Chaque animateur s'occupe d'une équipe, et trois d'entre nous sont responsables du bon respect des règles.

Je suis la doyenne de l'équipe des Princesses-Guerrières composée de cinq filles aux caractères bien trempés. Nous avons des foulards rouges que nous avons noués en bandeau autour de la tête pour faire peur à nos adversaires. Nous avons déjà écrasé un groupe au jeu de dés géants, mais le lancer de poids nous pose quelques soucis. Face aux intrépides King-Kong qui nous narguent sans aucun état d'âme, mes ladies ont du mal à garder leur calme. J'ai dû demander à Lilou de ne pas participer à l'épreuve pour éviter un regrettable accident. Notre idée de départ était de leur apprendre que gagner n'était pas le plus important, mais malheureusement ils fonctionnent déjà tous à la récompense.

— Vous êtes trop nul !

— Vous aussi !

— De toute façon vous n'êtes que des filles.

— Pablo, ce genre de commentaire tu te les gardes, le sermonné-je. Une fille n'est pas moins forte qu'un garçon.

Je sais qu'il ne s'agit que d'enfants, mais je me rends compte qu'ils sont déjà tous conditionnés par les histoires de princes et princesses. Je voudrais qu'ils comprennent qu'un homme ne se définit pas par sa force physique, et qu'ils peuvent être sensibles. Et qu'à l'inverse, les femmes ne sont pas seulement bavardes et coquettes, mais aussi fortes. Je pense sincèrement que l'égalité des genres est le grand combat du siècle.

Eh oui, je suis une vraie féministe.

Enfin, tout ça ce sera pour plus tard, pour le moment l'objectif est de gagner les petits trophées en chocolat. On y met tout notre cœur et on met à l'amende les préjugés sexistes. Elles lancent leurs poids de toutes leurs forces, tirent sur la corde en contractant les biceps et chevauchent le taureau mécanique avec autant de ténacité que des lionnes enragées.

Mais apparemment, ça n'est pas suffisant. Nous terminons 4ème du classement et le moral des troupes est en berne. Heureusement que le chocolat coule à flots pour essayer de nous remonter le moral.

— Ne soyez pas déçues, les filles. On a tout donné et c'est ça le principal.

Je m'assois près d'elles sur le trottoir. Je ne sais plus quoi dire devant leurs mines déconfites. Mes cinq championnes mangent leurs confiseries en boudant. Je ne sais pas si c'est à cause de la fatigue après avoir participé à une bataille de farine géante effrénée, ou bien la déception de ne pas être monté sur le podium en rondin de bois, mais elles semblent avoir perdu leur langue.

Elles n'ont pas parlé depuis presque dix minutes et je commence à trouver cela inquiétant quand Sophie arrive vers nous, un léger sourire de compassion sur le visage. Elle se penche pour nous regarder et je lui fais signe de ne pas intervenir.

— Ça va quand même ? chuchote-t-elle à mon intention.

— Oui, elles vont s'en remettre. Ce ne sont pas des Princesses-Guerrières pour rien.

— Je me doute, sourit-elle. Je voulais juste te dire que ce soir je ne rentre pas. Je mange et je dors chez une copine. Si maman te demande, rappelle-lui que je lui ai envoyé un texto.

— Je ferais ça.

Ma petite sœur me remercie d'un geste de la main puis retourne à l'entrée du centre pour accueillir les parents venus récupérer leur progéniture.

~ ~ ~

En me garant devant chez moi, je remarque que ma place habituelle est occupée par une vieille Peugeot 205 blanche que je ne connais que trop bien. Arthur est toujours à la maison.

J'avais pourtant espéré que mes heures supplémentaires de ménage auraient au moins eu l'avantage de l'éviter. J'ai passé la semaine à élaborer des stratagèmes pour ne pas le voir et, jusqu'à présent, ça a plutôt bien fonctionné. Je ne l'ai croisé qu'une fois, dans la cuisine, et l'on s'est disputés, alors ce n'est pas plus mal.

En sortant de ma voiture, je remarque que toutes les lumières de la maison sont éteintes. Il semblerait que personne ne soit à l'intérieur. Mais une silhouette est assise devant la porte. C'est forcément lui. Et cette fois, je n'ai aucune alternative. À part peut-être escalader le mur au fond du jardin ? Mais je ne suis pas sûre d'être assez souple pour effectuer une telle prouesse, et même si j'y parvenais, il verrait la lumière s'allumer et je serais rapidement détectée.

Mauvaise idée.

Je prends mon courage à deux mains pour m'approcher. Il relève les yeux vers moi et se met debout rapidement. Il porte toujours sa chemise de travail, mais il a défait les premiers boutons de son col et sa cravate pend négligemment sur son torse. Sa veste à capuche ouverte contraste complètement avec le reste de sa tenue. Il n'en demeure pas moins très beau sous cet angle.

Du moins si l'on aime ce genre de gars désagréable.

— J'ai oublié ma clé, soupire-t-il en massant l'arrière de sa nuque.

— Tu veux dire la clé de chez moi, ironisé-je.

— Aide-moi. S'il te plaît.

— J'y gagne quoi ?

— Tout ce que tu veux. J'ai besoin de ce dossier d'urgence.

Je voudrais le faire mariner un peu, mais je ressens la détresse dans son regard. Je décide de sortir le trousseau de mon sac et j'ouvre rapidement la porte. Je me pousse sur le côté et le laisse entrer. Je l'entend soupirer de soulagement quand il passe à côté de moi, et lui emboîte le pas.

Je le laisse se diriger vers le garage alors que je me rends dans la cuisine et attrape une bière dans le frigo. Il semblerait que je sois seule ce soir alors autant profiter de ma solitude. Vivre avec quatre sœurs n'est pas toujours de tout repos.

Arthur me rejoint, son dossier à la main, alors que je suis en train de prendre ma première gorgée.

— Tes parents ne sont pas là ?

— Apparemment, soupiré-je. Je vis dans une maison avec six personnes et il y a quand même des soirs où je rentre et je suis toute seule. Je ne sais pas si c'est parce qu'ils me fuient ou si j'ai une vie sociale extrêmement nulle.

— Tu veux vraiment que je te réponde ? dit-il en haussant un sourcil.

— Non. Je ne préfère pas.

Et il réussit à me tirer un faible sourire.

Nous restons un instant à nous regarder et je suis happée par le bleu de ses yeux. Il me rappelle tant de souvenirs. Certains joyeux, d'autres beaucoup moins. Parce que oui, bien sûr, nous avons été heureux. C'est sûrement pour ça que j'apprécie tant le haïr. Car après s'être aimé aussi intensément, il est difficile de ne plus rien ressentir.

On dit qu'entre l'amour et la haine il n'y a qu'un pas, et c'est vrai. Notre amour était comme une énorme boule d'énergie dans la poitrine, qui nous faisait un bien fou. On avait l'impression d'être invisibles et plus rien ne comptait à part nous deux. Cette sensation grandissait en nous et prenait de plus en plus de place. Elle a gonflé jusqu'à devenir étouffante, puis elle a explosé, détruisant absolument tout sur son passage.

C'était une relation intense, profonde, mais nous n'avons pas su nous aimer correctement. Je ne peux pas m'empêcher de ressentir un petit pincement au cœur en repensant à tout ça. Je préfère donc rompre le contact et me focaliser sur ma bière afin qu'il ne le remarque pas.

— En tout cas merci pour le dossier, dit-il en déchirant le silence, qui avait pris place dans la cuisine.

Arthur recule d'un pas puis s'apprête à quitter la maison.

— Attends !

Je ne sais pas pourquoi j'ai fait ça.

Il se retourne vers moi, les sourcils froncés, avec un petit sourire en coin. Il semble décontenancé par mon intervention. À vrai dire je le suis aussi. Peut-être à cause de ces souvenirs entre lui et moi, qui me font espérer que nous pouvons être autre chose que des ennemis. Quand je l'ai vu devant la maison, j'ai eu de la compassion pour lui. Il ne jouait pas les gros durs pour m'impressionner cette fois, il était sincère.

— Est-ce que tu veux boire quelque chose avant de partir ? dis-je doucement.

— Tu es réellement en train de m'inviter à rester ?

— Tu as le droit de dire non. Je veux dire, tu as toutes les raisons du monde de ne pas vouloir. Mais...

Je fais n'importe quoi. Je m'étais promis de ne pas flancher et après seulement une semaine je lui ai déjà proposé de boire un verre avec moi. Raph me dirait sûrement que je suis irrécupérable et il aurait raison. Mon petit cœur est beaucoup trop réactif à sa présence et c'est ridicule, alors que de son côté il a déjà tourné la page depuis longtemps.

Mais peut-être qu'il est temps que j'arrête de me comporter comme une gamine et que nous fassions la paix. Comme deux adultes capables de discuter sans se sauter à la gorge.

— Si tu as une bière pour moi, je ne peux pas refuser.

— J'en ai plusieurs.

Après un dernier regard dans sa direction, je retourne près du frigo et sors une seconde bouteille. Je la lui tends et m'assois en face de lui sur l'îlot central.

— Et toi, ta soirée ? demande-t-il.

— Je travaillais, c'était une journée jeux en extérieur.

— C'est pour ça la farine dans les cheveux ?

Mince. J'avais complètement oublié mon accoutrement. Je ne dois vraiment pas être jolie à voir. Je ne me suis pas changée depuis la fin de l'Intervilles. Je porte toujours mon legging noir et d'un vieux teeshirt rose déchiré et trop grand pour moi. Et mes cheveux sont, effectivement, pleins de farine.

Un vrai sex-symbol.

— Ça ? C'est juste un masque pour les nourrir, affirmé-je pour tenter de paraître détachée.

— Évidemment, j'aurais dû m'en douter, se moque-t-il. Vous mettez des trucs bizarres dans vos cheveux, vous, les filles.

— C'est peut-être pour ça que les parents me regardaient de travers ce soir.

— Je crois que tu es sur la voie, dit-il en me faisant un clin d'œil.

Je lui souris en retour pendant qu'il approche le goulot de la bouteille de bière à sa bouche.

Il est détendu, il a rangé son rôle de mec irritant au placard et je suis en face du vrai Arthur. Je remarque qu'il a un petit rictus au coin de ses lèvres. Ses beaux yeux fins en amandes me scrutent avec malice.

À côté, je ne dois pas être très glorieuse. Un petit tour dans la salle de bain ne me ferait pas de mal. Je décide donc de m'éclipser quelques instants.

— Si ça ne te dérange pas, je vais prendre une micro-douche. Je te rejoins dans cinq minutes, l'informé-je en me levant.

— Tu payeras la seconde tournée ?

— Évidemment, réponds-je en quittant la cuisine.

Une fois seule dans la chambre, je prends un instant pour fermer les yeux et prendre une grande inspiration. Mon cœur bondit dans ma poitrine comme lorsque je passe un examen, avec un soupçon d'adrénaline.

Si je l'ai invité à rester ce soir, c'est pour briser le cercle infernal de notre relation. Je veux vraiment que les choses changent et que nous ayons l'occasion de faire la paix. J'ai dit à Sophie que je voulais avoir une réaction plus mature, alors c'est le moment de le montrer.

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